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Livres & Voyages • Un regard implacable sur l'Orient, préface de Péroncel-Hugoz à « Terres saintes et profanes » de Jean Raspail

L'image de la « Fuite en Égypte » est toujours actuelle chez les bédouins de Jordanie.

 

Par Jean-Pierre Péroncel-Hugoz

Notre confrère nous a signalé cette préface qu'il a écrite pour la réédition de Terres saintes et profanes, un très ancien ouvrage de Jean Raspail, afin que les lecteurs de Lafautearousseau aient le privilège de la lire. Mille mercis ! Ce texte est superbe, fourmille de remarques érudites et sages. A l'approche de Noël, cette pérégrination en Terre Sainte et alentours est comme un cadeau de fête.  LFAR   

 

enclave - Copie 6.jpgEn 1959, jeune moustachu déjà un peu entré dans la force de l'âge, Jean Raspail, écrivain itinérant et sportif, visita au rythme du cheval, en tout cas à l'allure civilisée des voyages d'antan, à la Montaigne, les quatre principales entités formant le Levant, cet Orient asiatique, proche de nous si ce n'est toujours par l'esprit, du moins par la géographie : Liban, Jordanie, Palestine, Israël.

Le récit issu de cet itinéraire d'apparence classique, destiné d'abord aux auditeurs de Connaissance du Monde, parut en 1960 sous le titre Terres saintes et profa­nes et fut bien accueilli, notamment parmi les amateurs de la « touche Raspail », à la fois virile et littéraire, touche qui avait commencé à se former autour de 1950, lors d’une expédition en canoë, assez risquée, de Québec à la Nouvelle-Orléans, bref 5 000 km aquatiques sur les traces oubliées des explorateurs français de l'Amérindie intérieure.

La décennie 1950 vit encore cette plume juvénile aller s'aguerrir un peu plus tout au long de la périlleuse liaison automobile Alaska-Patagonie, cette Terre-de-Feu où l'auteur ressusciterait plus tard la chevaleresque figure d'un Français du Périgord qui, vers 1850, voulut être roi des Araucans et des Patagons, pour les sauver d'un géno­cide ; puis Raspail se lança sur les vieilles pistes impériales des Incas, jusqu'au lac Titicaca, à 4 000 mètres d'alti­tude, avant d'aller passer un an, moins aventureusement, encore que..., au sein de la pudique société japonaise, vaincue par les Yanquis mais résistant sourdement, autour du Mikado, par miracle sauvegardé, à une dessé­chante américanisation.

Druzes contre maronites

C'est fort de ce joli bagage accumulé loin des sentiers faciles que Jean Raspail aborda ensuite, pour la première fois de sa vie, aux rivages levantins, une terre familière aux Français depuis les Croisades et alors fraîchement marquée par un débarquement états-unien venu, en 1958, pendant que la France était accaparée en Algérie, mettre un terme, hélas ! provisoire, aux tueries de chré­tiens par des musulmans sur les mêmes pentes bi-confessionnelles du Mont-Liban, où Napoléon III, en 1860, avait dépêché ses soldats pour y soustraire déjà aux poignards druzes les maronites survivants, nos alliés sans faille depuis le séjour in situ de Saint Louis. Et après, on nous dira que « l'Histoire ne se répète pas... »

D'emblée, en Terre sainte, au rocailleux pays natal de Jésus, Jean Raspail ne nous cache pas que, du moins à cette époque de sa vie, sa religion est « tiède », un adjectif qui va loin quand on sait le peu de bien que le Messie pensa des « tièdes », justement... Au moins, nous sommes prévenus : pas de lyrisme mystique mais du parler direct, parfois cru. Ainsi, parmi les Arabes palestiniens qui vivent en 1959 dans une Jérusalem alors d'obédience jordanienne, mais qui passera en 1967 sous une occupa­tion israélienne qui dure encore un demi-siècle plus tard, notre pèlerin laïque pressent « une foule qui nous hait », expression que le futur président Trump reprendra à sa façon en 2016 pour l'ensemble des musulmans face aux Occidentaux...

L'écrivain voyageur de 1959 n'en ménage pas pour autant ses propres coreligionnaires de diverses Églises qui, sans vergogne, se chamaillent, parfois violemment, sur le site même du Saint-Sépulcre, où Jean Raspail voue carrément aux gémonies les rapaces gardiens franciscains, qu'il va jusqu'à souhaiter voir remplacés par des « portil­lons automatiques », comme en disposait alors le métro parisien...

L'ombre de Benoist-Méchin

Dans le « petit désert qui entoure la mer Morte », en­tre Jérusalem et Amman, notre visiteur peu dévot re­trouve sa sérénité, étant subjugué par « ces sables bibliques où on se sent écrasé d'un poids qu'aucun désert au monde ne pourra jamais peser ». Un autre visiteur laïc de choc, Benoist-Méchin, avait éprouvé en ces lieux une similaire impression. Chez Raspail, c'est déjà presque, parfois, les évocations empreintes de mysticisme et de mystère dont il imprégnera ce qui sera plus tard sans doute son récit le plus profondément « religieux », L'Anneau du Pêcheur (1995), sur la succession clandestine supposée, poursui­vie jusqu'au XXe siècle, des papes d'Avignon...

À l'étape suivante, le Liban (dans la Syrie voisine, ap­partenant alors à l'agressive « République arabe unie » du dictateur égyptien Nasser, Raspail, après un essai, renon­ça à séjourner sous ce régime « xénophobe et franco­phobe », et il élimina donc Damas de son carnet de voyages), notre homme retrouve sa dent dure pour décrire « le caractère souple et fuyant du Libanais que tant d'occupations étrangères ont modelé ». La compas­sion qui reste au fond du cœur malgré tout chrétien du voyageur, refait son apparition dans la Qadicha, gorge profonde de la montagne où vécurent cachés pendant des siècles les chrétiens maronites persécutés par des musulmans.

Au palais des Mille et une nuits de Beïteddine, dans le massif du Chouf surplombant Beyrouth, l'architecture et l'art de vivre arabes touchent notre Occidental de pas­sage, « malgré les portraits de Nasser qui offensent les façades... » Raspail sait voir et faire voir. Au gigantesque temple antique de Baalbek, dans l'intérieur du Liban, il rappelle ce fait du XIXe siècle, occulté, et pour cause, par la suite, et qui consista en la destruction, heureusement inachevée, à coups d'explosifs de ce monument insigne, à l'initiative de « certains émirs arabes », par pure détestation de ces vestiges du paganisme, exactement comme, à notre époque, certains autres émirs ou chefs de bande mahométans détruisirent les Bouddhas de Banyan en Afghanistan ou les colonnades de Palmyre, en Syrie, redressées durant le Mandat français vers 1930... Bis repetita non placent..

Amman ci-devant Philadelphie

Même si Jean Raspail, arrivant au Royaume haché­mite de Jordanie, commence par poser que cet État « n'existe pas » (depuis lors, la fragile monarchie installée par les Anglais s'est imposée à son environnement géographique), c'est pourtant sur cette terre antique glorieuse (Amman s'appela d'abord Philadelphie), déchiquetée ensuite par l'Histoire, que notre auteur écrit ses pages sans doute les plus bienveillantes sur le Proche-Orient. Et cela, en partie grâce à l'accueil plus que courtois que lui réserve le « petit roi » local, Husseïn I", authentique gentilhomme arabe, descendant de Mahomet, frotté d’esprit militaire anglo-saxon (Glubb-Pacha, mythique clef britannique de l'héroïque Légion arabe n'est pas encore très loin), authentique protecteur de ses sujets chrétiens [1], et toujours amical également pour les Français.

Parmi les documents photographiques de l'ouvrage, il convient de mentionner les clichés dus à Madame Jean Raspail, qui accompagnait son époux durant ce périple oriental ; les portraits, par exemple de Sa Majesté hachémite, en uniforme ou en civil. La plupart des autres illustrations de l'ouvrage ont, après cinq ou six décen­nies, comme les textes, acquis également une valeur, une épaisseur historiques que, par définition, elles ne pou­vaient avoir lors de leur réalisation en 1959. Entre autres photos devenues de véritables documents, on citera les vertigineuses ravines conduisant au château croisé de Beaufort, au Liban sud ; les gros plans sur Capharnaüm ou Baalbek ; le champ des Trente-Deniers de Judas ; les villages des premiers colons israélites édifiés à la place des bourgs palestiniens détruits, etc.

Cet itinéraire raspailien se termine donc en Israël, en­core dans ses frontières de 1948, bientôt dilatées par les prises de guerre du conflit de Six-Jours, en 1967. Dans l'État hébreu, Raspail commence par noter que les Israé­liens sont « peu enclins à l'humour » (sauf sans doute à l’« humour juif» mais il est généralement à usage in­terne...), peut-être à cause de la précarité de leur cons­truction étatique qui « n'est qu'une tête de pont sur le rivage arabe ».

Constat qui rend notre impitoyable observateur un peu devin et lui fait prévoir « une prochaine et prévisible guerre israélo-arabe ». Une et même deux : la guerre de Six-Jours, en 1967 ; la guerre du Kippour (ou d'Octobre) en 1973.

Le dernier mot de Terres saintes et profanes sonne un peu comme un glas, car nous dit Jean Raspail, « il n'y a plus de place en ce monde pour une deuxième Terre promise ». Donc les conflits inutiles vont continuer, ce que la plupart des diplomates et militaires occidentaux savent, mais n'avoueraient à aucun prix, le « déni de réalité » étant devenu la conduite ordinaire de l'ex « Monde libre ». On est en somme déjà là dans le ton du Camp des Saints, livre à venir, en 1973, et où les anten­nes propres à l'écrivain atteindront le niveau d'une pro­phétie à l'échelle du Vieux Continent. Une Europe fatiguée, brocardée, s'autodénigrant et à tous égards incapable de se défendre, démographiquement et militai­rement, contre une vague migratoire sans cesse renouve­lée et rien moins que pacifique...

Il n'y a pas de contradiction d'un bout à l'autre de l'œuvre de Jean Raspail. Tout s'y relie, tout s'y tient.  

[1]  Cette heureuse et rare tradition au Proche-Orient perdure sous l'actuel roi Abdallah II de Jordanie, fils et successeur d'Hussein Ier, et elle contraste avec les persécutions dont les chrétiens restent victimes en Égypte, Irak, Syrie, etc.

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Terres saintes et profanes de Jean Raspail, préface de Jean-Pierre Péroncel-Hugoz, Via romana, 2017, 141 pages, 19 €

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