Matthieu Faucher : « Le problème, c’était la Bible. À leurs yeux, la Bible ne devait pas mettre les pieds à l’école ».
Matthieu Faucher, instituteur à Malicornay, dans l’Indre, avait été suspendu en 2017 par son directeur académique pour avoir fait étudier la Bible à ses élèves de CM1/CM2. Accusé de prosélytisme, dont il s’est toujours défendu, il mène, depuis, une bataille judiciaire contre le ministère de l’Éducation nationale.
La cour d’appel administrative de Bordeaux vient de lui donner enfin raison, écartant tout soupçon de prosélytisme et de faute professionnelle. Il revient avec nous sur ces quatre ans de combat face à une institution défectueuse et à certains de ses éléments idéologues.
Alors que la cour d’appel administrative de Bordeaux vient de vous donner raison, quatre ans après le début de ce qui deviendra « l’affaire Malicornay », comment vous sentez vous ?
Je me sens très heureux et plein d’espoir pour la suite. Je pense que cette victoire va en amener d’autres. C’est une des rares bonnes nouvelles de cette année 2020 !
Avez-vous l’impression que le combat est achevé, maintenant ?
Au contraire, j’ai l’impression que cela ne sera jamais terminé. Il y un avant et un après « l’affaire Malicornay ». Je ne retournerai pas à la quiétude connue autrefois, avant que la hiérarchie ne me suspende. La traversée de cette affaire m’a fait prendre conscience de beaucoup de failles dans l’Éducation nationale, qu’auparavant je ne voyais pas…
Quelles failles ?
Je ne mets pas tous mes supérieurs hiérarchiques dans le même sac, mais certains, dans mon administration, ont fait des erreurs très graves. Et pour aggraver la situation, j’observe, dans l’Éducation nationale, une incapacité à faire marche arrière. Beaucoup de monde savait que c’était une erreur de me suspendre, pourtant, personne n’a cherché à arrêté la machine. Comment se fait-il qu’il n’y ait eu personne, aucun supérieur, pour dire que cette procédure était folle, insensée ? Ce silence est révélateur de graves dysfonctionnements.
Sur la forme, vous avez observé des dysfonctionnements. Et sur le fond, quel était le combat ? Selon vous, cette victoire judiciaire est un pas vers quoi ? Vers la liberté d’expression, vers l’enseignement ?
En plus de la question des dysfonctionnements dont je vous ai parlé, il y avait par ailleurs la question de l’enseignement laïc du fait religieux, qui consiste, pas seulement mais en grande partie, à transmettre la culture qui accompagne la religion. On m’a reproché d’avoir fait travailler mes élèves sur des extraits de la Bible… Pourtant, c’est autant de la culture que de la religion. D’autant plus que je l’ai abordé d’un point de vue laïc, distancié, pour apporter à mes élèves une culture qu’ils n’auront sinon. C’est d’autant plus important que la déchristianisation est passée par là. En tant qu’instituteur, ce n’est pas à moi de juger si c’est une bonne chose ou pas, mais cette déchristianisation s’accompagne d’une perte énorme de culture. Les jeunes générations évoluent dans un monde dont ils ont perdu les clefs de compréhension. Ils vont se retrouver coupés de 1.500 ans de culture et civilisation qui les ont précédés. En tant qu’instituteur, cela me concerne.
Dans cette affaire, vous avez reçu le soutien de Régis Debray qui, lors d’une réunion de soutien en février dernier, avait évoqué votre situation dans les termes de « répression » et « censure ». Vous suspendre pour avoir parlé de la Bible, c’était de la censure, selon vous ?
Je ne pourrais pas parler de censure institutionnelle. En réalité, je me suis rendu compte que l’institution n’était pas monolithique. À cette réunion que vous évoquez justement, deux cadres de l’Éducation nationale se sont présentés pour me soutenir, me prouvant que je n’avais pas toute l’institution contre moi. S’il y a censure elle serait plus individuelle : l’enseignement du fait religieux faisait partie du programme. Si j’ai été suspendu et poursuivi, en réalité, c’est car certains cadres de l’Éducation nationale contestent la présence même de cet enseignement dans les programmes. Mais ils se sont cachés derrière d’autres excuses. Officiellement, j’ai été poursuivi pour des broutilles : des textes « trop longs », « inadaptés », « pas bien mis en perspective »… Rien qui ne caractérise une faute professionnelle cependant. Cela aurait été la même chose avec un texte de Nietzsche, on m’aurait dit « trop long », « inadapté », mais on ne m’aurait pas suspendu pour faute professionnelle. J’ai fait face à une incroyable hypocrisie. Les supérieurs qui m’ont attaqué n’ont jamais daigné me dire en face quel était le problème. Le problème, c’était la Bible. À leurs yeux, la Bible ne devait pas mettre les pieds à l’école.
Derrière ce discours, c’est du nihilisme religieux, selon vous ?
Oui, je pense. C’est l’idée selon laquelle la religion serait, de toute façon, néfaste pour l’homme et qu’il faudrait en faire table rase, quitte à faire table rase du bagage culturel qui va avec. Comme si cette perte de culture était un moindre mal. Je ne serais pas étonné que ce soit cette pensée de Gardes rouges qui domine certains cadres.
Vous dites que ce n’est pas le cas de tout le monde. Ce n’est pas l’institution qui est en tort, alors ?
Si j’étais tombé sur un un autre directeur académique, moins idéologue, il n’y aurait pas eu d’affaire Malicornay. Mais cela n’enlève rien au fait que cet homme a gravement fauté et que ses propres supérieurs auraient dû l’arrêter. Je pensais que Jean-Michel Blanquer finirait par freiner la machine infernale. Mais il n’y a pas eu de recadrage. Au contraire, c’est même le cabinet de Jean-Michel Blanquer qui a fait appel contre la décision du tribunal administratif de Limoges lorsque j’ai été partiellement réhabilité en juillet 2019…
Pensez-vous que, dans les hautes sphères de l’Éducation nationale, on est porté par la même idéologie qui vous a fait suspendre ?
Je ne peux pas prétendre interpréter les actions du ministère, mais je me retrouve dans l’analyse de Régis Debray qui parle de schizophrénie. D’un côté, Jean-Michel Blanquer, en 2018, tressait des lauriers aux enseignements du fait religieux, estimant honteux que nos enfants puissent entrer dans une cathédrale sans rien y connaître. De l’autre, il me poursuit et fait en sorte d’obtenir à tout prix ma condamnation… Je ne sais quelle raison sous-tend cet acharnement, qui tient peut-être son origine du dysfonctionnement initial : on couvre par principe, et par principe, le ministère défend ses rectorats.
Comment allez-vous rebondir pour la suite ? Concrètement, aujourd’hui, vous avez perdu votre poste ?
Après avoir été suspendu, j’ai retrouvé un poste, mais de remplaçant, que je suis encore aujourd’hui. En septembre 2019, après la décision du tribunal administratif de Limoges de me réhabiliter, le rectorat était contraint de me réintégrer au corps professoral. Je n’ai jamais reçu mon ordre de mission. Il est possible que la décision du tribunal de Bordeaux ait plus d’impact, je l’espère !
Cette expérience ne vous a t-elle pas dégoûté de l’Éducation nationale et poussé à enseigner dans des écoles libres ?
Non, parce que je ne suis pas dérouté de l’Éducation nationale. Je pense que certains cadres font n’importe quoi, mais je continue à croire à l’école publique.