Plan de relance européen : la défaite en chantant, par Natacha Polony.
Source : https://www.marianne.net/
"On comprend à quel point les efforts désespérés des vendeurs de rêve pour nous dessiner un monde en rose où l’Union européenne serait soudain devenue la nation bienveillante d’un peuple unifié frôle l’escroquerie", écrit Natacha Polony.
« Historique », « le moment le plus important depuis la création de l’euro »… Il devient chaque fois un peu plus difficile de trouver un nouveau superlatif pour qualifier les accords européens arrachés par un Emmanuel Macron visiblement conscient qu’il n’a plus que cela pour tenter de laisser une trace dans l’Histoire. On a même vu fleurir ces derniers mois l’expression « moment hamiltonien », reprise en chœur par des commentateurs ravis, pour nous faire savoir qu’enfin, l’Europe fédérale tant attendue était à nos portes.
Si l’on sort une seconde des clichés pour analyser, non seulement les termes de l’accord, mais ce qui l’a rendu possible et ce sur quoi il peut déboucher, on comprend en fait à quel point les efforts désespérés des vendeurs de rêve pour nous dessiner un monde en rose où l’Union européenne serait soudain devenue la nation bienveillante d’un peuple unifié frôle l’escroquerie. Résumons : le coronavirus est venu frapper de plein fouet des économies, celles des pays du sud de l’Europe comme celle de la France, que la désindustrialisation massive avait rendues totalement dépendantes des secteurs que, justement, cette épidémie vient percuter, en premier lieu le tourisme.
Marché de dupes
Cette désindustrialisation, dans le cas de la France, est la conséquence d’une idéologie délirante de ses classes dirigeantes, qui ont bradé ses fleurons au nom de l’ouverture à la mondialisation et qui ont choisi la banque et la grande distribution contre l’industrie et l’agriculture. Mais elle est également, comme pour l’Italie ou l’Espagne, la conséquence d’une surévaluation systématique de la monnaie unique qui ne laisse d’autre choix que la « dévaluation interne », c’est-à-dire, côté entreprises, le chômage de masse, et, côté Etat, les coupes budgétaires sur les infrastructures, les services publics et les investissements.
Le coronavirus a frappé une Europe qui ne s’était toujours pas remise de la crise de 2008, crise qui aurait dû entraîner l’éclatement de la zone euro, tant les déséquilibres étaient devenus intenables. Mais il fallait à tout prix empêcher que la Grèce, comme aujourd’hui l’Italie, ne sorte de la monnaie unique, lançant une réaction en chaîne. On sait comment les choix démocratiques du peuple grec, comme leur santé, leurs retraites, leur patrimoine national, ont été sacrifiés sur l’autel de cette noble cause…
Comment s’inscrit dans cette histoire l’accord de cette semaine ? Il est la simple continuation d’un marché de dupes. Non pas qu’il faille se scandaliser d’une mutualisation des dettes, comme le font ceux qui, de toute façon, ne veulent pas d’une Union européenne. Mutualiser les dettes devrait constituer le premier pas d’une véritable solidarité des pays européens entre eux, comme, au sein d’un pays, les régions les plus riches paient pour les plus pauvres afin de rééquilibrer les inégalités territoriales. Dans le cas de l’UE, ce serait d’autant plus nécessaire que, disons-le clairement, la prospérité florissante des pays dits « frugaux », comme celle de l’Allemagne, s’est largement faite sur le dos de leurs voisins. N’allons pas jusqu’à évoquer le confortable statut de paradis fiscal des Pays-Bas, mais bénéficier d’un marché totalement ouvert et d’une monnaie sous-évaluée de 15% pour la taille de son économie constitue un avantage pour lequel l’Allemagne - c’est tout le sens des choix d’Angela Merkel - est prête à beaucoup de « mutualisation ». D’autant qu’en fait de concessions, les pays « frugaux » ont arraché des avantages effarants. Par rapport au projet initial du président du Conseil Européen, Charles Michel, l’Autriche a obtenu une augmentation de ses divers rabais de 138% !
Dindon de la farce
Et la France, dans tout ça ? Le dindon de la farce, comme à chaque fois. Prête à tout sacrifier, non pour défendre les intérêts des citoyens français, son industrie, son agriculture, mais pour sauver le fantasme d’une Europe idéale. Puisque ce ne sont pas les pays frugaux qui paieront, ce seront, dixit Emmanuel Macron lui-même, la France et l’Allemagne. A ceci près que l’Allemagne, elle, y a tout intérêt. La catastrophe serait pour elle une explosion de la zone euro. Et pour l’heure, elle a les moyens de lancer un plan de relance sept fois plus important que celui de la France, et qui consistera, non à payer du chômage partiel, mais à investir dans les industries d’avenir.
Que faudrait-il faire ? Se battre, bien sûr, pour rééquilibrer une construction monétaire inaboutie, bancale, aux conséquences catastrophiques - mais on ne peut le faire si l’on aspire avant tout à rester dans l’Histoire comme l’architecte de l’Europe fédérale. Mettre dans la balance le poids de la France, non pour supplier les Pays-Bas de bien vouloir mutualiser une partie des dettes, mais pour leur interdire tout dumping fiscal, et pour exiger que la BCE fasse tourner la planche à billets, comme le fait tout pays indépendant qui veut sauver son économie.
La crise qui se dessine risque d’être pour la France un pas de plus vers la perte de ses capacités productives. Elle pourrait être salutaire si elle est l’occasion, non d’un rafistolage à coup de chômage partiel, mais d’un investissement massif dans la réindustrialisation du pays. Le début de la reconquête. Voilà qui serait vraiment historique.