L’Europe en état de décomposition avancée
Après le drame de Gênes ...
Par François Reloujac
Europe. La politique française n’étant dans l’esprit du président Macron qu’une dérivée de la politique européenne, il est bon de faire un point sur l’Europe dans son état actuel, sachant que toutes les décisions du gouvernement français sont dépendantes des impératifs bruxellois.
Alors que les Britanniques quittent le navire, la Hongrie, la Pologne, la Lettonie affichent de plus en plus leur opposition aux décisions que cherche à imposer la Commission européenne, sous la férule de l’Allemagne à la remorque de laquelle s’accroche encore la France et sous la pression des grands médias et des financiers internationaux. Tandis que la fronde menace au nord, le sud s’effiloche.
Au pays des « fake news » la Grèce est reine
Au cours du mois d’août 2018, la Grèce, dit-on triomphalement, a retrouvé son indépendance politique et n’est plus en faillite. Bonne nouvelle ! Non, « fake news », ou comme on dit en français : mensonge. La situation du pays ne s’est pas améliorée depuis que la crise a éclaté. Le taux de chômage y est encore de 20 % et s’il a baissé depuis 2013 où il dépassait les 27 %, c’est essentiellement grâce au départ des jeunes générations qui sont allées chercher fortune sous d’autres cieux. La Grèce s’est ainsi affaiblie du fait du départ de ses futures élites. La récession dure depuis dix ans, les investissements sont taris, de nombreuses entreprises ont disparu et les banques sont plus fragiles que jamais, le niveau des créances douteuses ayant explosé.
Alors, pourquoi ce communiqué triomphal ? Parce qu’officiellement, la Grèce n’est plus en faillite ! Elle n’est, pour l’instant, plus en faillite puisqu’elle est autorisée à ne commencer à rembourser ses emprunts qu’à partir de 2022. Quatre ans de délais, pendant lesquels elle ne règlera que les intérêts tout comme, en leur temps, les bénéficiaires des prêts subprime américains – la crise ayant éclaté à partir du moment où ils ont dû commencer à rembourser le capital ! Or, qu’en est-il de la dette actuelle de la Grèce ? Elle est évaluée à près de 300 milliards d’euros (environ 200 % du PIB) tandis que les recettes fiscales totales du pays s’élèvent à peine à 18 milliards d’euros. Autant dire que, sauf miracle, la Grèce sera dans l’incapacité de rembourser sa dette quand débutera sa période d’amortissement. C’est pourquoi le professeur Colletis redoute un « inévitable embrasement social ». Mais, d’ici là, combien des dirigeants politiques européens actuels seront encore en poste ?
Le contre-exemple du Portugal
À côté, la situation de la péninsule ibérique est très contrastée entre une Espagne, relativement docile aux injonctions internationales, et un Portugal plus rétif. Si, malgré les apparences, l’Espagne continue à s’enfoncer, c’est qu’elle souffre en particulier d’un problème démographique grave. Avec une liberté d’avorter pendant les 14 premières semaines de grossesse (22 en cas de « malformation » du fœtus), le taux de fécondité est tombé à 1,33 enfant par femme en âge de procréer. Le chômage des jeunes atteint le taux record de 34 % (le double de la moyenne européenne). Du coup, le paiement des retraites n’est plus assuré. La présidente du FMI, Christine Lagarde, a trouvé la solution. Il faut que l’Espagne absorbe d’ici à 2050, 5,5 millions d’immigrés. On peut cependant douter de la pertinence de cette solution puisque l’Espagne compte déjà plus de 3,5 millions de chômeurs – qu’il faut faire vivre – et le taux de chômage des populations immigrées y est très largement supérieur à celui des autochtones.
À l’inverse de l’Espagne et de la Grèce qui sont toujours terriblement endettées, le Portugal est dans une position dont le journal La Dépêche explique qu’il s’agit d’un « miracle embarrassant pour Bruxelles car il repose sur une politique anti-austérité ». Le pays a beaucoup souffert après la crise de 2008 et même vu son PIB baisser de près de 20 %. Mais le Gouvernement n’a pas cédé aux pressions bruxelloises puisque, pour en sortir, il a augmenté le salaire minimum, les retraites et les allocations familiales et diminué les impôts pesant sur les classes moyennes. Entre 2010 et aujourd’hui, il a diminué les dépenses publiques de 10 % et élevé l’âge de départ à la retraite, désormais à 66 ans. Le taux de chômage a chuté pour s’établir aux alentours de 7 % et la croissance est repartie à la hausse et ce depuis 2014.
Le maillon faible pourrait-il être l’Italie ?
Depuis le début de l’été, c’est la situation de l’Italie qui semble le plus préoccuper la Commission européenne. Avant d’examiner rapidement les deux événements clés qui ont occupé la une des journaux, il faut examiner la situation globale du pays.
Dans le dernier numéro d’Alternatives économiques, Guillaume Duval constate, avec une certaine complaisance, que loin d’être « le mauvais élève » de l’Europe, l’Italie a mené depuis plus d’un quart de siècle, « de strictes politiques d’austérité budgétaire. (…) Celles-ci ont même été plus sévères sur la durée que celles menées par les gouvernements allemands ». En fait, la politique de l’euro fort qui est favorable à l’industrie allemande a tué le commerce international italien qui n’était pas tiré par les mêmes produits. C’est pourquoi, « si les Italiens ont aujourd’hui un niveau insupportable de dette publique – 132 % du PIB – ce n’est donc pas à cause de leur laxisme budgétaire, mais parce que cette austérité permanente a freiné l’activité. (…) Du coup, la faiblesse de la croissance combinée à une inflation trop basse en Italie comme dans l’ensemble de la zone euro n’ont pas permis de faire reculer l’endettement malgré les excédents budgétaires primaires ».
Dans ce contexte, poussée par la Commission européenne, l’Italie a mis en œuvre une politique de privatisation des autoroutes. Le principal bénéficiaire des concessions a été le groupe Benetton, plus connu pour ses publicités scandaleuses que pour son souci du bien commun. Ce groupe, aux ambitions démesurées, est déjà propriétaire en France, par la société espagnole Abertis interposée, de la SANEF qui gère les autoroutes du Nord et de l’Est de la France. Après le drame de Gênes, le gouvernement italien a imaginé retirer la concession ou renationaliser « l’autoroute des fleurs », mais le coût d’une telle opération a été estimé à plus de 15 milliards d’euros, rien que pour compenser « le manque à gagner » du groupe Benetton. On comprend que celui-ci ait pu proposer d’indemniser les familles des victimes à hauteur de 500 millions d’euros !
Reste le dernier problème sur lequel on attaque aujourd’hui les « populistes » qui sont actuellement au gouvernement : celui de l’immigration. Indépendamment du fait que les autres pays européens qui sont toujours prêts à prêcher une leçon d’humanité, sont beaucoup moins prompts à partager le fardeau, l’Italie a déjà une situation économique préoccupante qui rend difficile l’accueil de nouvelles populations. De plus, la Commission européenne oublie que, depuis de nombreuses années déjà, l’Italie est confrontée à un problème d’émigration, de nombreux jeunes Italiens étant partis chercher fortune ailleurs. Dès lors ceux qui restent ont peur d’être envahis par des populations qui n’ont pas toutes, loin s’en faut, l’intention de s’intégrer. D’un point de vue politique, la situation est d’autant plus difficile que les populations qui enrichissent ainsi les passeurs, ne sont pas acceptées par des pays plus riches et dont la civilisation est plus proche.
Ces quelques exemples montrent que, par son dogmatisme intransigeant, la Commission européenne, coupée des populations, détruit l’Europe et conduit les gouvernements à l’impasse d’une dette explosive dont on ne pourra sortir qu’en rendant à chacun son autonomie budgétaire et monétaire et en redonnant à chaque banque centrale un rôle adapté aux conditions financières internationales. ■