Feuilleton : "Qui n 'a pas lutté n'a pas vécu"... : Léon Daudet ! (24)
(retrouvez l'intégralité des textes et documents de ce sujet, sous sa forme de Feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)
Aujourd'hui : Un autre Hugo (3/6)...
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ndlr : ce sujet a été réalisé à partir d'extraits tirés des dix livres de souvenirs suivants de Léon Daudet : Paris vécu (rive droite), Paris vécu (rive gauche), Député de Paris, Fantômes et vivants, Devant la douleur, Au temps de Judas, l'Entre-deux guerres, Salons et Journaux, La pluie de sang, Vers le Roi...
Un autre Hugo (III) : l'évolution politique...
De "La tragique existence de Victor Hugo", pages 65 à 69 (fin du chapitre II) :
"...Tenté par la politique, admis auprès du roi qui appréciait son talent et sa vivacité d'esprit, Hugo guignait la pairie.
Mais, pour l'atteindre, il lui fallait d'abord passer par l'Académie.
Il s'y présenta cinq fois, et ne fut reçu qu'à la cinquième...
Enfin le 7 janvier 1841 il fut élu au fauteuil de Népomucène Lemercier - dramaturge fantasque comme son prénom - par 17 voix contre 15 à un obscur monsieur Ancelot.
C'est une étrange fièvre que la fièvre verte. Il y entre de l'émulation sportive. Une fois dans l'engrenage, le candidat y est pris tout entier. Il ne rêve plus qu'intrigues, que recommandations, que visites, que pointages, que dîners, contre-dîners, subterfuges en sa faveur ou à son détriment.
Tout et tous autour de lui se décolorent en face de la compétition, des traquenards, des espérances et des déceptions.
"Il fait - disait à peu près de Vigny dans son "Journal d'un poète" - le métier le plus affreux et le plus répugnant. Il sollicite pour l'Académie."
Hugo, l'outlaw, le peau-rouge, l'insurgé de l'époque, se mit brusquement à solliciter pour l'Académie...
L'évolution politique de Victor Hugo, bien antérieure à son entrée dans la Chambre des Pairs, fût-elle déterminée par Juliette, qui se disait républicaine ? C'est improbable. Cette faible influence, si elle eut lieu, ne put s'exercer que grâce à une saute psychologique, l'hérédité maternelle ou vendéenne ayant cédé chez Hugo à l'hérédité paternelle du général Hugo.
D'autre part les gens de la Cour et de la société aristocratique, les gens "bien" lui étaient devenus odieux par le mauvais accueil réservé à sa médiocre pièce "Marion Delorme" et à sa chère interprète Juliette.
Mais il semble bien que la chute et l'interdiction de ce lamentable "navet", "Le Roi s'amuse", l'avait, dès 1832, éloigné de la monarchie.
Pourquoi avait-il choisi ce sujet falot ? On l'ignore. On ignore également le motif de la rancune qui l'animait contre François 1er, prodigieux souverain de la Renaissance avec Henri II, prévoyant et sagace, et qui peut être considéré comme le Louis XIV du XVIème siècle.
J'ai dit qu'Hugo était fort ignorant, bien que fort présomptueux. Il s'exagérait le rôle des bouffons à la cour des rois, et le personnage de Triboulet, l'importance qui lui est attribuée, sont baroques.
Par ailleurs, on se demande pour quelle raison cette pièce manquée fut interdite alors qu'elle s'écroulait sous les rires et les sifflets. Ce zèle intempestif d'un haut fonctionnaire, blessant l'orgueil déjà pharamineux de l'auteur du "Roi s'amuse", le jeta dans les bras de la démocratie.
Enfin la révolution qu'il se flattait d'accomplir dans les lettres le menait à l'admiration de la Révolution tout court.
Le dogme de la souveraineté du peuple s'infiltra rapidement dans ses veines. Son éloquence vaine y trouva pâture. Le rôle de prophète, d'animateur des temps nouveaux le tenta.
Il y a à Guernesey, dans la salle à manger, une statue de la Sainte Vierge portant l'Enfant Jésus dans ses bras, ainsi interprétée par le Maître :
"Le peuple est petit, mais il sera grand;
Dans tes bras sacrés, ô mère féconde,
Ô liberté sainte au pas conquérant,
Tu portes l'enfant qui porte le monde."
Ces quatre vers contiennent toute la phraséologie dont le poète inspiré va faire retentir les échos du XIXème siècle, de 1848 à sa mort.
Incertaine était la direction politique de Victor Hugo comme incohérents furent ses votes dans les diverses Assemblées auxquelles il participa - Constituante et législative en 48, plus tard assemblée de Bordeaux, plus tard encore Sénat. Remarquée de ses contemporains, cette incohérence grandiloquente lui enlevait tout crédit.
Quelle que fut la couleur de ses collègues, il n'eut jamais d'autorité auprès d'eux.
La recherche de la popularité, qu'il avait dans le sang, le mena de la monarchie à la démocratie, puis à la démagogie, non sans un crochet par Louis Bonaparte - articles laudatifs de "L'Évènement" - qu'il maudit par la suite sous le nom de "Napoléon le Petit".
La politique se trouva ainsi jouer un rôle considérable dans la vie de Victor Hugo sans qu'il eût la moindre stabilité ni compétence politique. Il était comme un enfant qui, au jeu de barres, ou de la balle, passe d'un camp à l'autre.
L'ambiance d'une époque avide de grands mots vagues et d'acclamations populaires, voire populacières, l'apparente à Lamartine, dont il suivit l'exemple dans ses mirages, non dans ses prodigalités.
Il n'avait pas son talent de parole et ne parvint pas aussi haut.
Ce n'est qu'à soixante ans qu'il publia, avec "Les Misérables", son dernier programme politique. Celui-ci comportait la réhabilitation de la fille de mauvaise vie, la supériorité morale du forçat libéré, une distribution de bons points inverse de ceux qu'attribue la morale courante et un large appel à la bonté universelle avec une répartition nouvelle des mérites..."