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Maîtres et témoins (III) : Léon Daudet

Deux inséparables : Forain...

Deux inséparables : Forain...

De "L'Entre-Deux-Guerres", pages 83/84/85 :

"..."Est-il bon, est-il méchant ?" disait Diderot, songeant à lui. Cette question, posée quant à Forain, appelle comme réponse : "Les deux à la fois", ou : "Il dessine bien."
L'homme, son trait, sa voix, ses légendes, forment un ensemble magnifique et génial, donnent le frisson.
Il est petit, concentré, pétri de feu, de douleur et de comique. A peine a-t-il distingué qu'il formule.
Son oeil, aussi prompt que celui du grand Léonard, court aux mobiles moraux des mouvements, aux vertus et aux tares qui actionnent les êtres.
Dans les gens, dans les oeuvres, dans les idées, dans les actions, il saisit l'essentiel et il s'y attache, avec une déconcertante soudaineté.
Ce sont ses dons, mais il s'applique, et son labeur est plus fort que son énervement.
Il grince, il déchire, il invente, il griffe, il mord; puis il se reprend, il élimine, il simplifie et, sans apprivoiser son dragon, il lui donne la belle ligne classique.
On peut l'aimer ou le détester. Moi, je l'aime, malgré toutes les mauvaises blagues qu'il a débitées ou débitera sur mon compte et dont on ne peut lui tenir rigueur, parce qu'elles font partie de son jeu sublime et féroce.
Je l'aime pour sa surabondance de vie, d'une vie qui coule depuis soixante ans, sans jamais épuiser son réservoir, en reflétant et multipliant la lumière.
Je l'aime pour son rire pathétique, qui vaut la trompette de Jéricho., pour les "hein ! hein !", les grondements, les grincements, les regards furibonds dont il poursuit votre assentiment, votre acquiescement à ses boutades explosives.
Je l'aime pour sa naïveté, qui pousse parfois sur son expérience amère, telle une fleur sur un talus du vieux Montmartre.
Je l'aime enfin parce qu'il est de Pantruche, la seule ville du monde où l'on dise leur fait aux crétins nantis, où les avantages extérieurs n'en imposent pas.
Le plaisir de rencontrer Forain, c'est qu'il est, à lui tout seul, une délivrance..."

Illustration : Jean-Louis Forain (1852-1931), peintre, caricaturiste et graveur, par Nadar.