Feuilleton : "Qui n 'a pas lutté n'a pas vécu"... : Léon Daudet ! (93)
(retrouvez l'intégralité des textes et documents de ce sujet, sous sa forme de Feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)
Cinquième partie : Tranches de vie
Aujourd'hui : Un souper chez Mme de Loynes...
---------------
ndlr : ce sujet a été réalisé à partir d'extraits tirés des dix livres de souvenirs suivants de Léon Daudet : Paris vécu (rive droite), Paris vécu (rive gauche), Député de Paris, Fantômes et vivants, Devant la douleur, Au temps de Judas, l'Entre-deux guerres, Salons et Journaux, La pluie de sang, Vers le Roi...
Quel ethnologue, désireux de savoir ce qu'était un "Salon", comment s'y passait une réception dans la France de "la Belle époque", comment s'y comportaient les gens, quels en étaient les rites etc... ne ferait pas son miel de cette description ?
1. De "Salons et Journaux", pages 10/11/12 :
"...Mme de Loynes avait autant d'esprit naturel, de tigrerie, qu'une Sévigné, une Lespinasse ou une Geoffrin...
Elle recevait chaque soir de cinq à sept, à dîner le vendredi et le dimanche, quelquefois en semaine, dans la petite intimité, en tête à tête quand on le lui demandait.
Elle recevait simplement et largement, sans faste, mais avec prodigalité.
Le repas se composait d'un potage, d'un relevé, d'un beau poisson, de deux pièces de rôti, ou d'un rôti et d'un gibier, selon la saison, de légumes, de salade avec un pâté et de dessert, glace ou fruit.
Les menus étaient méticuleusement choisis, entremêlés de recettes provinciales, ou de plats dûs à l'originalité des convives.
C'était, de l'avis général, la première table de Paris, tant pour l'abondance que pour la qualité, l'à point de la cuisson, et l'abrégé des sauces et coulis.
Les quenelles venaient de Lyon, le jambon de Luxeuil, les poulardes de Bourg en Bresse et tout à l'avenant.
Il n'y avait jamais un raté. Tout arrivait chaud et même brûlant, sans ces interruptions de service inexplicables, qui désolent les maîtresses de maison...
Les mets étaient repassés deux fois, comme il se doit, et il était formellement interdit aux domestiques - que surveillait notre chère Pauline, majordome discrète, incomparable - de presser le mouvement.
Chaque convive avait devant soi son verre à vin ordinaire, destiné à être bu largement, son verre à bourgogne, son verre à bordeaux, sa coupe à champagne. Le grand style classique.
La cave, en effet, valait la cuisine, laquelle atteignait fréquemment au sublime.
Ali Bab, ou si vous préférez Henri Babinsky, l'immortel auteur de la "Gastronomie Pratique", déclare volontiers qu'un repas excellent ne pèse jamais sur l'estomac. Cette loi fondamentale se vérifiait chez Mme de Loynes..."
2. Et pages 29/30 :
"...Chez Mme de Loynes, le dîner était à 7 heures 1/2 précises, à l'ancienne mode. On n'attendait jamais le retardataire, quel qu'il fût. C'était la règle salutaire de la maison, sans laquelle il n'est pas de rôti cuit à point, ni de gastronomie possible.
Après le repas, les dames et les non fumeurs se groupaient au salon autour de notre amie, les fumeurs s'entassaient dans l'antichambre.
La sonnette tintait. Les invités de la soirée arrivaient et tout de suite, tout chauds, tout bouillants, se mêlaient à la conversation, apportaient le dernier potin de la Chambre, des théâtres, de Paris en général.
Il fallait fréquenter avenue des Champs-Elysées pour connaître le dessous des cartes et l'envers, comique ou tragique des évènements.
En même temps, il se faisait là une opinion moyenne et courante, qui devait être, le lendemain, celle des principaux journaux nationalistes, ou simplement parisiens.
On y tenait compte de ces impondérables dont parle Bismarck.
On y examinait les aspects différents des questions, les avantages et les dangers de telle ligne de conduite.
On y réglementait à peu près les humeurs..."