Proust, il y a 100 ans par Gérard Leclerc
Et si la littérature nous éloignait de l’actualité pour y mieux revenir, alors même qu’elle nous invite à l’évasion ? Il y a un siècle Marcel Proust obtenait le prix Goncourt pour « À l’ombre des jeunes filles en fleurs ». Ce peut être l’occasion de réfléchir à ce que nous apprend la littérature, en regrettant qu’elle ne soit plus aussi présente qu’avant…
Et si nous parlions un peu littérature ? Ne serait-ce que pour faire un pas de côté, pour éviter le commentaire du discours d’Édouard Philippe et commenter les commentateurs. Les retraites, nous aurons encore des semaines pour en parler, ainsi que les choses se présentent. La littérature pour respirer quelques secondes, pourquoi pas ? Il y a cent ans, grâce à Léon Daudet qui avait saisi l’étonnant génie de l’auteur d’À la recherche du temps perdu, Marcel Proust recevait le prix Goncourt. Le choix était plutôt mal accueilli, à droite et à gauche, parce qu’il contrastait avec l’air du temps. On sortait d’une guerre terrible et l’on n’offrait au public que des mondanités ! Oui, des mondanités qui ont fait date et hissé Proust au sommet des Lettres du XXe siècle, aux côtés de Louis-Ferdinand Céline. C’était le jugement de François Mauriac, orfèvre en la matière.
Mauriac, que ce merveilleux critique littéraire qu’est Philippe Lançon, rescapé de la tuerie de Charlie Hebdo, évoque dans un entretien au Figaro avec Eugénie Bastié. Il regrette que la littérature disparaisse de l’actualité. Et Lançon de s’expliquer : « La littérature, c’est quoi ? Des phrases, une respiration, un rythme, et, à travers les formes qui en naissent, une perpétuelle présence de la vie telle qu’elle se passe, telle qu’elle nous enchante et nous meurtrit, mais aussi et peut-être surtout, telle qu’elle nous échappe… » Cette littérature-là, je la retrouve aussi dans le troisième tome du journal intime de Philippe Muray, qui donne le sentiment de ne vivre et de ne respirer que dans les livres. Sa connaissance dans ce domaine est époustouflante, à force d’érudition certes mais surtout de pénétration.
Mais cette façon d’exister ne rend nullement Muray étranger à l’actualité, à la politique et surtout à la société où il évolue. C’est parce qu’il a un sens aigu de la densité humaine qu’il est capable de comprendre son temps. Non sans cruauté, je l’accorde. Il est terrible dans la façon dont il observe ses contemporains et les manies du temps. Mais je le pense indispensable par sa lucidité. Oui, nous avons besoin de la littérature pour prendre de la distance, et aussi de la profondeur.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 12 décembre