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Charlie Hebdo : morts parce qu’ils étaient seuls, par Natacha Polony.

Source : https://www.marianne.net/

"Charlie Hebdo rappelle qu’une liberté, en l’occurrence celle de moquer les religions, n’existe pas si on ne l’applique pas, que ce soit par "respect" des croyances des autres ou par peur. Pour avoir affirmé cela, en notre nom à tous, les dessinateurs de Charlie Hebdo sont morts. Ils sont morts parce qu’ils étaient seuls", explique Natacha Polony.

7.jpgTout ça pour ça… La une de Charlie Hebdo en cette semaine d’ouverture du procès des attentats est un chef-d’œuvre d’humour noir, en même temps que d’intelligence. Nous écrivions la semaine dernière que plus aucun dessinateur ne s’aviserait de représenter Mahomet, ce qui signifie qu’un dogme religieux s’applique désormais, de fait, aux non-croyants. Charlie Hebdo rappelle que cette régression est inacceptable, et qu’une liberté, en l’occurrence celle de moquer les religions, n’existe pas si on ne l’applique pas, que ce soit par « respect » des croyances des autres ou par peur.

morts parce qu’ils étaient seuls

Pour avoir affirmé cela, en notre nom à tous, les dessinateurs de Charlie Hebdo sont morts. Ils sont morts parce qu’ils étaient seuls. Si tous les journaux français avaient à l’époque rappelé qu’on a le droit de rire de tout et que Mahomet, pour un non-croyant, n’est rien d’autre qu’un personnage plus ou moins historique, les frères Kouachi et tous les intégristes de la Terre n’auraient pas pu nous tuer tous. Aussi, nous reproduisons ici la une de Charlie et le ferons chaque fois qu’il faudra affirmer qu’ils ne seront plus jamais seuls.

Rien de pire que le paternalisme racoleur de ces intellectuels qui s’érigent en défenseurs « des musulmans » comme entité globale et dénoncent une « guerre » contre eux, comme si la laïcité avait un jour tué qui que ce fût.

Provocation ! hurlent déjà certains. Les mêmes qui, depuis cinq ans, expliquent qu’ils condamnent les attentats, mais que, tout de même, Charlie Hebdo « s’en prend » aux musulmans. Les mêmes qui considèrent que lorsque Marianne dénonce l’intégrisme ou défend la loi d’interdiction des signes religieux à l’école, ou bien enquête sur la stratégie des Frères musulmans, c’est le fait d’une « obsession » contre les « musulmans ». Qui, dans ce cas, confond musulmans et intégristes ? Qui renvoie tous les musulmans dans le camp des totalitaristes et des rétrogrades ? Nous, à Marianne, n’avons jamais considéré que les salafistes représentaient l’ensemble des musulmans, et nos concitoyens de confession musulmane ont notre plus grand respect. Car c’est les respecter que de considérer qu’ils peuvent et veulent s’intégrer à la règle commune et qu’ils sont dans la République. Rien de pire que le paternalisme racoleur de ces intellectuels qui s’érigent en défenseurs « des musulmans » comme entité globale et dénoncent une « guerre » contre eux, comme si la laïcité avait un jour tué qui que ce fût.

Si tous les journaux français avaient à l’époque rappelé qu’on a le droit de rire de tout et que Mahomet, pour un non-croyant, n’est rien d’autre qu’un personnage plus ou moins historique, les frères Kouachi et tous les intégristes de la Terre n’auraient pas pu nous tuer tous

Natacha Polony

On peut comprendre, bien sûr, que beaucoup de nos compatriotes musulmans soient lassés de voir leur religion au cœur de l’actualité. On peut comprendre leur envie de ne plus être un sujet de débat pour chaînes d’info. Mais peut-être peuvent-ils admettre que, si des terroristes se réclament de l’islam pour tuer, et si des gens contestent une loi de la République au nom de cette religion, il y a un sujet. Deux unes de Marianne en deux ans, on est assez loin de l’obsession…

La ligne de crête

La laïcité, notamment l’interdiction des signes religieux à l’école – qui n’a pas attendu l’islam puisqu’elle était précisée comme une évidence dans la circulaire Jean Zay de 1937 sur le prosélytisme politique –, est ce qui permet à la France de faire coexister des citoyens de toute croyance et de toute origine. Certains font semblant de ne pas le comprendre. En cette semaine d’ouverture du procès des attentats de 2015, Jean-Luc Mélenchon, prenant prétexte d’un texte malsain et authentiquement raciste de Valeurs actuelles sur la députée insoumise Danièle Obono, en profitait pour assimiler Marianne et Charlie Hebdo à l’hebdomadaire adepte d’Éric Zemmour.

« Obsession nauséabonde » contre une députée noire ? Jean-Luc Mélenchon, au vu de son parcours intellectuel, sait pertinemment faire la différence entre les adeptes d’une France blanche et chrétienne et ceux qui contestent les positions idéologiques de Danièle Obono, ses réticences à qualifier de radicalisé un homme refusant de serrer la main à ses collègues de travail, ses évocations (obsessionnelles, pour le coup) d’une opposition entre dominants, forcément blancs, et dominés, forcément de couleur… Mais le chef de file des Insoumis a choisi d’ignorer ceux qui, au sein même de son mouvement, contestent les thèses sur le « racisme d’État » et le « privilège blanc ». Il a choisi, tout en se proclamant universaliste, de valider l’idée selon laquelle défendre la laïcité serait un rejet des minorités opprimées. Il a choisi, par opportunisme, d’exacerber un ressentiment mortifère.

Marianne est sur la ligne de crête, refusant les identitaires des deux bords, défendant l’émancipation. Du côté du rire, aussi. De l’immense liberté de rire.

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