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Maîtres et témoins (III) : Léon Daudet

Qui êtes-vous, Léon Daudet ?

Qui êtes-vous, Léon Daudet ?

Vous naissez à Paris, en 1867, d'Alphonse Daudet (1840-1897) et de Julia Daudet (1844-1940), née Allard, épouse et collaboratrice littéraire d'Alphonse Daudet.

Vous avez la chance de naître dans une famille heureuse, aimante, unie, dans laquelle l'affection, débordante, s'étend même au cousinage : envers, par exemple, ces cousins restés en Provence, chez qui, vous et vos parents, vous vous rendez souvent; ce qui vous permet, bien que parisien, "de naissance et de vie", de ne jamais perdre le contact avec vos origines méridionales, et de garder toujours, pour ainsi dire, un pied dans votre terre ancestrale, vous qui écrivez "Paris est tellement incorporé à ma substance que partout où je suis je l'emporte avec moi et que, même en exil, je l'arpente en tous sens, c'est le cas de le dire, les yeux fermés..." (Paris vécu, 1ère série, rive droite, page 39)... : vous avez la "double nationalité", en quelque sorte !

On verra, dans les documents suivants, l'affection et la tendresse immense que vous aviez pour vos parents : en ce qui concerne votre père, le mot "vénération" n'est pas si éloigné de ce que vous éprouviez pour lui...
Il mourra jeune, à 57 ans (en 1897) et sera ainsi enlevé prématurément à votre affection (au même âge que le sera Jacques Bainville, emporté, lui, par un cancer de l'œsophage). On lira dans cet Album - tirés de "Devant la douleur" - quelques extraits des pages que vous consacrez à sa terrible maladie nerveuse - le tabes dorsalis, affection de la moelle épinière - qui l'avait amené à se rendre, avec vous, qui l'accompagniez toujours, à Lamalou-les-Bains, station thermale de l'Hérault...

Vous êtes le premier de trois enfants, avec votre frère cadet Lucien (né en 1878) et votre sœur Edmée (dont le parrain était Edmond de Goncourt, aux origines de la célèbre Académie, dont vous avez été membre dès l'origine, et qui mourut d'ailleurs à Champrosay, dans la demeure de vos parents).

En 1891, vous épousez Jeanne Hugo, petite-fille de Victor Hugo. Le mariage fait scandale, car il est uniquement "civil". D'ailleurs, malgré la naissance d'un fils - Charles - il ne durera pas, et vous vous séparerez en 1895.

Vous l'avez écrit, dans vos Souvenirs : vous êtes entré brièvement dans la famille Hugo, pour en sortir presqu'aussitôt, et célébrer votre second et véritable mariage, durable et heureux - malgré tout... - celui-là...
En 1903, vous épousez votre cousine germaine, Marthe Allard, surnommée Pampille, dont vous avez trois enfants : Philippe, né en 1909, assassiné par des anarchistes manipulés par la police politique en 1923; François, qui sera médecin et journaliste; et leur sœur Claire.

Votre vie va défiler, ici et maintenant, dans la suite de cet album, jusqu'à cette année de 1942 au cours de laquelle, atteint d'une hémorragie cérébrale, vous, le provençal d'origine, mais né à Paris, êtes revenu dans votre Provence originelle, pour y décéder, le 1er juillet, à Saint-Rémy-de-Provence, dans le mas voisin du mas d'Angirany, où résidait alors la famille Mauron.

"Qui n'a pas lutté n'a pas vécu" : telle est la fière devise personnelle que vous avez adoptée.
En partant à votre découverte, on verra que ce n'étaient pas là des mots en l'air, ou une belle formule, mais creuse.
Vous avez lutté pour de vrai, consacrant votre vie à vos idéaux, et l'on verra que les moments glorieux et joyeux qui ont jalonné votre engagement ont été accompagnés d'autres, tragiques et douloureux : ce n'est donc pas en vain que vous avez choisi votre devise, qui fut tout sauf un "effet de style", une phrase bien tournée; vous en avez vraiment fait votre règle de vie, pour le meilleur et pour le pire, à votre façon et selon votre manière d'être : toujours enjoué et joyeux, bouillant et comme animé d'un mouvement perpétuel, à la limite parfois de l'hyperactif et du volcanique...

Une anecdote (on pourrait en citer cent autres...) vous décrit à merveille, dans votre tempérament et votre façon d'agir : c'est lorsque, par votre intervention à la Chambre, vous avez fait tomber le cabinet Briand.
Nous sommes le mardi 10 janvier 1922; vous prévenez vos amis : "J'interpelle, d'ordre de Maurras"; vous êtes encouragé par votre ami Magne, député royaliste de Nîmes dans cette Chambre "bleu horizon" où vous êtes élu, vous, de Paris (3ème secteur, XVIème arrondissement) : "...Mais pousse-les bien, hein, vieux Léon, les quelques paroles (me dit Magne avec l'accent de chez nous), et donne-leur l'impression du feu de Dieu...".
Le "feu de Dieu" ou, comme on dit aussi, en provençal, "un tron de l'air", voilà ce que vous avez été. Le mot "tron" signifiant tonnerre, foudre, et l'expression familière "tron de l'air" étant souvent employée pour un enfant insupportable, un vrai démon... On parle aussi, en provençal, d' "estrambord", c'est-à-dire de "débordement de vie" :
régal pour vos amis, crainte et inquiétude pour vos adversaires, c'est bien ce que vous avez été, à la Chambre mais aussi toute votre vie durant, avec votre "estrambord" : un "tron de l'air", un "feu de Dieu", une "surabondance de vie", comme vous le dites de Forain, employant - pour parler de lui - une expression qui convient si bien - pour parler de vous - ...
D'ailleurs, dans "Député de Paris" (page 115) vous vous en amusez : "...La nature m'a doué, sous le rapport du volume de la voix. Quand j'ai affaire, comme c'était le cas à la Chambre, à quelques braillards, je commence par les épuiser, en les excitant, en les désignant nommément, en me fichant d'eux, en répliquant aux injures et aux blagues par d'autres injures et d'autres blagues. Là-dessus, le Président intervenait, grondait mes insulteurs et les rappelait à l'ordre (quel ordre ?), me grondait et me rappelait à l'ordre..."

Le moment est venu de suivre votre longue existence (75 ans), qui se confond avec l'histoire de France, à partir du moment où vous rencontrez Charles Maurras - d'un an votre cadet : il est né en 1868 - et où vous avez été littéralement subjugué par son intelligence et le don qu'il avait fait, lui aussi, de son existence, à la Patrie et au Bien commun ("J'entrai en politique comme on entre en religion.." écrira-t-il).

Vous rencontrerez aussi Jacques Bainville, et de là naîtra une amitié unique entre vous trois. Une amitié telle que seule la mort vous séparera, vous trois que, pourtant, tout séparait, à ne considérer que les aspects relevant de vos personnalités et de vos goûts très différents.

Et cela, pourtant, pendant seulement la moitié de votre vie : plus d'un en sera surpris, mais, né en 1867, vous n'êtes devenu définitivement royaliste qu'en 1904, à 37 ans, même si vous aviez commencé déjà à évoluer en ce sens depuis 1899 et la "Déclaration de San Remo" (on y reviendra...). Renouant ainsi avec la tradition royaliste "interrompue" de votre ascendance paternelle : alors que vos deux amis et complices Maurras et Bainville ont été royalistes très tôt, et très jeunes, vous avez donc passé, vous, à peine un peu plus de temps avec vos amis royalistes (38 ans "dedans") qu'avant de vous joindre à eux (37 ans "dehors" ou "avant"). Et, si eux furent royalistes presque "dès le début", pourrait-on dire, vous avez passé, vous, une bonne partie de votre existence - la première - pendant laquelle l'idée du royalisme vous aurait semblé - on le lira plus bas -une "bizarrerie" !...

Mais, n'allons pas trop vite, et commençons par le commencement : racontez-nous votre existence, depuis ses débuts, et, dites-nous : qui êtes vous, Léon Daudet ?