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Feuilleton : "Qui n 'a pas lutté n'a pas vécu"... : Léon Daudet ! (26)

 

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 (retrouvez l'intégralité des textes et documents de ce sujet, sous sa forme de Feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)

Aujourd'hui : Un autre Hugo (5/6)

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ndlr : ce sujet a été réalisé à partir d'extraits tirés des dix livres de souvenirs suivants de Léon Daudet : Paris vécu (rive droite), Paris vécu (rive gauche), Député de Paris, Fantômes et vivants, Devant la douleur, Au temps de Judas, l'Entre-deux guerres, Salons et Journaux, La pluie de sang, Vers le Roi...

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Un autre Hugo (V) : mytho/mégalomane halluciné ?..

 

De "La tragique existence de Victor Hugo" :

1. Pages 182/183/184 (premières lignes du Chapitre VIII) :


"Dans la chambre de sa nouvelle villa Hauteville-féerie, à Guernesey... Juliette, vieillie et goutteuse, lisait un volume dépareillé de la "Vie des Saints"...
Hugo entra, solide et fier en dépit des années, mais avec le visage flétri et brouillé de ceux qui prolongent trop loin un intense appétit sexuel.
- Ah ! ah ! Juju, te voilà encore dans tes bondieuseries !... J'ai à te parler sérieusement et dans le sens de tes lectures. Écoute-moi.
Elle posa le livre. Il s'assit près d'elle, tendrement :
- Tu vas comprendre, car tu n'es pas comme cette malheureuse Adèle, qui ne comprend rien...
- Que tu es dur !
- Juste, tout simplement. Donc après avoir été labouré et ensemencé par mon William Shakespeare, qui est ce que j'ai écrit de mieux en prose, j'ai senti, dans cette solitude de l'exil, que mon esprit faisait un grand bond, au-delà du temps et de l'espace, et que les éléments allaient me parler... les éléments, c'est-à-dire la mer, la nuit, le vent et les étoiles.
Déjà, à la mort de Léopoldine, j'avais eu une sensation analogue, mais moins forte. Il y a, ici-bas, entre la nature et l'homme, un immense secret, qu'ont entrevu ceux que l'on appelle les prophètes. Il me semble que je suis un prophète...
- Je l'ai toujours pensé. Tu en as les allures et le ton.
- En outre, le spiritisme m'a appris à entrer en communication avec les morts. Mais les morts connaissent-ils le grand secret ? C'est ce que je me suis demandé et j'ai conçu deux volumes dont l'un s'intitulerait la "Fin de Satan" et l'autre "Dieu". C'est là que je mettrai mes révélations, en poèmes bien entendu, le vers étant mon langage naturel.
- C'est une idée magnifique et digne de toi. Ainsi tu fonderais une religion nouvelle ?
- Cela se pourrait. Je garderais une grande partie de la religion de Jésus-Christ, tout ce qui concerne l'amour des humbles et la pitié.
J'assiérais ma doctrine sur la démocratie et la mystique des foules, la mystique populaire : "Vous me retrouverez en Galilée..."
Moi, Victor Hugo, le peuple français me retrouvera à Paris, où m'appelleront, je le sens, je le vois dans l'air, d'extraordinaires, de terribles évènements.
- Quand cela, mon Victor ?
- Avant peu...
...On lui avait tellement répété qu'il était un demi-dieu, puis un dieu, puis un dieu et demi, qu'il avait fini par s'en persuader et que ces ouvrages changeraient la face du monde..."

2. Pages 190/191 :


"Un soir que Paul Chenay avait moins bu que de coutume, Hugo, toujours en quête du Grand Secret, lui proposa une promenade nocturne à pied.
Il s'agissait d'aller au nord de l'île, à Lancresse, où se trouvaient des pierres prétendues druidiques.
Ils se mirent en route vers dix heures et, marchant d'un bon pas, atteignirent leur but vers minuit et demie.
C'était le bord de la mer, hanté par des courlis et autre oiseaux sauvages. Les larges pierres brillaient sous la lune et le bruit des flots était comparable à la rumeur d'une immense foule.
Hugo n'avait point parlé à son compagnon de son dessein mystagogique, le jugeant trop sommaire pour comprendre cela.
À un moment donné, élevant d'un ton sa formidable voix de bronze - "trop belle pour ce qu'il avait à dire", selon ses collègues de la Chambre des Pairs - il apostropha les pierres et les druides, les conjurant, ainsi que l'Océan, de lui livrer leur secret.
Sous la forme interrogative, le grand lyrique dégoisait, tantôt en vers, tantôt en prose, des souvenirs de lecture et des adjurations passionnées, tout le bric-à-brac de sa mémoire, comparable à celui de sa demeure et de la villa de Juliette. Puis il attendait les réponses contenues dans le bruit des vagues, celui du vent et les cris des oiseaux marins...


"Importunaequae volucres... tempore quanquam illo, tellus quoque et aequora ponti..."


Il récitait ainsi des vers de Virgile, les prodiges annonçant la mort de César, avec des pauses pendant lesquelles son visage, éclairé par la lune, sous son vaste front, était grandiose et terrifiant.
Tantôt il tendait les bras vers le ciel dans un geste d'imploration; tantôt il les ramenait, comme désemparé, vers le sol.
Cette mimique éperdue donnait l'impression d'un rite étrange, d'un culte inconnu ou d'un accès de folie.
Chenay, partagé entre l'admiration et la crainte, expliquait par la suite :
"J'en étais baba. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'on pouvait croire, en effet, à un dialogue entre ce sacré type et les éléments. Le ciel et l'eau lui passaient la réplique et il tonnait, il tonnait comme Jupiter lui-même."
Cette séance effarante dura jusqu'à l'aube, avec le caractère d'une querelle, qui va progressivement s'apaisant.
Hugo, pour finir, s'agenouilla sur la roche et remercia les forces naturelles de lui avoir, non pas tout dit - c'était impossible en une fois ! - mais lâché de grands morceaux de la vérité totale et universelle; et Chenay songeait : "Quel type que celui qui a passé la nuit à ces exercices, et qui, ce soir, ira peloter Éva !"
Comme ils redescendaient sur Saint-Pierre-Port, les cabaretiers ôtaient leurs volets..."

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