Comment en est-on arrivé là, en relisant Marie Madeleine Martin... (suite), par Frédéric Poretti-Winkler.
« En réalité, à partir de la fin du XIXe siècle, c’est la pénurie de personnalités, qu’elles soient de droite ou de gauche, qui com¬mence à frapper tous les observateurs de la société, l’esprit de nivellement prêché par la Révolution commençant de laisser appa¬raître ses méfaits à partir de 1870. A force de déclarer la guerre aux supériorités on les a presque toutes détruites. Mais comme elles se sont mal défendues !... »
«Ce ne sont pas les idées qui manquent, écrivait déjà Honoré de Balzac en 1832, ce sont les hommes d’exécution ».
« En 1842, Charles de Rémusat constate : « Notre temps manque de grands hommes ». Et à la fin du XIXe siècle, Henri de Tourville précise : « Ce qui manque, ce n’est ni la science, ni l’outillage pour l’action matérielle, intellectuelle ou morale ; ces deux instruments sont en progrès incessants. Ce qui manque c’est l’homme... C’est la question de l’homme qui vient à son tour après celle du développement des autres puissances natu¬relles. Une grande œuvre a surgi, mais elle fonctionne mal, et après s’en être pris à toutes les forces de la nature, après y avoir fait appel, on s’aperçoit que ce qui fait défaut, c’est l’homme »Le nivellement révolutionnaire a détruit les hommes d’exceptions et d’actions…
« L’oubli préliminaire des grandes lois dont Bossuet disait déjà « qu’on ne pouvait y toucher sans ébranler tous les fondements de la terre », et qu’un lecteur de Frédéric Le Play, en 1875, appelait ces « lois sociales, vieilles comme le monde, aussi certaines et aussi fixes que celles qui régis¬sent les étoiles »
« Les penseurs réactionnaires savaient cela... mais ils ont mal démontré la valeur de leur résistance au monde qu’ils critiquaient ! Nous verrons que, le plus souvent, ils n’aperçurent pas l’ampleur du changement qui s’opérait autour d’eux. Protégés par les cadres encore puissants de la société ancienne, ils n’étaient pas directement blessés dans leur vie quotidienne par l’assaut du monde nouveau. Depuis les émigrés de la Révolution qui atten¬daient chaque année, pour le printemps suivant, le retour de l’ordre ancien, jusqu’aux contemporains du comte de Chambord qui, en 1875, bâtirent de leurs mains la constitution de la IIIe République, en pensant qu’elle serait toute prête pour le retour de leur roi, les réactionnaires crurent trop souvent lutter contre des obstacles éphémères, contre des adversaires passagers, contre des destructions sans lendemain ; ils crurent se trouver pla¬cés dans une guerre aux limites prochaines, qui leur permettrait donc de refuser le plus souvent le combat, de s’en tenir éloignés par dégoût et par mépris. Là où il aurait fallu des chevaliers du XIIe siècle, bardés de leur bouclier sans fêlure, brandissant leur épée aux côtés de leur croix, pour forcer le nouveau monde bar¬bare à tenir compte de leur présence salvatrice, il n’y eut souvent que des privilégiés nostalgiques, des doctrinaires hautains, des tra-ditionalistes momifiés ou aigris, des « prophètes du passé » reclus dans l’immobilisme et surtout d’incorrigibles discoureurs, de ces hommes dont Drumont devait dire un jour « qu’ils croyaient avoir agi quand ils avaient parlé » Il faut méditer ces quelques lignes pour s’apercevoir que finalement rien n’a changé. Certains s’imaginent encore qu’il suffit de mettre un roi à la place du président pour repartir dans une aventure capétienne. Certes pourquoi pas, car tout devient possible lorsque le roi est là, mais que de changements à faire, quelle révolution dans la société, si l’on veut bannir un certain matérialisme pour « dé-robotiser » l’homme en le ré-responsabilisant !
Nous savons que la seule chance d’une monarchie pour durer, sera avant tout, dans l’instauration des corps intermédiaires sociaux-économiques, la libération des provinces, bref à une participation populaire basée sur les réalités économiques et régionales, afin de court-circuiter, toute influence néfaste des partis politiques…
« Pendant que tout un monde se désagrégeait, pendant que l’histoire, entraînée dans une « accélération » vertigineuse, faisait s’écrouler en quelques décennies deux mille ans de société chré¬tienne, eux pensaient qu’un ministère corrigerait les fautes d’un autre ministère, ou que les barbares d’en bas dont parlait Macaulay, devenus maîtres de la cité, n’avaient pas plus d’importance qu’un défilé passager de gens mal élevés sous leurs fenêtres. Ainsi, les chroniqueurs de la chute de Rome et de l’Empire d’Occident, au Ve siècle, nous racontent-ils que les citoyens riches de la ville, réfugiés dans leurs maisons de campagne, supputaient les plaisirs prochains du retour dans leurs palais, au moment même où les Barbares venaient de mettre un point final à l’histoire du monde antique. »
« A la fin du XIXe siècle plusieurs observateurs appliquant à l’histoire comme Taine, les méthodes des sciences d’observation se ralliaient à l’idée exprimée par Renan : « En coupant la tête à son roi, la France a commis un suicide »
« Il est indéniable qu’à la fin d’une étude du XIXe siècle, la monarchie française apparaît à l’historien, non plus avec cet appareil de majesté dominatrice que la Renaissance lui avait fait prendre, non plus dans son image partisane inventée depuis la Révolution, mais avec cet aspect d’arbitrage unique qu’elle revêtit à l’aurore du moyen âge, au moment où devant le chaos de l’Occident morcelé, l’Eglise, pour protéger les peuples fit appel à certains princes comme à ces Juges que les prophètes de la Bible sacraient pour le salut des nations. La monarchie se dévoile ainsi comme une institution originellement liée à la structure de la nation française : c’est strictement un fait de nature. Il évoque ce principe initial de paternité qui en avait fait, au temps de Hugues Capet, pour les peuples aux abois, pressurés par les forces déréglées du sang et de l’or, la seule image de salut et d’unité. »
« Le rappel des fautes du passé ne doit qu’être un moyen d’illuminer le présent afin de ne pas retomber dans l’erreur. » C’est une juste définition de « L’empirisme organisateur » cher à Maurras et le moyen le plus sûr d’assurer une construction de société évitant les écueils que la saine expérience éloigne…
« Pour comprendre le rôle de l’écrivain s’attachant au domaine de la science des cités, il faut sans doute évoquer des sociétés beaucoup plus fortement unifiées que les nôtres, parce que bien plus hiérarchisées (car le nivellement est une fausse unification et le totalitarisme encore plus). Il faut penser à la société médiévale. Certaines miniatures patientes et fouillées nous montrent la même image que les porches des cathédrales ou que ces tapisseries éblouies de fleurs de miracle et d’animaux fabuleux, troupeau des songes par lesquels l’homme enchante sa course ici-bas. C’est l’ordre souverain des travaux de la terre, en accord avec les tra¬jectoires des astres et les décrets des saisons.
Dans cet ordre, celui qui pense est symbolisé par l’humble clerc qu’abrite le monastère, refuge des inquiétudes humaines... J’aime ce sage non enivré de sa sagesse parce qu’il connaît les limites de la raison de l’homme, et qu’il vit à la fois dans le rappel des mystères insondables, comme dans la familiarité des moissons et des vendanges. J’aime cet humain qui cherche les principes et les lois de l’univers avec la simplicité du travailleur fauchant les blés mûrs, ou ramenant dans sa main, au couchant du jour, les grappes dorées par le soleil, pour l’aliment des autres hommes. Il ne se croit ni un mage ni un prophète, et s’il lit dans les astres, ou interroge l’avenir, c’est à la façon du paysan prédi¬sant la tempête, pour avoir seulement bien observé les signes les plus humbles par lesquels les dieux avertissent les hommes de leurs desseins... »
Ecoutons Gonzague de Reynold : « Entre un monde qui meurt et un monde qui naît il s’insère toujours une période creuse. Elle est en même temps un tombeau et un berceau. Un monde qui meurt y agonise en se débattant, en cherchant à écraser de son poids le monde qui naît, n'a pas encore les yeux ouverts, ne sait pas encore son nom... Pour qu’une nouvelle forme de civilisation s’épanouisse, il faut que le monde ancien et le monde nouveau se réconcilient : c’est l’échange de deux nécessités. Un échange par transbordement. Il ne s’agit pas de sauver le vieux vaisseau qui sombre : on perdrait son temps à bourrer d’étoupe ses voies d’eau. Il s’agit de porter sa cargaison dans le vaisseau neuf. Pour cela, il faut qu’au fort de la bataille, malgré la canonnade et la mer démontée, se hasarde entre les deux adversaires une barque de sauveteurs, l’infime minorité de ceux qui ont, les premiers, saisi le sens des événements. Longtemps on les verra lancer en vain des signaux d’alarme aux deux navires : chacun, les prenant pour des enne¬mis ou des traîtres, dirigera son feu contre eux. Cependant, il se trouvera, dans les deux équipages, des hommes qui finiront pas les entendre et par entraîner les survivants »
« Ce qui fait l'attrait de certaines sociologies pour nos contempo¬rains, c'est surtout le parallélisme qu'on leur prête avec les prodi¬gieuses découvertes mécaniques, scientifiques, de notre temps. Comme nous le disions plus haut, elles semblent les seules adaptées au renou¬vellement de certains aspects du monde visible que la science moderne fait éclater sous nos yeux. Et pourtant, en dépit de cette course aux découvertes sans frein, la nature de l’homme reste soumise aux normes que lui dictèrent sa création. Pour avoir voulu rebâtir une nouvelle Babel, comme le dit si bien Gilbert Tournier, les hommes n'ont su que se précipiter vers des catastrophes apocalyptiques »
Frederic PORETTI-Winkler (Histoire Social, à suivre)Comment en est-on arrivé là, en relisant Marie Madeleine Martin... (suite)