Quelle stratégie industrielle pour la France ? Partie 1 : Quand l'Union européenne tire contre son camp..., par Jean-Philippe Chauvin.
La crise sanitaire a tendance à occuper une grande part du paysage médiatique et à occulter nombre de débats qui mériteraient, pourtant, une véritable attention, ne serait-ce que parce qu’ils engagent l’avenir de notre pays et, au-delà, de l’Europe :
ainsi, la question de la stratégie industrielle qui, pourtant, ne peut être négligée dans le cadre d’une mondialisation toujours dominante et de moins en moins positive pour notre société, dévoilant désormais ce qu’elle ne cachait pourtant pas vraiment mais que, jusqu’à une période relativement récente, nombre de politiques comme d’économistes ne voulaient voir… Dans un article qu’il faudrait citer en intégralité (1), Christian Saint-Étienne rappelle quelques vérités : « Le leadership de l’Europe est passé de la France à l’Allemagne au cours des années 2000 à mesure de la désindustrialisation de notre pays », cette désindustrialisation qui, d’ailleurs, se poursuit et, dans certains secteurs, semble même s’accélérer aux dépens du tissu industriel national et des travailleurs comme des territoires ainsi désertés par les usines. L’Allemagne, plus prudente, a conservé une industrie qui lui permet, en fait, de dominer l’Union européenne et de mieux maîtriser sa dette publique, sa balance commerciale restant plus favorable que celle de notre pays. De plus, la crise sanitaire a accentué l’écart entre la France et l’Allemagne, ne serait-ce que parce que le tourisme international (qui devait être le secteur d’avenir de notre pays selon les experts d’avant-2020) se trouve très affaibli par la pandémie, Paris étant, sans doute, la victime principale de cette situation inédite depuis la Seconde guerre mondiale…
Tout régime politique qui souhaite maîtriser l’avenir doit saisir les éléments du passé et les processus nés de celui-ci, sur le long terme, pour pouvoir en infléchir le cours. La situation actuelle n’est pas le fruit du hasard : « La crise des subprimes de 2008 et la crise de la dette en 2011-2012 ont transformé l’Europe en continent vieillissant et peureux, incapable de concevoir une stratégie offensive alors que le conflit pour la domination mondiale entre Chine et États-Unis va écrire l’histoire mondiale pour les vingt prochaines années. La crise sanitaire, venue de Chine, a accentué la marginalisation stratégique de l’Union européenne, non seulement dans le monde, mais aussi dans son univers proche, comme en Méditerranée. » Sans doute faut-il rajouter aux causes économiques, les causes démographiques (entre vieillissement marqué des populations européennes faute d’une fécondité satisfaisante et de la baisse depuis 2014 de celle de la France) et les causes éminemment politiques, sans doute déterminantes, car les processus économiques, qu’on le veuille ou non, dépendent largement des choix faits par les États sur les plans économique, fiscal et social. Or, les États ont trop longtemps considéré que la mondialisation était une chance et une fatalité tout à la fois, et la France n’a pas échappé à cette idéologie dominante depuis une trentaine d’années, au risque de laisser l’économie dicter ses propres lois au politique. Le lecteur de Maurras que je suis et que je reste, qui ne néglige ni l’économie ni le social, reste attaché, avec une raison confirmée par l’histoire et l’actualité, au « politique d’abord » : c’est le politique qui se doit de rappeler ses devoirs sociaux aux puissances (aux féodalités, pourrait-on dire) économiques et financières et, sans intervenir dans les stratégies et les directions d’entreprise elles-mêmes, leur fixer un cadre social à respecter et les inciter à agir pour le bien commun sans céder aux excès trop souvent caractéristiques du capitalisme contemporain. C’est aussi au politique, c’est-à-dire à l’État, d’indiquer une stratégie générale (au-delà de leurs propres plans purement industriels, dont elles doivent rester maîtres pour éviter un étatisme qui serait aussi désastreux que le libéralisme sans frein) à suivre ou, du moins, d’inciter les entreprises à suivre un axe stratégique qui, sans doute, peut être discuté et amélioré par les entreprises elles-mêmes tout en restant dans l’esprit de la stratégie du bien commun, nécessaire à tout État pour se légitimer aux yeux des classes laborieuses (mais aussi des classes seulement rentières ou aidées), au-delà de la légitimité politique et institutionnelle d’origine, comme État juste, et particulièrement « socialement juste ».
Mais l’Europe, ou plus exactement l’Union européenne (qui n’est pas toute l’Europe, bien sûr, la Norvège, la Suisse, le Royaume-Uni entre autres n’en faisant pas partie), n’est pas un État (et c’est sans doute mieux ainsi, en fait) et elle est moins politique qu’économique, au risque de laisser la part belle aux féodalités financières et économiques qui ne la voit que comme un marché de consommateurs aux règles, sinon incertaines, du moins contournables quand elles ne vont pas dans leur sens… Ce qui n’empêche pas l’UE, à travers ses institutions dont la Commission européenne et le Parlement, de vouloir imposer ses vues sans s’assurer qu’elles soient vraiment crédibles ou applicables sans risque pour les pays qui la composent ! C’est ce que dénonce Christian Saint-Étienne en évoquant « un écologisme sans pensée stratégique » pratiqué par la Commission : « Pour l’Union européenne, l’écologie est un dogme. Pour les Américains et les Chinois, c’est une arme de combat, au même titre que les microprocesseurs ou la numérisation, qui présente l’intérêt d’accélérer l’affaiblissement de l’Europe et notamment de son industrie automobile. » Or, le dogmatisme, fils de l’idéologie, est le pire ennemi de la raison, autant en économie qu’en politique, et cela vaut aussi pour l’écologie qui, réduit à l’idéologie, perd de sa crédibilité et, plus encore, de son efficacité, voire de sa nécessité aux yeux des sociétés agacées d’être « écologiquement contraintes ». L’écologie intégrale, promue par les royalistes depuis les années 1980 et, depuis 2015 par l’Église (après l’encyclique Laudato Si’ du pape François), si elle se fait et se veut « doctrine », cherche justement à éviter le piège de l’idéologie, par nature « castratrice » et rigide, et se doit de rester attentive à réfléchir sur le temps long, au-delà de la seule instantanéité qui semble, parfois, caractériser l’action des grandes institutions de l’UE soucieuses de « politiquement correct » plutôt que de réflexion approfondie et crédible. En revanche, cet « écologisme sans pensée stratégique » que dénonce M. Saint-Étienne est le pire ennemi de l’écologie véritable (et pas seulement intégrale) et des nations européennes, comme le démontre, après le cas des éoliennes industrielles (aujourd’hui de plus en plus dénoncées par les vrais écologistes conséquents et les amoureux des paysages) l’exemple automobile : « Une véritable autodestruction se prépare ainsi : l’interdiction de la vente des moteurs thermiques pour 2035, la mort du moteur à explosion de dernière génération qui, sur son cycle de vie, polluera pourtant moins qu’un moteur électrique dont les batteries viennent de Chine sans être recyclées. Ces batteries sont fabriquées dans l’empire du Milieu avec de l’électricité qui reste produite essentiellement à base de charbon et transportées sur des bateaux qui polluent massivement même si des progrès sont en cours. » Mondialisation, quand tu nous tiens… Idéologie, quand tu la maintiens !
(à suivre)
Notes : (1) : Le Figaro, mercredi 23 juin 2021, en page 18.
Source : https://jpchauvin.typepad.fr/