La civilisation des mœurs, par Gérard Leclerc.
C’est au grand sociologue allemand Norbert Elias que l’on doit la notion de « civilisation des mœurs » progressive (1939). Même abondamment discutée, cette thèse a marqué la réflexion historique contemporaine, par la puissance de l’éclairage qu’elle donnait aux évolutions sociales. Parallèlement, le développement de la recherche sur les mentalités, dont Philippe Ariès fut en France un des grands initiateurs, n’a pu que renforcer ce point de vue. Il apparaît d’une rare pertinence dans la conjoncture actuelle, où nous assistons à un bouleversement manifeste de la société dans ses profondeurs.
Ainsi en politique, Jacques Julliard, dans son brillant carnet du Figaro, met en évidence une mutation fondamentale où le pouvoir de l’opinion publique, avec ses ambiguïtés, est en train de se substituer à la démocratie représentative. Pareil phénomène affecte le corps social tout entier qui, par ailleurs, est en proie à une crise profonde révélée par la dénonciation généralisée des dérèglements sexuels à l’égard des femmes.
Prendre acte de la remise en cause
Quelles que soient les exagérations et même les dérives idéologiques graves qui résultent d’un malaise affectant vraiment notre civilisation, nous sommes contraints de prendre acte d’une remise en cause dont il n’est pas possible, dans l’immédiat, d’envisager les conséquences. Ce qui s’est produit à la séance de remise des César pour le cinéma est caractéristique, a-t-on pu dire, « des maux qui touchent l’ensemble de la société ». Dans ces conditions, comment notre Église pourrait-elle échapper à ce trouble général, alors qu’elle se trouve elle-même déstabilisée par les scandales de certains de ses membres, qui participent à ces dérèglements et montrent à quel point elle n’est nullement hors du monde ?
Tentation du découragement
La tentation de découragement s’empare des âmes, qui ont le sentiment qu’il n’est pas possible de s’opposer à une dynamique aveugle, celle qui emporte l’Église comme l’ensemble de la société. C’est bien la civilisation des mœurs en général qui remue tous les secteurs. Et il est vrai que la gravité de la situation requiert une réflexion entraînant des réformes qui ne trouvent leur analogue que dans le tournant qui s’est produit au XVIe siècle avec le concile de Trente.
Celui-ci fut, en effet, à l’origine d’un renouveau qui s’affirma au long de décennies de combat. Nous pouvons craindre pour le moment, comme aux États-Unis, des affrontements entre conservateurs et progressistes qui ne relèvent nullement la hauteur des débats et ne peuvent qu’aggraver le marasme. Le pape François réagit en tentant un difficile équilibre entre la fidélité à la tradition ecclésiale et une pastorale de la miséricorde où l’Église se concentre sur sa mission d’« hôpital de campagne ». Nous avons à l’aider, nous gardant d’attiser les divisions, de nous satisfaire de mauvais compromis. Seule la fidélité à la substance de notre foi permettra à l’espérance de produire les fruits d’un vrai printemps.