Dans Valeurs Actuelles, Coronavirus : pourquoi l’Allemagne s’en sort mieux, par Alix Dorveaux.
L’Allemagne ne compte à ce jour que 2607 décès quand la France en déplore plus de 12 000. La République fédérale s’appuie sur une stratégie rigoureuse de dépistage massif, un tissu industriel préservé et un système hospitalier encore robuste.
Alors que beaucoup de pays européens ont passé la barre des 12 000 morts liés au coronavirus, l’Allemagne n’en dénombre à ce jour que 2607. Dans un pays qui compte 16 millions d’habitants de plus que la France et dont la population est sensiblement plus âgée, ces chiffres interrogent. « C’est difficile à démêler. Nous n’avons pas de vraie réponse et c’est probablement une combinaison de différents facteurs », admettait le 19 mars Richard Pebody, responsable à l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Certes, ces chiffres sont à prendre avec précaution pour le moment : si l’on se réfère au jour où le 100ème décès a été atteint, l’Allemagne semble subir l’épidémie avec 10 jours de décalage par rapport à la France, tout comme la France suit à peu près la même courbe que l’Italie avec 10 jours de retard. Néanmoins, l’Allemagne a accueilli à ce jour plus de 200 patients du Grand Est français et le pays a vu le nombre de nouveaux cas diminuer entre le 4 et le 7 avril. « Les tests font une énorme différence avec la France », estime Patrick Hetzel, député du Bas Rhin, membre du groupe de travail parlementaire franco-allemand. Selon les chiffres officiels entre 350 000 et 500 000 tests sont menés chaque semaine, quand la France en réalise entre 35 000 et 85 000 seulement.
Un dépistage massif
Dès le premier cas avéré en Bavière, à la mi-janvier, l’institut Robert Koch, établissement de référence pour la recherche appliquée et la santé publique en Allemagne, a incité à mettre en place une politique de dépistage massif. « Je crois que l’Allemagne a très rapidement pris conscience du début de l’épidémie (…). Nous y sommes arrivés parce que nous avons énormément diagnostiqué, beaucoup testé », estime le professeur Christian Drosten, directeur de l’institut de virologie de la Charité à Berlin. Réalisés dans les 300 centres officiels répartis sur l’ensemble du territoire ou dans les « coronadrive stations », les tests sont pour l’instant réservés aux personnes qui présentent des symptômes et ont été en contact dans les 14 jours précédents avec des personnes contaminées. Selon un plan du ministère de l’Intérieur dévoilé le 27 mars par le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung , l’objectif du gouvernement est de tester 200 000 personnes par jour d’ici fin avril, soit 1 million de tests par semaine.
Si le pays peut appliquer rigoureusement sa feuille de route, c’est aussi grâce à un tissu industriel resté robuste. D’abord dans l’industrie pharmaceutique : il n’est pas anodin que le premier test partagé officiellement par l’OMS, le 17 janvier, avant les tests chinois, soit l’œuvre d’un biochimiste allemand, Olfert Landt. Le laboratoire Bosch a annoncé fin mars la distribution de tests de dépistage permettant d’obtenir le résultat en moins de 2h30. Siemens Healthineers travaille également sur un test Covid-19 qui ne soit pas lié à une plateforme d’analyse spécifique.
Des grandes marques de matériel médical
En plus des tests conçu par ses laboratoires, le pays peut s’appuyer sur des grands noms de l’industrie médicale puisqu’il a commandé 10 000 respirateurs au géant Dräger et 6500 à Lowenstein, qui devraient être livrés dans les prochains mois. « Plusieurs grandes marques de matériel médicales sont allemandes » confirme Christophe Arendt, député en Moselle et co-président du groupe de travail parlementaire franco-allemand. Löwenstein avait ainsi déjà fourni la Chine et augmenté ses capacités de productions avant d’être sollicité par le gouvernement allemand. Côté masques, les Allemands n’échappent pas à la pénurie généralisée mais comptent s’appuyer sur des entreprises nationales telle Fiege, géant de la logistique, pour y remédier. Le Bade-Wurtemberg a ainsi collecté 30 Millions de masques grâce à son constructeur emblématique, Porsche, bien implanté en Chine.
Même si tout est mis en œuvre pour augmenter les places en réanimation, le système hospitalier disposait déjà avant la crise de 28 000 lits de réanimation, contre 5000 seulement en France. Rapporté au nombre d’habitants, le ratio allemand reste meilleur. Pourtant, l’Allemagne et la France consacrent quasiment le même pourcentage de leur PIB aux dépenses de santé : 11,1 % pour l’Allemagne en 2018 contre 11,5% pour la France. Les réformes menées depuis une vingtaine d’années pour restructurer le système hospitalier allemand lui ont sans doute permis de gagner en efficacité. Confrontés à une crise financière, les Länder se sont désengagés de certains hôpitaux publics, à l’instar de la privatisation du CHU de Hambourg en 2005. Surtout, en vertu du fédéralisme si cher aux Allemands, chaque Land (région) peut décider comment gérer ses hôpitaux. « En France, l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH), qui répertorie les coûts supportés par les hôpitaux a un rôle uniquement statistique et n’a pas de pouvoir politique » détaille Carine Milcent, chercheuse au CNRS en économie des systèmes de santé. « En Allemagne, l’équivalent de l’ATIH peut négocier le budget avec les hôpitaux ce qui permet la mise en place d’un contrat objectifs/moyens et une responsabilisation financière », poursuit-elle.
Le fédéralisme permet de prendre les décisions au niveau local
Ultimement, les décisions reviennent donc aux ministres de région : le Mecklembourg Poméranie a décidé de fermer ses frontières alors que Berlin ne l’a pas fait. « Les décisions politiques sont prises très près du terrain et un ministres de région n’a pas besoin d’attendre l’accord des 20 régions pour prendre une décision » avance Patrick Hetzel. « Le cas allemand se situe entre la France très centralisée et l’Italie où les provinces ont beaucoup de pouvoir », considère Carine Milcent.
Selon le dernier baromètre politique de ZDF, 89% des Allemands approuvent la façon dont leur gouvernement gère la crise. Toutefois, « beaucoup de parlementaires allemands pensent que la plus grosse vague va arriver dans les prochains jours » avertit Christophe Arendt. Une sombre prédiction qui n’empêche pas le gouvernement d’évoquer un possible déconfinement dès le 20 avril.