HISTOIRE • Vendée, 1815 : l’Ouest contre Napoléon, par Anne Bernet
Méconnu et oublié, le soulèvement de l’Ouest provoqué par le retour de Napoléon en mars 1815, revêt, lors des Cent Jours, une incontestable importance. Peut-être même a-t-il décidé de l’avenir de la France.
Ni l’annonce du débarquement de l’empereur à Golfe-Juan le 9 mars, ni celle du « vol triomphal de l’Aigle », ralliant sur son passage les troupes censées, selon Ney, « le ramener dans une cage de fer », pas davantage celle de son entrée le 20 mars dans Paris, déserté la veille par Louis XVIII, n’ont ému l’opinion, fût-ce dans l’Ouest. C’est qu’en Vendée, en Bretagne, dans le Maine et en Normandie, les Blancs ressassent avec amertume l’attitude du Roi au lendemain de sa Restauration, l’année précédente. Trop sûr de la fidélité des provinces blanches, il a gardé ses gracieusetés pour l’ennemi d’hier. Ce choix, censé favoriser l’oubli du passé et la réconciliation nationale, a paru intolérable ingratitude et réveillé parmi les combattants de « la grand’ guerre » le souvenir des « lâchages » des Princes qui promettaient toujours de venir et ne sont jamais venus…
Comment s’étonner si ces hommes, désormais quadragénaires pour les plus jeunes d’entre eux, ou leurs fils, n’ont eu ni l’idée ni l’envie, en ce printemps archi-pourri de 1815, de reprendre les armes afin de courir au secours d’une légitimité décevante ? Sauf exceptions…
Noblesse oblige : tandis que Louis XVIII et sa cour se replient vers Gand, certains ne peuvent se résigner à laisser l’Usurpateur se réinstaller aux Tuileries sans rien faire. C’est en toute légalité d’ailleurs que, dans un premier temps, ils agissent. Inconscient des déceptions des mois écoulés, le Roi, s’il met à l’abri son auguste personne, croit néanmoins possible de maintenir en France des poches de résistance royalistes propres à compliquer la tâche du pouvoir impérial. C’est ainsi que le duc d’Angoulême est parti pour Toulouse, son épouse pour Bordeaux, le duc de Bourbon pour Angers afin de lever les provinces fidèles. Mission impossible, ils ne tarderont pas à le comprendre. Ni le Languedoc ni l’Aquitaine ne bougent, au désespoir de la princesse, « le seul homme de sa famille » comme dit, injustement, Napoléon.
Pas de soulèvement massif
Quant à l’Ouest… Le duc de Bourbon s’attendait à un soulèvement massif, à l’arrivée de milliers de volontaires enthousiastes, cocardes blanches au chapeau. Or, ils ne sont que quelques milliers, mal ou peu armés, voire pas armés du tout, à converger, fin mars, vers les points de rassemblement. Seuls les officiers sont au rendez-vous. Anciens des premières guerres de Vendée et des chouanneries, tels d’Autichamp, Suzannet, Sapinaud de La Rairie au Sud de la Loire, d’Andigné, Sol de Grisolles, Carfort au Nord ; ou néophytes mais porteurs d’un patronyme qui interdit toute dérobade, à l’instar de Louis et Auguste de La Rochejaquelein, frères cadets d’Henri, le très jeune généralissime de 1793, Ludovic de Charette, neveu du « roi de Vendée », Joseph et Louis Cadoudal, cadets de Georges, ou Julien Guillemot, fils du défunt « roi de Bignan », ils se doivent d’être de la partie.
D’emblée, elle s’engage mal. Le 31 mars, rebuté à la perspective de prendre le maquis et d’aller chouanner sur la lande, le duc de Bourbon négocie avec les autorités son départ et s’embarque vers l’Espagne, abandonnant à leur sort des hommes désormais trop compromis pour rien attendre de l’empereur.
La haine de Napoléon
Napoléon, en effet, déteste les insurgés de l’Ouest. Un temps, il a flatté « les géants de Vendée », car le péril, de ce côté-là, alors n’existait plus. Si les Vendéens s’avisent de bouger, ils seront aussi maltraités par l’empereur que les chouans, coupables d’avoir résisté beaucoup plus longtemps à ses offres pacificatrices et qui le payèrent au prix fort. Aux yeux de Napoléon, quiconque conteste son génie et les droits qu’il lui donne à gouverner le monde, est un brigand qu’il faut exterminer. Après les chouans, Italiens, Tyroliens et Espagnols en ont fait la cruelle expérience… Quand il s’agit d’éradiquer les résistances, l’empereur emploie les méthodes du Comité de salut public jadis. Quoiqu’ils le sachent, les officiers royalistes ne reculent pas ; mais que peuvent-ils, sans hommes et sans armes ?
Les hommes, Napoléon va les leur fournir. Le 10 avril 1815, il rétablit la conscription. En 93, plus que la mort du Roi et la persécution religieuse, la levée en masse provoqua le soulèvement de l’Ouest. Il fallut, lors de la pacification, en exempter les départements insurgés, exemption vite supprimée tant « l’Ogre » réclamait de soldats. La France, l’an passé, a applaudi sa chute d’abord pour mettre fin à cette boucherie. Et voilà qu’à peine Napoléon revenu, cela recommence ! Le prétexte est suffisant pour lever au moins en partie les campagnes de l’Ouest. En partie seulement. Lors de la prise d’armes, fixée en Vendée au 11 mai, les volontaires se comptent 25 000 ; à peu près autant sur l’autre rive de la Loire. Ce n’est pas assez mais vouloir faire lever les paysans en pleins travaux de printemps est une gageure. Au demeurant, les armes manquent ; Louis de La Rochejaquelein, autoproclamé généralissime, est parti en réclamer aux Anglais ; elles seront livrées le 15 à Croix-de-Vie. Après, on marchera sur Paris ! C’est en tout cas le plan de ces Messieurs, qui ne doutent de rien. En fait, cela ne va pas se passer si bien.
Le 22 mai, le général Lamarque arrive à Angers, flanqué de Travot, l’homme qui, en 1796, prit Charette, son unique titre de gloire. Ils ont ordre d’être impitoyables, ce qui déplaît à Lamarque, peu assuré de l’avenir du régime impérial et peu fait pour les guerres civiles. Son but est d’empêcher la jonction des Vendéens et des Chouans, en tenant les deux rives de la Loire, pas de massacrer à tout va. Mais la guerre, même aux dimensions d’un département, s’avère meurtrière : 30 tués côté impériaux à Saint-Pierre des Échaubrognes ; beaucoup plus, le 20 mai, côté Blanc, à Aizenay où tombe Ludovic de Charette, une, petite, défaite qui suffit à démobiliser les royalistes. Ce sera pire lorsque, le 4 juin, Louis de La Rochejaquelein est tué au pont des Mathes alors qu’il gagnait la côte afin d’y réceptionner des armes. Le 17, Suzannet tombe à La Rocheservière, nouvel échec suivi du massacre systématique, sur décision de Travot, des prisonniers blancs. La Vendée, privée de ses chefs emblématiques, dans l’ignorance des succès, et des revers, des Bretons à Auray, Redon ou la Roche-Bernard va-t-elle capituler ?
la « pacification de Cholet »
Peut-être y penserait-elle si, le 25 juin, avec une semaine de retard, la nouvelle de Waterloo, le 18, et de la seconde abdication de Napoléon, le 22, n’atteignait enfin l’Ouest, jetant la confusion dans les deux partis. Et si Lamarque, conscient d’avoir perdu toute légitimité, très inquiet de l’avance des troupes alliées, surtout des Prussiens, vers l’Ouest, n’avait la sagesse de signer la « pacification de Cholet » le 28. Auguste de La Rochejaquelein et ses amis en profitent pour lui affirmer qu’ils combattront, le cas échéant, à ses côtés afin d’interdire l’accès de leurs provinces à l’ennemi. La menace est prise au sérieux par le haut commandement ennemi qui croit encore avoir affaire aux hommes de 93 ; renonçant à pénétrer en Vendée et en Bretagne, il se détourne vers Caen. Cela lui coupe aussi toute envie de réclamer, comme il en avait l’intention, le rattachement de la Bourgogne aux États germaniques.
En attendant, pacification signée ou pas, au Nord de la Loire, les chouans ne désarment pas. Ils resteront prêts à se battre, et se battront, parfois, et se feront tuer, devant Vannes ou Laval, jusqu’à la fin juillet 1815, en dépit du retour de Louis XVIII, revenu à Paris le 8 juillet. Obstination ? Non, prudence. Ils ne cesseront le combat qu’une fois assurés de la Restauration des Bourbons et tout risque écarté de voir Napoléon II sur le trône.
La victoire ne les rendra pas vindicatifs. Aucune poursuite ne sera engagée à l’encontre des Bleus, hormis Travot, condamné à mort, puis gracié, à cause du massacre des prisonniers de La Rocheservière, enfermé au fort du Ham où il deviendra fou.
L’historiographie républicaine et bonapartiste sera moins généreuse. Elle imputera à l’insurrection de l’Ouest l’absence à Waterloo des 50 000 hommes de Lamarque dont la présence aurait, peut-être, changé la face du monde. Nous l’avons échappé belle ! •
Anne Bernet, Politique magazine