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  • Coralie Delaume, à FIGAROVOX : Et si les Grecs préparaient leur sortie de l'Euro avec l'aide de... Poutine ?

    Crédits photo : YVES HERMAN/REUTERS

    Diverses informations intéressantes, des réflexions originales et des hypothèses - rien que des hypothèses - sont la trame de cet entretien. Un net penchant pro-grec y est sous-jacent, apparemment sans trop d'égard pour les contribuables français et européens qui n'ont pas forcément envie ni intérêt à payer la dette imprudemment contractée par la Grèce. Sortira-elle de l'Euro ? Les Français s'obstinent à disserter - et à s'opposer - sur la sortie de la France de la monnaie unique. Mais est-ce là la vraie question ? Il n'est pas du tout certain que nous ayons à prendre cette initiative. Et pas du tout impossible que le « détricotage » de l'Euro par tout autres que nous ne soit d'ores et déjà en vue. Peut-être même avant 2017. Ce qui, soit dit en passant, arrangerait bien les affaires de Marine Le Pen. On sait que les projets de sortie de la dite monnaie effraie une partie de son électorat et, bien-sûr, choque les modérés de tous types. Attendons la suite.  Lafautearousseau    

     

    picture-2540921-61yhv5dr.jpgLe 9 avril, l'État grec devra débourser 458 millions d'euros au FMI. Le 8 avril Alexis Tsipras rencontrera Vladimir Poutine. Coralie Delaume y voit le début d'un bouleversement économique et géopolitique majeur. Coralie Delaume est journaliste. Elle a notamment publié « Europe. Les Etats désunis » (Michalon, 2014). Découvrez ses chroniques sur son blog.


    PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE DEVECHIO @AlexDevecchio


    Difficile d'y voir clair dans les tractations entre la Grèce et le reste de l'Europe. Que se passe-t-il exactement? Alexis Tsipras a-t-il capitulé ou est-il au contraire en train de retourner la situation?

    Coralie Delaume: Je ne peux pas encore vous dire s'il a retourné la situation. Mais il n'a pas capitulé. Et tout semble indiquer qu'il ne le fera pas, à la grande déception, sans doute, de ceux qui espéraient le voir rapidement «dégrisé par les réalités du pouvoir».

    Cette semaine, la Grèce devait une fois de plus envoyer une liste de réformes à ses «partenaires» européens, pour examen par le «groupe de Bruxelles», le nouveau nom donné à l'ex-Troïka. Un accord sur lesdites réformes devait permettre au pays d'obtenir une aide supplémentaire de 7,2 milliards d'euros. Mais l'accord n'a pas eu lieu. Le gouvernement grec a certes fait des concessions. On a beaucoup parlé, par exemple, de la reprise de la privatisation du port du Pirée au profit de la société de fret maritime chinoise Cosco. Et on l'a évidemment présenté comme le signe avant-coureur d'une reddition grecque.

    Mais ce n'est pas si simple. En fait, Athènes a envoyé par ce biais un signal amical à la Chine, à la suite de quoi Pékin s'est empressé de racheter 100 M€ de bons à court terme (T-Bills) grecs. Or il faut savoir que la Banque centrale européenne, qui joue dans ces négociations un rôle extrêmement trouble, avait demandé quelques jours auparavant aux banques commerciales hellènes de ne plus acheter de bons du Trésor du pays ). Il était donc urgent qu'Athènes trouve une solution substitutive pour se maintenir à flot!

    Toujours est-il que la situation semble bloquée entre la Grèce et ses créanciers, avec deux points d'achoppement principaux. Les Grecs ne veulent ni d'une réforme des retraites, ni d'une nouvelle entreprise de libéralisation du marché du travail. Pour l'instant, seuls contre tous - il faut noter qu'aucun pays de l'Union européenne ne leur apporte le moindre soutien, pas même ceux gouvernés «à gauche» - ils tiennent bon là dessus, avec un courage qui force le respect.

    A la date cruciale du 9 avril, l'État grec devra débourser 458 millions d'euros au FMI. Le 8 avril Alexis Tsipras rencontre Vladimir Poutine, hasard ou coïncidence?

    Si la Grèce est tentée, faute d'alliés en Europe, de se tourner vers la Chine, elle doit l'être d'autant plus de jouer la carte russe. Car les liens entre les deux pays sont anciens, chose qu'a récemment rappelée Alexis Tsipras. Interrogé par la presse russe et faisant référence au nazisme, il a affirmé «qu'un rapprochement entre les deux pays (...) trouve ses racines dans les relations fraternelles que (les) deux peuples ont fondées, parce qu'ils ont mené un combat commun, à un moment critique de l'histoire».

    Donc les relations s'intensifient. Cette semaine par exemple, le ministre de l'énergie grec Panagiotis Lafazanis était à Moscou. Le but était de discuter avec les Russes de la question gazière, notamment du tracé du futur pipeline «Turkish stream». On se souvient qu'entre autres âneries lourdes de conséquences, «les Européens» se sont crus malins en infligeant des sanctions à la Russie au sujet l'Ukraine. A titre de représailles, Poutine a annulé le projet de gazoduc South stream, puis s'est rapproché de la Turquie pour mettre en route un projet alternatif, Turkish stream. Nécessairement, ne serait-ce que pour des raisons géographiques, la Grèce sera de la partie.

    Autre sujet de rapprochement possible: l'armement. Sur ce point et selon la presse grecque , le ministre de la Défense Panos Kammenos semble courir deux lièvres à la fois. Il discute avec les États-Unis et avec la Russie - où il devrait se rendre bientôt - toujours pour la même raison: trouver des partenaires substitutifs à ceux, défaillants, de l'Union européenne. En effet, alors que le nouveau gouvernement hellène est en train de rouvrir quelques vieux dossiers et que plusieurs scandales de corruption impliquant des entreprises allemandes en Grèce font surface, il semble logique qu'Athènes cherche à diversifier quelque peu ses fournisseurs...

    Les raisons d'un rapprochement Grèce-Russie sont donc nombreuses, et résultent directement de la manière inamicale dont «les Européens» traitent chacun de ces deux pays. Quant à dire qu'il y a un lien entre la visite de Tsipras à Moscou le 8 avril et le remboursement dû au FMI le 9.... je ne sais pas. En tout cas, The Telegraph note que la Grèce n'a pas les moyens de faire face à toutes ses obligations. Elle ne peut vraisemblablement pas payer les traitement de ses fonctionnaires tout en remboursant le Fonds. Et le journal britannique rend compte de cette déclaration d'un officiel grec: «nous sommes un gouvernement de gauche. Si nous devons choisir entre faire défaut au FMI et faire défaut à notre propre peuple, il n'y aura pas d'hésitation».

    Un Grexit est donc de nouveau une hypothèse crédible?

    Plus que jamais. En essayant tout ce qui semblait possible d'essayer sans se renier, Tsipras a montré à la population grecque à quelle point l'Union européenne est dogmatique et déraisonnable. Il a ainsi œuvré à préparer les esprits. Même si la sortie de l'euro ne figurait pas dans le programme électoral de Syriza et même si les Grecs n'y sont pas majoritairement favorables, ils doivent être en train de s'apercevoir à cette heure qu'ils n'ont le choix qu'entre le Grexit et la capitulation. Or le refus d'être davantage humiliés par l'UE a beaucoup joué dans la victoire électorale de la gauche radicale....

    En outre, on prépare également les esprits dans le reste de l'Europe. Il y a déjà plusieurs jours, le très informé journaliste Jean Quatremer annonçait sur son compte Twitter la mise en place d'un contrôle des capitaux en Grèce pour une date située aux alentours du 10 avril. On y arrive...

    De même, un site grec, To Pontiki, relayait il y a quelques jours l'information selon laquelle des responsables européens planchaient sur l'introduction en Grèce d'une «double monnaie» . Autrement dit, à défaut de pouvoir émettre des euros, le pays pourrait se mettre à imprimer des reconnaissances de dette ou «IoU» («I owe you» ) pour faire face à ses échéances internes, payer les traitements, payer les retraites. Une partie du chemin serait alors faite: la Grèce aurait un pied dehors.

    Ce Grexit se doublerait donc d'un rapprochement avec la Russie. Quelles pourraient être les conséquences sur le plan géopolitique pour l'Europe?

    Les conséquences géopolitiques: voilà bien une chose à laquelle personne ne s'intéresse! Tout le monde semble convaincu que la géopolitique - voire la politique tout court - est un résidu du XIX° siècle, et que nous serions désormais à l'ère de l'économie et de comptabilité. Les ratios d'endettement, les taux de déficits public semblent les seules choses dont se préoccupe cette Europe, devenue un trou noir politique!

    Mais il se pourrait qu'on assiste à d'étonnantes recompositions. On a parlé de l'intensification des discussions russo-grecques, du rapprochement russo-turc autour du projet Turkish stream, mais il faut aussi se rappeler que la Russie est traditionnellement liée à Chypre. Or il est probable qu'aucun de ces deux pays n'ait goûté la manière dont Chypre a été «sauvée» en 2013. L'Europe, on s'en souvient, avait alors décidé de faire payer les déposants de plus de 100 000 €, parmi lesquels nombre de Russes. Cela se fit via la mise en place d'un contrôle des capitaux dans l'île, afin que ces déposants ne puissent rapatrier leurs fonds. Aujourd'hui, les deux pays amorcent une petite revanche: Poutine et Nicos Anastasiades ont signé au mois de mars un accord relatif à la possibilité pour la marine russe d'utiliser les ports de Chypre.

    Bref, l'Union monétaire européenne s'effiloche chaque jour davantage. Hébétés, «les Européens» ne comprennent plus ce qui leur arrive. Du coup, eux qui n'attendaient la Russie qu'en Ukraine la laissent tranquillement s'installer en Méditerranée. Économiquement, politiquement, cette Union européenne est un «fiasco sphérique»: quel que soit l'angle sous lequel on la regarde, on constate l'uniformité parfaite du désastre. 

  • DESSINE-MOI UN ROI…. par François Marcilhac*

     

    500021990.jpgLa question institutionnelle, en ces périodes de remise en cause sociale et culturelle, voire identitaire de notre nation, pourrait paraître inactuelle, surtout s’il s’agit de proposer rien moins que le recours, d’aucuns diraient le retour, à une forme politique qui semble appartenir de manière irrémédiable au passé de notre pays.

     

    D’autant que ce passé, le volontarisme politique actuel cherche à l’éloigner de nous et de nos enfants à une vitesse plus rapide que celle de l’écoulement paisible des siècles, dont le tort, aux yeux de nos idéologues, est de permettre au passé de devenir héritage. La volonté de nos actuels dirigeants de couper définitivement le peuple français de son histoire et de dissoudre la civilisation française elle-même n’a d’autre objet que d’absorber ce même peuple dans un trou noir : par définition le grand effacement rendra sans objet la question de l’insécurité culturelle. Et, par la même occasion, celle du politique, c’est-à-dire du gouvernement des hommes. La gouvernance suffit à la gestion des choses.

    La révolution française avait été une tentative, qui a échoué, de créer un peuple nouveau. La révolution russe en avait été une seconde, qui a elle aussi échoué. Dans les deux cas, les révolutionnaires ou leur héritiers ont, comme une leçon du vice à la vertu, fini par recourir au passé honni, nié, aboli, pour ressouder le peuple. Michelet a créé le roman national en y intégrant son passé monarchique, y compris la figure de Jeanne, même si ce fut pour la réinterpréter, en vue de participer à la construction d’un « peuple républicain » qui ne fût pas totalement hors sol ; Staline, face à l’envahisseur allemand, invoque les mânes de Pierre le Grand et soulage, momentanément, l’église orthodoxe du joug criminel sous lequel il l’avait placée. La question des institutions est comprise dans celle de l’unité d’un peuple.

    Nos dirigeants actuels sont malheureusement des révolutionnaires plus radicaux encore que leurs grands ancêtres. Il ne s’agit plus pour eux de créer un peuple nouveau, mais de dissoudre la notion même de peuple, et plus encore de « peuple français », qu’ils ont abandonnée pour celle, apparemment neutre, de « société ». Quant aux « valeurs républicaines » et à la République comme concept autoréférent — la République, pour nos hommes politiques, n’est plus française, elle EST, tout simplement — elles constituent les éléments de langage de cette substitution ontologique. Il s’agit désormais de « faire société commune dans une société diverse », selon le titre d’un rapport fameux, commandé en 2013 par le gouvernement, puisque, tout aussi bien, « c’est au nom des valeurs fondatrices d’une République effective qu’il faut une reconnaissance franche du pluralisme de la société française et d’une république de la diversité », que « le sens de l’intégration nationale a changé et que le lien social relève moins aujourd’hui d’une mise en forme et en conformité à des normes institutionnelles que de l’inventivité des acteurs sociaux, leur capacité à transformer la société française ». D’ailleurs, la France « est déjà un pays pluriethnique et pluriculturel ; elle le sera de plus en plus à l’avenir, et un pluralisme harmonieux reste à construire ». Pathétique logorrhée ! Si ce texte fut écrit quatorze mois avant l’« inventivité » dont firent preuve en janvier 2015 les frères Kouachy et Coulibaly, il le fut en revanche quelques mois à peine après les crimes inventifs de Mehra qui visaient, déjà, des militaires et des juifs. Comment plaider la naïveté ? « “Faire France” pour défaire la France », condamnait alors sans appel le comte de Paris [1].

    Pourquoi y revenir ? Parce que les nouveaux programmes scolaires, qui rendent notamment obligatoire en 5e l’enseignement de l’islam, aux dépens explicites du christianisme et de la chrétienté, sont une étape dans la réalisation par nos élites de cette déconstruction méthodique du peuple français par la voie du déracinement. Il en est de même de la relégation de l’enseignement du latin et du grec, désormais intitulé « Langues et culture de l’antiquité », dans ce nouveau machin pédagogiste que sont les Enseignements pratiques interdisciplinaires : là encore, s’exprime la volonté de couper les Français de leurs racines. Il est vrai que si la gauche n’a jamais aimé l’enseignement des humanités, la droite l’a puissamment aidée à l’éradiquer de notre système scolaire depuis plusieurs décennies. Déjà le 27 septembre 1922, le député royaliste Léon Daudet, qui les défendait contre le « moderniste » Herriot, déclarait : «  Il y a de l’or dans les enfants du peuple. Cet or, il faut l’amener à la surface », allant jusqu’à réclamer un enseignement général des bases du latin dès le primaire pour leur valeur formatrice. Quant à l’enseignement du français, le SNALC parle de « boucherie ». Mais la gauche, par son goût de la médiocrité qu’elle a toujours confondu avec la « démocratisation », n’a jamais souhaité un peuple trop instruit. S’il se mettait à ne plus voter pour elle...

    Ce qu’il a déjà commencé à faire. Voilà pourquoi elle souhaite en changer. Voilà pourquoi le peuple français vit à l’heure actuelle sa métamorphose ou plutôt sa défiguration en « république de la diversité ». Parler de peuple français est devenu pire qu’une incongruité : c’est une Marianne marquée au fer rouge sur le front des malpensants. Alors que l’unité historique — je ne dis pas ethnique — d’un peuple autour de son héritage est évidemment la condition sine qua non de son existence comme nation, les Français sont poussés vers leur effacement en tant que peuple. La question se situe non plus au plan des divisions politiques comme par le passé mais au plan existentiel. Ses élites cherchent à dissoudre les Français comme peuple pour le faire émerger comme « société commune dans une société diverse  ».

    Hier encore, l’Action française pouvait poser la question en termes strictement institutionnels : instabilité gouvernementale, centralisation politicienne, captation oligarchique des pouvoirs, non-représentativité du pays réel dans un système parlementaire partisan. Nous n’en sommes plus là, d’où la nécessité de notre colloque apparemment inactuel du 9 mai 2015 : oui, face à la victoire toujours plus éventuelle du « pire des pires », évoquée par Maurras à la fin de sa vie, il nous faut dessiner un Roi, à savoir l’image de l’espérance, contre l’entreprise de déracinement du peuple français par le double recours à une laïcité hostile à sa source spirituelle qu’est le christianisme et à un multiculturalisme aussi artificiel que programmé — la dernière réforme du collège ne faisant que mettre en application les préconisations du rapport de 2013.

    Nous devons, grâce à la figure royale, affirmer l’essence à la fois du peuple français et du souci politique. Comme le souligne le Prince Jean : « Le souci d’un prince français est de s’associer à tous ses compatriotes et de les rassembler dans une même affection. C’est aussi en restant fidèle à ses racines que le peuple français pourra relever les défis du futur. » [2]

    Face à la désagrégation de la France en « république de la diversité », réaffirmer que seul le Roi peut aujourd’hui faire peuple, c’est envoyer à nos compatriotes le message à la fois le plus prometteur et le plus subversif qui soit. 

    * François Marcilhac - L’AF 2908

    [1] Le Figaro du 18 décembre 2013 [2] Un Prince français, Pygmalion, 2009.

  • Sarkosix contre Sarkosus : n'oublions pas « nos ancêtres les Romains »

    Capture d'écran du film « Astérix et Obélix au service de Sa Majesté »

     

    Par David Brunat  

    En invoquant « nos ancêtres les Gaulois », Nicolas Sarkozy a semé le trouble voire déclenché la foudre des historiens. David Brunat considère au contraire [Figarovox du 26.09] que l'ancien président de la République est - comme nous tous - un Romain qui s'ignore. Nous ne lui donnerons pas tort de dénoncer ainsi les simplifications et la démagogie inhérents à la démocratie à la française. Ni de rappeler nos racines latines. Nous trouvons seulement qu'il verse un peu trop dans l'excès inverse : notre fond gaulois est aussi une réalité qu'il n'est pas bon d'occulter. Même « le grand Bainville » - l'expression est d'Eric Zemmour - le note dans son Histoire de France : « Les Français n'ont jamais renié l'alouette gauloise et le soulèvement national dont Vercingétorix fut l'âme nous donne encore de la fierté. » Dans un contexte où nous, Français - avons tant besoin de retrouver les motifs de notre fierté, n'en écartons aucun, n'oublions pas celui-là. Fût-ce pour les besoins d'une tribune au demeurant excellente et fort utile.  Lafautearousseau

     

    david-brunat.jpgPar Toutatis ! Que les dieux de Vercingétorix et de Diviciacos (druide gaulois tenu en haute estime par Cicéron et par César en personne) me gardent d'emboucher à mon tour la trompette de la controverse enflammée née des propos incendiaires de l'ancien président de la République sur « nos ancêtres les Gaulois » et autres aïeux tutélaires et symboliques.

    Piètre historien mais virtuose de la manœuvre électorale et tribunitienne, Nicolas Sarkozy savait ce qu'il disait, ou plutôt savait pourquoi il le disait, lorsqu'il a vanté les origines gauloises communes et idéales des fils et filles de France. Le « roman national » autorise bien des libertés avec la vérité historique - c'est d'ailleurs le propre du roman d'avoir le droit d'inventer, de broder, de fantasmer.

    Les historiens ont poussé les hauts cris. Ils étaient dans leur rôle. Sur le plan historique, Sarkosix a dit des âneries, mais avec l'excuse que ces âneries - asinus asinum fricat - furent propagées au XIXe par les pères barbus et cultivés de la IIIe République. Les historiens sérieux savent en effet que les Gaulois du début de l'ère chrétienne, disons deux générations après Vercingétorix, se sentaient romains. Qu'ils étaient romains. Que cette image d'Epinal de Gaulois farouchement épris de liberté, résistant à l'impérialisme de Rome, grands, vaillants, blonds, musclés comme Conan le Barbare, patriotes échevelés et même un poil nationalistes, est justement une image d'Epinal, un mythe forgé de toutes pièces entre 1870 et 1914 pour des raisons de propagande et pour faire bisquer Bismarck et le nouveau Reich, afin de contrer idéologiquement cette Allemagne nouvellement unie et assimilée aux envahisseurs romains, brutaux, impérialistes, impitoyables.

    Il fallait alors de toute urgence s'inventer un passé de résistance, d'indépendance, de liberté originelle. Il fallait faire corps et faire nation, alors même que Vercingétorix lui-même n'a jamais rêvé d'une quelconque « nation gauloise » et que, très vite, la culture celte disparut complètement, absorbée par une romanité hégémonique et du reste parfaitement acceptée par les élites gauloises, qui servirent dans les armées romaines et envoyèrent leurs fils étudier à Rome.

    Je voudrais juste profiter de ces propos de tribune électorale - propos populaires et plébéiens au sens premier et latin - pour rappeler à quel point notre héritage commun - héritage non biologique, non génétique, mais culturel, symbolique, politique et social - est profondément romain.

    Comme tous ses compatriotes, Sarkosix s'exprime dans une langue qui dérive directement du latin. Les mots français d'origine gauloise sont rares (truite, ruche, javelot, chamois …), y compris ceux qui illustrent « l'esprit gaulois », à commencer par le précieux et polysémique « con » (utilisé par ex. dans la locution : « Casse-toi, pauvre con »), qui vient tout droit du latin cunnus.

    La carrière qu'a embrassée Sarkosix parallèlement à ses mandats politiques, celle d'avocat (advocatus), doit beaucoup aux Latins et à leur système juridique, et presque rien aux anciens Gaulois.

    Surdoué du cursus honorum politique, Nicolaus fut longtemps le premier édile de Neuilly et plusieurs fois ministre (et il n'est pas inutile de se souvenir que minister signifie en latin « celui qui sert » …). Il s'est toujours plu à se présenter comme un homo novus s'étant élevé tout seul à la force du poignet, aux forceps, en passant sous les fourches caudines de l'establishment. Il a donné ses ordres à ses préfets et influencé le Sénat. Il a aussi fait figure de Brutus en prenant jadis parti électoralement contre son ancien mentor Chirac. Il a savouré un triomphe en 2007 mais approché de la Roche Tarpéienne en 2012. Las ! Peu désireux d'imiter le sage Cincinnatus, il a snobé l'Aventin et il piaffe d'impatience de redevenir César.

    Ce tribun du peuple offre un magnifique mélange d'histrion et d'imperator, comme l'antique scène romaine en produisit tant. Et regardez comme il chérit cette République - Res publica - qu'il prétend incarner mieux que quiconque et dont il n'a de cesse de reprendre la tête !

    Bref, ce chef de guerre qui prétend lutter pour les couleurs gauloises sous l'étendard mythiquement unificateur de la Gaule est un Romain qui s'ignore. Alors qu'il s'apprête à en découdre dans ces périlleuses primaires (encore un terme latin dans le village gaulois !), il rêve certainement de s'exclamer à l'exemple du grand César, modèle de tous les ambitieux : Veni, vidi, vici. « À moi la pourpre impériale, et au diable ce loser de Vercingétorix étranglé dans une prison romaine ! Puissent Juppé, Fillon et tous les autres subir le même sort », se dit-il peut-être dans son for (= forum) intérieur, sans le proclamer urbi et orbi.

    Bref, en un mot comme en mille, ce Gaulois-là, accro aux frissons transgressifs du Rubicon et aux enivrantes couronnes de laurier, tient plus de Sarkosus que de Sarkosix.

    Le 24 septembre, dans un discours à Perpignan, il en a remis une couche et célébré, outre ses chers Gaulois, « nos ancêtres les rois de France, les Lumières, Napoléon, les grands républicains, les tirailleurs musulmans, les troupes coloniales mortes au Chemin des Dames, etc. ». Soit. Mais dans cette liste à la Prévert, pas un mot, pas une allusion sur les Romains. Rayés de la carte mentale de cet ingrat.

    Il sera cependant peut-être d'accord avec l'idée selon laquelle « la vertu de la race, c'est la noblesse » (« Generis virtus nobilitas »). Ce fut la maxime d'un empereur romain, le successeur de Caligula et le prédécesseur de Néron: l'empereur Claude. Aussi appelé, excusez du peu, le « divin Claude » (Claude, comme le nom de l'associé de Sarkosus avocatus). Né l'an 10 av. J.C. à Lyon, ou Lugdunum, capitale des Gaules. Fondée par un Romain, Lucius Plancus (joli patronyme !), lieutenant de César et gouverneur de la Gaule chevelue.

    Tout cela, il est vrai, est à s'arracher les cheveux pour qui n'aime pas à s'embarrasser de détails historiques superflus. Dans son désir ardent de reconquérir la titulature suprême, Sarkosus est prêt à raser gratis et à faire table rase (tabula rasa) de l'héritage romain. Sa garde prétorienne le soutiendra jusqu'au bout. D'autres, (très) nombreux, soupirent et sifflent : « Quousque tandem abutere, Nicolaus, patientia nostra …»?

    Par Jupiter, ils sont fous, ces Romains qui se prennent pour des Gaulois !  •

    David Brunat  

    Normalien et philosophe de formation, David Brunat est écrivain et conseiller en communication. 

  • La République et l’Islam

     

    par Hilaire de Crémiers

    S’imaginer que l’islam est soluble dans la démocratie et que la République va le régenter comme elle a régenté, à sa façon, l’Église de France, est une illusion mortelle. Les premiers à en payer le prix seront les musulmans français.

    hilaire-de-cremiers-510x327.jpgLe Conseil d’État a tranché. Saisie en référé-liberté par la Ligue des droits de l’homme et le Collectif contre l’islamophobie en France, la haute juridiction administrative, le vendredi 26 août, a suspendu en appel l’arrêté municipal pris le 5 août dernier par le maire de Villeneuve-Loubet, le député LR Lionel Luca. Cet arrêté interdisait sur les plages de sa commune jusqu’au 15 septembre le port de ce costume de bain couvrant intégralement le corps, qu’on appelle « le burkini », en raison du trouble à l’ordre public et de la provocation que pouvait constituer cette tenue ostentatoire dans l’espace public pour une population traumatisée par les récents attentats.

    Le Conseil d’État par son ordonnance prend ainsi parti sous des allures d’impartialité juridique et constitutionnelle. Et de manière décisive puisqu’il crée à cette occasion une jurisprudence qui ne manquera pas d’être étendue non seulement à tous les arrêtés municipaux pris dans le même sens, mais encore à tous les cas similaires – et il y en aura et ils seront créés exprès ! Les autres arrêtés, celui de Cannes déjà, bientôt celui du maire de Nice sont tous voués au même sort… Ainsi qu’à l’avenir – il faut le prévoir – toute décision de la puissance publique ou de toute autorité, quelle qu’elle soit, y compris professionnelle, qui s’essaierait à arrêter ou freiner des manifestations d’appartenance affichée à un islamisme militant, sachant, de surcroît, que probablement la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg et la Cour de justice de l’Union européenne à Luxembourg auront tendance, l’une et l’autre, à incliner leur jurisprudence sur la même pente du laxisme généralisé.

    Incompréhension et méconnaissance

    La rapidité des décisions, accélérée par les procédures en référé, aggrave le sentiment tragique d’une incompréhension totale de la situation par de hauts magistrats qui, sous des lambris dorés, bien payés, archi-protégés et déchargés des soucis de la vie, de plus par position affiliés, à quelques exceptions près, à l’idéologie dominante de la prétendue « gouvernance » actuelle, décident – car, au-delà du vocabulaire juridique, c’est le vrai sens de leur décision – qu’il n’y pas, qu’il ne saurait y avoir en République française de problème avec l’islam. Rien : les attentats n’existent pas, la volonté de « radicaliser » les rapports sociaux et de s’approprier l’espace public de la part d’un islam conquérant, non plus. Donc pas de trouble à l’ordre public, affirme le Conseil d’État. Donc liberté doit être assurée – liberté de conscience, liberté d’aller et venir, liberté d’opinion – de revêtir la tenue de son choix dans l’espace public, y compris sur la plage, du moment qu’il n’est pas porté atteinte aux lois de la République ; le burkini n’est pas la burqua ni le voile intégral.

    D’ailleurs de fins esprits n’ont pas manqué de rappeler que le même Conseil d’État, après la loi de 1905, avait suspendu un arrêté municipal qui interdisait le port de vêtements sacerdotaux dans l’espace public communal ! À un siècle de distance, le même principe de juste laïcité aurait inspiré le même genre de décisions. La religion mahométane a droit au même traitement que la religion catholique qui, elle, a été réduite, comme il convient en République, à « sa portion congrue ». Et Bernard Cazeneuve, notre ministre des Cultes, de se féliciter de cet esprit républicain d’égalité et d’équanimité.

    Islamisme et musulmans

    Et, pourtant, voilà la France divisée. Pour une question de costume de bain ! Avouons que c’est franchement ridicule. Les maires concernés n’en démordent pas et ils ont raison : c’est de leur responsabilité. Des députés de droite voudraient, du coup, légiférer. Une loi de plus, et sur un costume de bain ! Il y aurait mieux à faire. Et d’abord, comprendre ce qui se passe. L’islam, en tant que tel, bien que divisé à l’excès, a réussi à s’imposer auprès des autorités françaises. Les attentats l’ont servi, puisque, plus il est dangereux, plus la République le considère et, en quelque sorte, le chérit en tout premier lieu ; ses provocations pareillement intimident les gouvernants qui ne cessent de lui offrir des garanties pour « apaiser » la situation. Hollande est prêt à tout pour tenter de le séduire. Lui et tous ses pareils ne connaissent rien, ni à l’islam, ni au Coran, ni à l’histoire de la conquête islamique.

    Cazeneuve pour renforcer, dit-il, l’islam de France, lui accorde tout dès maintenant, bafouant pour lui les règles élémentaires de la laïcité : une Fondation pour ses œuvres dont Jean-Pierre Chevènement serait le premier président (!), une nouvelle association cultuelle qui lui permettra de se financer en toute transparence (!), une nouvelle représentation qui ouvrira (!) l’islam sur l’ensemble de la société française, des imams formés au Coran par nos soins (!) avec des chaires d’islamologie, etc. En s’imaginant que le contrôle de l’État sur un islam qui ne connaît que l’Oumma aura un quelconque effet. Sarkozy s’y est déjà trompé. L’islam de France relève pour l’essentiel de pays étrangers et d’autorités non reconnues.

    Il est possible, bien sûr, de s’entendre avec les musulmans de France, mais les musulmans surtout en France respectent ceux qui se respectent eux-mêmes et non ceux qui se renient. Ils savent parfaitement que tous ces Français qui tiennent l’État et les organismes publics, ont tout rejeté de leur passé, de leur foi, de leurs mœurs, de leur tradition : leur République n’a plus rien à voir avec la France réelle. Le mépris de tous ces politiciens, fils de famille, pour l’être même de la France, ne peut qu’entraîner en retour un pareil mépris à leur égard de la part des musulmans. Comment ne pas les comprendre ?

    D’autant que tous ceux qui se sentent français, devinent à une telle attitude que la République s’apprête à les lâcher à la première occasion au profit de ceux qui jouent de la terreur. Comme autrefois en Algérie ! Le drame est en train de se nouer.
    Le terrorisme, les provocations sont voulus, dans un premier temps, pour ébranler l’opinion publique française et, dans un deuxième temps – il ne faut jamais l’oublier –, pour ressaisir et enfermer la population musulmane sur elle-même en la terrorisant, moralement d’abord, intellectuellement ensuite, physiquement enfin. C’est en cours. Combien de Molenbeek en France ? Comme avait dit le ministre de la Ville, pour une fois bien inspiré.

    Le pire est à venir

    Le terrorisme islamique a fait plus de victimes dans le monde musulman que partout ailleurs. Qui se souvient des 90 000 harkis d’Algérie assassinés dans des supplices atroces ? Qui pense aux centaines de milliers de victimes de la guerre civile algérienne ? Et partout dans le monde aujourd’hui ? La République par sa politique absurde, par sa laïcité qui n’en est pas une et qui n’est qu’un reniement, par son incompréhension totale non seulement de l’islam mais du monde musulman, semblable d’ailleurs à son incompréhension encore plus grave de la France réelle, des Français de chair et d’os et de religion chrétienne, elle qui ne connaît que ses propres concepts abstraits et que des individus massifiés qui sont autant d’électeurs potentiels, est en train de préparer sur notre sol les pires drames qui se puissent imaginer.

    Nos frères chrétiens d’Orient nous en avertissent. Mais la République se moque des chrétiens, malgré les voyages en risettes du président François auprès du pape François, comme elle se moque des musulmans qu’elle prétend manipuler à sa façon. Car, pour elle, tout est toujours manipulation : l’opinion, la politique, la religion. « Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse. »    

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  • OSONS LA FRANCE

     

    par François Marcilhac

     

    500021990.jpgQue retenir du Rendez-vous de Béziers, organisé par son maire, Robert Ménard, sous l’injonction « Oz ta droite » ? Tout d’abord que son succès, plus de 2000 participants venus de toute la métropole et même d’outre-mer, dans des conditions de déplacement rendues difficiles par l’incurie du pouvoir, est la preuve qu’il correspondait à un besoin. 

    Celui du pays réel de se faire entendre sans le truchement d’une classe politique largement discréditée. Nous parlons bien de pays réel, car il n’est pas question pour nous, royalistes, d’entrer dans l’opposition entre « peuple de droite » et « peuple de gauche », inhérente au régime républicain. Mais s’il est vrai que les Français qui sont venus participer à ces tables rondes « osaient » s’affirmer de droite, toutefois, par leur diversité et leur souci de l’avenir du pays, ils représentaient bien le pays réel dans toute son étendue.

    NON À LA DROITE DE CONTREBANDE

    La classe politique ne s’y est pas trompée. Et a usé de divers moyens pour discréditer cette rencontre de patriotes de toutes origines. Tout d’abord en la diabolisant. A gauche, SOS Racisme convoqua de maigres troupes pour venir manifester, sur l’ordre du préfet, devant le Palais des Congrès où se tenait, samedi après-midi, des tables rondes. La presse régionale, propriété de l’homme d’affaires et ministre radical Jean-Michel Baylet, a évidemment rendu compte de ces journées avec son objectivité coutumière. Quant à la droite molle, elle a ignoré l’événement en brillant par son absence, du moins officiellement. Car celle dont Robert Ménard a dénoncé, dans son discours de clôture du dimanche, la tendance à « ne passer qu’en contrebande le temps d’une élection » la frontière du politiquement correct, était présente dans la personne de certains intervenants, voire au sein même de l’organisation du rendez-vous, ce qui a permis de vérifier que le jeu de dupes est bien terminé. Certaines oreilles ont sifflé, les Français n’acceptant plus le double-jeu ni la lâcheté politique et morale. Mais le message a certainement perdu en clarté ce qu’il avait gagné en publicité. En revanche, des personnalités de la droite traditionnelle, bien connues pour leur indépendance d’esprit, telles que Jean-Frédéric Poisson, Xavier Lemoine ou Christian Vanneste, étaient là.

    PARTIS POLITIQUES : UNE LOGIQUE TOTALITAIRE

    Quant au Front National, la venue de ses représentants a été plus brève que prévue. Pour une histoire, paraît-il, de marche-pied : où va se nicher, chez certains, le souci du bien commun ! Descartes démontrait le mouvement en marchant. De même, il ne suffit pas de revendiquer le patriotisme : pour être crédible il faut le pratiquer en ne rajoutant pas la division à la division. Le pays ne peut plus se le permettre. Mais le Front National ressemble désormais à l’ex-UMP et au Parti socialiste, le centralisme démocratique en plus — c’est son côté ringard. Doit-on s’étonner du départ anticipé de Marion Maréchal-Le Pen, esprit libre s’il en est — ce n’est pas l’Action française qui dira le contraire ? Mais c’est la logique même des partis politiques, totalitaire au sens où ils ont tendance à se prendre pour le tout, qui est en cause. En gazouillant de façon grossière contre « l’extrême droite » réunie à Béziers, Philippot a seulement démontré qu’il refuse le débat avec les Français et qu’il considère toute parole libre comme un crime de lèse-Tsarine. Dommage, car si cette agression gratuite d’un électorat plutôt favorable ou gagnable devait désormais servir de ligne politique au Front, ses bastions acquis ces derniers années risqueraient de se transformer en 2017 en autant de villages Potemkine. Les résultats de 2016 sont déjà en demi-teinte et, devant l’épreuve de la réalité, l’enracinement du Front se révèle souvent celle d’un château de cartes.

    De plus, quel manque d’élégance, en parlant d’ « extrême droite », que d’user à l’égard des patriotes de tous horizons réunis à Béziers de la même malveillance que les médias de l’oligarchie à l’égard du Front national. Syndrome de Stockholm ? Ou simple servilité à l’égard du système ? Philippot, en cherchant à marquer contre le camp patriote dans sa diversité, a surtout marqué contre le sien. Délibérément ? En tout cas l’impatience, accompagnée de fébrilité, est mauvaise conseillère. Le SIEL en revanche, en dehors duquel le Rassemblement Bleu Marine est une coquille vide, n’a pas abdiqué sa personnalité. Marine Le Pen est-elle capable de comprendre que c’est le meilleur service que Karim Ouchikh pouvait lui rendre ? Rien n’est moins sûr.

    UNE VOIE ÉTROITE

    Quoi qu’il en soit, la voie empruntée par Robert Ménard est étroite, entre les piranhas de l’ex-UMP désireux de ramener au bercail un électorat de plus en plus tenté de lui faire défaut l’année prochaine et un Front national dont la psychorigidité signe son alliance objective avec Les Républicains. Certains, parmi les intervenants, étaient venus à Béziers racoler ouvertement pour Sarkozy. Ils ont été remis à leur place par la « base » mais celle-ci hésitera-t-elle à « voter utile », le moment venu, surtout si le FN, qui n’a jamais ni gouverné, contrairement au FPÖ autrichien, ni voulu gouverner, fait tout, par peur des responsabilités, pour échouer en 2017 en repoussant les électeurs de droite vers Sarkozy, voire Juppé ?

    Les experts invités par Ménard étaient, eux, venus pour la plupart faire un diagnostic équilibré de nos difficultés dans les différents domaines et tenter d’y répondre en élaborant des propositions via un dialogue, parfois difficile, parfois constructif, souvent émotif, avec la salle. La démocratie participative — Ségolène Royal la voulait, Robert Ménard l’a faite — est d’un apprentissage ardu. Tout cela demandera d’être retravaillé. Approfondi. Sans plus ignorer les sujets qui fâchent, notamment sur l’Europe ou l’économie, même si le prix à payer est l’affirmation d’une totale indépendance — la liberté est toujours un risque. La question de la structure se pose, de même que celle de la loyauté à l’égard de tous les patriotes qui avaient fait le déplacement.

    LES DIX AXES DE SALUT NATIONAL DE L’ACTION FRANÇAISE

    Hollande est aujourd’hui soupçonné, pour sortir de l’ornière sociale dans laquelle il s’est lui-même fourvoyé, mais ce sont les Français les plus modestes, comme toujours, qui paient le prix fort, de vouloir recourir à un de ces compromis de basse politique dont il est coutumier : ne pas modifier le texte sur le travail mais, sur le modèle de ce qu’ont déjà obtenu les routiers ou les intermittents ou que pourraient obtenir les dockers, faire miroiter à la CGT, contre la fin des grèves, des concessions dans les négociations actuelles à la SNCF, à Air France ou à la RATP. Le pays va mal. Des frondeurs en peau de lapin, qui profitent grassement du système, soufflent sur les braises sans prendre aucun risque, tandis qu’Emmanuel Macron joue sa partition : celle d’un technocrate qui juge le politique dépassé. Il est plus que temps de rompre avec un système qui s’autoreproduit au mépris de l’intérêt général. C’est d’un projet à long terme que la France a besoin. L’Action française, pour sa part toujours prête au compromis nationaliste, y travaille sans relâche. Elle avait défini, en 2012, dix grands axes de salut national à l’aune desquels elle avait jugé les programmes des candidats. Cet été, elle consacrera son université à les actualiser et les approfondir. Certaines des propositions qui ont émergé à Béziers rejoignent les siennes. Tant mieux. C’est la convergence des patriotes qu’il faut souhaiter. Osons la France, plus encore que la droite. Encore faut-il que tous les patriotes osent jouer le jeu.

    L’ACTION FRANÇAISE 2000

    Voir aussi ...

    Université d'été de l'Action française

    et deux autres points de vue sur le rendez-vous de Béziers et ses suites

    Que s’est-il passé à Béziers ? par Dominique Bonnétable

    Éric Zemmour : À Béziers, une défaite aux allures de prise de conscience

  • Régionales • Quand Estrosi voulait gouverner la région Paca avec le Front national

    Christian Estrosi discute avec l'élu FN Gérard de Gubernatis, au conseil régional de Paca, le 20 mars 1998, à Marseille. (GEORGES GOBET / AFP)

     

    par Orange News & France TV - Textes d'Ilan Caro

    On sera amusé, intéressé, pas vraiment étonné, de lire ce qui suit en cette veille du second tour des régionales. Les photos ne sont pas mal non plus.  LFAR

    "Résistance." C'est le slogan que Christian Estrosi a choisi pour le deuxième tour des élections régionales, qui l'opposera dimanche 13 décembre à Marion Maréchal-Le Pen, la tête de liste du Front national. "On a beaucoup réfléchi, et nous nous sommes finalement dit que les valeurs du Conseil national de la Résistance, qui sont nos valeurs, nous permettraient de rassembler. Quand on prend le maquis, on n'est ni de gauche, ni de droite", explique le candidat dans La Provence. "Je ne supporte pas le FN, qui est l'héritage du pétainisme", insiste-t-il lors d'un déplacement de campagne, près de Marseille.

    Le 20 mars 1998, un jour que la droite locale n'a pas oublié

    Pourtant, face au Front national, le maire de Nice n'a pas toujours été aussi intransigeant. En Provence-Alpes-Côte d'Azur, les mémoires se souviennent d'un épisode qui a profondément marqué la droite locale. Vendredi 20 mars 1998 : le conseil régional nouvellement élu désigne son président. Les socialistes ne disposent dans l'hémicycle que d'une majorité relative (49 sièges, contre 37 pour l'UDF-RPR et 37 pour le FN).

    Sans surprise, les trois camps font chacun le plein de leurs voix lors des deux premiers tours de scrutin. Mais par la suite, rien ne se passe comme prévu. L'ambiance est houleuse et la droite se déchire. Son leader, le président de l'UDF et député varois François Léotard, est mis en minorité par son propre groupe sur la stratégie à suivre. Lors d'une interruption de séance, "21 élus sur 37 se prononcent en faveur de la ligne défendue par Christian Estrosi : conclure un accord avec le Front national pour barrer la route à la gauche", se souvient pour francetv info le journaliste Michel Henry, qui avait couvert cette élection pour Libération.

    De retour dans l'hémicycle, Christian Estrosi prend la parole pour demander une énième suspension de séance, "cette fois jusqu'à lundi". Une suspension aussitôt accordée par le doyen d'âge qui préside la séance, un élu FN... La décision provoque alors la fureur du groupe des seize "résistants", piloté par François Léotard. Ce dernier, "dans une rage froide, jette à Christian Estrosi : 'Sors avec tes amis'", écrit le journaliste Michel Samson dans Le Monde. Jean-Pierre Giran, cité à l'époque par Libération, évoque "la fragilité mentale" des 21 "collabos" emmenés par Christian Estrosi. Interrogé par francetv info, Jean-Pierre Giran, aujourd'hui député-maire d'Hyères (Var), n'a pas souhaité s'exprimer de nouveau sur cette passe d'armes. 

    "C'était très brutal entre les deux clans. Les manœuvres d'Estrosi avec Le Pen et Mégret apparaissaient au grand jour. Et nous, nous observions ça en spectateurs", relate Robert Alfonsi. Le week-end passe, les tractations se poursuivent en coulisses. Et les pressions de Paris s'accentuent contre un accord avec le FN. Le lundi 23, les élus se retrouvent au conseil régional pour le troisième tour de scrutin. A droite, les partisans d'un accord avec le FN présentent la candidature de Gilbert Stellardo. Un adjoint au maire de Nice, Jacques Peyrat, lequel vient de quitter le Front national. Mais sur les 21 élus favorables à un accord avec le FN, seuls neuf se portent sur son nom. "C'est François Léotard qui a réussi à déjouer l'opération à la dernière minute, se rappelle Robert Alfonsi. C'est grâce à lui si Michel Vauzelle a fini par être élu."

    "L'accord était bouclé"

    Ancien maire FN de Toulon et élu à la région en 1998, Jean-Marie Le Chevallier donne une version différente : "L'accord était bouclé. Je devais prendre la présidence de la région et Estrosi aurait naturellement été l'un de mes vice-présidents", dit-il à francetv info, confirmant une confidence faite aux journalistes Dominique Albertini et David Doucet, dans leur ouvrage Histoire du Front national. Interrogé par francetv info, Jean-Marie Le Pen précise s'être finalement opposé à ce qu'un élu FN autre que lui préside cette assemblée. C'est le maintien de la candidature de l'épouvantail Le Pen, au troisième tour, qui aurait définitivement enterré l'accord droite-FN.

    L'équipe de campagne de Christian Estrosi conteste auprès de francetv info l'une comme l'autre des versions, assurant que le maire de Nice a "démontré, tout au long de sa carrière politique, qu'il a toujours combattu la famille Le Pen". "Lors de cette élection de 1998, il n'y avait que deux ou trois élus de notre groupe qui écoutaient les sirènes du FN", jure Bernard Deflesselles, conseiller régional depuis 1992, et membre de la campagne 2015 de Christian Estrosi. Un récit bien éloigné de celui unanimement relayé par la presse de l'époque.  

    Pour tenter de prouver sa bonne foi, et avant même la publication de cet article, l'équipe de campagne de Christian Estrosi est allée jusqu'à demander à plusieurs élus socialistes de contacter la rédaction de francetvinfo. Y compris le premier d'entre eux, Michel Vauzelle. Le président socialiste sortant de la région confirme qu'"au départ, Estrosi faisait partie du groupe qui voulait s'allier au FN". Mais à en croire Vauzelle, il aurait "très vite quitté ce groupe, le samedi, pour se ranger derrière François Léotard"

    Comment le Christian Estrosi de 1998, tenté – au moins un moment – par un rapprochement avec le FN, est-il devenu, en 2015, le "résistant" face à Marion Maréchal-Le Pen ? "A l'époque, la droite avait la certitude qu'elle pouvait étouffer le Front national en nouant des alliances ponctuelles permettant de débaucher tel ou tel. Il ne faut pas oublier que de 1986 à 1992, Jean-Claude Gaudin avait présidé la région avec des élus Front national dans son exécutif", rappelle Michel Henry.

    Dans son ouvrage La Guerre des droites, l'historien Mathias Bernard explique que les régionales de 1998 "ont provoqué une prise de conscience" de la part des dirigeants modérés : "De rivale, l'extrême droite devient progressivement un adversaire politique."

    Le FN ressort des archives gênantes pour Estrosi

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    Dans la dernière ligne droite de la campagne, celui qui tente d'apparaître comme le dernier rempart face au FN doit faire face à l'apparition sur les réseaux sociaux d'une photo le montrant au côté de Jean-Marie Le Pen. "La photo date de 1993, entre les deux tours des législatives. Elle appartient à la collection personnelle d'un proche de Jean-Marie Le Pen aujourd'hui décédé", croit savoir le frontiste Louis Aliot, qui a relayé le cliché, interrogé par francetv info.

    Impossible en revanche de savoir où et dans quelles circonstances cette scène a été immortalisée. Si elle vient brouiller la communication du résistant Estrosi, l'image ne prouve rien quant à une éventuelle proximité avec le leader historique du FN. L'entourage de Christian Estrosi assure que "cette photo avait été prise en marge d'un débat télévisé, qui avait d'ailleurs été très violent". Un débat dont nous n'avons pas retrouvé trace. 

  • Paul-François Paoli : « L'appel aux valeurs républicaines, ce bouche trou de la pensée »

     

    C'est à la veille du deuxième tour des régionales que l'auteur de Quand la gauche agonise, a accordé l'entretien qui suit à FigaroVox. Il dénonce l'instrumentalisation des valeurs républicaines par une gauche qui a oublié sa propre histoire. Sans absoudre par ailleurs une droite incapable de penser par elle-même, du moins sans l'autorisation normative de la gauche. Quant à nous, ce sont les valeurs républicaines en tant qu'elles procèdent de l'idéologie révolutionnaire, qui nous paraissent devoir être contestées. Sur le plan intellectuel, c'est bien la remise en cause de cette idéologie qui constitue le bouleversement en cours. Et, comme l'écrit Houellebecq, si la défaite de cette pensée-là devait se confirmer, nous n'aurions rien à regretter. Lafautearousseau

     

    XVM09b7b140-a025-11e5-a950-99f8533f98fa.jpgAprès le premier tour des élections régionales, nous avons assisté à un retour du Front républicain face au FN. Quel est le sens politique de ce front contre front ?

    Nous assistons à un chantage plus effréné que jamais concernant ces « valeurs républicaines » qui, bien souvent, servent de mantra à des hommes politiques en mal d'inspiration. Et comme d'habitude c'est la gauche qui demande des comptes à la droite, comme si elle était la dépositaire de la quintessence républicaine. Ce qui est intéressant dans l'affaire est l'incroyable mauvaise foi d'un camp politique que la défaite historique qu'il vient de subir ne rend pas plus modeste. Qui a, ces dernières années, bradé les symboles républicains auxquels les Français sont, dans leur ensemble, attachés, sinon la gauche ? Souvenons-nous des sifflets du stade de France lors du fameux match France Algérie, en 2002. La gauche écolo-socialo communiste de l'époque, acquise au thème de la repentance coloniale, y était allée de sa « compréhension ». Quelques semaines plus tard, Jean Marie Le Pen accédait au second tour des présidentielles. Souvenons-nous des régulières railleries des Verts concernant les défilés du 14 juillet ou des protestations de Mme Dominique Voynet contre La Marseillaise ce « chant guerrier archaïque ». Souvenons-nous des milliers de supporters algériens, notamment à Marseille et à Paris qui, durant le dernière coupe du monde de football, ont brandi leur drapeau en clamant leur identité algérienne alors qu'ils sont, pour beaucoup, Français de droit. Protestation ou étonnement à gauche ? Mais vous rêvez. A l'époque, Mme Aurélie Filippeti avait même trouvé sympathique ces débordements. Et elle ne fut pas la seule. De son côté, le philosophe Alain Badiou, icone de la gauche intellectuelle, ne s'est pas gêné, au lendemain de l'attentat contre Charlie hebdo pour exprimer tout le mépris que lui inspirent le drapeau tricolore et l'idée de république française dans une tribune du Monde, parue le 28 janvier 2014. C'est un secret de polichinelle : la gauche - à l'exception de Jean Pierre Chevènement, Le Drian et quelques autres - n'aime pas une République française toujours trop française à son goût.

    Après les attentats du vendredi 13 novembre, la gauche s'est cependant réapproprié certains symboles: le drapeau, la Marseillaise et même l'idée de frontière …

    François Hollande et Manuel Valls ont été habiles sur ce plan là. Hollande est un maître de l'ambivalence et sa culture politique n'est peut être pas très éloignée de celle d'un Jacques Chirac. L'un et l'autre ont en commun cet habillage républicain qui peut toujours servir en état de crise. Du reste on ne voit pas très bien ce qu'il aurait pu faire d'autre. Les symboles républicains, depuis le drapeau jusqu'à la Marseillaise, rassurent les Français. D'un autre côté il est aussi un fossoyeur du principe républicain, notamment quand il revient agiter le thème du droit de vote des étrangers, une sorte de chiffon rouge symbolique qui affaiblit l'idée même de citoyenneté nationale.

    Pour la gauche et même une partie de la droite, l'idée de la préférence nationale défendue par le FN exclut ce parti du champ républicain

    Certains s'insurgent contre toute idée de préférence nationale, laquelle serait par nature anti républicaine. Ils oublient que la République radicale socialiste a, entre les deux guerres, renvoyé des dizaines de milliers d'ouvriers italiens ou polonais dans leurs foyers avec l'accord de la CGT qui souhaitait réserver l'emploi aux travailleurs français. Ils oublient le fameux décret-loi du 2 mai 1938 sur la police des étrangers signé par le président du conseil Edouard Daladier et le garde des sceaux Paul Reynaud, tous deux membres du part radical qui œuvra durant le Front populaire. Le rapport au président de la République française stipulait ceci: « Et tout d'abord la France ne veut plus chez elle d'étrangers « clandestins », d'hôtes irréguliers: ceux-ci devront dans le délai d'un mois fixé par le présent texte, s'être mis en règle avec la loi, ou s'ils préfèrent, avoir quitté notre sol ». Dans le décret lui-même il était écrit ceci: « Pour déceler et identifier les étrangers clandestins et ceux qui ne sont pas en règle, il nous aura paru indispensable d'étendre à tout logeur professionnel ou bénévole l'obligation de déclarer qu'il héberge un étranger. Rien de vexatoire dans une telle obligation, simple mesure d'ordre dont on aperçoit toute la portée pratique, comme toute l'efficacité ». La délation n'est plus anti républicaine quand c'est la gauche républicaine qui l'instaure. De même: la déchéance de la nationalité n'est plus antirépublicaine dès lors que c'est François Hollande qui la propose. Dans ce pays il suffit que la gauche mette en œuvre une disposition proposée par la droite pour qu'elle devienne aussitôt compatible avec les « valeurs républicaines ». C'est une chance quand on prétend donner aux autres des leçons de valeurs. Mais n'est-ce pas à la droite, aujourd'hui, de demander des comptes aux socialistes sur ce qu'ils ont fait de la République ?

    La gauche de la troisième République se reconnaitrait-elle dans la gauche d'aujourd'hui ?

    Je ne crois pas car il y a eu la rupture de Mai 68. La gauche hollandaise est acquise aux thèmes sociétaux de la post modernité, notamment la parité des sexes et le mariage pour tous. On imagine mal Pierre Mendès France ou Guy Mollet défiler pour le mariage gay. En réalité la gauche hollandaise a vidé le principe républicain de sa substance. La république chère à Mendès France, pour évoquer celui qui fut une des grandes figures de la gauche française au XXe siècle, était indissociable de la souveraineté nationale et d'une certaine conception de la vertu.

    Une certaine presse de gauche accuse les intellectuels d'avoir basculé à droite. La gauche conserve-t-elle vraiment l'hégémonie culturelle ?

    La gauche est entrain de perdre l'hégémonie culturelle et cela constitue un événement de la plus grande importance. Et ce pour la première fois depuis la Libération ! Il ne va plus de soi désormais qu'un intellectuel soit de gauche en France, ce qui constitue un changement inoui. Le lien, quasiment génétique, entre la gauche et l'intelligentsia est en train de rompre. D'où l'affolement de la gauche institutionnelle. Elle a déjà égaré le monde ouvrier en route et voilà qu'elle se retrouve sans ténors intellectuels ! Qui plus est, comme je l'explique dans mon prochain essai, la république des bons sentiments, le dernier grand penseur que la gauche pouvait revendiquer, à savoir Michel Foucault, dont l'œuvre entre dans la Pléiade, fut un des plus grands fossoyeurs de la gauche, aussi bien républicaine que social démocrate ou marxiste. Michel Foucault a déconstruit les fondamentaux du progressisme qui reposent sur la croyance au Progrès et en la Raison. Pour lui la notion de valeur républicaine n'avait aucun sens. Ni celle de nation et encore moins celle d'Etat. Les grands thèmes sociétaux, notamment celui de la théorie du genre ou du mariage pour tous, lui doivent beaucoup. A gauche on se croit intelligent en se référant en même temps à Michel Foucault, qui a ruiné toute idée de morale et aux valeurs républicaines, qui sont très moralisatrices. Si la droite politique était tant soit peu intellectualisée elle enfoncerait le clou et renverrait la gauche politique à son néant philosophique.

    Sur le plan intellectuel les lignes bougent, sur le pan politique c'est plus compliqué …

    Les politiques sont en retard sans doute. La droite politique n'a pas pris la mesure du bouleversement en cours et Eric Zemmour a raison de dire qu'ils sont, pour beaucoup, incapables de penser par eux mêmes, sans l'autorisation normative de la gauche. D'où la surenchère réthorique sur les « valeurs républicaines », ce bouche trou de la pensée. Alain Juppé va vers la gauche et liquide les fondamentaux du gaullisme quand les Français se radicalisent à droite, c'est étonnant quand on y pense !

    Les élections régionales vont-elles accoucher d'une recomposition ou d'un grand brouillage idéologique ?

    Il est possible qu'un bouleversement se produise au niveau des Républicains car je ne vois pas comment faire tenir ensemble une base qui pense majoritairement comme Nadine Morano et des notables qui ont une peur bleue d'être réprouvés par les médias. Churchill plaisantait avec Staline au Kremlin qui est un des plus grands criminels du XX e siècle, mais eux ont peur de discuter avec les responsables du Front national, on croit rêver ! 

    Paul-François Paoli est chroniqueur littéraire au Figaro et essayiste. Son dernier essai Quand la gauche agonise paraît le 25 janvier 2016 aux Editions du Rocher

    PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE DEVECCHIO

     Alexandre Devecchio             

  • ESPÉRER ET LUTTER

     

    par François Marcilhac

     

    500021990.jpgIl y a « une ligne infranchissable : l’Etat de droit  » : les Français peuvent être rassurés. Notre Premier matamore, dans un entretien au Monde, a défini, le 29 juillet dernier, la frontière qu’il ne saurait être question de franchir en Hollandie pour lutter contre le terrorisme islamique. C’était trois jours seulement après l’égorgement rituel d’un prêtre célébrant la messe, dans la banlieue de Rouen ; quinze jours après le massacre de Nice, qui avait fait quatre-vingt-quatre morts.  

    Certes, l’immense écho rencontré dans la société française par l’assassinat d’un prêtre en pleine messe a révélé combien celle-ci est encore marquée par le catholicisme, ce qui, au milieu de la douleur et par-delà la légitime colère, est un signe d’espérance. Car si toutes les victimes de l’islamisme ont, en tant que telles, un droit égal au respect, le fait que, symboliquement parlant — et nous employons cet adverbe à dessein —, l’assassinat d’un prêtre soit ressenti dans sa dimension spécifique et ait même contraint, ne serait-ce que pour des raisons politiques, François Hollande à se rendre à Notre-Dame de Paris, montre combien notre pays est toujours marqué, dans son essence même, et en dépit de tout, par le baptême qui fut à l’origine de sa naissance.

    On peut évidemment penser à Paul Reynaud faisant la même démarche en pleine débâcle, le 19 mai 1940, à la tête du gouvernement. Et s’il est vrai que nous n’avons à opposer que ces mantras que sont la « démocratie » et l’ « Etat de droit » comme armes de destruction massive aux cinquièmes colonnes de l’Etat islamique tapies dans « nos quartiers » et prêtes à intervenir sur simple injonction, alors c’est aussi la figure du général Gamelin qui nous vient à l’esprit. Car comment lutter, en se contentant d’invoquer une telle ligne Maginot intellectuelle et morale, contre cet ennemi intérieur que quatre décennies de folle politique migratoire a introduit chez nous, et qu’une politique extérieure erratique a conduit à se révéler comme tel ? D’autant que c’est au nom de ces mêmes principes que la droite puis la gauche ont déstabilisé la Libye et aidé à la déstabilisation du Proche-Orient, libérant un monstre islamiste qui ne demandait pas mieux pour surgir de ténèbres... fort peu épaisses.

    Qu’on ne s’y trompe pas ! Nous ne réclamons pas la disparition de nos libertés fondamentales, même si nous envisageons comme intellectuellement possible une restriction temporaire de l’exercice de certaines d’entre elles, comme cela s’est toujours pratiqué en temps de guerre. Encore faut-il avoir un État à la fois capable de prendre ces mesures et de le faire dans le seul souci du Bien commun. Comme le rappelait Jacques Sapir dans nos colonnes, fin juin, la dictature, à Rome, était une magistrature peut-être exceptionnelle, mais, comme telle, conforme à l’ « Etat de droit » — il en est ainsi, sous la Ve république, de l’article 16, de la loi martiale,... et de l’état d’urgence.

    Du reste, si celui-ci est devenu une mascarade dans la lutte contre les islamistes, puisque tous les terroristes qui sont passés à l’acte étaient connus de nos services de renseignement, il n’est pas impossible que l’exécutif ne finisse par s’en servir dans son propre intérêt, c’est-à-dire contre les patriotes, surtout si, à la faveur de nouveaux massacres, il le prolonge en 2017, année électorale. Dans Le Figaro des 30 et 31 juillet, Natacha Polony n’hésite pas à demander : « n’est-ce pas ce que certains espèrent : l’action folle d’un militant d’extrême droite, ou d’un simple citoyen indigné perdant son sang-froid, qui permettrait de brandir le spectre du racisme et de réduire au silence aussi bien les candidats à la primaire de la droite [...] que les intellectuels courageux » — au rang desquels elle se place — « qui appellent à la résistance par la laïcité, l’intégration et la transmission » ? On a tout lieu de le craindre lorsqu’on entend Manuel Valls ou tel autre hiérarque socialiste reprocher à la droite parlementaire d’être en voie de « trumpisation » quand elle propose pour lutter contre le terrorisme islamiste des mesures « démagogiques » qui s’affranchirait du sacro-saint « État de droit ». La ficelle est un peu grosse, mais que ne peut-on pas faire avaler à un peuple que de nouveaux attentats traumatiseraient gravement ? La majorité légale socialiste sait pratiquer l’amalgame lorsqu’il s’agit d’invoquer l’unité nationale pour mieux diviser les Français et diaboliser tous ceux qui proposent une autre politique de lutte contre l’ennemi intérieur.

    Ou font mine de proposer. Car ne nous y trompons pas : les mesures préconisées par la droite parlementaire sont de l’esbroufe, puisque cette dernière a montré, lorsqu’elle dirigeait l’Etat, combien elle était soumise aux diktats de la Cour européenne des droits de l’homme qui, aussi bien pour elle que pour Manuel Valls, définissent précisément ce qu’il faut entendre par « Etat de droit » et « démocratie ». Imagine-t-on que, retournant aux affaires, cette droite molle et lâche, dont les promesses d’autorité n’ont jamais engagé que les nigauds d’électeurs qui croient toujours en elle, romprait avec un catéchisme qui fait le fonds de commerce et du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne, deux instances supranationales avec lesquelles l’actuel pays légal ne veut pas rompre, surtout en matière d’immigration ou de droits fondamentaux ...des criminels ?

    Si nous quittons, en ce début du mois d’août, ces zones pestilentielles de la démagogie politicienne, sans savoir toutefois, avant que nous ne reprenions la plume début septembre, combien de nouveaux morts nous devrons compter, force est de reconnaître que les lignes bougent en profondeur. Et que des réponses commencent à être apportées aux interrogations sur l’état du pays. C’est le cardinal Vingt-Trois dénonçant le 27 juillet, dans son homélie à Notre-Dame sur le martyre du père Hamel, le prêtre assassiné, le « silence des élites devant les déviances des mœurs et la législation de ces déviances . [...] C’est sur cette inquiétude latente que l’horreur des attentats aveugles vient ajouter ses menaces.  » C’est Jacques Juillard qui, suivant les traces de Renan, regrette que la France ne soit « devenue intellectuellement et moralement le maillon faible de l’Europe. » Elle « ne sortira du marasme actuel, fait d’angoisse et d’incertitude, que par un renouveau intellectuel et moral. » Et ce républicain de gauche d’ajouter : «  Jeanne devant le Dauphin, Clemenceau devant le Parlement, de Gaulle au micro de Radio Londres n’ont qu’un seul et même message : oui le royaume de France existe ; oui la République existe. Oui, la France existe.  » [1]

    Il nous appartient à nous aussi d’assumer l’histoire de France dans sa totalité, tout en sachant que la tradition est critique. Peu s’aperçoivent, sous les tabous qui demeurent encore, de la révolution intellectuelle et spirituelle aujourd’hui engagée. Nous y participons au plan politique : tel est le sens, chaque année, de notre université d’été, où nous définirons, fin août, dix axes de salut national, pour retrouver les vrais fondements de l’amitié française. Comme le déclare Mgr le comte de Paris, dans l’important entretien qu’Il a bien voulu nous accorder : « Le multiculturalisme est un leurre dangereux, dont le résultat serait une “bouillabaisse” sans espoir et l’éradication des racines de notre civilisation.  » Nous en subissons aujourd’hui les conséquences sanglantes. Mais le renouveau sera au bout de l’épreuve, si, du moins, nous savons espérer et lutter.

    [1] Le Figaro des 30 et 31 juillet 2016

    L’Action Française 2000 [Editorial]

     

  • POUTINE ET ERDOGAN A SAINT-PETERSBOURG ou la revanche de Carl Schmitt

     

    Par Mathieu Slama Publié le 09/08/2016 à 18h20

    Vladimir Poutine et Recep Erdogan viennent de confirmer avec éclat le rapprochement de leurs deux pays. Mathieu Slama, explique ici en lisant Carl Schmitt comment ces deux figures autoritaires sont une réponse à la dépolitisation du monde libéral [Figarovox, 9.08]. Qu'on veuille bien lire cet entretien et l'on comprendra pourquoi nous avons écrit le 27 mai dernier, à propos de son premier livre : « Nous prévenons les lecteurs de Lafautearousseau ; ces réflexions sont importantes. Il faudra être attentifs désormais aux publications de Mathieu Slama ! ». Nous confirmons. LFAR 

     

    205055832.jpgIl y a quelque chose de très peu surprenant, finalement, dans le rapprochement à l'œuvre entre le président russe Vladimir Poutine et le président turc Recep Erdogan. A y regarder de plus près, et en mettant de côté la relation historique entre la Turquie et les Etats-Unis, la Turquie d'Erdogan a infiniment plus de points communs avec la Russie de Poutine qu'avec l'Occident. Le rapport au sacré et à la tradition religieuse de leurs pays (orthodoxie pour Poutine, islam pour Erdogan), la dimension verticale (voire autoritaire) de l'exercice du pouvoir, le soutien massif (et visible) d'une population mobilisée: ces éléments rapprochent les deux hommes beaucoup plus qu'ils ne les séparent.

    On le sait, Poutine a engagé depuis plusieurs années un combat quasi-métaphysique contre la vision du monde occidentale libérale et universaliste. Il estime, non sans quelques arguments valables, que cette vision du monde méconnaît voire méprise ce qui constitue le cœur du politique, c'est-à-dire l'existence de communautés particulières inscrites dans des trajectoires historiques qui leur sont propres.

    Il y a dans ce discours, mais aussi plus généralement dans les attitudes de Poutine et Erdogan, des éléments qui font fortement écho aux thèses du grand juriste allemand Carl Schmitt (1888 - 1985), auteur d'un des livres de théorie politique les plus décisifs du XXème siècle, La notion de politique (1932 pour sa dernière version). Précisons, avant de poursuivre, que Schmitt s'est compromis de façon dramatique avec le nazisme, après avoir pourtant défendu la République de Weimar contre Hitler, et ce de façon incontestable au moins jusqu'en 1936.

    Que dit Schmitt ? Que le monde libéral méconnaît ce qui est au cœur de l'existence politique : la distinction ami - ennemi, c'est-à-dire la potentialité d'un conflit qui met en jeu l'existence même d'un peuple et d'une communauté. Pour Schmitt, l'individualisme libéral tel qu'il s'est développé en Occident est une négation de la politique car il introduit une « praxis politique de défiance à l'égard de toutes les puissances politiques et tous les régimes imaginables », « une opposition polémique visant les restrictions de la liberté individuelle par l'Etat ». Schmitt en conclut qu'il n'y a pas de politique libérale, seulement une « critique libérale de la politique ». Le système libéral, poursuit Schmitt, exige « que l'individu demeure terminus a quo et terminus ad quem » ; « toute menace envers la liberté individuelle en principe illimitée, envers la propriété privée et la libre concurrence se nomme violence et est de ce fait un mal ». « Le peuple », dans la conception libérale, « sera d'une part un public avec ses besoins culturels et d'autre part tantôt un ensemble de travailleurs et d'employés, tantôt une masse de consommateurs ». Dans cette perspective, « la souveraineté et la puissance publique deviendront propagande et suggestion des foules », c'est-à-dire qu'elles seront décrédibilisées. Avec le libéralisme démarre ce que Schmitt appelle « l'ère des neutralisations et des dépolitisations ». Il n'est pas non plus inutile de rappeler la première phrase célèbre d'un autre ouvrage de Schmitt, Théologie politique (1922) : « Est souverain celui qui décide de la situation d'exception ». Une conception de la décision politique fort éloignée, il va sans dire, de la conception de l'Etat de droit issue des théories libérales européennes.

    On comprend bien, à la lecture de cette critique très puissante du libéralisme, combien ces thèses résonnent fortement aujourd'hui. Le monde occidental s'est lentement mais sûrement dépolitisé, refusant de se confronter aux décisions fondamentales par peur de remettre en cause les libertés individuelles (il y a certes des raisons très profondes à cela, notamment les traumatismes liés aux expériences totalitaires du XXème siècle). La souveraineté politique, c'est-à-dire la capacité d'un peuple de décider de son destin historique et de s'opposer le cas échéant à d'autres peuples, a disparu pour laisser place à une conception universaliste du monde dans laquelle chaque individu appartient au genre humain avant d'appartenir à des communautés particulières. Mais, prévient Schmitt, « qui dit Humanité veut tromper ». « Le monde politique », ajoute-t-il, « n'est pas un universum mais un pluriversum » ; le cas contraire signifierait la disparition de l'Etat et du politique - et la domination d'une puissance sur toutes les autres. C'est là tout le cœur du problème de l'universalisme : l'Occident se prétend seul juge de ce qu'il faut faire et de ce qu'il ne faut pas faire, selon ses propres critères. Il suffit de constater la manière dont les Occidentaux réagissent à l'attitude d'Erdogan après le putsch raté - et la manière dont ils jugent, avec une constance métronomique, les penchants autoritaires de Poutine.

    Notre propos ici n'est pas de défendre Poutine et Erdogan. Néanmoins, chacun à leur manière (et avec des excès évidents qu'il ne s'agit pas de nier), ils incarnent une vision encore politique de l'histoire humaine. Ils refusent le modèle libéral occidental et assument un certain décisionnisme qui peut entrer en contradiction avec la protection de certaines libertés individuelles. Ils défendent la souveraineté nationale face aux ambitions universalistes occidentales. Erdogan a eu ce mot très symbolique après le putsch raté qui le visait : « La souveraineté appartient à la nation ». Et Poutine avait rappelé il y a quelques années que la souveraineté nationale était une condition de vie ou de mort pour les Russes. Les deux hommes d'Etat construisent une mythologie nationale fondée sur la potentialité du conflit et sur l'irréductibilité des communautés humaines (même si Erdogan, notons-le, retourne habilement contre l'Occident ses propres valeurs démocratiques, comme cette semaine dans un entretien étonnant dans le journal Le Monde).

    Schmitt avait cette formule frappante qu'il empruntait à un poète allemand : « L'ennemi est la figure de notre propre question ». Il n'est pas interdit, en effet, d'apercevoir dans Poutine ou Erdogan deux figures-miroirs qui nous confrontent à un immense et terrible renoncement : celui de la politique. 

    Mathieu Slama

    Essayiste
     
    Né en 1986, Mathieu Slama intervient de façon régulière dans les médias, notamment dans le FigaroVox sur les questions de politique internationale. Un des premiers en France à avoir décrypté la propagande de l'Etat islamique, il a publié plusieurs articles sur la stratégie de Poutine vis-à-vis de l'Europe et de l'Occident. Son premier livre, La guerre des mondes, réflexion sur la croisade de Poutine contre l'Ocident vient de sortir aux éditions de Fallois.
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  • De Nicolas Sarkozy à François Hollande, la Ve République sur la sellette

     

    Par Frédéric Rouvillois           

    L'autorité de François Hollande est remise en cause. C'est une litote. Cependant, Frédéric Rouvillois entend démontrer ici [Figarovox - 31.10] qu'au-delà des personnes, ce sont les fondements de la « république gaullienne » qui vacillent (autre litote ?) ce que le livre de Patrick Buisson décrit minutieusement. Frédéric Rouvillois dégage de cette lente évolution une analyse critique originale et profonde. Mais pourquoi cette érosion s'est-elle produite, conduit-elle à l'inexorable déclin de ce régime bâti pour rendre à l'Etat puissance et légitimité ? Etait-il réellement possible de concilier les institutions républicaines à la française, leur esprit profond, et l'intention d'une rupture « avec cette volonté d'abstraction qui remonte à la révolution de 1789 », et de renouer « avec une tradition plus longue, plus ancienne et plus profondément enracinée, selon laquelle en France, pays latin de culture chrétienne, le pouvoir suprême s'exerce non par délégation, mais par incarnation » ?  Pouvait-on marier l'eau et le feu, accorder deux traditions aussi historiquement et idéologiquement opposées, marier durablement ces contraires ? N'était-ce pas tout bêtement mission impossible ? L'expérience des trente ou quarante dernières années répond par l'affirmative. Les monarchistes que nous sommes, aussi.  Lafautearousseau  

     

    778806829.jpgComparaison n'est pas raison, nous dit la sagesse des peuples. Ce qui n'empêche pas certains rapprochements troublants. Au printemps 1958, l'agonie piteuse de la IVe République avait été marquée par des manifestations de policiers ulcérés par l'impuissance de l'État, par des dissensions amères au sein du gouvernement et de la classe politique, par la perte de légitimité du système et par son incapacité visible à trouver des réponses aux questions les plus urgentes. Et même, par l'électrochoc suscité par la parution d'un livre événement, Les princes qui nous gouvernent, dans lequel un « homme de l'ombre », Michel Debré, consignait lucidement les indices de la phase terminale du régime. Soixante ans plus tard, c'est la Ve République, ou plutôt, ce qu'en ont fait les gouvernants depuis une trentaine d'années, qui se trouve sur la sellette. Et c'est un autre grand livre, La cause du peuple, de Patrick Buisson, qui se charge de dresser le constat, en confrontant le régime tel qu'il avait été conçu à l'origine, à l'ombre caricaturale et falote de ce qu'il est devenu.

    Au début de De l'Esprit des lois, Montesquieu expliquait que chaque gouvernement a son principe, qui est « ce qui le fait agir ». En historien et en politiste avisé, Patrick Buisson rappelle quel était celui de la République singulière établie par De Gaulle en 1958, et parachevée en 1962 avec l'élection du président au suffrage universel direct.

    Au sommet de ce que le Général n'hésitait pas à qualifier de « monarchie populaire », le président incarne « de façon indivisible » l'autorité de l'État, et en dispose seul lorsque la nation est confrontée à un péril grave et immédiat. C'est d'ailleurs, souligne Buisson, la grandeur de la république gaullienne, que d'avoir osé rompre « avec cette volonté d'abstraction qui remonte à la révolution de 1789 », et renouer « avec une tradition plus longue, plus ancienne et plus profondément enracinée, selon laquelle en France, pays latin de culture chrétienne, le pouvoir suprême s'exerce non par délégation, et par incarnation ». À la base, le peuple en majesté : un peuple qui n'est plus le « souverain captif » dénoncé sous la IIIe République par André Tardieu, le mentor du Colonel de Gaulle, mais le souverain tout court, qui choisit au suffrage universel celui qu'il entend faire chef de l'État. Entre les deux, enfin, entre la base et le sommet, le « principe » de cette république singulière : un « courant de confiance » sur lequel se fonde l'autorité du président, mais qui implique en retour sa responsabilité politique devant le peuple. La légitimité du président résulte à la fois de cette confiance, et de la poursuite du bien commun - ce qui suppose qu'il se comporte comme le président de tous les Français, et non comme représentant, à l'Élysée, de son parti ou des soi-disant élites qui l'environnent.

    Or, démontre impitoyablement Buisson, ce « principe » s'est évaporé depuis une trentaine d'années.

    Au lieu d'un pouvoir incarné combinant «présence et distance, proximité et verticalité», on « oscille entre ces deux pôles de la désacralisation que sont l'exhibition de la personne et la vulgarisation de la fonction». Dérive dont « le narcissisme de Nicolas Sarkozy (…) et le bonhommisme de François Hollande (…) auront été l'aboutissement », l'un comme l'autre n'hésitant pas à se réclamer d'une même « logique de l'abaissement ». Voilà pourquoi, entre l'homme à la Rolex et l'homme au scooter, entre le président du Fouquet's et le président normal, ce sont surtout les similitudes qui frappent. Le Chef de l'État renonce à sa singularité, à sa hauteur, à cette distance qui fonde l'autorité, pour se présenter comme un « hypoprésident », un citoyen ordinaire, très ordinaire même, jetant ostensiblement aux orties le frac présidentiel pour endosser son survêtement et ses charentaises. Sauf que ce président « normalisé » oublie à quel point il en devient anormal au regard du principe d'un régime où l'autorité présidentielle est conditionnée par la responsabilité et la légitimité de son titulaire. Le président ne dispose en effet des pouvoirs qui lui sont attribués, qu'aussi longtemps qu'il bénéficie de la confiance du peuple. Lorsqu'il l'a perdue, il n'y a plus aucun titre, et son pouvoir n'est plus qu'une forme de despotisme. Un despotisme mou et inefficace, certes, mais un despotisme tout de même, et dont on comprend, jusqu'au cœur de l'État, qu'il n'a plus droit au respect ni à l'obéissance.

    Mais la conséquence de cette désincarnation, c'est également l'érosion du caractère démocratique du système, la responsabilité, qui en théorie fonde l'autorité du président, étant aussi le moyen, pour le peuple, de faire entendre sa voix. De là, pointe Patrick Buisson, « un Kratos sans Démos »: un pouvoir retiré au peuple au nom de la démocratie elle-même, sans que le subterfuge suscite autre chose qu'un sentiment de malaise - et une abstention de plus en plus massive chez les jeunes et dans les catégories les moins favorisées.

    Et c'est ainsi que la Ve République, Monarchie populaire, voit ses deux piliers vaciller en même temps. Alors que le monarque l'est de moins en moins, hésitant entre le lampiste et le despote mais refusant d'un même mouvement incarnation et responsabilité, le peuple voit s'évanouir sa souveraineté, réduite en miettes puis répartie entre d'innombrables intervenants, représentants qui ne représentent pas même la moitié des électeurs, juges, experts européens, technocrates bruxellois, instances partisanes sélectionnant les candidats à la présidentielle, etc. Le tout fabriquant une manière de « postdémocratie » qui n'est jamais qu'une antidémocratie. Une démocratie dépassée, remplacée par un Kratos désincarné, lointain, inaccessible, situé dans quelque introuvable cloud politique. 

    Frédéric Rouvillois      

    Frédéric Rouvillois est écrivain et professeur agrégé de Droit public à l'Université Paris-Descartes, spécialiste du droit de l'État et d'histoire politique. Auteur de nombreux ouvrages, il a notamment publié Crime et Utopie, une nouvelle enquête sur le nazisme (éd. Flammarion, 2014) ; Être (ou ne pas être) républicain (éd. Cerf, 2015) et dernièrement La Clameur de la Terre. Les leçons politiques du Pape François (éd. Jean-Cyrille Godefroy, 2016).      

  • Mathieu Bock-Côté : « La révolution Trump est une forme de référendum antisystème »

     

    Par Mathieu Bock-Côté           

    Mathieu Bock-Côté - à qui nous empruntons beaucoup à cause de l'excellence de sa réflexion - voit dans la victoire de Trump le résultat d'un processus entamé depuis longtemps : la révolte des sociétés occidentales contre leurs élites. Mais il va beaucoup plus loin. De cette révolte, il analyse les causes profondes, politiques, sociales et anthropologiques. Il élargit sa réflexion à la dimension - tragique - de l'Histoire, comme un moderne opposé à la modernité, comme un antimoderne de la meilleure tradition, de Poe à Maurras. Sur cette révolution antisystème, depuis de longs mois, Lafautearousseau a pris les devants, publié de nombreux articles, proposé les pistes de réflexion qui nous ont paru essentielles, notamment pour la France. Jusqu'à hier, après l'élection de Trump,  en proposant et commentant les excellentes analyses de Natacha Polony, Benjamin Masse-Stamberger et Thomas Flichy de la Neuville. Cette tribune de Mathieu Bock-Côté [Figarovox du 9.11] - et le Grain de sel qui suit, réaction à chaud à l'événement, clôtureront provisoirement cette série. Louis-Joseph Delanglade y reviendra lundi prochain, avec le recul nécessaire.  Lafautearousseau    

     

    3222752275.jpgOn avait décrété sa victoire impossible. Au mieux, on considérait Donald Trump à la manière d'un porte-voix du désespoir d'un nombre croissant d'Américains. Donald Trump était le symptôme d'une misère politique et culturelle qui frappait même les classes populaires de l'empire de notre temps. Au pire, on se le représentait à la manière d'un bouffon monstrueux, sexiste, raciste et grossier. Il faudra changer notre regard et apprendre à voir Donald Trump le malappris dans le rôle du président des États-Unis. Celui que Barack Obama redoutait de voir en possession des codes nucléaires deviendra pour quatre ans l'homme le plus puissant du monde. Il faut dire que les craintes d'Obama n'étaient pas infondées. La réputation d'aventurier mégalomane erratique de Donald Trump n'est pas nécessairement imméritée.

    Sur les plateaux télé, la mine déconfite des journalistes n'était pas difficile à apercevoir. Il faut dire qu'ils ne cachaient pas leurs sentiments catastrophés. L'explication officielle est déjà commencée, et on l'entendra en boucle dans les jours à venir : la vieille Amérique moisie aurait porté Trump au pouvoir. Crispation identitaire, repli sur soi, peur de l'autre, peur de la différence : les formules toutes faites sont prêtes. Certains en rajouteront en faisant sonner la sirène d'alarme de l'antifascisme. On multipliera les comparaisons historiques douteuses et le nouveau président américain sera nazifié à quelques reprises. On se demandera dans quelle mesure Donald Trump témoigne d'un retour du monde occidental aux années trente. On invitera les Américains à avoir honte. On n'y échappera pas. C'est le refrain habituel.

    Et pourtant, c'est autre chose qui s'est passé. De la victoire du Brexit à la révolution Trump en passant par la poussée des mouvements populistes européens, c'est une même révolte contre la mondialisation qui semble prendre forme ces années-ci. Chaque fois, les thèmes sont les mêmes : on réclame des frontières, on veut restaurer l'autorité de l'État, on veut contenir l'immigration massive, on veut se porter à la défense des identités nationales. Chaque pays y va à sa manière, en puisant dans ses propres traditions politiques et dans ses propres archétypes. Souvent, ce sont des figures politiques atypiques et excentriques qui portent ces aspirations ou du moins, qui parviennent à les faire surgir au cœur de la vie publique, comme on l'a vu, par exemple, avec Nigel Farage, au moment du Brexit. Ceux qui s'ouvrent aux préoccupations populaires peuvent répondre à une demande politique qui ne trouvait pas son offre.

    Faut-il parler de la fin de la mondialisation heureuse ? Peut-être devrait-on se dire qu'elle n'a jamais été ressentie positivement par les couches populaires et les classes moyennes. Mais leur malaise n'était pas pris au sérieux, ou alors on y voyait simplement le signe d'une nostalgie malvenue dans un univers forcément global. Ces catégories sociales révélaient, croyait-on, une psychologie régressive, témoignant de leur incapacité à s'adapter aux réalités nouvelles commandées par la mondialisation. On oubliait que l'enracinement est un besoin fondamental de l'âme humaine et qu'on ne peut le négliger ou l'étouffer sans qu'il ne finisse par s'exacerber. L'homme a besoin de cadres, de repères, d'ancrages. Lorsqu'on cherche à l'arracher à son monde, il se révolte. La révolte politique n'est pas toujours belle, douce et délicate. Nous sommes contemporains du retour du tragique.

    Un monde semble mourir, un autre semble naître. La révolution Trump est à bien des égards une forme de référendum antisystème - et cela, dans une élection où Hillary Clinton, qui personnifie ce « système » était la candidate du camp d'en face. Cette révolution est incompréhensible aussi si on ne comprend pas à quel point Trump a retourné le dédain des élites à son endroit à son avantage. Le mépris régulièrement déversé par le système médiatique sur l'Américain traditionnel, accusé de toutes les tares possibles, a alimenté une profonde rancœur ou si on préfère, un puissant ressentiment. On le présentait de manière caricaturale comme un petit homme blanc hétérosexuel crispé sur ses privilèges et désireux d'opprimer les minorités. Cette dévalorisation des classes moyennes et populaires s'est à terme retournée contre le système médiatico-politique. Elles ont misé sur le candidat de la transgression la plus brutale et radicale qui soit. La candidature de Trump était une occasion protestataire qu'elles ont décidé de saisir, comme si elles avaient surmonté le dégoût qu'il pouvait inspirer par ailleurs chez plusieurs.

    Plusieurs invitent déjà le système médiatique à se demander dans quelle mesure il a rendu possible l'élection de Trump. Ce qu'on sous-entend par-là, c'est que la complaisance des médias envers lui aurait favorisé son élection. Les médias n'ont pourtant jamais manqué une occasion d'en dire le plus grand mal. On ajoutera qu'il prêtait flanc à la caricature. Inversement, sa diabolisation l'a servi. Plus Trump subissait les crachats médiatiques et plus ceux qui ne se reconnaissent plus dans le système le considéraient positivement. Le politiquement correct est une véritable tyrannie idéologique. Mais du Brexit à la révolution Trump, pour la deuxième fois en quelques mois, cette tyrannie s'est effondrée. Le système médiatique contre-attaquera très rapidement et mènera contre le nouveau président une guérilla idéologique systématique.

    Tirons une réflexion générale de cette élection. Ceux qui, en politique, décrètent une chose inéluctable ou impossible, méditeront longtemps sur l'élection américaine de 2016. Donald Trump demeure un personnage trouble, souvent grossier, pour le dire avec un euphémisme. Il n'était probablement pas appelé à occuper la Maison-Blanche et on peut se demander comment il passera de bouffon contestataire à président réconciliant un pays divisé comme jamais. Sa pensée politique personnelle n'est pas particulièrement bien construite : trouvera-t-il dans l'exercice de la présidence la constance qui lui manque? La fonction parviendra-t-elle à le métamorphoser,? Car la révolte ne saurait être une fin en soi. Et constater la faillite de la rectitude politique à l'américaine ne doit pas nous empêcher de constater que celui qui a remporté la bataille contre elle le temps d'une élection n'est probablement pas à la hauteur des aspirations qui se portent sur lui. 

    « Chaque pays y va à sa manière, en puisant dans ses propres traditions politiques et dans ses propres archétypes. »

    Mathieu Bock-Côté

     

    XVM7713ddbc-9f4e-11e6-abb9-e8c5dc8d0059-120x186.jpgMathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Son dernier livre, Le multiculturalisme comme religion politique, vient de paraître aux éditions du Cerf.

  • Syrie : les dessous de l’intervention russe

    Photo: Sipa

    Entretien avec Fabrice Balanche

    L'entretien qui suit avec Fabrice Balanche - entretien paru dans Causeur - prolonge très utilement la chronique de Péroncel-Hugoz qui précède.  

    Spécialiste de la Syrie, notamment de la région côtière alaouite, Fabrice Balanche est directeur du Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à l’université de Lyon-2. Il analyse les raisons de l’intervention russe en Syrie et décrypte le grand jeu à l’œuvre dans ce pays… dont la France est exclue.

    Daoud Boughezala. Depuis son déclenchement la semaine dernière, la campagne de bombardements russes en Syrie a provoqué une escalade de tensions avec la Turquie et l’ensemble de l’OTAN. Que cherche Poutine en bombardant les groupes d’opposition armés syriens ?

    Fabrice Balanche. Vladimir Poutine a deux objectifs en Syrie. D’une part, installer durablement les troupes russes dans la région alaouite, sur la côte méditerranéenne. D’autre part, renforcer Bachar Al-Assad en vue de futures négociations sur l’avenir du pays. Les groupes d’opposition armés, des dernières brigades de l’Armée syrienne libre à Daech, sont frappés par Moscou non pas en fonction de leur idéologie, mais de la menace qu’ils représentent pour accomplir ces objectifs. C’est pour cette raison que l’aviation russe a, jusqu’à présent, peu ciblé Daech, dont le territoire se situe à l’Est de la Syrie, mais davantage, Al-Nosra et les groupes alliés de la branche syrienne d’Al-Qaïda, ce qui représente en nombre plus de 80% des rebelles. Les 20% restants se trouvent surtout dans le sud de la Syrie, où le soutien américain les oblige à demeurer « fréquentables » sur le plan idéologique.

    Les vives protestations de l’OTAN signifient-elles que l’Occident, France en tête, soutient tacitement les groupes d’opposition armée à Assad autres que l’Etat islamique, fussent-ils alliés ou affiliés à Al-Qaïda ?

    François Hollande a demandé à Vladimir Poutine de ne frapper que Daech, comme le fait la coalition occidentale. Hormis quelques bombardements en juillet 2014 sur Al-Nosra et Ahrar es-Sham, les Etats-Unis évitent de s’en prendre aux deux piliers de «  l’Armée de la conquête », une coalition islamiste financée par l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie en vue de faire tomber Bachar Al-Assad. Cette coalition a enregistré d’importants succès au printemps dernier en s’emparant de la province d’Idleb et en menaçant Lattaquié, dans la région alaouite. Les Occidentaux espéraient que cela amènerait Bachar Al-Assad à négocier en position de faiblesse et à abandonner le pouvoir, comme le réclame François Hollande. L’intervention russe met fin à leurs espoirs. L’Occident pensait naïvement qu’il suffirait d’entretenir un conflit de basse intensité en Syrie pour affaiblir l’armée syrienne. C’était sans compter le désastre humanitaire et ses conséquences en termes de migrations pour l’Europe, les attaques terroristes qui se multiplient et le déploiement de troupes russes et iraniennes en Syrie. Car il était évident que les deux alliés de Bachar Al-Assad que sont la Russie et l’Iran allaient finir par intervenir directement.

    En ce cas, pourquoi la Russie a-t-elle tant tardé à s’engager militairement sur le terrain syrien ?

    La Russie attendait que le moment soit favorable sur le plan géopolitique. Les Etats-Unis sont en position de faiblesse à l’extérieur car ils entrent en campagne électorale. Barack Obama a tout fait pour désengager les Etats-Unis d’Irak et d’Afghanistan, ce n’est pas pour se lancer dans une aventure militaire en Syrie. Quant aux Européens, ils sont tétanisés par le flux de réfugiés et le risque terroriste. Ils souhaitent que le conflit s’arrête quelle que soit l’issue, y compris le maintien au pouvoir de Bachar Al-Assad, pour une période de transition politique, qui est évidemment appelée à durer. L’accord sur le nucléaire iranien a été entériné, ce qui laisse plus de marge de manœuvre à Téhéran pour également intervenir en Syrie et en Irak, comme en témoigne l’annonce d’une coordination du entre Téhéran, Bagdad, Damas et Moscou contre Daech, prélude à une coalition concurrente de celle mise en place par les Etats-Unis.

    Sur le plan intérieur, le gouvernement syrien est fragilisé, son armée fatiguée est réduite par des pertes qu’elle ne parvient pas à compenser par les recrutements. Et au niveau local, la menace d’une attaque des rebelles sur Lattaquié, au nord de la côte méditerranéenne où précisément la Russie veut installer ses bases militaires, a obligé Vladimir Poutine à réagir. Il fallait aussi que Bachar Al-Assad soit en position de faiblesse pour qu’il accepte les conditions russes, car jusqu’à présent, même s’il était dépendant de la Russie pour son approvisionnement militaire, il refusait l’installation des troupes russes sur son territoire : question de fierté.

    Paradoxalement, à mesure qu’il se recroqueville sur son pré carré territorial (la fameuse “Syrie utile” de Damas à Lattaquié), le régime syrien semble regagner en respectabilité internationale. Néanmoins, les différentes conférences de la paix entre Damas et l’opposition  pacifique ont-elles une chance d’aboutir à une pacification sur le terrain ?

    L’opposition pacifique syrienne vit dans un monde virtuel, complètement déconnecté de la réalité du terrain, sans aucun levier sur les groupes militaires. Pourquoi Damas négocierait-il avec ces groupes ? Ceux-ci sont soutenus à bout de bras par les Occidentaux, la Turquie et les pétromonarchies qui ont besoin de conserver une opposition politique pour d’éventuelles négociations. Devant l’impossibilité de trouver une alternative politique à Bachar Al-Assad et face à la menace djihadiste, le principe de réalité s’impose à beaucoup de pays, tel l’Allemagne, en première ligne de la vague migratoire venue de Syrie. Désormais, l’Occident veut préserver les institutions syriennes et ramener le calme dans le pays. Le maintien d’un conflit de basse intensité, comme le souhaite la France, est devenu beaucoup trop coûteux pour l’Union Européenne, car c’est cette dernière qui accueille les réfugiés syriens et non les pétromonarchies du Golfe qui financent la rébellion. Mais pour pouvoir traiter avec Bachar Al-Assad, il faut redorer son image, il en va de la crédibilité des dirigeants, qui après l’avoir conspué, vont devoir renouer officiellement avec lui.

    Rétrospectivement, les anathèmes d’Assad contre ses opposants, qu’il a assimilés à des “terroristes” dès le début de la crise au printemps 2011, se sont révélées être des prophéties autoréalisatrices : grâce à l’expansion de l’État islamique, le pouvoir syrien se pose en ultime recours. Laurent Fabius n’a-t-il pas raison de faire de Daech et de Damas des alliés objectifs ?

    La politique de Laurent Fabius sur la Syrie est un échec total. Il a eu tort sur toute la ligne. C’est pour cette raison qu’il a été quelque peu dessaisi du dossier par le Président de la République début septembre. Notre ministre des Affaires étrangère réécrit l’histoire de la crise syrienne pour justifier ses positions. Il affirme ainsi  que si nous avions bombardé Damas en septembre 2013, les rebelles modérés auraient pris le pouvoir et Daech n’aurait jamais existé. Hubert Védrine dans une excellente tribune dans Libération a répondu que rien n’était moins sûr. Je partage tout à fait son avis : nous aurions tout simplement eu Daech à Damas. Le communautarisme et le salafisme radical ne sont pas nés en 2011, sous l’impulsion d’un régime machiavélique. Ils sont constitutifs de la société syrienne et ne demandaient qu’à s’exprimer au grand jour. Certes, Bachar Al-Assad a joué avec ce qui lui permettait de fragmenter l’opposition. Mais si Damas et Daech sont des alliés objectifs, dans ce cas Israël et le Hamas le sont également, sans oublier les Etats-Unis et la Russie, et en son temps François Mitterrand et Jean-Marie Le Pen. Ce genre de raccourci est indigne d’un ministre des Affaires étrangères. Cependant, après avoir affirmé pendant deux ans que Bachar Al-Assad avait créé Daech, prétendre aujourd’hui qu’ils ne seraient plus que des alliés objectifs témoigne d’une certaine inflexion de la diplomatie française ! 

    Entretien par Daoud Boughezala, rédacteur en chef de Causeur.

     

  • Oser la France

     

    Par Hilaire de Crémiers 

     

    H D C - Copie.jpgLa route de l’histoire tourne sous nos yeux. Les dirigeants français ne voient pas ce virage, aveuglés qu’ils sont par leurs certitudes. Leur conduite finira dans le fossé. Peut-être plus vite qu’on ne le pense.

    L’État de l’Europe et du monde dans les quelques années à venir sera tout autre que ce que les dirigeants français imaginent encore aujourd’hui. Ils continuent à se réciter entre eux et à débiter en public les cours qu’ils apprenaient, il y a vingt et trente ans, dans leurs écoles et leurs facultés. L’intégration européenne était l’avenir radieux et obligé. Le « toujours plus gros », « toujours plus unifié », « toujours plus riche » étaient la loi d’une évidence qui ne pouvait être contestée.   

    Il fallait les écouter : l’industrie française devait profiter de l’expansion des marchés et de la libéralisation, de toute façon obligatoire (!), des procédures dans le cadre d’une concurrence ouverte et sévèrement surveillée (!). Personne ne songeait aux retournements possibles, aux terribles déconvenues pour les PMI comme pour les entreprises liées par nature à leur destin français. 

    Quant à l’agriculture française, à les entendre, elle serait la grande gagnante en raison de sa position dominante, la politique agricole commune ayant été conçue pour elle ; il suffisait de la mettre aux normes et d’en réduire drastiquement les effectifs, selon le schéma en vogue. D’ailleurs, électoralement, qu’est-ce que ça compte ? Impossible, il y a encore cinq ans, de faire comprendre que cette politique jetait l’agriculture française dans la double impasse de la guerre des prix et de la subvention mortifère. On sait ce qu’il en est maintenant ; l’agriculture française ne cesse de dégringoler, dépassée par l’Allemagne entre autres. Les paysans n’ont plus qu’à se tuer, ce qui laisse indifférent le politicien, surtout de gauche ; son cœur est ailleurs. 

    Le commerce, d’après ces mêmes prophètes, suivrait la même voie, la France et l’Europe devant ressembler de plus en plus aux vastes marchés de l’Amérique du Nord avec laquelle elles étaient vouées à s’unir au bénéfice de multinationales puissantes et donc efficientes, comme le prévoit le traité transatlantique en cours. Il était pourtant prévisible que la loi du plus fort et du moins scrupuleux serait alors la règle, destructrice pour tout le reste. 

    euro = mark 

    La monnaie unique était, dans un tel plan, l’étape intermédiaire nécessaire à la réalisation d’une Union européenne, mécaniquement forcée par ce procédé à s’uniformiser : plus moyen d’en sortir, quoi qu’il en coutât ; c’était, paraît-il, le comble de la liberté, le bien absolu enfin atteint qui interdirait toute transgression. La réunification allemande déclencha la confection de l’euro ; ce fut, selon les gens initiés, une astuce française : l’euro, d’après ce brillant calcul chiraquo-mittérandien, arrimerait l’Allemagne à l’Europe et, donc, à la France. Le résultat aboutit à la situation exactement inverse : une Europe et une France arrimées à l’Allemagne. D’autant plus que l’euro dans l’esprit des Allemands qui sont des gens sérieux, n’est qu’une version du mark sur laquelle ils veillent de plus en plus jalousement. L’euro durera tant que l’Allemagne y aura intérêt. 

    Enfin la libre circulation des personnes devait être, toujours selon le même discours officiel, une chance nouvelle pour la France, terre d’accueil traditionnelle. Les études démographiques convergeaient pour indiquer l’impérieuse nécessité d’une immigration qui dilaterait et assouplirait le marché du travail, aidant aussi à promouvoir un multiculturalisme dont la France figée dans son passé avait un urgent besoin. Tout fut donc fait pour favoriser ces flux continus dont nul ne sait aujourd’hui comment il sera possible de les arrêter. 

    Maastricht, Schengen, Lisbonne, ce dernier traité tenant lieu par un subterfuge inqualifiable de constitution européenne que les peuples « ignorants » refusaient, telle était, telle est encore aujourd’hui la ligne sur laquelle campent les partis dits de gouvernement. Les terribles secousses subies par le système ces dernières années ne les ont pas fait dévier de leur ligne. Au lieu d’envisager une autre conception de l’Europe, ils ne proposent d’autre issue à l’accumulation des complications que de continuer dans le renforcement des corsets du système. Que les peuples en veuillent ou n’en veillent pas, peu leur importe ! 

    Une utopie vouée à l’échec 

    Pourtant chaque jour qui passe apporte un démenti cinglant à leur vaine utopie. Premièrement : Schengen n’est pas seulement une passoire qui oblige la Hongrie à se construire une barrière de protection, c’est la pompe aspirante d’une immigration que plus personne ne peut ni calculer, ni contrôler, multipliant les drames de tous les côtés. L’Europe va se mettre à attribuer des quotas ! Schengen, c’est aussi et évidemment la liberté de circulation pour les terroristes dont l’Europe devient par le fait même complice ; ils n’ont plus qu’à franchir les frontières pour se rendre en Turquie et en Syrie et, au retour, à prendre le Thalys !  

    Deuxièmement : Maastricht est littéralement impraticable, car la zone euro n’est qu’une construction artificielle aux économies divergentes qui ne peuvent former une zone monétaire cohérente et optimale. L’affaire grecque n’est qu’un premier cas tout à fait topique ; la prétendue solution du renflouement perpétuel ne durera que le temps que l’Allemagne l’acceptera. Le ralentissement économique chinois, les nouvelles politiques monétaires dans le monde ne feront qu’aggraver la crise, et la France n’aura plus de marges de manœuvre.  

    Troisièmement : Lisbonne n’a fait que confirmer la suprématie allemande et, corrélativement, le déclin français qui ne cesse de s’accentuer avec un chômage écrasant et, en dépit des incantations de Hollande, une croissance nulle. L’Angleterre va prendre de plus en plus ses distances. 

    L’échec patent de ces politiques depuis maintenant des années devrait conduire à des révisions urgentes. Du fait de cette illusion de monomaniaques qui fausse tous les raisonnements, aucune politique nationale française n’a été menée, ni à l’intérieur pour entraîner la nation sur le chemin du renouveau, ni à l’extérieur, sauf à être obligé d’intervenir parce que la France en raison de son passé ne pouvait faire autrement, soit en Afrique, soit en faveur des chrétiens d’Orient. Mais aucune direction suivie avec énergie et intelligence n’a su donner une dimension proprement française à ces interventions ni apporter des solutions aux énormes problèmes de l’Afrique ou du Moyen-Orient qui permettraient d’agir, d’ailleurs, sur les causes mêmes des flux migratoires. Rien. Tout juste une conférence le 8 septembre organisée par le quai d’Orsay en faveur des « minorités » ! Pourtant les Français sont en attente, les catholiques français sont mobilisés. Nos évêques français n’ont-ils pas fait sonner le 15 août les cloches de leur diocèse pour nos frères martyrisés ? 

    La vérité est que la classe politique par nature n’attache aucune importance à ces questions essentielles, à quelques exceptions près dont les bonnes volontés ne débouchent sur rien. Ce qui préoccupe les politiciens, c’est uniquement leurs élections et l’état, il est vrai, pitoyable de leur République. Ses principes absurdes, son incapacité totale à résoudre les problèmes que son incurie accumule, son laïcisme idiot qui empêche la France d’être elle-même, ses éternelles luttes de partis qui se déchirent à qui mieux mieux et entre eux, en excitant des ambitions aussi forcenées que ridicules, et dont les universités d’été ne sont que des farces grotesques, tout devrait provoquer un formidable et salutaire rejet. Il est là sous-jacent. À quand la vraie réforme et les vrais réformateurs ?  • 

     

  • Vivre et mourir à Marseille ? Bienvenue dans la nouvelle France

     

    Une recension de Jean-Paul Brighelli qui anime le blog Bonnet d'âne hébergé par Causeur. Et un saisissant tableau !

     

    985859-1169345.jpgPoncif : les Marseillais ont avec leur ville une relation passionnelle. Amour et haine. Ils se savent différents. Issus — et ce n’est pas une formule — de la « diversité » : Provençaux, Catalans (un quartier porte leur nom), Corses (près de 130 000), Italiens divers et d’été, Arméniens réfugiés ici dans les années 1920, Pieds-Noirs de toutes origines, en particulier des Juifs séfarades, Arabes de tout le Maghreb, et depuis quelques années Comoriens (plus de 100 000) et Asiatiques — les Chinois occupent lentement le quartier de Belsunce comme ils ont, à Paris, occupé Belleville, au détriment des Maghrébins qui y prospéraient.

    Bien. Vision idyllique d’une ville-mosaïque, où tous communient — si je puis dire — dans l’amour du foot et du soleil…
    Mais ça, dit José d’Arrigo dans son dernier livre, ça, c’était avant.

    Dans Faut-il quitter Marseille ? (L’Artilleur, 2015), l’ex-journaliste de l’ex-Méridional, où il s’occupait des faits divers en général et du banditisme en particulier, est volontiers alarmiste. Marseille n’est plus ce qu’elle fut : les quartiers nord (qui ont débordé depuis lulure sur le centre — « en ville », comme on dit ici) regardent les quartiers sud en chiens de faïence. Et les quartiers sud (où se sont installés les Maghrébins qui ont réussi, comme la sénatrice Samia Ghali) se débarrasseraient volontiers des quartiers nord, et du centre, et de la porte d’Aix, et des 300 000 clandestins qui s’ajoutent aux 350 000 musulmans officiels de la ville. Comme dit D’Arrigo, le grand remplacement, ici, c’est de l’histoire ancienne. Marseille est devenu le laboratoire de ce qui risque de se passer dans bon nombre de villes. Rappelez-vous Boumédiène, suggère D’Arrigo : « Un jour, des millions d’hommes quitteront l’hémisphère Sud pour aller dans l’hémisphère Nord. Et ils n’iront pas là-bas en tant qu’amis. Parce qu’ils iront là-bas pour le conquérir. Et ils le conquerront avec leurs fils. Le ventre de nos femmes nous donnera la victoire. » « Les fanatiques, dit D’Arrigo, ont gagné la guerre des landaus ». Le fait est que partout, on rencontre des femmes voilées propulsant fièrement leurs poussettes avec leurs ventres à nouveau ronds. Si ce n’est pas une stratégie, ça y ressemble diablement. D’autant que c’est surtout l’Islam salafiste qui sévit ici. Et à l’expansion du fondamentalisme, observable à vue d’œil dans les gandouras, les barbes, les boucheries hallal, le « sabir arabo-français aux intonations éruptives issues du rap », les voiles, les burqas qui quadrillent la ville, répond un raidissement de la population autochtone — y compris des autochtones musulmans, ces Maghrébins de première ou seconde génération, qui, voyant la dérive des jeunes qui les rackettent et les menacent, en arrivent très consciemment à inscrire leurs enfants dans les écoles catholiques et à voter FN : « Ce sont les Arabes qui ont porté le FN au pouvoir dans les quartiers nord, pas les Européens ».

    Marseille est effectivement devenue terre d’Islam, Alger évoque sans rire la « wilaya de Marsylia », et, dit l’auteur en plaisantant (mais le rire est quelque peu crispé), ce sera bientôt « Notre-Dame-d’Allah-Garde » qui dominera la ville. Je l’ai raconté moi-même ici-même à maintes reprises. La burqa, ici, c’est tous les jours, partout. Au nez et à la barbe de policiers impuissants : il y a si peu d’agents de la force publique que c’en devient une plaisanterie.

    Et l’image que j’évoquais plus haut d’une ville cosmopolite est désormais clairement un mythe : Marseille est une ville où les diverses « communautés » s’ignorent (version rose) ou se haïssent — version réaliste. Marseille, ville pauvre où 50% des habitants sont en dessous du seuil d’imposition (contre 13% à Lyon, si l’on veut comparer), « n’en peut plus de ces arrivées incessantes de gens venus d’ailleurs, et venant ici rajouter de la misère à la misère ». Ici on ne se mélange plus. On s’observe, et parfois on tire. « Marseille est devenue une redoutable machine à désintégrer après avoir été durant un siècle une ville d’immigration et d’assimilation à nulle autre pareille. »
    Qu’il n’y ait pas de malentendu sur le propos de l’auteur. Il n’est pas dans la nostalgie d’une Canebière provençale et d’un Quai de Rive-Neuve où César et Escartefigue jouaient à la pétanque (un mythe, ça aussi). Il regrette la ville de son enfance (et de la mienne), où tous les gosses allaient en classe et à la cantine sans se soucier du hallal ou du casher, et draguaient les cagoles de toutes origines sans penser qu’elles étaient « impures ».

    Responsabilité écrasante des politiques, qui durant trois décennies ont systématiquement favorisé ceux qu’ils considéraient comme les plus faibles. Marseille a été le laboratoire de la discrimination positive, et aujourd’hui encore, les réflexes des politiciens qui financent des associations siphonneuses de subventions sont les mêmes. « On a substitué à la laïcité et à l’assimilation volontaire, qui naguère faisait autorité, le communautarisme et le droit à la différence ». « Cacophonie identitaire » et « défrancisation », « désassimilation ».

    Comment en est-on arrivé là ? L’auteur dénonce avec force la substitution, à des savoirs patiemment instillés, du « péril de cette époque insignifiante gavée de distractions massives : le vide, le vertige du vide ». Je faisais il y a peu la même analyse, à partir du livre de Lipovetsky.

    D’où la fuite de tous ceux qui, « dès qu’ils ont quatre sous, désertent la ville et s’installent à la campagne ». Vers Saint-Maximin, Cassis, ou autour d’Aix — ou plus loin : des milliers de Juifs par exemple ont fait leur Alya et sont partis en Israël, et les Corses se réinstallent dans les villages de leurs parents. Mais « dans ces conditions, des quartiers entiers de Marseille risquent de se ghettoïser. » Ma foi, c’est déjà fait.

    Et si la ville n’a pas explosé, c’est qu’il y règne un « ordre narcotique » auquel veillent les trafiquants, peu soucieux de voir s’instaurer un désordre peu propice au petit commerce du shit — une activité parallèle qui génère chaque année des dizaines de millions d’euros. L’Etat en tout cas n’existe plus déjà dans 7 arrondissements sur 16, où les gangs, narco-trafiquants infiltrés de djihadistes potentiels, font régner l’ordre — c’est-à-dire le désordre des institutions. Quant à l’école, « elle a sombré ». Effectivement, les truands ne voient pas d’un bon œil que certains leur échappent en tentant de s’instruire. D’ailleurs, ceux qui y parviennent sont les premiers à « quitter Marseille ».

    Les solutions existent — à commencer par un coup de balai sur cette classe politique phocéenne corrompue jusqu’aux os, qui entretient un système mafieux en attendant qu’il explose. La candidature d’Arnaud Montebourg en Mr Propre, évoquée par D’Arrigo, me paraît improbable : il n’y a ici que des coups à prendre. L’arrivée aux commandes de Musulmans modérés est plus probable : le Soumission de Houellebecq commencera ici.

    Et pour que les bonnes âmes qui croient que ce blog est islamophobe cessent de douter, je recopie, pour finir, une anecdote significative — mais le livre en est bourré, et Marseille en fournit tous les jours.

    « À la Castellane, la cité de Zinedine Zidane, les policiers sont appelés de nuit par une mère affolée. Sa fillette de 10 ans est tombée par mégarde du deuxième étage et elle a les deux jambes brisées. Il faut la soigner de toute urgence et la conduire à l’hôpital. L’ambulance des marins-pompiers et la voiture de police qui l’escorte sont arrêtées par le chouf [le guetteur, pour les caves qui ne connaissent pas l’argot des cités] douanier à l’entrée de la cité. Lui, il s’en moque que la gamine meure ou pas. Il va parlementer une demi-heure avec les policiers et les pompiers et les obliger à abandonner leurs véhicules pour se rendre à pied au chevet de la blessée. « Je rongeais mon frein, raconte un jeune flic qui participait au sauvetage, je me disais dans mon for intérieur, ce n’est pas possible, ces salauds, il faut les mater une fois pour toutes, j’enrageais de voir un petit caïd de banlieue jouir avec arrogance de son pouvoir en nous maintenant à la porte. Ce qu’il voulait signifier, ce petit con, c’était très clair : les patrons, ici, c’est nous. Et vous, les keufs, vous n’avez rien à faire ici… » »

    À bon entendeur…

    Faut-il quitter Marseille ? Prix : 18,00 €

     

    Jean-Paul Brighelli - Bonnet d'âne

     

  • L'aventure ... selon Charles Maurras, mission des intellectuels d'aujourd'hui ?

     

    Ce texte est la conclusion de l'Avenir de l'intelligence. Iimmense petit livre selon Boutang - qui fut édité en 1905, il y a 110 ans, et écrit alors que Maurras avait autour de 35 ans. Il n'y a pas d'analyses plus actuelles car leur souci est le salut de notre société en tant que civilisation. Elles envisagent la part essentielle que les intellectuels (ce que Maurras appelle l'Intelligence) pourraient y prendre. Retour à une pensée qui sauve, selon le mot de Boutang ? Mission de nous remettre sur le chemin qui mène chez nous selon l'énoncé de Platon cité par Jean-François Mattei ? C'est bien de cela qu'il s'agit.

    Nous avons souvent évoqué depuis quelques mois cette réaction conservatrice de nombre d'intellectuels importants, de droite et de gauche, fort différents entre eux, mais tous partie prenante d'une sévère critique de la société contemporaine et de notre système politique et médiatique, que nous voyons se développer, s'amplifier en France ces temps-ci.  

    Les deux derniers chapitres de l'Avenir de l'Intelligence précédant celui que nous publions, s'intitulent L'âge de fer - celui où nous sommes - et Défaite de l'intelligence - titre qui rappelle curieusement celui d'un des livres d'Alain Finkielkraut. Dans cette conclusion, Maurras décrit avec d'ailleurs quelque précision, ce qu'il appelle l'Aventure. Il y exprime une espérance et y envisage une forme de stratégie de réalisation de cette espérance qui devrait intéresser au plus haut point ceux pour qui toute pensée qui ne se traduit pas en actes est une défaillance. A dire vrai, nous dédions ce texte fondateur aux intellectuels français d'aujourd'hui. LFAR   

     

    À moins que…

    Je ne voudrais pas terminer ces analyses un peu lentes, mais, autant qu'il me semble, réelles et utiles, par un conte bleu. Cependant il n'est pas impossible de concevoir un autre tour donné aux mouvements de l'histoire future. Il suffirait de supposer qu'une lucide conscience du péril, unie à quelques actes de volonté sérieuse, suggère à l'Intelligence française, qui, depuis un siècle et demi, a causé beaucoup de désastres, de rendre le service signalé qui sauverait tout.

    Elle s'est exilée à l'intérieur, elle s'est pervertie, elle a couru tous les barbares de l'univers ; supposez qu'elle essaye de retrouver son ordre, sa patrie, ses dieux naturels.

    Elle a propagé la Révolution ; supposez qu'elle enseigne, au rebours, le Salut public.

    Imaginez qu'un heureux déploiement de cette tendance nouvelle lui regagne les sympathies et l'estime, non certes officielles, ni universelles, mais qui émaneraient de sphères respectées et encore puissantes.

    Imaginez d'ailleurs que l'Intelligence française comprenne bien deux vérités :

    • ni elle n'est, ni elle ne peut être la première des Forces nationales,

    • et, en rêvant cet impossible, elle se livre pratiquement au plus dur des maîtres, à l'Argent.

    Veut-elle fuir ce maître, elle doit conclure alliance avec quelque autre élément du pouvoir matériel, avec d'autres Forces, mais celles-ci personnelles, nominatives et responsables, auxquelles les lumières qu'elle a en propre faciliteraient le moyen de s'affranchir avec elle de la tyrannie de l'Argent.

    Concevez, dis-je, la fédération solide et publique des meilleurs éléments de l'Intelligence avec les plus anciens de la nation ; l'Intelligence s'efforcerait de respecter et d'appuyer nos vieilles traditions philosophiques et religieuses, de servir certaines institutions comme le clergé et l'armée, de défendre certaines classes, de renforcer certains intérêts agricoles, industriels, même financiers, ceux-là qui se distinguent des intérêts d'Argent proprement dits en ce qu'ils correspondent à des situations définies, à des fonctions morales. Le choix d'un tel parti rendrait à l'Intelligence française une certaine autorité. Les ressources afflueraient, avec les dévouements, pour un effort en ce sens. Peut-être qu'une fois de plus la couronne d'or nous serait présentée comme elle le fut à César.

    Mais il faudrait la repousser. Et aussi, en repoussant cette dictature, faudrait-il l'exercer provisoirement. Non point certes pour élever un empire reconnu désormais fictif et dérisoire, mais, selon la vraie fonction de l'Intelligence, pour voir et faire voir quel régime serait le meilleur, pour le choisir d'autorité, et, même, pour orienter les autres Forces de ce côté ; pareil chef-d'œuvre une fois réussi, le rang ultérieurement assigné à l'Intelligence dans la hiérarchie naturelle de la nation importerait bien peu, car il serait fatalement très élevé dans l'échelle des valeurs morales. L'Intelligence pourrait dire comme Romée de Villeneuve dans le Paradis :

    e ciò gli fece
    Romeo, persona umile e peregrina
     

    « et Romée fit cela,
    personne humble et errant pèlerin. »

    En fait, d'ailleurs, et sur de pareils états de services, le haut rôle consultatif qui lui est propre lui reviendrait fatalement par surcroît.

    Les difficultés, on les voit. Il faudrait que l'Intelligence fît le chef-d'œuvre d'obliger l'Opinion à sentir la nullité profonde de ses pouvoirs et à signer l'abdication d'une souveraineté fictive ; il faudrait demander un acte de bon sens à ce qui est privé de sens. Mais n'est-il pas toujours possible de trouver des motifs absurdes pour un acte qui ne l'est point ?

    Il faudrait atteindre et gagner quelques-unes des citadelles de l'Argent et les utiliser contre leur propre gré, mais là encore espérer n'est point ridicule, car l'Argent diviseur et divisible à l'infini peut jouer une fois le premier de ces deux rôles contre lui-même.

    Il faudrait rassembler de puissants organes matériels de publicité, pour se faire entendre, écouter, malgré les intérêts d'un État résolu à ne rien laisser grandir contre lui ; mais cet État, s'il a un centre, est dépourvu de tête. Son incohérence et son étourderie éclatent à chaque instant. C'est lui qui, par sa politique scolaire, a conservé à l'Intelligence un reste de prestige dans le peuple ; par ses actes de foi dans la raison et dans la science, il nous a coupé quelques-unes des verges dont nous le fouettons.

    Les difficultés de cette entreprise, fussent-elles plus fortes encore, seraient encore moindres que la difficulté de faire subsister notre dignité, notre honneur, sous le règne de la ploutocratie qui s'annonce. Cela, n'est pas le plus difficile ; c'est l'impossible. Ainsi exposé à périr sous un nombre victorieux, la qualité intellectuelle ne risque absolument rien à tenter l'effort ; si elle s'aime, si elle aime nos derniers reliquats d'influence et de liberté, si elle a des vues d'avenir et quelque ambition pour la France, il lui appartient de mener la réaction du désespoir. Devant cet horizon sinistre, l'Intelligence nationale doit se lier à ceux qui essayent de faire quelque chose de beau avant de sombrer. Au nom de la raison et de la nature, conformément aux vieilles lois de l'univers, pour le salut de l'ordre, pour la durée et les progrès d'une civilisation menacée, toutes les espérances flottent sur le navire d'une Contre-Révolution. 

     

    Charles Maurras