D’où l’engagement des décideurs israéliens à autoriser, et même à favoriser, l’importation de milliards de dollars acheminés du Qatar (id., p. 13). Sur ce sujet, cf. aussi PFV n° 100.
Le philosophe franco-israélien Shmuel Trigano, cité par Darmon, met lui aussi l’accent sur « l’erreur de conception stratégique » de l’État hébreu. « Celle-ci a consisté à croire qu’en nourrissant Gaza grâce à l’argent du Qatar, à l’ouverture de ses portes aux travailleurs palestiniens et à d’autres avantages économiques, Israël maintiendrait le calme et obtiendrait la paix. Mais ce fut là une erreur fondamentale car la guerre que mène le Hamas est en tous points une guerre de religion ». Trigano précise ce jugement : les terroristes « sont venus pour tuer des Juifs et pour mourir afin d’accéder à leur “paradis” » […]. En s’illusionnant de maintenir ainsi le calme, Israël a commis l’erreur fatale de préserver et de renforcer le Hamas » (op. cit., p. 18).
Aujourd’hui, Netanyahou est confronté à un scandale dit du « Qatargate » qui a conduit à l’arrestation de deux de ses proches conseillers (L’Orient-Le Jour, 2 avril 2025).
Diverses révélations font en outre ressortir les négligences des officiers de Renseignements de Tsahal « qui ont minimisé, des mois durant, les rapports autant alarmants que répétitifs » présentés par les jeunes soldates placées au sommet des tours d’observation ré-parties le long de la frontière de Gaza pour y surveiller les activités des groupes armés du Hamas (Darmon, op. cit., p. 12).
Amir Tibon fournit la même information. « Selon les signalements des “guetteuses”, le Hamas avait construit des modèles à grande échelle de kibboutz israéliens, qui avaient ensuite été pris d’assaut par des militants lourdement armés – ce qui constituait manifestement une répétition générale en vue d’une invasion. Mais leurs avertissements ont été ignorés. Ce matin-là, nombre d’entre elles ont perdu la vie » (op. cit., p. 74).
Richard Darmon poursuit : « Ces conceptions occultant les aspirations guerrières génocidaires du Hamas et du Djihad islamique, fondamentalement enracinées dans leur idéologie religieuse islamiste radicale, étaient à ce point ancrées dans l’esprit de la plupart des dirigeants politiques et sécuritaires israéliens qu’un rapport de prospective très documenté et minutieux élaboré par un service régional des Renseignements de Tsahal ne fut jamais examiné, faute de temps et en raison “d’autres priorités”, par le gouvernement Netanyahou : intitulé, en forme de limpide signal d’alarme, “La Muraille de Jéricho”, ce rapport jugeait très haute – simulations palestiniennes filmées à l’appui – la probabilité d’une prochaine attaque des milices du Hamas par une incursion terroriste massive dans les localités et villages israéliens du pourtour de Gaza ; il avait été officiellement déposé dès le début de l’été 2023 sur les bureaux de chacun des membres du cabinet » (op. cit., p. 13).
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Le Premier ministre israélien B. Netanyahou est le premier dirigeant invité à la Maison Blanche depuis le retour de Donald Trump au pouvoir, le 4 février 2025 à propos des négociations sur Gaza. Photo, Public domain
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GAZA-CISJORDANIE, MÊME COMBAT ?
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« Netanyahou et ses alliés étaient persuadés qu’il valait mieux épargner le Hamas pour affaiblir l’Autorité palestinienne afin de favoriser les projets d’annexion des extrémistes juifs en Cisjordanie », assure Yair Golan, ancien chef d’état-major de Tsahal (Benoît Christal et Gallagher Fenwick, 7 octobre 2023 Israël Gaza, l’affrontement des tragédies, éd. du Rocher, 2024, p. 129).
Cet officier rejoint le constat dressé par Alain Dieckhoff, directeur de recherche au CNRS, dans un entretien sur le thème « 1993-2024. Oslo, la paix en échec ». Depuis son retour au pouvoir (2009), « Netanyahou a consciencieusement ignoré le président de l’AP (Mahmoud Abbas) parce qu’il a de facto écarté la solution à deux États, tout en poursuivant la colonisation de la Cisjordanie. L’arrivée au gouvernement, en décembre 2022, de religieux sionistes extrémistes, comme le ministre de la Sécurité intérieure Itamar Bengvur, n’a fait qu’accentuer ce mouvement de colonisation à outrance. Ce courant prône l’annexion pure et simple de la Cisjor-danie par Israël, ce qui signifierait la fin de toute perspective d’État palestinien » (L’Histoire, n° 106, janvier-mars 2025).
La guerre de Gaza a d’ailleurs entraîné une accélération de la colonisation juive en Cisjordanie, occupée depuis 1967 où les Israéliens ont déjà une présence exclusive sur 70 % du territoire. Le vocabulaire israélien s’adapte à cette situation : « implantations » remplace « colonies » ; « souveraineté » efface « occupation » ou « annexion ».
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Bombardements israéliens sur Gaza. Photo Jaber Jehad Badwan
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Enfant palestinien blessé et traité aux urgences de l’hôpital Al-Shifa à Gaza City. Celui-ci a été ravagé le 1 er avril 2025 par des combats intenses entre militants palestiniens et soldats de l’État hébreu. Israël affirme que l’enceinte était utilisée comme base opérationnelle par le Hamas et le Jihad islamique
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Selon l’ONU, plus de 700 000 colons juifs résidant dans ce territoire, Jérusalem-Est compris, s’y trouvent illégalement au regard du droit international et le gouvernement israé-lien multiplie les mesures destinées à en attirer de nouveaux, recourant pour cela à des me-sures destinées à pousser les Palestiniens à l’exode (spoliation de leurs terres agricoles, évacuation forcée de camps de réfugiés, etc.).
Cette situation inquiète la Jordanie voisine, comme l’a reconnu le vice-Premier ministre de ce pays, Marwan Muasher, en rappelant l’affirmation du ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, pour qui « 2025 serait l’annexion de la Cisjordanie » (L’Orient-Le Jour, 9 mars 2025).
Un projet de « judaïsation » de la bande de Gaza se manifeste également depuis 2024. Il est inspiré par le mouvement Nahala dont la fondatrice, Daniella Weiss, figure éminente de la mouvance messianiste, est soutenue par plusieurs membres de la coalition au pouvoir. Sa motivation repose sur la nécessité de réparer l’évacuation forcée de 8 500 colons ordonnée en 2005 par Ariel Sharon, alors Premier ministre. 800 familles seraient prêtes à participer à ce repeuplement malgré le rappel de l’insécurité à laquelle leurs prédécesseurs étaient confrontés en raison du voisinage palestinien (Le Figaro, 11-12 janvier 2025).
Début mars, Daniella Weiss a expliqué son projet devant la Knesset. « Il faut une guerre de conquête immédiate pour que Gaza redevienne juive, comme elle l’a toujours été », a-t-elle précisé. Pour elle, il s’agit de reconstituer « Eretz Israël » (« la terre d’Israël »), englobant Gaza et la Judée-Samarie (nom donné par les Juifs à la Cisjordanie) (La Croix, 18 mars 2025). De cette situation, le chroniqueur libanais Anthony Samrani tire cette réflexion : « Voilà des décennies qu’Israël cherche à effacer les Palestiniens sur le plan politique. Il veut désormais le faire au sens littéral. Nettoyer le territoire de ce peuple qui conteste son droit divin à dominer chaque recoin de cette terre » (L’Orient-Le Jour, 21 mars 2025).
Ce projet rejoint la proposition du président américain Donald Trump préconisant le déplacement des Palestiniens hors de Gaza et la transformation de l’enclave reconstruite en une « Riviera du Moyen-Orient » (cf. PFV n° 100). Mais elle est rejetée par le plan de la Ligue arabe dont « un élément-clé est qu’il ne se limite pas à la reconstruction de Gaza », souligne Marwan Muasher. Ce plan « insiste également sur la nécessité d’une solution politique, qui passe par la fin de l’occupation israélienne et la création d’un État palestinien », mais celui-ci contredit l’option des dirigeants israéliens actuels qui consiste à « anéantir la cause palestinienne » (L’Orient-Le Jour, 9 mars 2025).
« Netanyahou s’est toujours opposé à tout accord avec les Palestiniens […]. C’est un belliciste extrémiste qui mène une politique d’extermination à Gaza, soutenu par l’extrême-droite religieuse, qui poursuit la colonisation illégale en Cisjordanie » (Pierre Conesa, Les religions font-elles plus de bien que de mal ? », éd. Desclée de Brouwer, 2025, p. 103).
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Visite du Président israélien Isaac Herzog dans la bande de Gaza le 25 décembre 2023. Photo Haim Zach
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Cette politique fait cependant l’objet de contestations croissantes au sein de la population israélienne et chez certains opposants politiques à Netanyahou, comme l’ancien Premier ministre Ehoud Olmert qui plaide pour la reconnaissance d’un État palestinien (Le Figaro, 5 mars 2025).
Le régime se heurte aussi à l’opposition d’une branche juive ultra-orthodoxe, les Neturei Karta (littéralement « les gardiens de la ville »). Ces derniers, environ 50 000 membres, regroupés dans le quartier de Méa Shéarim, à Jérusalem, se définissent comme « Juifs mais pas sionistes », ainsi que l’exprime son chef religieux, le rabbin Meir Hirsch : « Nous avons la même position depuis la création de l’Etat israéliens : c’est de vivre en paix avec le peuple palestinien qui habite ici. Les sionistes n’ont aucun droit sur cette terre » (La Croix, 2 avril 2025).
Il reste que la judéité de l’État hébreu est une donnée fondamentale pour ce pays. Elle a été spécifiée dans la déclaration d’indépendance proclamée par David Ben Gourion en 1948, qui reprenait ainsi les termes de la résolution 181 votée l’année précédente par l’ONU. Celle-ci prévoyait un plan de partage de la Palestine en deux États, un juif et un arabe. Ce-pendant, depuis lors, Israël, qui s’est volontairement privé de Constitution, s’arrangeait pour entretenir le flou sur certains aspects essentiels tels que la nature de son État, le tracé des frontières, la nationalité et la citoyenneté.
Bien qu’ayant réussi à se faire reconnaître comme une démocratie libérale dans les instances internationales, Israël n’a pas reconnu et garanti l’égalité des droits et des devoirs à tous ses ressortissants, distinguant juifs et non-juifs (loi de 1952). Son identité confessionnelle a été définie par une « loi fondamentale » (donc intouchable) votée par le Parlement (Knesset) le 19 juillet 2018. « Israël est l’État-nation du peuple juif, où celui-ci applique son droit naturel, culturel, religieux, historique », tout en réservant aux citoyens juifs un « droit exclusif » en matière d’ « autodétermination nationale ». Elle déclare aussi l’hébreu seule langue officielle, concédant à l’arabe un « statut spécial ».
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Annie Laurent
Déléguée générale de CLARIFIER
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