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Le feuilleton de la cession de SFR, par François Reloujac*

Le feuilleton de la cession de SFR par son actionnaire principal, le groupe Vivendi, illustre jusqu’à la caricature le système économique actuel. Dans notre régime de marché libre, la logique industrielle a cédé la place à la spéculation financière. Et les hommes politiques interviennent pour essayer de se faire un peu de publicité – surtout en période électorale. 

Tout le monde parle des « offres » faites par les deux candidats acquéreurs, mais personne ne s’intéresse réellement aux motifs qui les ont conduit à présenter chacun une offre. Et, d’ailleurs, à la relever plusieurs fois. De fait, SFR est l’objet, non d’une offre de reprise, mais d’un marchandage public. 

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Quel intérêt Vivendi a-t-il de vendre SFR ? Officiellement, de se désendetter. Car la multinationale a, comme toutes les autres, essentiellement grossi en ayant recours à « l’effet de levier », c’est-à-dire en obtenant des crédits accordés par les banques, non pour la qualité des projets industriels et leur utilité économique, mais pour leur capacité à générer une plus-value financière.

Vivendi ajoute, à juste titre, que les télécommunications ne font pas partie de son cœur de métier sur lequel le groupe souhaite se recentrer… ce qui laisse penser que la question posée ci-dessus n’est pas la bonne. Du coup, ne serait-elle pas plutôt : pourquoi le gouvernement avait-il choisi cet opérateur pour lui accorder une licence de développement et d’exploitation d’un réseau de téléphonie mobile ?

à l’époque – mais c’était sous le gouvernement précédent – on expliquait qu’il fallait quatre opérateurs pour se partager le marché. à trois, disaient certains économistes, les membres de cet oligopole s’entendent et ne se concurrencent pas sur les prix. Et de citer en exemple le cas de l’Autriche.

 

Quid de la « synergie » ?

Le ministre du Redressement productif ne partage pas ce point de vue, lui qui qualifie l’octroi de la quatrième licence à Free d’« erreur ». Mais il se garde bien de dire pourquoi. Est-ce parce qu’il est acquis à la cause du candidat – actuellement – malheureux ? Le projet de Bouygues aurait, en effet, pour conséquence de réduire le nombre d’opérateurs à trois. Si, toutefois, l’Autorité de la concurrence l’accepte ! Une chose est sûre : les arguments avancés par Arnaud Montebourg sont discutables. Le ministre explique ainsi que le projet Bouygues serait plus protecteur en matière d’emploi. Mais la « synergie », que l’on présente comme essentielle entre les deux futurs mariés, passe par la suppression de nombreux doublons, notamment en matière de réseau commercial. Or, entre Numéricable et SFR, ces doublons n’existent pratiquement pas !

Que cherche réellement Bouygues dans cette opération pour laquelle il a renchéri à deux reprises ? Bouygues Telecom est l’opérateur qui a le plus souffert de l’arrivée de Free sur le marché de la téléphonie mobile. Perdant des parts de marché, il a riposté par une baisse des prix qui l’a conduit à une position économique délicate. La maison-mère qui, en dehors de ce dossier, se recentre elle aussi sur son « cœur de métier » (le BTP), semble vouloir surtout éviter de perdre de l’argent dans le secteur. Si SFR lui échappe, expliquent certains économistes, son avenir est incertain car il risque de devenir la proie de Free, son ennemi intime. On comprend dès lors que Bouygues préfère se couper un bras en lui vendant son réseau d’antennes et certaines fréquences plutôt que de se faire purement et simplement racheter. Si ce motif est vrai, quel sera l’avenir du nouveau groupe ? Et quelle est la raison qui a poussé François Pinault, JCDecaux et la Caisse des Dépôts et Consignations à aider Bouygues ? Est-ce un objectif de développement industriel ou un simple espoir de plus-value financière à court terme grâce à la revente rapide des actions du nouveau groupe sur le marché des actions ?

Quel est l’intérêt de Numéricable dans l’affaire ? La téléphonie mobile n’est pas son « cœur de métier » et la « synergie » entre les deux métiers n’est pas plus importante qu’entre un fabricant de voitures automobiles et un manufacturier de pneus. Pour acquérir une entreprise dont il ne connaît pas le métier, Numéricable doit s’endetter proportionnellement beaucoup plus que Vivendi ne l’est du fait de la filiale en vente. Le nouveau groupe voit déjà ses résultats futurs fortement obérés par la charge que représenteront les emprunts nécessaires. Alors ? Là aussi, on peut se demander si la logique n’est pas purement financière. Puisqu’a été annoncée l’intention d’une mise rapide sur le marché des titres du nouvel ensemble, ne s’agit-il pas simplement d’une perspective de plus-value à court terme ? Le fait que la maison-mère de Numéricable ait son siège social au Luxembourg, soit cotée aux Pays-Bas et que son principal dirigeant soit résident suisse et ancien employé d’une grosse entreprise américaine, importante dans le secteur, ne pourrait-il pas faciliter une telle opération financière ?

 

Aucune certitude

Une autre question mérite encore d’être posée. Quelle est la valeur de SFR ? On lisait, dans Les Echos du 17 mars, que l’offre de Numéricable donnait à SFR une valorisation « proche de 15 milliards d’euros avant synergies et 19 milliards après ». Indépendamment du fait que l’on voit mal quelles sont les synergies entre les deux groupes – autres que celles qui pourraient résulter d’un « loto » boursier – cela n’est pas cohérent avec les informations données par ailleurs. Ainsi, la deuxième offre de Bouygues s’élevait à 11,3 milliards d’euros, plus 43 % d’actions du nouveau groupe, alors que la troisième proposait 13,2 milliards, plus 21,5 % d’actions du nouveau groupe. Il résulte de cette information que le nouvel ensemble Bouygues Telecom/SFR serait valorisé à 8,8 milliards d’euros ! Il semble bizarre que la « synergie » annoncée débouche sur une « destruction de valeur », comme disent les spécialistes de la finance. Sauf à considérer que l’opération soit beaucoup plus risquée qu’on ne veut bien le dire et, qu’en réalité, derrière toutes ces annonces, toutes les analyses d’économistes en mal de reconnaissance et toutes les prises de position des politiques qui cherchent avant tout à faire parler d’eux, il ne faudrait pas discerner une simple opération de spéculation financière.

Si la question mérite d’être posée cela signifie que les arguments relatifs aux craintes sur le niveau de l’emploi, sur l’évolution des prix sur le marché de la téléphonie mobile et sur le développement du « plan câble » du Gouvernement doivent être regardés avec beaucoup de prudence. La seule certitude que le grand public puisse avoir dans cette affaire est qu’il n’a aucun moyen de véritablement connaître les intentions réelles des divers héros de ce feuilleton et qu’il a peu de chances d’en connaître l’issue avant d’en arriver au dernier chapitre.

* Analyse économique parue dans le numéro 128 ( avril) de Politique magazine

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