Mayotte : le laboratoire ?, par Michel Corcelles.
Très engagé et représentant français au sein du partenariat Eurafricain, Michel Corcelles vient ici clarifier la situation de Mayotte, bien souvent méconnue et caricaturée par ceux qui, paradoxalement, en parlent avec la plus grande assurance. Et si, finalement, Pierre Pujo, ancien et célèbre directeur de la publication d’Aspect de la France, et secrétaire général du mouvement d’Action française, avait eu raison de mener le combat que l’on sait pour garder Mayotte à la France ? (Ndlr, O. perceval)
Avec Mayotte sont d’un seul coup mis à l’épreuve quelques principes juridiques et posées quelques questions très actuelles.
Dès le 10 février 1843, Louis Philippe, Roi des Français ratifie le traité de cession entre le sultan de Mayotte Andriantsouli et le capitaine Passot, représentant le gouverneur de l’île Bourbon (La Réunion). Trois ans plus tard Louis Philippe abolissait l’esclavage à Mayotte (ordonnance du 9 novembre 1846. Mayotte – l’île aux parfums – fut immédiatement érigée en colonie alors que les 3 autres îles de l’archipel ne deviendront, successivement, possessions françaises qu’à la fin du 19ème siècle et ne seront érigées en colonies qu’en 1912 ; dès l’origine Mayotte constitue un cas spécifique dans l’Archipel et dans la relation avec la France. Ce n’est qu’en 1946 que sera constitué le « territoire des Comores » globalisant le territoire.
Dans la suite du grand mouvement de décolonisation qui vient d’emporter la planète survient la consultation du 22 décembre 1974 sur l’autodétermination. La France, d’emblée, et peut-être pas naïvement, ouvrait la porte au traitement différencié des îles en fonction du résultat de la consultation dans chacune d’elle. L’indépendance est votée dans trois îles : Grande Comores, Anjouan, Mohéli ; elle est rejetée à Mayotte. Le président du gouvernement territorial refuse la « partition » et proclame l’indépendance de l’archipel. Les élus de Mayotte se retirent.
La France, qui bataille à l’époque au sein de l’ONU dans un climat internationalement « tiers mondiste » s’oppose à ceux qui invoquent « l’intangibilité des frontières issues de la colonisation », et se retranche derrière le concept du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Il faut ici noter une évolution significative des autorités comoriennes qui acceptent aujourd’hui des discussions bi latérales sans interférences du pays tiers ou d’institutions internationales, mêmes si ces influences jouent en coulisse et pas toujours dans un intérêt français. Et certains d’évoquer le principe que la Chine avait théorisé (à l’époque !) « un pays, deux systèmes ».
De cette situation institutionnellement floue et exigeant plus de pragmatisme que d’idéologie doctrinaire naquit, côté français, la création d’une ambassade dédiée à la coopération dans l’océan indien (an 2000). Cette création allait de pair avec la montée en puissance de la Commission de l’Océan Indien (COI) dont Jean Claude de l’Estrac (ancien ministre des Affaires Etrangères de Maurice) allait se montrer un brillant président.
Sous la pression conjointe de patriotes passionnés (Pierre Pujo) d’administrateurs combatifs (Didier Béoutis) … et de la doxa centralisatrice, Mayotte allait s’engager sur la voie d’une intégration républicaine de plus en plus forte, malgré les condamnations, certes convenues mais néanmoins tapageuses, de l’Organisation de l’Unité Africaine.
La longue marche vers le département
D’interprétations juridiques et législatives en jeux d’influences diplomatiques et parfois claniques Mayotte passera par bien des états : proposition de Territoire d’Outre-mer (refusé par la consultation du 11 avril 1976) ; collectivité territoriale à statut particulier (proposition de la commission des lois modifiant le projet de loi du 12 mai 1976). La loi du 24 déc. 1976 érige Mayotte en « collectivité territoriale de la République » … à titre provisoire. Après la dissolution législative de 1997 l’option départementale est écartée au profit de la création, arrêtée lors d’un accord signé à Paris le 27 janvier 2000, d’une collectivité de type nouveau dite « collectivité départementale ».
Le 2 juillet 2000 les Mahorais votent sur cet accord. 73 % des électeurs approuvent un texte qui rapproche le statut de l’île du statut de DOM de droit commun, même sous le nom de « collectivité départementale de Mayotte » mais une étape, peut-être la plus importante, reste à franchir, car Mayotte bénéficie encore de la « spécialité législative » puisque les lois ne s’y appliquent que « sur mention express et avis du conseil général ». Département ? oui nominalement par commodité de langage, mais pas DOM, qui exigerait la non- « spécialité ».
La loi du 28 mars 2003 consacre un nouveau concept, celui de « collectivité d’outre-mer désignant Mayotte mais, et de loin, le plus important réside dans la loi organique du 21 févier 2007 qui fait évoluer du statut de la » spécialité » à celui de » l’identité législative » sous réserve de dérogations fiscales, civiles ou liées au droit du travail.
La consultation du 29 mars 2009 entérinait avec 95,24 % de OUI la création du 101ème département qui comporte une assemblée délibérante unique emportant les compétences d’une région. Voilà donc une collectivité qui hérite des compétences de deux entités sans que pour autant elles aient préexisté ! Belle performance juridique !
Et politiquement ?
C’est là que le bât républicain commence à blesser. Des rangs même de la valeureuse troupe de « Mayotte française » et de « la plus grande France » sont venues les critiques les plus acerbes de la départementalisation au motif principal sinon unique que Mayotte était un aspirateur à migrants. Mais quel autre statut permettrait de pallier cet inconvénient ? On peut en débattre, mais il est un peu tard. On peut en revanche apporter au débat quelques éléments.
1/ Mayotte offre à la France l’opportunité d’être partie prenante d’espace « Océan Indien » francophone, encore francophile, où elle demeure une puissance grâce à la Réunion, aux TAAF (incluant les Eparses) et Mayotte. De ce seul point de vue « vouloir s’en débarrasser » est un peu court.
2/ Avec une Zone économique exclusive (ZEE) de 74 000 km² Mayotte apporte sa pierre à l’espace maritime français et permet à la France de devenir bientôt le plus grand domaine maritime du monde avec 579000Km2
3/ La relation entre Paris et Moroni (*) n’est plus hypothéquée comme elle le fut par le cas Mayotte et l’interdiction de l’immigration clandestine ne se pose plus dans les mêmes termes. L’immigration qui vient essentiellement d’Anjouan (distante de 70 kms) serait largement atténuée par l’envoi de personnels hospitaliers pour les accouchements (les équipements) ce qui priverait les clandestins d’un argument. Les autorités d’Anjouan doivent être associées à cet effort, sans pour autant encourager les tendances séparatistes.
4/ La France doit travailler à la création d’un « espace de gouvernance » dans l’Océan Indien notamment en renforçant les relations au sein de la Commission de l’Océan Indien.
5/ Alors que 300 000 Comoriens vivent en France il faut certes penser une « politique mahoraise » mais il est non moins nécessaire de conduite une coopération avec Moroni qu’il s’agisse de réguler l’apport de la diaspora comorienne au pays d’origine ; de maitriser l’immigration ; de surveiller les menées djihadistes ou de marquer une vigilance envers les incursions des puissances étrangères
Si Mayotte appartient tout à la fois à l’archipel des Comores, à la France et à l’océan Indien, elle appartient aussi à l’Afrique et c’est pourquoi le Partenariat Eurafricain y a créer une unité présidée par Bacar Ibrahim Bacar, maire ancien conseiller général avec notamment plusieurs maires. La section entend également maintenir des relations de travail avec la diaspora présente en France ainsi qu’avec ceux qui militent pour le renforcement de la COI.
La section Mahoraise du partenariat Eurafricain a dénoncé vigoureusement l’immigration clandestine.
Renouant avec la politique des « points d’appui » du Roi Louis-Philippe on pourrait imaginer qu’une personnalité française ait l’audace d’affirmer la naissance d’une mare nostrum entre l’Afrique, l’Inde et l’Antarctique.
(*) capitale de l’Union des Comores.
NB : pour sa partie factuelle cet article a utilisé une source d’une note très complète de Hugues Béringer, attaché parlementaire
PS : le Partenariat Eurafricain annoncera prochainement la présentation d’un candidat à l’élection sénatoriale.