L'imagination au pouvoir ? Partie 2 : Créer des produits du travail durables et transmissibles ? par Jean-Philippe Chauvin
Les dernières semaines et les événements qui ont émaillé l’actualité sociale mettent notre société française à rude épreuve, et la discussion est parfois fort difficile dès que l’on aborde ce qui, aujourd’hui, divise les Français en camps qui paraissent parfois (peut-être de façon exagérée, ce qu’il faudrait souhaiter, en fait) inconciliables, voire irréconciliables.
Pourtant, n’y aurait-il pas quelques points d’accord entre les uns et les autres sur les propositions de Stéphane Madaule sur la grande question du travail ? Autant sa première proposition d’une forme de « retraite à 50 ans », évoquée dans une précédente note de ce site, pouvait ouvrir un débat qui ne risque pas vraiment de se clore entre les partisans d’un travail partagé et d’une retraite honorable et active, et ceux qui raisonnent d’abord en termes purement comptables et « réalistes », tant le fossé est immense et sans doute pas prêt de se combler, autant sa deuxième proposition pourrait rapprocher les uns et les autres : « Deuxièmement, il faudrait que le travail s’oriente vers la création de biens durables, de biens recyclables, de biens renouvelables, de biens que l’on peut se transmettre de génération en génération. » Et l’auteur de donner quelques exemples concrets : « Pourquoi ne pas privilégier par exemple la production de bois pour se chauffer, pour fabriquer du papier, pour construire nos maisons, pour se vêtir ? Pourquoi ne pas planter des arbres un peu partout sur nos territoires, en ville comme à la campagne, afin de pouvoir se nourrir de leurs fruits à certaines périodes de l’année, afin de faire de l’ombrage, afin de recueillir le bois dans ses usages multiples (construction, combustion, production de papier) ? ». Il me semble que l’exemple de l’arbre et du bois est particulièrement bien choisi et pertinent, surtout en ces heures de dérèglement climatique et de questionnement sur la place de l’arbre dans nos sociétés urbaines et artificialisées, et ce n’est pas un hasard si les royalistes se sont beaucoup investis ces dernières années dans la « cause des arbres », sans être toujours bien compris…
La forêt, l’arbre, le bois… En quelques mots, voici défini tout un domaine qui peut trouver sa place dans la grande problématique des raisons justes du travail, du labeur comme de l’ouvrage, et des bienfaits qu’il peut porter en lui : encore faudrait-il que l’Etat prête attention à cette cause sous toutes ses formes et avec toutes ses potentialités mais aussi ses difficultés et contraintes. Or, la filière bois est aujourd’hui totalement négligée par les autorités et les forêts sont, de plus en plus, gérées selon les seules perspectives économiques de rentabilité à court terme, au risque de transformer l’espace forestier français en un simple « champ de sapins ». En somme, là aussi, une stratégie et une véritable politique sur le long terme s’imposent ! Mais, gardons-nous de l’erreur qui consisterait à laisser l’Etat tout faire, ou tout décider : les initiatives privées doivent être suscitées, parfois aidées et, s’il le faut, contrôlées, au regard du bien commun et des intérêts environnementaux.
Une bonne gestion des espaces forestiers permettrait une amélioration de la qualité des forêts et une meilleure prévention des incendies ou des accidents tout en permettant la production des bois nécessaires à l’ameublement et aux charpentes, entre autres (1) ; mais cela doit s’accompagner d’une politique de soutien aux scieries et aux usines de fabrication locales, ne serait-ce que pour éviter à ces produits de l’arbre de partir pour des destinations lointaines et de nous revenir en produits finis, la plus-value dégagée entre les deux actions étant aujourd’hui monopolisée par des sociétés étrangères, souvent peu regardantes sur les conditions sociales du travail dans leurs entreprises, ni sur le coût environnemental… Produire, transformer, commercialiser dans un rayon « national » semble bien plus profitable pour l’économie générale de notre pays, que cela soit en termes d’emplois ou de revenus, autant de l’entreprise que du fisc, et permet aussi de limiter les pollutions liés au transport des troncs comme des planches et des meubles fabriqués à partir de ces troncs. C’est aussi soutenir l’idée d’un travail plus en phase avec les cycles naturels et, d’une certaine manière, pérenne et éternellement renouvelable tant que les arbres continueront à pousser à leur rythme dans des forêts que les hommes contrôleront sans les asservir : « on ne commande à la nature qu’en lui obéissant », doit rester une ligne directrice de l’action humaine en matière agricole et sylvicole, entre autres.
Stéphane Madaule évoque ainsi fort heureusement à notre sens cette orientation vers la production de biens renouvelables, durables et transmissibles, et il est évident que cela doit inspirer toute politique économique soucieuse de l’écologie, non dans une démarche punitive ou restrictive, mais bien plutôt inventive et crédible. Bien sûr, là encore, le monde de la Finance et de l’Actionnariat risque de ne pas y trouver son compte (sans mauvais jeu de mots), mais cela permet de remettre un peu de crédit social dans l’économie et de la mesure dans une société de consommation qui semble avoir perdu l’un et l’autre. Il n’est pas insignifiant que « la terre, la pierre, le bois » puissent fournir la plupart des biens dont l’impact sur l’environnement sont les plus limités (2), quand, dans le même temps, leur durée de vie peut être largement plus longue que celle des biens fossiles et non-renouvelables…
Cela nous rappelle aussi que, si le travail doit être partagé, il peut l’être, non seulement dans l’immédiateté, mais aussi sur le long terme, en termes de génération et d’héritages, et en termes de produits qui, au lieu d’être irrémédiablement détruits ou consumés sans espoir d’être renouvelés à échelle du temps humain, s’inscrivent dans un paysage, dans une communauté ou une famille : c’est aussi ce que l’on nomme un patrimoine, attaché à une terre historique donnée mais aussi à une économie qui ne fonde pas tout sur la croissance dévoreuse des ressources de la Terre quand il faut, et c’est notre pensée et notre pratique, la sobriété pour assurer la pérennité et, d’une certaine manière, l’éternité…
(à suivre)
Notes : (1) : A l’heure actuelle, la seule exploitation des espaces forestiers français ne suffirait pas à répondre à tous les besoins de la consommation de bois et de papier en France : mais, commencer à reprendre la main sur la production de bois peut, à plus ou moins long terme, permettre de mieux valoriser ce qui est déjà disponible et créer de nouvelles ressources dans de bonnes conditions, pour une production qualitative mais aussi quantitative, l’une n’excluant pas forcément l’autre, du moins dans une certaine mesure (au double sens du terme, d’ailleurs).
(2) : Bien sûr, ces éléments ne sont pas forcément « neutres » sur le plan environnemental, comme le prouve la combustion du bois (pour le chauffage ou la production d’énergie) qui renvoie du gaz carbonique dans l’atmosphère et des particules fines, ou l’extraction et la taille des pierres nécessaires à la construction, mais ces pollutions restent moindres en comparaison de celles des produits pétroliers ou fossiles en général.
Commentaires
Encore un article qui fait réfléchir ( se remémorer aussi , ce qu 'on apprenait sur la signification du travail dans toutes les acceptions du terme ) .
Pour revenir au bois , à la récupération , il semble qu'il y -ait un problème générationnel : la génération post soixante-huitarde n' hésitait pas , faute d' hériter de mobilier de famille , à fréquenter antiquaires et brocanteurs , pouvant se meubler , qui en Empire , qui en Louis - Philippe par contre les générations dites X , Y ne jurent que par . kéa en tous pays et toutes " classes " confondues : c'est Mao !
La construction de maisons en bois reste " culturelle " ( l' uniformisation n 'allant pas jusque là ) : c'est usuel en pays scandinave ; par contre , ailleurs , le voisinage ressortira l ' histoire de la maison des trois petits cochons )
Utilisation du bois pour se vêtir , mis à part le " manteau de sapin " , on saisit mal .
Pour les routes , les platanes au bord des départementales sont souvenirs anciens , victimes de la politique de sécurité routière sauf qu' il y a 50 ans , roulant à 100 à l 'heure , un gendarme se trouvant là , à l' affût , faisait juste un petit geste de la main , pour inciter à aller moins vite ; maintenant avec nos vitesses ridicules , obligés de rouler à train de sénateur , on pourrait faire replanter ( une idée pour le futur " service civique " ? )
Enfin , pour en terminer avec ces digressions , nous aurions plus d' arbres qu'au début du siècle dernier et pas seulement des sapins ; par contre , dans nos villes trop d'arbres sont abattus à la demande de riverains ( perte de luminosité logement , fientes de corbeaux ) , également , coût d' élagage et ramassage de feuilles pour les municipalités .
Oui , il faut un réveil des consciences ; peut être la génération Z ?
Article intéressant en effet car donnant à réfléchir sur les stratégies de développement endogène, pas suffisamment explorées semble-t-il.
Dans le même ordre d'idées, voici ce que j'avais écrit il y a déjà bien longtemps (1995, complété en 2015) et plusieurs fois communiqué à des "autorités responsables", sans grand effet jusqu'à présent :
"Ressources négligées : quelques rapides réflexions et pistes à explorer
• La vigne, une forêt oubliée ?
Quand on pense vigne, on pense raisin puis vin mais on oublie que la vigne, c’est aussi une forêt, forêt très particulière certes, et que l’on voit rarement sous cet angle, mais pourtant productrice de bois : combien de tonnes de sarments le vignoble languedocien produit-il chaque année, dont on ne sait plus que faire à l’automne, une fois la vendange passée ?... Ces sarments, on en ramasse un peu, pour les grillades de l’été, mais finalement on en brûle ou l’on en broie sur place l’essentiel, sans grand profit pour le sol ni pour le vigneron.
N’y aurait-il pas d’autres usages envisageables et plus profitables ?
Le sarment de vigne est un bois fibreux. Ecrasé et broyé, ne pourrait-il pas être employé pour la fabrication de panneaux d’isolation thermique pour le doublage de cloisons, de sols ou de toitures, ou de panneaux en même temps décoratifs, comme on le fait déjà avec d’autres déchets de bois ? Hypothèse de travail à explorer aux plans scientifique et technique.
Il faudrait certes, résoudre d’abord le coût du ramassage et du transport jusqu’aux lieux d’usinage régionaux. Ce n’est pas insurmontable et peut techniquement se concevoir : ramassage-broyage-compactage en ligne sur le rang de vigne, comme on le fait ailleurs dans les champs pour les balles de paille et de fourrage, pour un transport plus facile en volumes ainsi réduits.
• Et le roseau commun de nos campagnes ?
En bordure de vignes ou de chemins, mais parfois aussi envahissant des terres en friche, le roseau commun pousse tout seul, apparemment insensible à toute maladie, et il ne sert à rien, ou alors à bien peu : coupe-vent en bordure de parcelles ou de jardins, clayonnage pour ombrager nos terrasses, tuteur de nos plants de tomates, de haricots ou de petit-pois dans nos potagers, et c’est tout ou presque.
Pourtant, lui aussi bois fibreux, résistant et solide, il pourrait être cultivé en plein champ, coupé chaque année comme ailleurs on coupe la canne à sucre et servir lui aussi à la fabrication de panneaux industrialisés. Coupé au pied, il repousse tout seul la saison suivante : autre piste à explorer pour rentabiliser une richesse naturelle mais négligée de nos climats et dont la culture serait très économique tout en revalorisant des friches agricoles.
> Mais ce roseau, peut-être pourrait-il être aussi hybridé avec la canne à sucre pour obtenir une canne adaptée à nos climats, mais produisant sans doute moins de sucre ? Une autre étude à envisager : à voir avec l’INRA.
• En dernière analyse, des sources d’énergie renouvelables ?
Alternative : sarment de vigne et roseau commun, brûlés dans une centrale thermique, pourraient servir à la production d’électricité : sources d’énergie renouvelable. Ultime hypothèse à explorer…. Peut-être pas assez écolo s'il est question de centrales thermiques?
Remarque : Dans un pays comme le nôtre, qui manque de matières premières industrielles, l’avenir d’une agriculture qui produit trop de surplus alimentaires ne serait-il pas de produire davantage de végétaux à destination industrielle ? Sources potentielles de revenus et d’emplois à l’échelon régional et local.
• Rappelons-nous le Rilsan*, (« polyamide de conception et de production françaises » dit le Larousse), cette matière plastique à tout faire des années 1950-60 (chaussettes, brosses à dent, joints industriels, câbles, hélices de bateau, etc.) que l’on tire de l’huile de ricin, une plante qui pousserait fort bien chez nous, mais dont la filière a été torpillée par les pétroliers à qui elle faisait concurrence. Ne faudrait-il pas y revenir ?
*Rilsan est une marque qui existe toujours (http://www.societechimiquedefrance.fr/produit-du-jour/rilsan.html )"