Le président exalte les passions identitaires, par Bérénice Levet.
Alors qu'une liste de nouveaux noms de rue issus de l'immigration devrait prochainement être rendue publique, avec Emmanuel Macron, à la fin, ce sont toujours les indigénistes, les minorités et autres activistes qui gagnent, dénonce la philosophe et essayiste. Tribune
Souvenons-nous, le 14 juin dernier, sur fond d'appels enfiévrés au déboulonnage des statues de nos grands hommes, le verbe haut, énergique, solennel, le président Macron déclarait : « La République n'effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire. Elle ne déboulonnera pas de statue. » Enfin ! Enfin une parole forte, ferme, résolue, soupirions-nous, rassérénés. Et trois mois plus tard, le 4 septembre 2020, à l'occasion de la célébration des 150 ans de la proclamation de la République, même détermination, même panache, même solennité, le chef de l'État confirmait : « La République ne déboulonne pas de statues, ne choisit pas simplement une part de son histoire, car on ne choisit jamais une part de France, on choisit la France. »
Sauf que, ce que nous ignorions alors et que nous avons appris récemment par la voix de Nadia Hai, ministre déléguée à la Ville, dans le même temps, très exactement à l'issue de ce dernier discours, le président Macron ourdissait l'instauration d'une commission chargée d'élaborer un « catalogue » de « héros » issus de l'immigration afin de leur attribuer statues et noms de rue, devant être rendu public au début de l'année 2021. Une sorte de donnant-donnant. C'est bien ainsi, en tout cas, que l'établissement de ce comité fut interprété par celui que le président a nommé à sa tête, Pascal Blanchard - désignation qui est à elle seule, nous allons y revenir, un programme -, dont les propos ont tout de l'ultimatum : « On ne peut pas dire qu'il ne faut pas démonter les statues si on ne propose pas une alternative. »
Ce n'est que trois mois plus tard, le 4 décembre, qu'Emmanuel Macron devait rendre publique l'existence de cette commission, et il en réservait l'annonce au média en ligne Brut, plate-forme plébiscitée par une jeunesse poreuse à l'idéologie diversitaire. Ce choix n'a évidemment rien de fortuit puisque c'est bien à cet îlot de l'archipel français que pareille initiative s'adresse : j'ai demandé, expose-t-il alors, qu' « on essaie [sic] d'identifier 300 à 500 personnalités issues de l'immigration » afin qu' « on puisse décider ensuite d'en faire des rues et des statues » - on notera la tonalité volontiers puérile (syntaxe et vocabulaire) qu'affecte ici le président.
Revenons sur le choix de Pascal Blanchard. L'homme n'en fait nullement mystère : il est pleinement acquis aux thèses indigénistes et notamment à ce qui en constitue le cœur, l'idée que la colonisation a peut-être pris fin dans les années 1960 mais que, perfide, elle se poursuit par d'autres moyens dans notre société : « La “culture coloniale” est toujours à l'œuvre en France aujourd'hui. Une évidence que beaucoup se refusent à reconnaître » , écrivait-il ainsi dans une tribune en soutien au Mouvement des indigènes de la République ( le Monde , 16 mars 2005). Le militant est volontiers présenté comme historien. Il a certes soutenu une thèse de doctorat d’histoire, mais il est d’abord connu comme coordinateur d’ouvrages réunissant universitaires, historiens, historiens de l’art et autres spécialistes dont l’objet est moins d’établir des réalités factuelles que de vérifier une hypothèse, et très exactement de soutenir une thèse, celle de la domination des peuples africains par les Occidentaux, c’est-à-dire “les Blancs”. Le concept de domination étant en effet cette idée à partir de laquelle ces dits spécialistes vont dévider tout le fil de l’histoire des relations entre colonisateurs et colonisés. Véritable lit de Procuste dans lequel la réalité doit, quoi qu’il en coûte de complexité, d’ambivalence, de nuances, entrer de toute force. Et c’est ainsi que, quel que soit le livre dirigé par Pascal Blanchard que vous lisiez ou le documentaire réalisé par ledit “historien” que vous visionniez, ne varietur, une même histoire vous est racontée, une même intrigue narrée, mettant systématiquement aux prises des dominants et des dominés.
Voilà, à trop grands traits – mais on complétera l’esquisse en lisant l’Imposture décoloniale de Pierre-André Taguieff (Éditions de l’Observatoire) -, le portrait de l’homme du président Macron.
Cette nomination heurte de plein fouet, et la chose n’a guère été relevée, les vaillantes déclarations du ministre de l’Éducation nationale au lendemain de la décapitation de Samuel Paty. Jean-Michel Blanquer a en effet eu le courage de dénoncer ceux qu’il a appelés les « complices intellectuels » des islamistes, ceux qui travaillent à rendre la France haïssable en l’accusant de tous les maux. Le ministre s’inquiétait, à très juste titre, du crédit exorbitant dont jouissent les thèses indigénistes et décoloniales dans les universités et dans les grandes écoles, et voici un de leurs intercesseurs médiatiques intronisé au sein même de l’État.
La désignation de Pascal Blanchard indique clairement l’esprit qui préside à la création de cette commission et qui est l’esprit même d’Emmanuel Macron : convertir la France au multiculturalisme, à la “société inclusive”, autrement dit à un modèle de société qui nous est fondamentalement contraire. Étranger, aimerait-on dire, mais on ne le peut plus puisque le communautarisme et l’archipellisation sont des réalités françaises bien documentées. Mais c’est une chose d’en faire le constat, c’en est une autre de s’en proclamer le bras armé, ainsi que s’y emploie le président dans l’entretien qu’il a accordé à l’hebdomadaire l’Express au mois de décembre dernier.
Sans doute, dans cet entretien, le chef de l’État conteste-t-il l’épithète de multiculturaliste – incompréhension, mauvais procès, caricature, proteste-t-il -, sauf que, là encore, dans le moment même, ou presque, où il réfute le mot : « On a dit que j’étais un multiculturaliste, ce que je n’ai jamais été », il valide la chose, déclarant : « Je crois à une politique de la reconnaissance [des identités] » – ce qui est la définition même du multiculturalisme.
Assurément, devenu président, le candidat de 2017 s’est mis à parler, non sans éloquence, de la France charnelle, de la France qui n’est pas née avec la République, d’une France définie par sa langue, son histoire, sa littérature, ses paysages, du modèle français de sociabilité que le port du voile offense, mais ce n’est pas cette France qu’il juge impérieux de servir : « Le fleuve principal est là, bien présent » , soutient-il, contre toute évidence, dans l’Express. Bien présent ? Trop présent même à ses yeux. Le temps est venu de faire place à ses « affluents » , et n’allez pas croire qu’Emmanuel Macron fasse ici profession de foi girondine, exaltant une France des régions. Non ! Par affluents, le président entend « la richesse » que sont les « diasporas pour nous-mêmes » . Et le chef de l’État se veut le président des affluents, de « chaque affluent qui alimente le fleuve France » et notamment de « la part d’Afrique » de la France.
Et Emmanuel Macron, dans ce même entretien, d’agiter le chiffon rouge d’une France assimilationniste inamicale et même hostile aux différences, colportant l’idée inique et sans fondement d’un modèle français d’intégration exigeant l’immolation des attachements et des fidélités particulières. Or, jamais l’assimilation n’a signifié pareil sacrifice et même sacrilège. Assurément, ainsi que l’écrit l’historien Marc Bloch, est-ce « un pauvre cœur que celui auquel il est interdit de renfermer plus d’une tendresse » , mais la France n’a jamais rien imposé de tel à ceux qui aspiraient à devenir français. Si elle proclame la préséance de l’identité nationale sur les identités particulières, elle n’exige pas l’oubli et le mépris des origines, elle n’interdit pas le culte des morts et des ancêtres, elle en circonscrit seulement l’exercice à l’espace privé. L’assimilation, comme la laïcité, vit de la frontière que nous traçons rigoureusement et vigoureusement entre la sphère publique et la sphère privée.
Dans un monde en proie à la furie des identités, exalter, ainsi que le fait le président, les passions identitaires, flagorner les militants et partisans de l’idéologie diversitaire, est coupable et irresponsable. D’autant que présider aux destinées de la France, c’est avoir la chance de posséder dans sa besace cette arme seule capable de faire rentrer les identités particulières dans leur lit qu’est le modèle français de société et de citoyenneté, un modèle qui fait de la langue, de l’histoire, de la littérature le seul ciment du peuple français. Le président dont nous avons impérieusement besoin est celui qui saura prendre appui sur cette formidable ressource française pour sonner la fin de la récréation. « Le crime de nos politique s, disait Bernanos, n’est pas de n’avoir pas servi la France, mais de ne pas s’en servir » , ne pas se servir de la passion française du monde commun, de notre répugnance à voir les parties qui composent la France posées l’une à côté de l’autre comme l’huile et l’eau, est un crime en effet, a fortiori , je le redis, dans le contexte qui est le nôtre.
En dépit des allures de preux chevalier, de cow-boy solitaire qu’il aime à se donner – se flattant d’aller expliquer urbi et orbi la singularité française et soutenant qu’ « être président français » , c’est défendre « une voie qui nous est propre » -, Emmanuel Macron reste désespérément de son temps, et de son âge. Il ne conçoit pas un monde où les identités particulières sont indifférentes dans l’espace public. Le courage d’incarner un autre modèle de civilisation que celui qui, importé des États-Unis, tend à prévaloir partout dans le monde, le courage autrement dit de la dissidence civilisationnelle, fait cruellement défaut au chef de l’État. Sous la présidence d’Emmanuel Macron, devenir américain reste bel et bien notre destin.
Bref, comme avec les statues, si l’ordre du discours est pour lesdits conservateurs, les amoureux de la France et de sa continuité historique, l’ordre du discours et des faits est pour la “diversité”, les “minorités” et les Français de généalogie impatients, à l’image de Virginie Despentes, d’être rachetés du péché d’être nés “blancs” de peau. Le “en même temps”, ruse de la raison macronienne, profite immanquablement à ceux qui jugent que la France a fait son temps ; lorsque sonne l’heure du choix – et selon le mot magnifique de Paul Ricœur, « la peine d’être homme commence avec le choix » -, le président tranche inexorablement en faveur de leurs revendications.
Avec la martingale électorale et électoraliste du “en même temps” et aussi grâce à cet opium du peuple français, et singulièrement des intellectuels dits conservateurs que le président aimerait tant s’attacher, qu’est le goût de la langue, des « mots ingénieux » , des « tableaux intéressants » , du « bien jouer et du bien dire des acteurs indépendamment des conséquences de la pièce » qu’a su si bien décrire Tocqueville, le président, comptant sur les vertus dormitives de ce savant cocktail, escompte bien rallier à lui tous les suffrages.
L’entretien à l’Express offre un autre exemple plus anecdotique, mais non moins significatif, de cet art présidentiel de mêler paroles douces aux oreilles des Français exaspérés de la mise en accusation perpétuelle de leur histoire et actes qui finalement donnent gain de cause aux procureurs de la France : après avoir dénoncé une société gangrenée par l’émotion, l’indignation, l’idéologie victimaire, le président Macron prend l’exemple de Charles Maurras : « Je combats toutes les idées antisémites de Maurras mais je trouve absurde de dire que Maurras ne doit plus exister. » Et le lecteur de se réjouir de cette fière réplique, de ce refus hardi de la “cancel culture” . Sauf que, très vite, la mémoire lui revient : qui décida en janvier 2018 d’effacer, de biffer, d’annuler (sens même du verbe to cancel ) du livre des commémorations le nom de Charles Maurras et précisément sous la pression de ces âmes indignées ici dénoncées ? Le chef de l’État lui-même, via certes sa ministre de la Culture d’alors, Françoise Nyssen.
On a réellement le sentiment d’un président esthète, d’un président qui joue avec la France et se joue d’elle, se joue des Français.
Bérénice Levet est docteur en philosophie et professeur de philosophie. Elle a fait paraître Libérons-nous du féminisme ! aux éditions de l’Observatoire, 2018. Elle avait publié précédemment « Le Crépuscule des idoles progressistes » (Stock, 2017) et « La Théorie du genre ou Le Monde rêvé des anges », préfacé par Michel Onfray (Livre de poche, 2016).
Source : https://www.valeursactuelles.com/