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Vivre avec le virus, c’est retrouver la liberté, par Natacha Polony.

"Que proposons-nous à ces jeunes gens qui ont la vie devant eux ?"
© Hannah Assouline. 

"La vie, pour un être humain, n’est pas une donnée biologique mais un art très personnel que nul ne doit se laisser voler. Etre véritablement humain, c’est choisir la compassion pour les autres, mais la liberté pour soi-même", rappelle Natacha Polony, directrice de la rédaction de "Marianne".

Évidemment, ce ne sont pas les tranchées. Ce ne sont pas non plus les nazis ou la Milice, qui traquent et torturent. On a beau jeu de les traiter de chochottes, ces jeunes qui disent leur désespoir, leur solitude, ces commerçants, patrons de théâtre ou restaurateurs qui, après tout, n’ont pas à se plaindre, puisque, n’est-ce pas, ils sont indemnisés. Oui, nous sommes des générations de consommateurs choyés, trop souvent incapables de simplement nous figurer les horreurs qu’a vécues l’humanité avant nous. Mais quelque chose nous dit que l’argument ne tient pas. Que ces jeunes gens dépressifs ou suicidaires ne regrettent pas seulement de ne pas pouvoir « faire la fête », ce à quoi nous avions réduit la jeunesse et que finalement nous lui avons retiré.

 

Pourquoi le désespoir pour les uns, la rage pour les autres ? 

 

La crise sanitaire que nous vivons depuis un an est une mécanique perverse qui déploie ses effets progressivement. Mais, alors que nous commençons à admettre que, peut-être, il ne s’agit pas d’une parenthèse mais d’un changement d’époque, nous ne semblons toujours pas capables de reprendre la main. On entend d’ici les commentaires indignés (l’indignation est la nouvelle forme de la vertu contemporaine) : nous n’avons pas le choix, il faut éviter des morts. Ou, comme l’a hurlé le ministre de la Santé aux députés de la nation qui refusaient de prolonger indéfiniment l’état d’urgence sanitaire : « Vous êtes en train de débattre de sujets alors que nos soignants se débattent pour sauver des vies. C’est ça la réalité, mesdames et messieurs les députés, si vous ne voulez pas l’entendre, sortez d’ici. » En clair, toute réalité autre que celle des services de réanimation est illégitime, secondaire. Sans même aller jusqu’aux positions de l’essayiste Gaspard Koenig – qui rappelait, dans les Échos que seules 60 personnes sans comorbidité, parmi les 15-44 ans, sont mortes du Covid en 2020 en France [et 176 en tout dans cette classe d’âge] –, on peut malgré tout se pencher avec un tout petit peu de lucidité sur le modèle de société que nous nous voyons imposer par l’alliance des décisions politiques, du bruit médiatique et de l’amplification des réseaux sociaux, sans que jamais nous en ayons débattu collectivement, et surtout sans que jamais les enjeux soient véritablement déployés dans toute leur ampleur.

Qu’est-ce qui provoque la déprime, la dépression, même, de tant de nos concitoyens ? Pourquoi le désespoir pour les uns, la rage pour les autres ? La plus grande violence qui nous soit infligée, n’en déplaise à ceux qui croient que les confinements à répétition constituent la seule réponse « raisonnable », est de nous priver de toute autonomie. Dans toutes les crises rencontrées jusqu’ici par les générations qui nous ont précédés, il appartenait à chacun de se déterminer en son âme et conscience pour décider de son destin. Être lâche ou courageux est un choix individuel, l’expression de notre liberté profonde. Même dans l’horreur d’une guerre, même quand la mitraille, les obus et la peur abominable les écrasent, certains, dans cette ordalie d’épouvante, se révèlent et refusent de n’être que des bêtes. « Ce que j’ai fait, je te le jure, jamais aucune bête ne l’aurait fait », telle est la phrase de Guillaumet, racontée par Saint-Exupéry dans Terre des Hommes après que son avion s’est écrasé dans la cordillère des Andes et qu’il a marché cinq jours et cinq nuits dans la neige, en costume de ville, pour retrouver la civilisation.

 

Etre véritablement humain, c’est choisir la compassion pour les autres, mais la liberté pour soi-même. 

 

Et nous, que proposons-nous à ces jeunes gens qui ont la vie devant eux ? De ne pas avoir ce choix qui est celui qui nous construit en tant qu’être humain. Il est interdit de se déterminer, interdit d’agir. Il ne faut qu’attendre. Attendre les confinements, attendre les aides de l’État. Ceux qui avaient retroussé leurs manches pour se forger un patrimoine, pour se préparer une vie meilleure, pour eux et leurs enfants, sont en train de tout perdre. Ils sont réduits à subir parce que toute forme d’action individuelle, tout refus de subir, serait incivique. Une mise en danger de la vie d’autrui. On ne dit pas organiser des fêtes ou s’entasser dans les bars, non. Seulement agir, travailler, vivre. Et arbitrer en fonction de son intelligence, en interaction avec d’autres, qui, même « fragiles », sont également doués de libre arbitre.

Un membre du gouvernement déplorait, il y a quelques jours, l’absence de discours mobilisateur pour la jeunesse. Et selon vous, quel devrait-il être ?, lui a-t-on demandé. « Si je le savais… » fut la seule réponse. Alors, tentons une proposition. Mobiliser les jeunes gens de ce pays, c’est leur apprendre qu’ils sont maîtres de leur destin. Qu’il leur appartient de décider de ce que sera leur vie, et que l’État est là pour leur donner les moyens de cette liberté en compensant les inégalités qui l’entravent. Que la vie, pour un être humain, n’est pas une donnée biologique mais un art très personnel que nul ne doit se laisser voler. Et qu’être véritablement humain, c’est choisir la compassion pour les autres, mais la liberté pour soi-même. Si quelque chose comme une civilisation européenne doit perdurer, tandis que la dictature dérégulée à la chinoise affiche une réussite économique si flamboyante qu’elle en fait fantasmer certains, cela ne passera que par la réaffirmation de cette idée de l’homme développée depuis le XVIe siècle comme un être digne parce que libre.

Source : https://www.marianne.net/

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