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Maîtres et témoins...(II) : Jacques Bainville.

Dix-Huit Brumaire et Deux Décembre

Dix-Huit Brumaire et Deux Décembre

Je possède de précieux souvenirs de famille sur le Deux Décembre. Par une heureuse fortune, j'en possède aussi sur le Dix-Huit Brumaire. Ces souvenirs ne feront pas une révolution dans la manière d'écrire l'histoire. Mais ils sont bien intéressants tout de même.

Une arrière-grand-mère que je n'ai jamais connue habitait Saint-Cloud au moment où les grenadiers de Bonaparte envahirent la salle où étaient assemblés les Cinq Cents. Il paraît que ce fut une belle débandade. Qui par les couloirs, qui par les fenêtres, les parlementaires de l'an VIII s'étaient enfuis dans toutes les directions en voyant apparaître les baïonettes dans le "temple des lois". Ils avaient même fui d'une course si éperdue que les pelouses de Saint-Cloud étaient semées d'écharpes et de chapeaux à plumes : car les Cinq Cents avaient un magnifique uniforme.

Mon arrière-grand'mère, comme tous les Français et toutes les Françaises de son temps, fut très joyeuse en apprenant que le règne des bavards était fini. Elle alla voir les fenêtres par où les législateurs avaient si bien sauté. Et elle vit que le bon peuple s'amusait à ramasser les écharpes et les somptueux bicornes que les fuyards avaient abandonnés. On les donnait aux enfants qui les attachaient à la queue des chiens.

Cependant, quinze ans plus tard, c'était l'invasion. Les cosaques entrèrent dans notre pays et ce furent de grandes souffrances. Quand on avait pu rompre le pain sans alarmes, on se félicitait de son bonheur et l'on disait à la fin du repas avec soulagement : "Encore un que les prussiens n'auront pas." L'enthousisasme de Brumaire était loin et le nom de Napoléon était maudit.

Mais les années passèrent. Et le règne des bavards revint. Un autre Bonaparte fit un autre coup d'Etat pendant une nuit de Décembre. Seulement, il changea la manière. Il n'entra pas dans l'Assemblée. Il fit prendre les législateurs au lit et ordonna qu'ils fussent conduits au donjon de Vincennes. Ces choses sont encore proches de nous et je les ai entendues de la bouche de mon père. Le bon peuple se réjouit du coup de 1851 autant qu'il s'était réjoui du coup de l'an VIII. De Paris et de la banlieue, on se rendait en partie de plaisir au pied du donjon de Philippe-Auguste. On s'y rendait de préférence à l'heure où les prisonniers prenaient leur récréation. Et l'on se montrait avec de grands éclats de rire les célébrités mélancoliques qui prenaient l'air sur la plate-forme : "Tiens, voilà Berryer !... Le petit Thiers n'a pas l'air content..." On ne s'était jamais autant amusé depuis le jour où l'on avait ramassé les écharpes des législateurs de Saint-Cloud.

Dix-huit ans plus tard, la France était envahie de nouveau. Les Prussiens entraient encore une fois en France. C'était donc une race funeste que ces Napoléon ? On avait donc tort d'applaudir à leurs coups d'Etat puisque, lorsqu'ils chassaient les Assemblées, c'était pour ouvrir la porte à l'ennemi ?...

J'ai entendu raconter dans mon enfance le Dix-Huit Brumaire et le Deux Décembre. J'ai entendu raconter aussi les trois invasions, Waterloo, Sedan et le siège de Paris. Et nous sommes beaucoup de Français de ma génération qui pouvons condenser l'expérience historique d'une famille depuis un siècle. Alors notre raisonnement a été simple, aussi simple que fort.

Le régime des Assemblées est un régime détestable. Le bon peuple de France accueille toujours sa chute par des explosions de joie. Mais, lorsque c'est l'Empire qui s'implante à la place de la République, le résultat est aussi mauvais. L'autorité a du bon, mais l'autorité de tout le monde n'est pas bonne. Alors il ne reste plus, en fait de gouvernement autoritaire, qu'à opter pour la monarchie.

Voilà comment doit s'orienter la méditation des patriotes à l'anniversaire du Deux Décembre. Ne pas oublier, non plus, que l'Assemblée qui fut dissoute par Louis-Napoléon était bourrée de conservateurs. Ces conservateurs ne surent même pas se conserver eux-mêmes. Le coup d'Etat leur fit une belle peur ! Hugo raconte qu'ils s'étaient réunis pour délibérer à la mairie de la rue Drouot et que l'un d'eux était tellement ému qu'à chaque instant il devait disparaître. Et le spirituel Glatigny de lui dire :

- Ah ! ça, vicomte, vous croyez donc qu'on éteint les révolutions comme Gulliver éteignait les incendies ?

Que le bon peuple de France n'aille pas croire que le salut lui viendra de ce qu'il aura peuplé la Chambre de ces... - disons de ces Gullivers.

L'Action française, 5 décembre 1912