Dans Figaro Vox/Tribune : Relire Gustave Thibon pour comprendre le mirage de la modernité...
En ces temps de crise, la lecture du philosophe Gustave Thibon est salutaire, considère la journaliste Maya Khadra.
Son oeuvre nous invite selon elle au sursaut face aux maux inhérents à notre époque.
Maya Khadra est journaliste et doctorante en lettres modernes.
Qui aurait dit qu’un virus microscopique pouvait mettre à genoux la bourse, l’économie mondiale ?
Le chant des sirènes était tellement ensorceleur depuis que la «Surmodernité» a enserré de son étau la Planète et l’Humanité. La «Surmodernité» est un concept philosophique établi par Marc Augé. C’est l’émergence des non-lieux au détriment des lieux d’enracinement, c’est la transformation de l’homme en chiffre arbitraire dépendant du numéro de passeport ou de celui de la plaque d’immatriculation de son véhicule. Les non-lieux ou lieux de passage éphémères se sont multipliés: gares, aéroports, aires de stationnement, centres commerciaux… Et les espaces anthropologiques ; forteresses de la mémoire collective, de la civilisation, des traditions ont été envahis par la poussière de l’ingratitude et d’une amnésie à échelle humaine. On troque l’ancien contre le moderne, le pérenne contre l’éphémère et les valeurs contre les illusions factices: jeunesse éternelle, supériorité de la science à la nature, démesure humaine pathétique…
Le spectacle auquel nous assistons depuis des mois fait écho aux idées prophétiques de Gustave Thibon ; ce philosophe fier héritier de Simone Weil qui a toujours préféré sa campagne ardéchoise aux lumières parisiennes éblouissantes. Dans son recueil de pensées et d’aphorismes, Parodies et mirages, le philosophe s’interroge sur la modernité, le progrès et leurs dérapages déshumanisants. Le monde moderne pour Thibon finit par être rattrapé par ses fautes et errements démesurés. Ce monde a tué Dieu et toute référence culturelle pour les supplanter par des soumissions modernes au matérialisme. Au risque d’oublier la mort et la «tombe qui se creuse». Face aux iconoclasmes de la civilisation moderne, Thibon pressentait «un mal sans remède», car «quand l’âme de la Cité même est malade, l’individu est menacé, non plus seulement dans les parties supérieures de son être, mais dans son existence immédiate, dans son socle vital».
Après des décennies de déterritorialisation, de pertes de repères le moment est venu pour que l’Homme remette les compteurs à zéro, se réveille et s’arrête de justesse au bord du gouffre dans lequel il était sur le point de se précipiter irréversiblement, afin de recouvrer humilité face aux pandémies, solidarité après des années d’individualisme et conscience de cette «tombe qui se creuse» et dont il est un peu plus proche, à chaque aube, que le jour précédent. Le temps est peut-être venu de mettre en œuvre une sorte de changement d’âmes et de climat, d’après Thibon.
Gustave Thibon au Rassemblement royaliste des Baux de Provence, auquel il participait chaque année...