La France face à la maison de Bourgogne...
...et aux orgueilleux, mais téméraires, Grands Ducs d'Occident.
De Jacques Bainville, Histoire de France, Chapitre VII :
Louis XI : l'unité sauvée, l'ordre rétabli, la France reprend sa marche en avant.
"En somme, depuis l’avènement des Valois, la monarchie et la France avaient peine à se remettre d’aplomb. Le prestige de la royauté n’était plus ce qu’il avait été. Les circonstances avaient singulièrement favorisé et enhardi la haute féodalité, les grands vassaux, les ducs de Bourgogne surtout, qui apparaissaient comme les égaux du roi de France
Avec la Picardie et la ligne de la Somme, ne tenaient-ils pas Paris à leur discrétion ? Les ducs bourguignons se sentaient de moins en moins français à mesure que s’éloignait leur cousinage. Philippe le Bon, Jean sans Peur lui-même, avaient encore quelque fois scrupule de nuire à la France. Charles le Téméraire sera un ennemi déclaré. Il ne semblait pas impossible alors que cet État nouveau détruisît l’État français.
L’œuvre de restauration de Charles VII était fragile, aussi fragile que l’avait été celle de Charles V. En 1461, il mourut, dit-on, d’inquiétude et de chagrin. Il en avait de sérieuses raisons…
….Charles le Téméraire, qui venait de succéder à son père, nourrissait de vastes et dangereux desseins. Il voulait fondre en un bloc ses domaines faits de pièces et de morceaux, relier la Bourgogne aux Pays-Bas, soit par la Champagne, soit par la Lorraine, gouverner sans avoir à rendre hommage au roi de France ni à respecter les coutumes flamandes. Déjà il avait terriblement châtié les villes de la Meuse. Louis XI sentit que son tour allait venir et voulut prévenir le danger. Se fiant à son adresse, il demanda une entrevue à son cousin et, muni d’un sauf-conduit en règle, se rendit à Péronne. Comment le renard n’avait-il pas senti le piège ? À peine était-il arrivé à Péronne que Charles le Téméraire, alléguant une nouvelle révolte des Liégeois, dont il rendait le roi responsable, le retint prisonnier. Il ne le relâcha qu’après l’avoir humilié. Louis XI dut aller, de compagnie avec le due de Bourgogne, écraser, à Liège, nos fidèles alliés. Il avait dû promettre aussi de donner la Champagne à son frère. Louis XI accepta tout, signa tout, sacrifia les Liégeois et sa fierté pour sauver la Champagne. Il fit tant qu’en retrouvant sa liberté il obtint que, si son frère y consentait il pourrait lui donner une autre province moins importante que la Champagne. Louis XI s’était tiré du plus mauvais pas de sa vie. Mais pourquoi Charles le Téméraire l’avait-il laissé partir quand il le tenait à sa merci ? On ne peut trouver qu’une raison : la force morale que représentait le roi, le devoir qui liait le vassal, même le grand vassal, au suprême suzerain. Ainsi jadis les Plantagenets avaient respecté leur hommage au roi de France. La féodalité portait en elle-même cet important correctif. Elle protégeait, elle servait encore le souverain qui lui a porté de si rudes coups…
…..Vis-à-vis de son grand adversaire, le roi avait adopté pour tactique la prudence. Il le voyait s’engager dans des entreprises de plus en plus hasardeuses, affronter la Lorraine, l’Alsace, l’Allemagne, la Suisse. Louis XI le sentit perdu. Désormais il se garda d’intervenir autrement qu’en lui suscitant des ennemis. Il fit confiance au temps, attendit son heure. Il donna même Saint-Quentin pour que le duc de Bourgogne se tournât d’un autre côté. Ce côté, c’était celui de Granson et de Morat où les cantons suisses infligèrent deux graves défaites au puissant duc. Il ne s’en remit pas. Rien ne lui réussit plus. Devant Nancy, dont il voulait faire la capitale de son État, la tête d’une Lotharingie nouvelle, il trouva une mort misérable (1477).
Plus grand bonheur ne pouvait arriver à la France. Sans effort de notre part, un ennemi dangereux était abattu. Et puis, Charles n’avait pas de fils : ses apanages retourneraient donc à la couronne. Ils n’y retournèrent pas sans des difficultés qui eussent été plus grandes si le Téméraire n’avait fini dans un désastre…"