Coralie Delaume, à FIGAROVOX : Et si les Grecs préparaient leur sortie de l'Euro avec l'aide de... Poutine ?
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Diverses informations intéressantes, des réflexions originales et des hypothèses - rien que des hypothèses - sont la trame de cet entretien. Un net penchant pro-grec y est sous-jacent, apparemment sans trop d'égard pour les contribuables français et européens qui n'ont pas forcément envie ni intérêt à payer la dette imprudemment contractée par la Grèce. Sortira-elle de l'Euro ? Les Français s'obstinent à disserter - et à s'opposer - sur la sortie de la France de la monnaie unique. Mais est-ce là la vraie question ? Il n'est pas du tout certain que nous ayons à prendre cette initiative. Et pas du tout impossible que le « détricotage » de l'Euro par tout autres que nous ne soit d'ores et déjà en vue. Peut-être même avant 2017. Ce qui, soit dit en passant, arrangerait bien les affaires de Marine Le Pen. On sait que les projets de sortie de la dite monnaie effraie une partie de son électorat et, bien-sûr, choque les modérés de tous types. Attendons la suite. Lafautearousseau
Le 9 avril, l'État grec devra débourser 458 millions d'euros au FMI. Le 8 avril Alexis Tsipras rencontrera Vladimir Poutine. Coralie Delaume y voit le début d'un bouleversement économique et géopolitique majeur. Coralie Delaume est journaliste. Elle a notamment publié « Europe. Les Etats désunis » (Michalon, 2014). Découvrez ses chroniques sur son blog.
PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE DEVECHIO @AlexDevecchio
Difficile d'y voir clair dans les tractations entre la Grèce et le reste de l'Europe. Que se passe-t-il exactement? Alexis Tsipras a-t-il capitulé ou est-il au contraire en train de retourner la situation?
Coralie Delaume: Je ne peux pas encore vous dire s'il a retourné la situation. Mais il n'a pas capitulé. Et tout semble indiquer qu'il ne le fera pas, à la grande déception, sans doute, de ceux qui espéraient le voir rapidement «dégrisé par les réalités du pouvoir».
Cette semaine, la Grèce devait une fois de plus envoyer une liste de réformes à ses «partenaires» européens, pour examen par le «groupe de Bruxelles», le nouveau nom donné à l'ex-Troïka. Un accord sur lesdites réformes devait permettre au pays d'obtenir une aide supplémentaire de 7,2 milliards d'euros. Mais l'accord n'a pas eu lieu. Le gouvernement grec a certes fait des concessions. On a beaucoup parlé, par exemple, de la reprise de la privatisation du port du Pirée au profit de la société de fret maritime chinoise Cosco. Et on l'a évidemment présenté comme le signe avant-coureur d'une reddition grecque.
Mais ce n'est pas si simple. En fait, Athènes a envoyé par ce biais un signal amical à la Chine, à la suite de quoi Pékin s'est empressé de racheter 100 M€ de bons à court terme (T-Bills) grecs. Or il faut savoir que la Banque centrale européenne, qui joue dans ces négociations un rôle extrêmement trouble, avait demandé quelques jours auparavant aux banques commerciales hellènes de ne plus acheter de bons du Trésor du pays ). Il était donc urgent qu'Athènes trouve une solution substitutive pour se maintenir à flot!
Toujours est-il que la situation semble bloquée entre la Grèce et ses créanciers, avec deux points d'achoppement principaux. Les Grecs ne veulent ni d'une réforme des retraites, ni d'une nouvelle entreprise de libéralisation du marché du travail. Pour l'instant, seuls contre tous - il faut noter qu'aucun pays de l'Union européenne ne leur apporte le moindre soutien, pas même ceux gouvernés «à gauche» - ils tiennent bon là dessus, avec un courage qui force le respect.
A la date cruciale du 9 avril, l'État grec devra débourser 458 millions d'euros au FMI. Le 8 avril Alexis Tsipras rencontre Vladimir Poutine, hasard ou coïncidence?
Si la Grèce est tentée, faute d'alliés en Europe, de se tourner vers la Chine, elle doit l'être d'autant plus de jouer la carte russe. Car les liens entre les deux pays sont anciens, chose qu'a récemment rappelée Alexis Tsipras. Interrogé par la presse russe et faisant référence au nazisme, il a affirmé «qu'un rapprochement entre les deux pays (...) trouve ses racines dans les relations fraternelles que (les) deux peuples ont fondées, parce qu'ils ont mené un combat commun, à un moment critique de l'histoire».
Donc les relations s'intensifient. Cette semaine par exemple, le ministre de l'énergie grec Panagiotis Lafazanis était à Moscou. Le but était de discuter avec les Russes de la question gazière, notamment du tracé du futur pipeline «Turkish stream». On se souvient qu'entre autres âneries lourdes de conséquences, «les Européens» se sont crus malins en infligeant des sanctions à la Russie au sujet l'Ukraine. A titre de représailles, Poutine a annulé le projet de gazoduc South stream, puis s'est rapproché de la Turquie pour mettre en route un projet alternatif, Turkish stream. Nécessairement, ne serait-ce que pour des raisons géographiques, la Grèce sera de la partie.
Autre sujet de rapprochement possible: l'armement. Sur ce point et selon la presse grecque , le ministre de la Défense Panos Kammenos semble courir deux lièvres à la fois. Il discute avec les États-Unis et avec la Russie - où il devrait se rendre bientôt - toujours pour la même raison: trouver des partenaires substitutifs à ceux, défaillants, de l'Union européenne. En effet, alors que le nouveau gouvernement hellène est en train de rouvrir quelques vieux dossiers et que plusieurs scandales de corruption impliquant des entreprises allemandes en Grèce font surface, il semble logique qu'Athènes cherche à diversifier quelque peu ses fournisseurs...
Les raisons d'un rapprochement Grèce-Russie sont donc nombreuses, et résultent directement de la manière inamicale dont «les Européens» traitent chacun de ces deux pays. Quant à dire qu'il y a un lien entre la visite de Tsipras à Moscou le 8 avril et le remboursement dû au FMI le 9.... je ne sais pas. En tout cas, The Telegraph note que la Grèce n'a pas les moyens de faire face à toutes ses obligations. Elle ne peut vraisemblablement pas payer les traitement de ses fonctionnaires tout en remboursant le Fonds. Et le journal britannique rend compte de cette déclaration d'un officiel grec: «nous sommes un gouvernement de gauche. Si nous devons choisir entre faire défaut au FMI et faire défaut à notre propre peuple, il n'y aura pas d'hésitation».
Un Grexit est donc de nouveau une hypothèse crédible?
Plus que jamais. En essayant tout ce qui semblait possible d'essayer sans se renier, Tsipras a montré à la population grecque à quelle point l'Union européenne est dogmatique et déraisonnable. Il a ainsi œuvré à préparer les esprits. Même si la sortie de l'euro ne figurait pas dans le programme électoral de Syriza et même si les Grecs n'y sont pas majoritairement favorables, ils doivent être en train de s'apercevoir à cette heure qu'ils n'ont le choix qu'entre le Grexit et la capitulation. Or le refus d'être davantage humiliés par l'UE a beaucoup joué dans la victoire électorale de la gauche radicale....
En outre, on prépare également les esprits dans le reste de l'Europe. Il y a déjà plusieurs jours, le très informé journaliste Jean Quatremer annonçait sur son compte Twitter la mise en place d'un contrôle des capitaux en Grèce pour une date située aux alentours du 10 avril. On y arrive...
De même, un site grec, To Pontiki, relayait il y a quelques jours l'information selon laquelle des responsables européens planchaient sur l'introduction en Grèce d'une «double monnaie» . Autrement dit, à défaut de pouvoir émettre des euros, le pays pourrait se mettre à imprimer des reconnaissances de dette ou «IoU» («I owe you» ) pour faire face à ses échéances internes, payer les traitements, payer les retraites. Une partie du chemin serait alors faite: la Grèce aurait un pied dehors.
Ce Grexit se doublerait donc d'un rapprochement avec la Russie. Quelles pourraient être les conséquences sur le plan géopolitique pour l'Europe?
Les conséquences géopolitiques: voilà bien une chose à laquelle personne ne s'intéresse! Tout le monde semble convaincu que la géopolitique - voire la politique tout court - est un résidu du XIX° siècle, et que nous serions désormais à l'ère de l'économie et de comptabilité. Les ratios d'endettement, les taux de déficits public semblent les seules choses dont se préoccupe cette Europe, devenue un trou noir politique!
Mais il se pourrait qu'on assiste à d'étonnantes recompositions. On a parlé de l'intensification des discussions russo-grecques, du rapprochement russo-turc autour du projet Turkish stream, mais il faut aussi se rappeler que la Russie est traditionnellement liée à Chypre. Or il est probable qu'aucun de ces deux pays n'ait goûté la manière dont Chypre a été «sauvée» en 2013. L'Europe, on s'en souvient, avait alors décidé de faire payer les déposants de plus de 100 000 €, parmi lesquels nombre de Russes. Cela se fit via la mise en place d'un contrôle des capitaux dans l'île, afin que ces déposants ne puissent rapatrier leurs fonds. Aujourd'hui, les deux pays amorcent une petite revanche: Poutine et Nicos Anastasiades ont signé au mois de mars un accord relatif à la possibilité pour la marine russe d'utiliser les ports de Chypre.
Bref, l'Union monétaire européenne s'effiloche chaque jour davantage. Hébétés, «les Européens» ne comprennent plus ce qui leur arrive. Du coup, eux qui n'attendaient la Russie qu'en Ukraine la laissent tranquillement s'installer en Méditerranée. Économiquement, politiquement, cette Union européenne est un «fiasco sphérique»: quel que soit l'angle sous lequel on la regarde, on constate l'uniformité parfaite du désastre. •