Le legs d'Action française (X/X) : Nécessité d’un examen critique rigoureux en vue de l’avenir
(Conférence de Gérard Leclerc, donnée au Camp Maxime Réal Del Sarte - 2019)
Le legs de l’Action française est quelque chose d’impressionnant, qui doit être reçu avec toute la reconnaissance, et même toute la piété nécessaires, mais aussi avec l’esprit de ce que Maurras appelait « la tradition critique » .
C’est le contraire, je l’ai montré, d’un « long fleuve tranquille ». L’histoire de l’Action française s’analyse comme une longue suite d’épreuves, elle ne saurait échapper à des crises qui sont le reflet de diverses évolutions historiques. De telles crises, qui ont marqué la vie du mouvement depuis ses origines sont, à vrai dire, inévitables. Sans doute faudra-t-il analyser les plus importantes d’entre elles. Je pense notamment à celles-ci :
- l’exclusion d’Henri Lagrange (Cercle Proudhon) en 1913 ;
- la condamnation par Pie XI en 1926 ;
- la rupture de Bernanos en 1932 ;
- le désastre de 1940, Vichy, la Résistance et la Libération ;
- la rupture de Pierre Boutang en 1955 ;
- la rupture de la Nouvelle Action française, en 1971, à laquelle j’ai été personnellement associé.
Parmi les crises catastrophiques subies par l’Action française, j’ajouterai la mort de Jacques Bainville en 1936. Il m’est arrivé d’affirmer que c’était la plus grave d’entre elles. Durant la Seconde Guerre mondiale, la lucidité de l’auteur des Conséquences politiques de la paix a fait tragiquement défaut au journal, au mouvement et à Maurras lui-même. À partir de la certitude que le maréchal Pétain était l’unique protecteur de la France accablée face à la victoire écrasante de l’Allemagne nazie, Maurras s’est arc-bouté sur une adhésion qui, à partir de novembre 1942, a perdu à nos yeux sa crédibilité. Son neveu et fils adoptif, Jacques Maurras, était d’avis qu’il aurait fallu suspendre alors la publication du quotidien. L’échec de Vichy a été cruel pour l’Action française et celui qui l’incarnait, mais aussi pour la cause qu’ils servaient. Il importe pour l’avenir de faire de cette période un examen critique authentique : ni condamnation sans appel récusant l’objectivité, ni tentative apologétique pour tenter d’excuser et, du coup, fuir l’analyse parfaitement rigoureuse qui s’impose.
Cela n’est pas seulement vrai pour cette période cruciale. C’est l’ensemble d’une histoire qu’il s’agit d’envisager dans toute son ampleur et sa complexité. Loin de tout dénigrement, il s’agit de reconnaître en quoi l’Action française a pu éclairer l’opinion pendant un demi-siècle, en quoi elle a failli. Ce qui est certain, c’est qu’en dépit de ses défauts, elle demeure une des écoles politiques les plus marquantes du XXème siècle. Sa fécondité s’est avérée avec les figures de premier plan, celles d’un Pierre Boutang et d’un Pierre Debray qui ont su assumer l’héritage et le faire fructifier. Aux nouvelles générations de reprendre la tâche, avec la gratitude nécessaire et l’acuité du regard. Mais aussi avec toutes les audaces pour inventer un futur qui ne sera pas une morne répétition, mais une aventure pour la France des temps prochains.