Feuilleton : "Qui n 'a pas lutté n'a pas vécu"... : Léon Daudet ! (159)
(retrouvez l'intégralité des textes et documents de ce sujet, sous sa forme de Feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)
Aujourd'hui : Mangin, qui avait conçu "l'Etat rhénan"...
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ndlr : ce sujet a été réalisé à partir d'extraits tirés des dix livres de souvenirs suivants de Léon Daudet : Paris vécu (rive droite), Paris vécu (rive gauche), Député de Paris, Fantômes et vivants, Devant la douleur, Au temps de Judas, l'Entre-deux guerres, Salons et Journaux, La pluie de sang, Vers le Roi...
Il est de notoriété publique que Maurras avait "approché" Mangin, dans un but qui semble assez évident... Or, curieusement, Mangin mourut subitement, au sortir d'un dîner, le 12 mai 1925, alors qu'il était en parfaite santé...
Et la rumeur publique parla d'un "empoisonnement".
Sa mort survint - comme par hasard - à un moment fort troublé de la politique française, durant le "règne" du cartel des gauches (Herriot, Painlevé, Briand) : le "hasard" (?) fit décidément bien les choses, pour le Système...
On ne put, et on ne peut, évidemment, lancer d'accusation formelle : mais, comme le disent les Italiens, "se non é vero..."
1. Dans "La pluie de sang", Daudet, qui rappelle d'abord (page 164) "la monstrueuse disgrâce de Mangin, foudroyant génie du combat opportun et des offensives victorieuses" (disgrâce que l'on doit à Paul-Prudent Painlevé, alors Ministre de la Guerre), évoque ensuite (pages 287/288) le général victorieux de la fin de la guerre, avec son offensive décisive de "la Seconde Marne" :
"...Or voilà que le vendredi après-midi - il faisait ce jour-là un temps superbe - une rumeur court soudain parmi les gardes de Paris et les huissiers.
Je perçois ceci :
"Mangin... vingt-mille prisonniers... cent canons... En route vers Soissons... Quel bonheur !"
C'était la victoire, la grande victoire libératrice, la seconde Marne qui commençait !
Entendant ces mots magiques et n'en croyant pas nos oreilles, nous nous rapprochions, Painlevé et moi, de M. Moreau et de ses collègues, dont l'un court aussitôt aux nouvelles.
Pas d'erreur. C'est officiel, Foch a ordonné la contre-offensive et Mangin culbuté l'ennemi sur le flanc droit. Paris est sauvé pour la deuxième fois.
C'est un immense succès, chargé d'espérances et qui va, dit-on, être poursuivi, exploité à fond par le généralissime des armées alliées.
Je regardai Paul-Prudent, qui me regarda. Il lut dans mon oeil :
"Eh bien, c'est Mangin, Mangin que vous avez brimé, disgracié, à qui vous avez retiré son commandement, avec défense de séjourner à Paris et aux environs, Mangin l'Enfonceur qui, une fois de plus, nous donne la victoire."
Il vit cela certainement, car il rougit.
Je fus sur le point de m'avancer et de lui dire : "Vous avez été bien dégoûtant, bien crétin, bien complice de Caillaux, de Malvy et de la bande, mais votre vergogne me plaît et je vous enverrai du pinard, quand vous serez à la Santé."
Puis je réfléchis qu'il ne comprendrait pas, qu'il croirait à quelque faiblesse de ma part, et je m'abstins..."
2. De Paris Vécu, 2ème Série, Rive gauche, pages 197/198 :
"...La mairie du VIIème arrondissement me rappelle, outre plusieurs déclarations de naissances d'enfants - en compagnie de mon pauvre et bien cher oncle et beau-père Léon Allard, auteur des "Vies Muettes" et des "Fictions" - la cérémonie, en 1920, je crois, de l'inauguration du monument aux morts de la Guerre.
Il y avait là, outre les députés du secteur, dont j'étais, tous les généraux et maréchaux vainqueurs de la Grande Guerre. La foule était immense. Elle demeura recueillie certes, attentive aux topos, laïus et canulards, où défilaient les clichés habituels, mais morne devant ces brillants uniformes et ces panaches.
Ni Joffre, ni Foch, ni Castelnau, ni Gouraud ne semblaient émouvoir cette masse de bons citoyens, dont la plupart avaient perdu un parent, ou un ou plusieurs frères ou fils, à la guerre.
Tout à coup Mangin, qui, s'était placé affectueusement à côté de moi, sans crainte de la contagion royaliste, se leva pour sortir, et une immense acclamation retentit. Cet enthousiasme spontané, et unique, l'accompagna le long des escaliers, dans le vestibule, et jusque dans la rue.
Je surpris des regards effarés de politiciens qui signifiaient : "voilà l'homme dangereux".
Dangereux, il l'avait été pour les Allemands, certes ! En outre, sa forte intelligence avait conçu cet Etat rhénan qui, à défaut du démembrement des Allemagnes, eût contenu le monstre pour un bon bout de temps.
Enfin Mangin était un soldat, et inflexible, le seul qui sût tenir tête à un homme politique, même quand celui-ci s'appelait Clemenceau.
De ceci la foule se rendait compte, et c'est ce qui explique cette foudroyante popularité, égale à celle du Père la Victoire..."
3. De Député de Paris, pages 49/50 :
"...Il y eut, pendant que j'étais député, l'inauguration d'un monument aux morts, à la mairie de la rue de Grenelle.
À la sortie, Mangin fut acclamé de façon délirante, alors que ses illustres camarades ne recueillaient qu'une respectueuse et tacite sympathie.
Je le rejoignis dans la rue : "Bonjour, monsieur le proconsul".
Il me prit le bras sans aucune gêne et me glissa dans l'oreille : "Votre écharpe me couvre".
Je demandai poliment à un officier de paix : "Où peut-on conduire au Capitole le général Mangin ?"
Ce héros incomparable, et que la France ne saurait assez pleurer, avait un défaut grave : il ne se méfiait pas.
Il disait en parlant des tirs d'artillerie : "J'ai mon gri-gri".
Il ne l'avait pas quant aux combinaisons de police, qui eurent, finalement, raison de lui, à l'occasion, dit-on, d'un banquet..."