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Rechercher : Rémi Hugues. histoire

  • Un chef d’État, un vrai !

     

    par Hilaire de Crémiers

    C’est ce qu’attend la France. Pas un candidat qui réussit, mais un chef. Et qui sera en mesure de prendre toutes les décisions qui s‘imposent pour le salut de la France.

     

    2771589182.jpgSerait-il possible que la France ait un jour un chef de l’État ? D’une légitimité telle qu’elle soit incontestable ? Qu’il puisse être cette personne dont la constitution de la Ve République définit la fonction en son titre II, de l’article 5 à l’article 19 ? Mais voilà : son mode de désignation est aujourd’hui tel qu’il empêche l’exercice correct de cette magistrature parce qu’il porte atteinte à l’esprit même de l’institution.

    La France sans chef

    De l’effroyable chaos partisan que crée, maintenant de manière durable, l’élection présidentielle, avant, pendant et après, peut-il émerger une personnalité capable « d’assurer, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État », « d’être le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, du respect des traités », « de nommer » souverainement « le Premier ministre », « de soumettre au référendum » un projet de loi, « de signer les ordonnances et les décrets » délibérés en Conseil des ministres, sans provoquer immédiatement l’effervescence des factions opposées ; et que dire s’il s’avisait de prendre des mesures extraordinaires qui seraient exigées par des circonstances exceptionnelles ?

    À trois mois de la prochaine élection présidentielle qui mettra fin au calamiteux quinquennat de François Hollande et qui est censée ouvrir une ère nouvelle, n’y a-t-il donc personne pour énoncer avec simplicité cette évidente contradiction qui est au coeur de notre système politique et qui en altère profondément le fonctionnement ? Chacun des candidats, actuels ou futurs – et ils sont déjà nombreux ! – est trop persuadé que son tour viendra une prochaine fois pour vouloir mettre en cause des procédés institutionnellement aussi nocifs.

    Et les partis qui vivent politiquement et financièrement de ce désordre permanent ne se risqueront pas à en interrompre le cours, la France dût-elle en périr. En France – et parce qu’elle est la France et que son histoire est une leçon en elle-même –, cette situation est plus grave qu’elle ne le serait en aucun autre pays civilisé. Cette chienlit perpétuelle lui est funeste. Pas un Français qui ait le cœur un peu haut placé, pour ne pas le ressentir !

    L’avilissement de la fonction

    Les primaires de la gauche comme celles de la droite ont illustré la vanité et la vacuité de la politique politicienne en France. Quel avilissement ! Ravaler la dignité du chef de l’État à cette comparution devant des jurys de journalistes ! Quel misérable spectacle que celui d’une nation réduite dans son expression à une salle de classe ! Des petits « profs » qui font les savants et qui harcèlent de questions péremptoires de minables élèves qui doivent répliquer à la moindre injonction. Mais la direction de la France ne relève pas d’un concours !

    D’où l’absurdité de tant de paroles et d’engagements : à droite, des palanquées de chiffres soupesées aux balances d’improbables budgets ; à gauche, des palanquées de promesses, de droits à « qui qu’en veut », selon la chanson, de faire naître des enfants ou de les tuer à volonté et gratuitement, de mourir, de jouir, de ne plus travailler, jusqu’au revenu universel financé sur le miracle de recettes introuvables.

    Voilà un futur chef de l’État qui doit dire ce qu’est l’école « républicaine », comment il faut y enseigner, à quel âge l’enfant doit être orienté, mais tout aussi bien comment l’hôpital devrait fonctionner, quel est le périmètre de la Sécurité sociale, ou encore combien de gendarmes, de policiers, de juges, de médecins il convient de déployer sur le territoire. Et chacun de rajouter des précisions, des projets dans son programme, sans jamais s’arrêter sur les vraies causes de tant de gabegies, de pagailles, d’incuries, de désorganisation généralisée.

    Où est le chef de l’État ?

    Qui aura le courage de dire : « Et la France ? » Le vrai chef de l’État s’occupe de la France et de la France seule, ce qui ne veut pas dire isolée. C’est sa mission essentielle. Il assure la politique générale du pays ; il lui donne sa place dans le monde ; il garantit l’ordre intérieur qui permet la prospérité et conforte les libertés réelles.

    Si le chef de l’État remplit bien sa fonction, les affaires de la France se porteront d’autant mieux ; tout le monde en tirera profit. Comment ces vérités élémentaires ne sont-elle jamais rappelées ?

    Le chef de l’État n’a pas à répondre à toutes les envies du moindre hurluberlu qui se prend pour un citoyen supérieur, aux réclamations des éternels agités, aux hurlements des groupuscules qui s’imaginent être la conscience avancée du monde et qui ne sont généralement que des instruments de puissances obscures et financièrement vicieuses.

    Et il n’est pas chargé de répartir les richesses, de juger des bons et des mauvais élèves, de promouvoir l’égalité partout, de changer les mœurs, d’endoctriner le peuple, d’accueillir l’étranger au mépris des intérêts les plus certains du Français, de légaliser à tour de bras les dispositifs qui aboutissent à la destruction des familles, des traditions, des patrimoines, des consciences, de la vie. L’État a usurpé toutes ces fonctions qui justifient le politicien dans ses prétentions ; il se comporte exactement comme une contre-Église, mais totalitaire, ce qu’il est devenu de fait et de droit et ce qui est voulu. Les dernières lois en sont l’illustration.

    Aucun homme politique n’est vraiment libre par rapport à cette sourde et continuelle pression qui est une oppression. Il ne peut pas parler de la France et à la France ; il est contraint à un langage convenu, ce qu’on appelle des éléments de langage. Pour plaire à qui ?

    C’est une fin de régime

    L’élu de la primaire de la gauche sera confronté, d’une part, à Jean-Luc Mélenchon et, d’autre part, à Emmanuel Macron. Il n’a évidemment aucune chance et il devra se désister, ce qui sera une fin ridicule. Cela a déjà été prévu dans ces colonnes. Aujourd’hui Macron rallie les suffrages ; il se montre plus candidat que tous les autres candidats. Est-ce la marque d’un futur chef de l’État ? Il dit tout et le contraire de tout, autrement dit rien. Ça plaît ! Sauf qu’il se croit et ce n’est jamais bon de trop se croire.

    Fillon, lui, sera attaqué de toutes parts – et ça ne fait que commencer ! – de l’extérieur et de l’intérieur de son parti et, à chaque fois qu’il cédera à quelque chantage, il fragilisera sa position. Il oscillera, au milieu de factions et d’ambitions qui se déchirent, entre la crainte d’être soupçonné de quelques velléités réactionnaires à cause de son électorat premier et la peur de perdre le soutien des puissants à qui il sera forcément redevable.

    Marine Le Pen joue sa partie. Elle a l’avantage d’une position patriotique nette qui plaira de plus en plus à des Français dépouillés de leur nationalité, de leur civilisation, de leur travail, de leur milieu de vie. Mais, à force de réduire son programme, sous l’influence de son entourage, à la seule économie dirigée et assistée, sans tenir compte des aspirations d’une France qui veut revivre spirituellement, elle risque de perdre son souffle dans une guerre impitoyable où, malgré toutes ses protestations, elle sera considérée comme l’Ennemi du genre humain.

    Le plus probable et même le certain, c’est que l’élu de la présidentielle – quel qu’il soit – se trouvera dans une situation de déliquescence politique telle que, même avec une majorité à la chambre, il sera bien en peine de gouverner malgré les rodomontades des campagnes électorales et qu’il suffira de quelques difficultés majeures, dès aujourd’hui prévisibles, sécuritaires, économiques, sociales et surtout financières pour que la question du pouvoir se repose dans toute son acuité.
    À quand la recherche d’une vraie légitimité ? 

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  • Alain de Benoist : « Post-vérité » - En suspendant le jugement, l’émotion permet la manipulation…

     

    Alain de Benoist a donné cet entretien à Boulevard Voltaire le 22.03. L'indifférence à la vérité est-elle un stade ultime de la révolution ? Jusqu'à nier le fond anthropologique ou ontologique qui nous constitue en tant que personnes, mais aussi socialement, politiquement ? Alain de Benoist apporte ici une réponse nuancée : la vérité n'est pas simplement adequatio rei et intellectus, selon la définition classique, puisqu'elle dépend aussi de la perception que nous avons du réel et en quelque sorte de nos structures mentales. Ces dernières dépendent aussi de la communauté, de la civilisation auxquelles nous appartenons par naissance et héritage. Mais si ceux-là aussi sont niés au profit du caprice individuel ? Nous touchons là au cœur de la révolution qui nous détruit. D'où l'intérêt en quelque sorte vital de cet entretien.  LFAR  

     

    1791516973.jpgUn nouveau concept politico-linguistique fait actuellement beaucoup parler de lui : la « post-vérité ». Il y aurait donc une « anté-vérité » ? Qu’est-ce que tout cela veut dire ?

    La « post-vérité » (post-truth) a, en effet, été choisie en 2016 comme « mot de l’année » par le Dictionnaire d’Oxford. Le terme est apparu aux États-Unis dans le sillage de la « French Theory » au début des années 1990, lorsque des auteurs comme Michel Foucault ou Jacques Derrida ont commencé à discréditer la notion de vérité comme un « grand récit » auquel on ne pouvait plus croire. Dans la foulée, un certain nombre de journalistes ont cru possible de s’affranchir de leur devoir de neutralité face aux événements. Le mot a, ensuite, été popularisé en 2004 avec le livre de Ralph Keyes, The Post-Truth Era.

    La « post-vérité » n’est pas le mensonge mais l’indifférence à la distinction entre mensonge et vérité. L’ère « post-vérité » (ou « post-factuelle ») désigne une période dans laquelle les faits objectifs comptent moins que l’émotion pour modeler l’opinion publique. Dans cette optique, le rôle des victimes devient essentiel. L’image partout diffusée du petit Aylan, noyé sur les rives de la Méditerranée, qu’on a immédiatement utilisée comme un argument en faveur de l’accueil des migrants, en est un exemple typique. En suspendant le jugement, l’émotion permet la manipulation.

    On sait bien qu’il est difficile de hiérarchiser les informations quand on est bombardé de nouvelles, de commentaires et d’images qui se succèdent à une vitesse folle. C’est le problème de l’« infobésité ». Cela n’a rien de nouveau, mais le phénomène s’est, de toute évidence, accéléré à l’époque postmoderne. La transformation de la vie politique en spectacle, c’est-à-dire en concours d’apparences, la déferlante des images, les pratiques commerciales frauduleuses, la publicité mensongère, l’avènement de la blogosphère et des réseaux sociaux, le règne de la télé-réalité et de l’« infotainement » (mêlant information et divertissement), le rôle joué par des « spindoctors » spécialistes dans l’art de raconter des histoires (« storytelling »), le recours aux algorithmes et aux « bulles de filtrage », voire la montée du narcissisme (tout individu peut devenir source d’information ou de désinformation), ont fortement contribué à effacer la frontière entre vérité et non-vérité, donnant naissance à ce que certains ont appelé la « démocratie des crédules ». L’avènement du numérique décourage, à lui seul, le sens critique et le raisonnement logique, en même temps qu’il provoque un manque chronique d’attention. Hannah Arendt distinguait les vérités de fait et les vérités de raison. La « post-vérité » révèle la vulnérabilité des premières.

    On parle aussi beaucoup des « fake news ». Mais ces « fausses vérités » ne sont-elles pas aussi l’ordinaire du monde de l’information, officielle ou non ?

    C’est l’autre volet de la question.

    Le journalisme professionnel a longtemps été censé recueillir la vérité publique, mais ce n’est plus le cas. Toutes les enquêtes d’opinion révèlent une défiance croissante vis-à-vis des grands médias : presse papier, radios, télévisions. Les gens réalisent que ce qu’on leur dit ne correspond pas à ce qu’ils voient. Depuis que les propriétaires des journaux ne sont plus des journalistes mais des milliardaires, ils sont devenus conscients des connivences incestueuses qui lient les médias aux élites financières et politiques, toutes issues du même milieu sociologique, toutes également discréditées. Mais au lieu de s’interroger sur les causes de cette défiance dont ils font l’objet, les grands médias préfèrent dénoncer les sources d’information alternatives comme fondées sur la rumeur et le mensonge. Après avoir exercé une cléricature riche en anathèmes, en mises à l’index et en excommunications, ils se posent en gardiens des faits et prétendent dire ce qu’il faut croire. La création de mystifications du genre « Decodex » ou « FactCheck » n’a pas d’autre origine. C’est dans ce contexte qu’ils s’en prennent à la « post-vérité ». 

    Ce n’est pas un hasard si l’on n’a jamais tant manié la notion de « fake news » (« informations contrefaites ») que depuis le Brexit et l’élection de Donald Trump. Le peuple adhérerait spontanément à la « post-vérité », parce qu’il se composerait essentiellement de ploucs incultes et mal éduqués. À travers la dénonciation de la « post-vérité », c’est à une mise en accusation du populisme, dont les leaders orienteraient systématiquement le peuple vers ses bas instincts en faisant un usage stratégique des rumeurs et en usant d’« éléments de langage » n’ayant plus aucun rapport avec les faits, que l’on assiste. Or, les médias qui sont sur la défensive face aux « fake news » ont toujours été les premiers à en publier (on se souvient du « charnier » de Timișoara, des couveuses du Koweït, des « armes de destruction massive » de Saddam Hussein, etc.). Il y a longtemps que la grande presse s’est mise au service de l’idéologie dominante, devenant du même coup la principale fabrique du consentement (Noam Chomsky).

    Un retour à l’objectivité est-il possible ?

    L’objectivité absolue est impossible car personne ne parle à partir de nulle part, mais on peut au moins tendre à l’honnêteté. La notion de vérité fait, depuis des siècles, l’objet d’un vaste débat philosophique. On la définit souvent, à tort à mon avis, comme synonyme de la conformité aux faits : il y aurait d’un côté les faits, de l’autre les jugements de valeur. C’est oublier que notre cerveau ne perçoit jamais des faits bruts, mais des faits associés à des interprétations qui, seules, peuvent leur donner un sens. Nos structures cognitives ne nous portent pas à rechercher des faits mais à rechercher du sens, et donc à faire un tri spontané entre les informations en fonction de ce que nous pensons déjà, et plus généralement des exigences de notre écosystème mental. C’est la raison pour laquelle la « post-vérité » a encore de beaux jours devant elle. 

    Intellectuel, philosophe et politologue
     
    Entretien réalisé par Nicolas Gauthier
  • Syrie : Un voyage spirituel hautement symbolique conduit par Mgr Rey ... Le prince Jean dans les pas de Saint-Louis

    « Divine liturgie » à Damas © Charlotte d'Ornellas

    par Annie Laurent  

    Pour Lafautearousseau, Annie Laurent a bien voulu rédiger ses impressions de voyage. Un voyage, on va le voir, « en tous points exceptionnel », selon l'expression de notre confrère Péroncel-Hugoz. Et d'une indéniable portée symbolique s'agissant de l'amitié franco-syrienne, soulignée par la participation du prince Jean de France. Un grand merci à Annie Laurent !  LFAR 

     

    2444184188.jpgLe 28 mars dernier, lundi de Pâques, le prince Jean s’est envolé pour la Syrie en compagnie d’un groupe conduit par Mgr Dominique Rey, l’évêque de Fréjus-Toulon, qui avait d’ailleurs célébré son mariage en 2009. Ce court voyage, auquel Jean-Baptiste d’Albaret, rédacteur en chef de Politique Magazine, a également participé, et que j’ai eu le privilège d’accompagner, s’est achevé dans la nuit du 2 au 3 avril. L’organisation logistique avait été confiée à la jeune association SOS Chrétiens d’Orient, fondée en 2013 et très active sur le terrain. Grâce à elle, nous avons obtenu des autorités toutes les facilités pour circuler sans problèmes, étant entendu que nous sommes restés dans des régions dont l’armée a repris le contrôle, ce qui n’est pas le cas, par exemple, de certaines banlieues de Damas.

    Ce voyage avait un but précis : il s’inscrivait dans le cadre du jumelage conclu entre le diocèse varois et l’éparchie grecque-catholique de Homs, dont le titulaire est Mgr Abdo Arbach. Il s’agissait donc d’un pèlerinage et c’est pourquoi il ne comportait aucune rencontre avec des dirigeants politiques syriens. Notre groupe, composé de 45 personnes, parmi lesquelles un bon nombre de jeunes professionnels et étudiants, s’est rendu sur les pas de saint Paul à Damas ainsi qu’en divers sanctuaires de Homs et de sa région. Le séjour fut aussi, bien entendu, ponctué de rencontres avec plusieurs ecclésiastiques et des fidèles chrétiens appartenant à diverses Eglises orientales mais également à l’Eglise latine.

    A Damas, après une visite très recueillie à la maison d’Ananie, l’évêque qui eut l’honneur de baptiser Saul, le futur « apôtre des nations », la délégation a été accueillie par Sa Béatitude Grégoire III Laham, patriarche d’Antioche et de tout l’Orient des grecs-melkites-catholiques, de Jérusalem et d’Alexandrie, dont le siège se trouve dans la capitale syrienne. Invité à s’exprimer, le prince Jean s’est présenté en évoquant son lointain ancêtre Saint Louis ainsi que l’attention particulière que ce dernier portait aux chrétiens d’Orient et en se situant lui-même dans cette noble tradition de protection dont la France actuelle se doit d’être la digne héritière. Dans la soirée, après une messe célébrée en rite byzantin dans l’église patriarcale, Grégoire III a invité toute la délégation à un dîner officiel auquel il avait aussi convié le nonce apostolique en Syrie, Mgr Mario Zenari, et des évêques de divers rites, tous déjà présents lors de la « divine liturgie ». L’ambiance, très festive, ponctuée de chants français entonnés joyeusement par les prélats, suffisait à montrer la reconnaissance de nos hôtes syriens, touchés par notre visite alors que Paris a rompu toutes relations avec ce malheureux pays. Durant tout notre séjour, nous n’avons d’ailleurs croisé aucun autre Français.

    Dans la capitale toujours, sous la conduite de l’archevêque maronite, Mgr Samir Nassar, qui nous a fait visiter sa modeste cathédrale, nous avons aussi pu prier devant la tombe des trois bienheureux frères Massabki, martyrisés avec un groupe de franciscains lors des massacres de masse commis en 1860 contre les chrétiens du Mont-Liban et de Damas, ce qui avait préludé à l’expédition de troupes françaises à l’initiative de l’empereur Napoléon III.

    1459494701-887ba8a80b67b1aaeefec541655445ad.jpgLa deuxième partie du séjour s’est déroulée à Homs, ville terriblement sinistrée, où nous avons pu déambuler à pieds sur plusieurs centaines de mètres, sous la protection bienveillante des soldats syriens, très souriants comme tous ceux que nous rencontrions. Les deux cathédrales que nous avons visitées, la grecque-catholique et la syriaque-catholique, sont dans un état pitoyable : coupoles et toitures perforés par les obus, iconostase et autels brûlés, icônes aux yeux perforés par les balles des djihadistes. SOS Chrétiens d’Orient participe à la reconstruction de la première. Partout alentour, ce n’est qu’amoncellement d’immeubles détruits. Nous avons aussi prié sur la tombe du Père Frans van der Lugt, jésuite hollandais, qui avait tenu à demeurer sur place malgré les dangers, pour secourir les chrétiens qui n’avaient pas pu quitter la ville. Assassiné le 7 avril 2014, il est enterré dans le jardin de son couvent. Comme Homs, les deux autres villes de la région que nous avons visitées, Qussaïr et Yabroud, ont été pendant des mois le théâtre d’affrontements entre les djihadistes de diverses obédiences, y compris Daech, et l’armée nationale qui a finalement pu reprendre possession des lieux (en mai 2014 pour Homs), avec parfois l’appui du Hezbollah libanais. De notre autocar, nous pouvions alors contempler les sommets enneigés du pays du Cèdre.

    Les dernières étapes nous ont conduits dans la « Vallée des chrétiens », également très proche du Liban, avec notamment une visite captivante du célèbre Krak des Chevaliers édifié au XIIIème siècle sur un sommet stratégique. Une brigade de Daech a aussi séjourné dans ses murs avant d’en être délogée. Les dégâts ne sont heureusement pas irrémédiables et la restauration de l’imposant édifice est sur le point de commencer. Puis, nous sommes allés à Maaloula, l’un des trois villages syriens où les habitants parlent l’araméen, la langue du Christ. Cet endroit a beaucoup souffert. En 2013, lors de l’attaque des djihadistes, trois jeunes gens ont été abattus devant chez eux après avoir refusé de se faire musulmans et six autres ont été enlevés. On est sans nouvelles d’eux. La localité compte deux monastères, l’un dédié à sainte Thècle, cette disciple de saint Paul, venue d’Asie mineure, qui échoua ici sous une protection divine qui la fit échapper à la persécution. Les moniales qui y vivaient et qui ont pu quitter les lieux ne peuvent pour l’heure envisager d’y revenir car le bâtiment a été entièrement détruit par les rebelles. L’autre monastère, dédié aux saints Serge et Bacchus, est quant à lui beaucoup moins endommagé, mais il est encore vide de toute présence de religieux. Depuis la libération de Maaloula, la sécurité est en partie assurée par une brigade locale, affiliée à une « garde nationale » qui reçoit ses armes et ses munitions du gouvernement, ses membres conjuguant la surveillance avec leurs activités professionnelles.

    Enfin, nous sommes allés au sanctuaire grec-orthodoxe de Sednaya, situé à une heure de route au nord de Damas. 36 moniales résident en ce lieu qui abrite une célèbre icône représentant la Vierge Marie, dont la réalisation est attribuée à saint Luc. L’icône ne sort jamais de sa niche toujours fermée où elle est soigneusement gardée. Lors de notre passage, il y avait une foule de pèlerins, l’église était pleine de fidèles en prière.

    Partout, nos interlocuteurs ont montré une force d’âme, un courage et une vitalité vraiment étonnants et sans doute inattendus pour beaucoup d’entre nous. Comment oublier, par exemple, cette classe de l’école patriarcale grecque-catholique de Damas où les jeunes élèves, tous en uniforme, ont interprété pour nous des chants en français ayant pour thème le désir de paix ? Après ce voyage, on se dit que la France a vraiment trahi son histoire et ses responsabilités et que l’un des moyens de racheter cette faute majeure est de se rendre dans ce beau pays de Syrie, berceau du christianisme comme ont tenu à nous le rappeler tous nos interlocuteurs. 

     

  • Ivan Rioufol : « Le “ progressisme ” malade de ses dénis »

    Peuple en colère ... 

    Par Ivan Rioufol

    CHRONIQUE - Comprendre la désintégration de la nation invite à s'arrêter [Le Figaro du 12.01] sur le dérèglement intellectuel de cette gauche qui a tant fasciné la droite. De cette droite qui l'a tant suivie. Et parfois dépassée pour diverses raisons - dont celles liées à de puissants intérêts. Ainsi la désintégration de la nation qu'Ivan Rioufol pointe ici avec justesse a souvent été l'œuvre commune de la droite et de la gauche. Et François Fillon n'y a pas été toujours étranger, toujours opposé. C'est pourquoi ici, nous ne lui ferons ni confiance ni procès anticipés. S'il venait à être le futur Chef de l'Etat, nous le jugerions aux actes. Ni plus ni moins. Quant à la critique du prétendu progressisme à laquelle Rioufol se livre ici, y compris s'agissant du centrisme de Macron, elle rencontre naturellement notre accord.  Lafautearousseau.    

     

    picture-269762-59fn6n7.jpgSept fantômes du PS se sont disputés, jeudi soir à la télévision, la place de candidat à la présidentielle. Les Français les verront apparaître deux fois encore avant le premier tour de leur primaire, le 22 janvier: ce court délai devrait suffire pour faire le tour des programmes. Le manichéisme de Vincent Peillon, la démagogie de Benoît Hamon, la suffisance d'Arnaud Montebourg sont les vieux restes qui rappellent ce que fut le progressisme du temps de sa splendeur. Manuel Valls, qui avait ouvert le procès de ce socialisme infatué, ne cesse depuis de se renier pour tenter de rassembler une armée des ombres. L'entendre rejeter le libéralisme après avoir déclaré son « amour» de l'entreprise est une incongruité parmi d'autres. Lundi, un sondage du Figaro donnait l'ancien premier ministre perdant au second tour face à Montebourg, soutenu par les « socialos » morts-vivants. Valls se perd à vouloir séduire des zombies.

    Pour autant, comprendre la désintégration de la nation invite à s'arrêter sur le dérèglement intellectuel de cette gauche qui a tant fasciné la droite. Deux et deux n'ont jamais fait quatre dans ce monde qui marche sur la tête. « Faire plier les réalités » a toujours été l'orgueilleux objectif d'une idéologie rétive à la réflexion et aux résultats. Rien d'étonnant à ce que les candidats de la ronflante Belle Alliance Populaire reprennent l'héritage de la gauche marxiste, dépensière et immigrationniste. L'assistanat, la culture de l'excuse, le clientélisme restent les piliers des projets. Hamon est, avec Peillon, l'un des plus décomplexés dans le cynisme électoral. Pour plaire aux cités, il minimise le sexisme culturel qui s'y observe et soutient la cause palestinienne dans sa lutte contre l'existence d'Israël. « Il s'agit du meilleur moyen pour récupérer notre électorat de banlieue et des quartiers », s'était-il justifié en 2014.

    Redonner des responsabilités à ces laborantins de l'Homme nouveau reviendrait à asséner le coup de grâce à la nation sur les genoux. D'autant qu'aucun des grands sujets qui sont au cœur des inquiétudes des gens - l'immigration de peuplement, la cohabitation avec l'islam conquérant, le séparatisme territorial - n'a été pour l'instant abordé par la plupart des prétendants. Le débat ne peut se réduire au travail, à l'emploi et à la redistribution des richesses, alors même que la France est en guerre, depuis les attentats islamistes des 7 et 9 janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher de Vincennes. Or c'est bien le déni qui fédère les survivants du socialisme. Valls fait figure d'intrus quand il tient tête à l'islam radical. Jeudi dernier, sur France 2, il n'a pas cédé au discours victimaire d'une femme voilée censée représenter les Françaises musulmanes. La gauche soumise déteste cette raideur.

    En fait, le courant humanitariste et universaliste s'asphyxie sous la vague conservatrice. Aux États-Unis, la gauche en perdition s'est retranchée derrière ses bastions des médias et de Hollywood pour faire feu sur Donald Trump. Lors de la soirée des Golden Globes, l'actrice Meryl Streep a porté l'indignation du camp du Bien devant un monde de paillettes, de strass et de dollars. Mercredi, CNN et le site BuzzFeed ont rendu publique une série d'infamies non sourcées et invérifiables. Barack Obama se réserve une sortie piteuse le 20 janvier, pour avoir mesquinement multiplié les chausse-trappes à l'intention de son successeur. Un sort similaire est promis à la gauche française, incapable de s'avouer dépassée par l'histoire. Certes, la forte audience que rencontre Emmanuel Macron dans ses meetings peut laisser croire en un renouveau du progressisme dont il se réclame avec talent. Mais cet Obama blanc, non plus, ne dit rien des réalités qui dérangent.

    L'insécurité culturelle occultée

    Macron, comme Trump, symbolise le rejet d'une démocratie confisquée. Un besoin d'air frais les porte. Mais l'analogie s'arrête là. Si l'Américain sanguin a pris le parti des « ploucs » contre les « élites », le Français sophistiqué ensorcelle davantage les people que le peuple. Les fondamentaux de son programme sont ceux d'un centrisme angélique qui voit en Angela Merkel le modèle à suivre, dans les migrants le prétexte à l'ostentation des bons sentiments, dans l'Union européenne la protection des peuples. Macron a l'art de faire du neuf avec du vieux. Des juppéistes, des membres de l'UDI et du Modem, dont François Bayrou lui-même, sont appelés à rejoindre cet entre-deux qui leur ressemble. En marche ! pourrait aussi ringardiser définitivement le PS momifié. Cependant, nulle part n'apparaît, derrière cette belle figure, le chef de guerre attendu. Il est peu probable que ce rôle soit un jour endossé par celui qui préfère légaliser le cannabis. Trop de retenues empêchent Macron d'aborder l'insécurité culturelle qui taraude les peuples. Cette semaine, un sondage montre que 77 % des Belges ne se sentent plus chez eux.

    François Fillon, que les enquêtes d'opinion disent en perte de vitesse, a pour lui de vouloir s'émanciper du conformisme de la fausse droite et des humanitaristes professionnels. Si, sur la réforme de la sécurité sociale, il a donné le sentiment de reculer dès la première critique, sa résistance aux pressions de ses alliés corrige la faiblesse de caractère qu'il a laissé voir. Ceux qui veulent mettre leur grain de sel dans son projet ont jusqu'à présent été tous éconduits, sèchement concernant Laurent Wauquiez et sa proposition de rétablir la défiscalisation des heures supplémentaires . « Les grilles de lecture du microcosme ne sont plus celles de cette France silencieuse et fiévreuse que j'ai parcourue de long en large », a-t-il expliqué mardi. Les combats contre l'islam politique et l'immigration remplaciste sont des thèmes qui, occultés par le PS et Macron, s'annoncent prometteurs si les réponses se montrent à la hauteur. « L'immigration doit être fermement contrôlée et réduite », a annoncé Fillon, mercredi à Nice. La concurrence du FN lui interdit tout recul.

    Cécité de l'Église

    Même le pape François, si décevant dans son refus de faire obstacle à la déculturation de l'Europe*, admet que l'immigration pose des problèmes. Lundi, devant le corps diplomatique, il a recommandé une nouvelle fois aux « autorités publiques » de suivre une « démarche prudente » pour l'accueil des migrants. L'Église sortirait-elle enfin de sa cécité ? 

    * Laurent Dandrieu, « Église et immigration. Le grand malaise », Presses de la Renaissance.

    Ivan Rioufol           

  • Régime des partis : Le sens du vote Fillon

     

    par Hilaire de Crémiers 

    Le vote Fillon a rallié toute une France que tout le système politico-médiatique voudrait ne plus voir apparaître. Il est le signal d’une dynamique nouvelle. Toute la question est de savoir si elle pourra aboutir.

     

    2771589182.jpgLa droite catholique a voté. Tout le monde en convient. C’est le signe le plus clair des primaires de la droite. Suivant la rumeur qui s’amplifia soudain dans le corps électoral, selon aussi les consignes données sur les réseaux sociaux et sous des instigations qui se devinent, elle s’est portée sur François Fillon.

    Il s’agissait de faire barrage à Alain Juppé et à Nicolas Sarkozy : le vote utile, comme on dit toujours. Tout aussi bien ces voix auraient pu se porter sur Jean-Frédéric Poisson, quant aux convictions profondes. Il était le seul « affiché » catholique ; le mécanisme institutionnel est tel qu’il rend impossible un vote franc et massif de conviction. Les électeurs en sont réduits à faire un choix « contre ».

    Mais il est certain que derrière un tel vote, il y a un choix « pour ». « Pour » l’ordre, « pour » une restauration de l’autorité et des libertés, « pour » la vie, « pour » les familles, « pour » un redressement. Et ce vote « pour » a fait peur aux tenants du système, mot simple mais qui n’est équivoque pour personne.

    La pression dès la fin du premier tour a recommencé à s’exercer. Après le second tour il est à prévoir que ce sera pire et plus sournois. François Fillon est sommé à chaque instant, qu’il le veuille ou non, de s’expliquer sur l’avortement, sur les droits de la femme, sur ses liens supposés avec la droite catholique, voire avec l’extrême droite, sur son amitié avec Poutine, sur son libéralisme qualifié de radical.

    On feint de croire Fillon en rupture avec le système. Il a beau dire que ce n’est pas le cas, confirmer qu’il a voté toutes les lois sur l’avortement, celles qui vont le plus loin, ajouter qu’il n’est pas question pour lui de remettre en cause la loi Taubira, préciser qu’il ne touchera pas à l’organisation sociale, il est soupçonné d’intentions perverses par tous les défenseurs patentés des « valeurs républicaines ».

    L’ignoble chantage

    Les chiens aboient et vont aboyer encore plus fort. Il devra de plus en plus attester publiquement de sa soumission aux normes de la classe politique et médiatique. Lui sera refusée même la réserve la plus intime sur ses convictions les plus personnelles, philosophiques comme il dit, ou religieuses. à ce prix il sera le candidat de toute la droite ou prétendue droite et du centre. Es-tu « catho » ou non ? Es-tu « républicain » ou non ?

    Telle est encore aujourd’hui la vraie question. C’est intéressant de le noter. En dépit de tous les ralliements cléricaux à la République. Nos institutions n’en sortent pas et c’est la raison, la seule et vraie raison, pour laquelle Juppé était placé en tête dans les prévisions du premier tour.

    Tout le monde le pensait tant c’était l’homme des appareils et des habitudes du système. Les pronostics ont été déjoués, manifestation une fois de plus éclatante de l’appel profond d’une France humiliée et outragée vers l’homme d’État attendu pour une vraie rupture et qui, lui, ne décevrait pas. Tel est le sens du vote Fillon. Qui ne le sait, mais qui ose le dire ? Lui-même, cerné qu’il va être, que peut-il faire ? Faire était le titre de son opuscule de campagne.

    Soit ! Mais faire quoi au juste ? S’il doit d’abord adhérer à toutes les inepties qui font le contrat social de la politicaillerie au pouvoir et s’abaisser devant les criailleries des médias, s’il ne peut réclamer une vraie politique familiale, réanimer une morale publique, dire « non » à l’Europe de Maastricht et de Lisbonne, renouer avec notre histoire nationale ? N’a-t-il pas déjà trop acquiescé ? Un chef de l’État doit, d’abord, être libre. C’est la première chose qu’il eût fallu déclarer à la primaire. Au lieu de discuter sur l’âge auquel un enfant doit être orienté. De minimis non curat praetor.

    Ce que vit la France est typique. Tout est fait pour que Fillon ne soit un « dur » qu’en apparence. L’idée est de faire en sorte qu’il soit trop lié au système pour se permettre de rompre avec lui. Or, les primaires ont révélé une France en réalité très « à droite » selon les classifications habituelles des analystes politiques, c’est-à-dire de plus en plus soucieuse de son identité historique, attachée à ses familles, alors que tout est entrepris pour les démolir, inquiète pour son patrimoine, pour ses villages, sa ruralité, ses industries, pour la convivialité de ses villes, pour sa défense et sa sécurité, cherchant un avenir dans un ordre retrouvé.

    Fillon a donné l’impression de partager ses manières de voir et de sentir. Il a rallié naturellement toute cette France qui croit encore en la France. Mais c’est cette France que tout le système politico-médiatique ne veut plus voir apparaître ; il la pensait morte et enterrée. Elle ne l’est pas ; elle ne l’est jamais.

    C’est un très bon signe. Fillon devrait normalement en faire partie, ne serait-ce que par ses attaches familiales. Le vote en sa faveur n’est dû qu’à ce sentiment. La contrainte du mécanisme institutionnel risque de tout fausser. Déjà, sur le plan public – et pour avoir la paix –, il a remisé tout ce qui aurait pu le distinguer fondamentalement des autres.

    La croisée des chemins

    Il a si bien compris, senti même l’impasse où le mènent de telles élections, trop partisanes pour lui donner les coudées franches, qu’il se contente d’axer sa volonté de réforme essentiellement sur l’économie. Alors qu’un Trump a réussi à obtenir une liberté d’action, Fillon sait très bien comment et pourquoi il sera contrecarré. Il connaîtra très vite les limites de sa stratégie : tous ses projets seront bloqués, aussi bien à la base qu’au sommet, du côté européen comme du côté prétenduement social français.

    D’autant plus qu’il est maintenant probable qu’il sera le candidat républicain face à Marine Le Pen et qu’après avoir droitisé son discours, il sera obligé de le gauchir. D’où, pour se distinguer et pour tenter de se libérer, sa volonté de procéder par ordonnances sur ses priorités. Imagine-t-on les difficultés qu’il va rencontrer ?

    Un État en faillite, des administrations qui n’obéissent plus, une Europe qui lui mettra des bâtons dans les roues, un esprit public qui se salira et qui ne correspondra plus à l’élan patriotique et pur qui l’a soutenu aux primaires, l’immigration sauvage, le terrorisme islamique et, pire que tout, un monde politicien et médiatique assoiffé de pouvoir et de vengeance.

    « La France est poignarde », disait Maurice Barrès. Ce qui veut tout dire, surtout aujourd’hui. Guillaume Bernard dans son livre La guerre à droite aura bien lieu (Desclée de Brouwer), montre parfaitement ce qu’il appelle « le mouvement dextrogyre », c’est-à-dire ce besoin d’ordre, de sécurité, d’autorité, qui repousse maintenant vers la gauche les idées et les mouvements politiques dont l’inspiration puise encore aux sources des vieilles idéologies du xixe et du xxe siècles.

    Robert Ménard, le maire de Béziers qui, lui, n’a peur de rien, dans son Abécédaire de la France qui ne veut pas mourir (Pierre-Guilaume de Roux) explicite en termes simples et clairs les mesures sages qui s’imposent de toute évidence aujourd’hui, en réduisant les fausses objections à ce qu’elles sont en réalité : des « mots » qui permettent à des politiciens, à des journalistes, à des fonctionnaires sans responsabilité réelle, de faire semblant d’exister. Fillon ou pas Fillon, le jour viendra du choix crucial : « pour » ou « contre » la France.   

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  • Éric Zemmour : Pourquoi les peuples ne veulent pas mourir

     

    Par Eric Zemmour           

    Derrière l'élection de Donald Trump, Eric Zemmour distingue le sursaut d'une Amérique blanche et populaire qui tente d'éviter le destin tragique que lui promettent la démographie et l'idéologie. Il en tire des leçons pour l'avenir politique français [Figaro, 18.11]. Clarifions notre position : ceci ne signifie pas qu'il y ait une internationale des peuples ou des nationalismes. Leurs intérêts sont divers, souvent opposés. Ils sont marqués par leurs différences. Cela signifie toutefois que la structuration du monde en peuples, nations, Etats, forgés par la géographie et par l'Histoire, est une donnée pérenne. Et que ces entités politiques ont au moins en commun leur volonté de vivre.  LFAR 

    522209694.4.jpgIls battent leur coulpe. Ils reconnaissent leurs torts. Ils promettent de s'amender. Ils sont journalistes, patrons de journaux, universitaires, intellectuels, économistes, ou patrons du numérique dans la Silicon Valley. Ils vivent dans les grandes métropoles de l'est ou de l'ouest de l'Amérique ; et ont fait campagne jusqu'au bout en faveur d'Hillary Clinton. Une campagne violente, sans mesures ni limites, sans aucun respect pour la déontologie journalistique ou la rigueur scientifique, à la hauteur de l'aversion qu'ils éprouvaient pour leur adversaire Donald Trump.

    Ils ont perdu. Ils essayent de comprendre. Pourquoi le pays ne les a pas suivis ? Pourquoi l'électorat populaire ne les a pas écoutés ? Pourquoi les Etats ouvriers, bastions du Parti démocrate depuis des lustres, comme cet emblématique Wisconsin, ont-ils plébiscité un milliardaire new-yorkais vulgaire et ne payant pas toujours ses impôts ?

    Il faut reconnaître qu'on ne sait plus comment vivent les Américains, a avoué Paul Krugman, prix Nobel d'économie. Ils vivent sans la 4G et sans Uber, et quand ils ont besoin d'un emprunt, ils ont un « crédit pourri », a complété un autre, patron dans la Silicon Valley.

    L'Amérique des élites s'interroge sans fard ni ménagements. Elle accepte le verdict des urnes et cherche à comprendre les raisons d'une rupture au sein de la nation américaine.

    C'est une différence - et elle est fondamentale - avec la France. Dans notre pays, nos élites médiatiques, intellectuelles, artistiques, économiques, financières et politiques auraient continué à insulter, vitupérer, ostraciser. Raciste, fasciste, xénophobe, homophobe, misogyne, on connaît la litanie, la fameuse « cage aux phobes » chère à Philippe Muray. On aurait convoqué les mânes des grands anciens de la Révolution. On aurait appelé à la révolte, à l'insurrection. Chez nous, le peuple est sacré quand il pense comme ses élites ; il est jeté aux chiens dans le cas inverse. Le peuple est populaire quand il pense bien, populiste quand il pense mal.

    Populiste : encore un mot qui nous vient d'Amérique. Le premier parti populiste y fut fondé à la fin du XIXe siècle. Il lutte alors contre Wall Street, contre la cupidité des financiers, des « barons voleurs », contre les inégalités croissantes. Déjà. Pas étonnant. Nous sommes alors dans ce que les historiens appelleront plus tard la première mondialisation, celle qui s'achèvera avec la guerre de 1914, et qui, autour du chemin de fer et de l'électricité, connut une première explosion du commerce mondial, favorisé par le libre-échange et les mouvements internationaux de capitaux. A l'époque, les épargnants français étaient les banquiers du monde ! Autre différence notable : la gauche française est alors fière d'être « populiste ». La gauche américaine, mais aussi européenne, se veut le porte-parole du peuple ; aujourd'hui, elle est la représentante des minorités.

    Encore une fois, la campagne américaine fut emblématique. Hillary Clinton a cherché à rassembler derrière elle la cohorte des minorités, raciales et sexuelles, soigneusement recensées par un marketing électoral rigoureux. Elle reprenait d'ailleurs les méthodes qui avaient permis à Barack Obama d'être élu deux fois à la Maison-Blanche. Mais avec Hillary, l'électorat noir s'est moins mobilisé. Mais c'est tout de même l'électorat de Trump que les médias bien-pensants traitent de raciste !

    En vérité, la victoire de Trump est la revanche du peuple sur les minorités. Bien sûr, le gros des troupes trumpistes est blanc et masculin. Bien sûr, comme lors du vote anglais sur le Brexit, ce sont les moins diplômés qui ont voté pour le candidat que vomissait l'Etablissement. Mais l'électorat de Trump est aussi composé de femmes (plutôt blanches) et même d'une minorité des Noirs et des Latinos.

    Il ne faut pas s'étonner de ces considérations ethniques dans un pays qui n'a pas nos pudeurs et nos hypocrisies. Surtout, il ne faut pas s'étonner de ces distinctions, car la campagne américaine fut d'abord une campagne identitaire. Trump s'est arraché au magma de ses rivaux pour la primaire du Parti républicain en promettant de construire un mur avec le Mexique et d'expulser les millions de clandestins latinos. Tout est parti de là. Et ce n'est pas un hasard.

    Dans un livre qui a fait moins de bruit que son célèbre Choc des civilisations, et s'intitulait sobrement Qui sommes-nous ? Samuel Huntington avait très finement analysé la désagrégation d'une Amérique qui ne parvient plus à intégrer les millions d'immigrants venus du Mexique, au même titre que les vagues précédentes: les latinos continuent à parler leur langue, ont leurs écoles, leurs télés ; ils vivent aux Etats-Unis comme là-bas, au Mexique. Les derniers arrivés ne s'agrègent pas à ce monde façonné par le protestantisme et la langue anglaise, mais à une diaspora latino, catholique et hispanique.

    En lisant Huntington, la similitude de nos situations saute aux yeux, sauf que les latinos sont catholiques tandis que nos immigrants sont plutôt musulmans. Dans son livre, l'intellectuel américain fonde le comportement inconscient de ces populations sur la revanche historique d'un Mexique jadis vaincu et dépecé par les gringos venus du Nord. Cette émergence d'un peuple dans le peuple, Huntington lui donne une fin plausible : une nouvelle guerre de sécession à l'horizon de 2050. Ces mots évoquent irrésistiblement la « partition » dont parle notre président François Hollande dans un livre de confidences à des journalistes.

    La France et les Etats-Unis vivent des situations fort comparables. Nous avons découvert qu'une Amérique blanche et populaire tentait un dernier baroud pour éviter le destin tragique qui lui est promis par la démographie et l'idéologie. C'est cela que les élites, en Amérique comme en France, appellent le « populisme » : la volonté des peuples de ne pas mourir. La volonté farouche des peuples de continuer à vivre selon leur ancestral mode de vie. En Amérique comme en France.

    Ces peuples ont les mêmes élites et la même idéologie ; la même déconstruction qui, au nom du féminisme, de l'antiracisme et du cosmopolitisme, nous a appris que l'identité française n'existait pas, comme l'identité américaine n'existe pas. Que ces identités sont « mouvantes », ne sont pas « figées », doivent s'adapter. La France comme les Etats-Unis sont sommés de devenir des pays-monde.

    Cette idéologie des élites sert, comme l'avait très bien vu Karl Marx, leurs intérêts. En délocalisant les usines en Chine, et en faisant venir une main-d'œuvre pas chère dans les grandes métropoles, pour leur servir de nounous ou de livreurs de sushis, les élites mondialisées ont réussi à accroître leurs revenus de manière démesurée. Les fameuses libertés, chères aux technocrates bruxellois comme aux financiers anglo-saxons, liberté des capitaux, des marchandises, des services et des hommes, sont au service des intérêts des élites mondialisées.

    Tout n'est pas sombre dans la mondialisation : des millions de personnes, venues du Sud, sont sorties de la pauvreté, soit dans les usines délocalisées, soit dans les métropoles de l'Occident. Ce nouveau peuple « de remplacement » est l'allié des élites occidentales. C'est lui qui vote pour Clinton, contre le Brexit, ou pour Hollande en 2012. Mais le peuple d'origine, le peuple de souche, le peuple d'antan n'a plus les moyens de vivre dans les métropoles mondialisées et ne veut pas vivre avec les nouveaux venus, trop nombreux pour renoncer à leurs anciennes mœurs. Ils sont donc chassés et s'éloignent des grands centres où se crée désormais la richesse. C'est la France périphérique, chère au géographe Christophe Guilluy. Donald Trump nous a permis de découvrir qu'il y avait aussi une Amérique « périphérique ».

    Le combat entre Trump et Clinton, à l'instar du référendum sur le Brexit, n'est donc pas comme on l'a dit un peu vite, le combat du peuple contre les élites, mais le combat d'un peuple de souche contre le peuple « de remplacement » amené dans les bagages des élites mondialisées. C'est encore plus explosif. Aux Etats-Unis, comme en Europe, comme en France.

    Dans notre pays, la situation politique est moins décantée. Nous avons l'habitude d'un certain retard à l'allumage. Alors que Margaret Thatcher et Ronald Reagan s'installaient au pouvoir à la fin des années 70, la France élisait un président socialiste, en mai 1981. Son keynésianisme étatiste sera pris à contre-pied par le libéralisme mondialisé des Anglo-Saxons.

    Cette fois encore, nous pourrions très bien être en décalage historique en élisant Alain Juppé. Il faut dire que nous avons des Trump de pacotille. Nicolas Sarkozy qui a précédé l'Américain sur la voie de la transgression du politiquement correct, a avoué ses préférences pour Hillary Clinton. Marine Le Pen cherche à apaiser là où Trump n'a jamais hésité à provoquer. Elle rêve de séduire féministes et mouvements gays que Trump n'a jamais cessé de rudoyer. Nos politiques français ne semblent pas comprendre que l'idéologie des élites est un tout, cette alliance de libéralisme économique et culturel qui déconstruit les nations au nom d'un individualisme roi et de la religion des droits de l'homme.

    On dit les Français idéologues et grands manieurs de concepts et d'idées. Et si notre réputation était usurpée ? 

    Eric Zemmour

  • Culture • Le Mystère Le Nain

    Famille de paysans dans un intérieur 

     

    Par Edouard de Saint Blimont 

    Il paraît qu’Emmanuel Macron, à peine élu, ira fêter sa victoire, sur la place du Louvre.

    Qu’il en passe les portes ou qu’il se déplace jusqu’au Louvre Lens pour recevoir quelques leçons des frères Le Nain dont les tableaux sont exposés en ce moment. Mais cet ancien rédacteur du rapport Attali qui soutient que l’homme n’existe que pour produire et consommer, qui prône la nomadisation des peuples, et dont le programme exclut toute allusion à une éventuelle transcendance est-il capable de se laisser instruire par la peinture des Le Nain ? Quand nous regardons les scènes paysannes de Louis Le Nain, que nous sommes loin pourtant de l’univers décrit par Jacques Attali, dans sa Brève histoire de l’Avenir où « les hommes se vendent comme des machines et où [ils] ne s'intéressent pas à leur progéniture à laquelle ils ne laissent ni fortune, ni héritage étant eux même issus de familles décomposées, recomposées, mobiles géographiquement. »  

    Il est donc urgent de s’interroger sur le mystère Le Nain pour reprendre le titre que le conservateur du Louvre, Nicolas Milovanovic, a voulu donner à son exposition. On sait qu’il a fallu beaucoup de science et de patience aux experts pour attribuer à chacun des frères Le Nain les tableaux que chacun a effectués en propre. Ce fut déjà un premier mystère mais on sait un peu mieux aujourd’hui ce qui revient à Louis, à Antoine, ou à Matthieu.

    Des tableaux à la signification énigmatique.

    Mais le vrai mystère de cette peinture est ailleurs. Si l’on se borne aux productions géniales de Louis, et si l’on se focalise sur son tableau le plus célèbre, Famille de paysans dans un intérieur, force est de reconnaître que sa signification reste énigmatique. S’agit-il de donner une représentation embellie de la condition paysanne, susceptible de satisfaire la bourgeoisie qui achète des terres, en conférant aux modèles une dignité remarquable ? S’agit-il, plus profondément d’y voir la manifestation du mystère Eucharistique ? La présence du pain sur une nappe et du vin, dans un verre de cristal, seuls éléments précieux au sein d’un univers marqué par la pauvreté le laisserait aisément supposer chez ce peintre d’origine protestante, converti au catholicisme. Il serait tentant déjà de « réduire » cette scène à une telle signification religieuse. Elle confère une dignité à l’ensemble des personnages. Mais l’on a remarqué à juste titre que ce tableau, comme beaucoup d’autres n’a pas de sujet défini. Dans l’émission de France Culture qui a été donnée au sujet de cette exposition, Nicolas Milovanovic indique qu’un enfant joue du flageolet mais ce n’est pas autour de ce détail que s’organise l’audition éventuelle d’un petit concert ; un repas semble se préparer mais les indices qui l’attestent font défaut. En bref, aucun sujet ne structure cet « intérieur » et le ferait-il qu’il serait impuissant à déterminer le sens profond de ce qui nous est montré : dans un autre tableau, La Forge, qui représente un forgeron qui s’active à sa forge tandis que sa famille se tient à ses côtés, l’activité artisanale semble déterminer le sujet du tableau, beaucoup plus que cette scène paysanne où l’on ne sait trop à quoi s’affairent les sujets présents. Mais dans la Forge, on ne saurait réduire ce que l’on voit à l’activité propre de l’artisan, qui se détourne de sa tâche pour regarder vers nous. C’est une constante dans les tableaux de Louis Le Nain : le sens de la scène représentée donne l’impression de transcender les motifs qui semblent, au départ, orienter l’esprit dans une interprétation précise. Aucune scène ne se laisse réduire aux motifs qui semblent pourtant décider de la représentation. Les scènes mythologiques, dépeintes par Louis ne dérogent pas à ce principe : l’interprétation du tableau représentant Vénus demandant à Vulcain des armes pour Enée ne se laisse pas enfermer dans la démarche de la déesse.

    Au fond, les êtres représentés dans ces scènes transcendent les activités auxquelles ils s’adonnent, leur humanité ne se limite pas à leur condition, l’humanité de l’homme déborde de toutes parts les sens divers auxquels on prétend la réduire. D’ailleurs, les tableaux de Louis mettent en perspective l’être humain par rapport aux activités auxquelles il peut s’adonner. On a souvent l’impression que si la représentation de l’activité humaine y est présente, c’est pour mettre en valeur, du fait de la présence d’être au repos, l’idée précisément que l’homme ne s’abîme pas strictement en elles.  Mais il faut aller au-delà de ces remarques.

    Les regards des personnages

    Les grands critiques d’art et surtout les grands écrivains nous laissent à la porte de ce mystère qui nous permet de comprendre à quoi tient l’irréductibilité de l’humanité des êtres représentés chez Le Nain. Champfleury, un critique d’art du XIXème siècle, se focalisant sur la personnalité des personnages représentés indique qu’ils semblent prendre la pose et de fait l’intensité des regards que certains personnages dirigent vers nous le laisserait presque supposer : cela semble être le cas de trois des personnages de cette famille de paysans : de la vieille femme qui tient le verre de cristal, de l’homme assis à la table et qui s’apprête à couper la miche de pain, et de la femme plus jeune, à la droite du tableau. N’est-ce pas le cas de ce père de la Famille heureuse ou le retour du baptême, qui lève son verre et s’immobilise en nous regardant en souriant …comme on le ferait aujourd’hui, tandis qu’on nous photographie ? N’est-ce pas le cas de la femme du forgeron de La Forge qui nous regarde bien en face ?

    Mais précisément, s’ils sont occupés à nous regarder, c’est qu’ils ne songent pas à prendre la pose et Sainte Beuve est plus près de la vérité quand il fait remarquer qu’ils nous regardent, c’est-à-dire, qu’ils semblent s’interroger sur la présence de ceux qui pénètrent par effraction dans leur univers.

    Mais son interprétation reste au milieu du gué : d’une part, bien des personnages ne prennent même pas la peine de diriger leur regard vers nous. Ils regardent ailleurs, soit qu’une scène située hors champ attire leur regard comme dans La Forge, soit qu’ils nous tournent carrément le dos, comme l’enfant qui contemple le feu dans la Famille de paysans, ou le personnage qui s’affaire à ranimer le feu dans La Tabagie, soit encore qu’ils soient plongés dans un profond sommeil comme le dormeur situé au premier plan dans La Tabagie, ou cette magnifique Ariane, plongée dans le sommeil le plus profond  que contemple avec émotion Bacchus dans Bacchus découvrant Ariane à Naxos.

    Restent tous ceux qui semblent regarder le spectateur. Ils semblent frappés par une mélancolie rêveuse. Mais prêtez plus d’attention encore à la façon dont les personnages regardent : la vieille femme qui tient le verre de cristal, la jeune femme à la droite, l’enfant lui-même qui est assis sur le sol ; mais aussi Vénus s’adressant à Vulcain, ou Bacchus contemplant Ariane endormie… : en réalité, ils regardent sans regarder vraiment, leur regard donne l’impression de ne pas s’abîmer dans l’objet qu’ils sont censés voir, ce n’est par sur lui (être ou objet) qu’ils arrêtent leur pensée parce que tout en regardant ce qu’ils regardent, les personnages pensent à autre chose, ils sont comme on dit, plongés dans leur méditation. Pas plus que l’activité n’est leur définitive raison d’être, pas plus le monde qu’ils contemplent n’est de nature à arrêter suffisamment leur pensée.

    Qu’on ne s’étonne donc plus si, par cette mise en scène du regard, le peintre leur confère une infinie profondeur, si, de manière tout à fait congruente, on retrouve dans leurs mains un verre de cristal rempli d’un vin rubis, et si l’on a, du coup, envie d’y voir représentée quelque cène eucharistique : ce regard nous ouvre sur le mystère de l’humanité de l’homme, sa profondeur ne trahit pas seulement une disposition à la mélancolie rêveuse ou plutôt cette mélancolie rêveuse est promesse d’une ouverture, au-delà de l’ici et du maintenant… à quoi les maîtres présents de notre monde, dans leur ardeur à nier toute transcendance, s’emploient à nous réduire. 

  • Coralie Delaume : « Macron est fédéraliste, quand les Allemands deviennent souverainistes »

     

    Par Vianney Passot           

    Cet entretien est paru le 17.05 dans Figarovox, ainsi résumé : « Quelques jours seulement après son élection, Emmanuel Macron a rencontré Angela Merkel en début de semaine. Coralie Delaume explique pourquoi les projets du nouveau président pour l'Europe inquiètent beaucoup les Allemands. » Bien plus importante est l'affirmation reprise en titre : « Macron est fédéraliste, quand les Allemands deviennent souverainistes. » Empêchement rédhibitoire si la chose est avérée ! Et il ne nous étonnerait pas qu'elle le soit. Malgré l'affaiblissement du politique, nous restons, de facto, à l'heure des nations, et d'une certaine façon, à leur retour. Que le mot lui plaise ou non, Macron se trouvera face au nationalisme allemand. A cet égard, l'écart qui ne cesse de se creuser, depuis 1989, entre la France et l'Allemagne, notamment, bien-sûr, en matière économique, rend de plus en plus improbable la stabilité et la pérennité du couple qu'elles sont censées former, et sans lequel, d'ailleurs, toute réelle avancée européenne n'est guère réalisable. Les réalités plus fortes que l'idéologie ? C'est l'évidence.   Lafautearousseau

     

    Pour son premier déplacement à l'étranger en tant que président, Emmanuel Macron s'est rendu ce lundi à Berlin pour rencontrer la chancelière allemande Angela Merkel. François Hollande, en 2012, s'était aussi rendu en Allemagne immédiatement après son élection. Comment expliquez-vous cette hâte du président fraîchement élu à traverser le Rhin ?

    C'est devenu une figure obligée pour tout président français, au nom du « couple franco-allemand ». A vrai dire, Emmanuel Macron s'était déjà rendu en Allemagne deux fois durant sa campagne, une fois en janvier, une fois en mars. La seconde fois, Angela Merkel l'avait reçu. Deux autres candidats avaient fait le voyage: François Fillon et Benoît Hamon.

    Mais c'est Macron qui avait annoncé la couleur de la façon la plus claire, en disant son projet de « faire des réformes pour regagner la confiance de l'Allemagne ». Sans jamais expliquer pourquoi ni comment nous aurions perdu ladite confiance. En ne respectant pas les critères de convergence surveillés par la Commission dans le cadre du « semestre européen » ? L'Allemagne, dont l'excédent commercial (à 8,3% du PIB !) est supérieur depuis sept ans maintenant à la norme communautaire mais qui n'est jamais sanctionnée pour cela, ne les respecte pas non plus.

    Entend-on jamais dire, pour autant, que l'Allemagne doit réaliser des réformes pour « retrouver la confiance de la France » ? Ce serait pourtant urgent. Le président de l'exécutif européen Jean-Claude Juncker a certes affirmé récemment que « les Français dépensent trop ». Mais le FMI, lui, soutient que les Allemands dépensent trop peu. Dans son dernier rapport sur l'économie germanique sorti en début de semaine, le Fonds estime que la République fédérale doit rapidement augmenter les salaires de ses travailleurs et le montant de ses investissements publics, d'une part pour relancer la demande européenne, mais également pour contribuer à relancer une demande mondiale apathique. Ça fait des années que le FMI demande cela, des années également que les États-Unis insistent là-dessus. Donald Trump s'est d'ailleurs montré particulièrement explicite à ce sujet au début de son mandat.

    Le fait que la France ait renoncé à essayer d'infléchir l'Allemagne dans ce sens montre qu'elle ne joue plus du tout son rôle en Europe, et qu'elle est totalement à la remorque de Berlin. Cela peut-il changer avec Macron ? C'est à mon avis très improbable.

    Angela Merkel et Emmanuel Macron ont-ils une vision similaire de l'Europe ? La France et l'Allemagne vont-elles travailler ensemble au projet européen plus étroitement qu'auparavant ?

    Je pense que leurs conceptions sont assez différentes. Les réformes de l'Union proposées par Macron durant sa campagne sont des réformes d'inspiration intégrationniste, presque fédéraliste. Il a proposé un ministre des Finances de la zone euro, un budget fédéral, un Parlement de l'euro.... mais les Allemands, eux, ne veulent pas de tout ça. Ils sont souverainistes ! Dans ce cadre, ils ne veulent pas d'union de transferts qui les contraindraient, selon une l'expression en vigueur, à « payer pour le Sud ». La situation, pour leur pays, est optimale. Ils bénéficient d'une monnaie sous-évaluée pour eux, au sein d'une union monétaire qui dysfonctionne mais qui, tant qu'on ne leur impose ni budget fédéral ni eurobonds, ne leur coûte pas un sou. Du moins tant que les pays surendettés auxquels ils prêtent de l'argent parviennent encore à rembourser. Pourquoi voudraient-ils qu'elle change ?

    Je me permets de citer ici l'extrait d'un article du Bild - qui est un tabloïd et qui ne fait donc pas dans la dentelle - mais qui est énormément lu et qui permet de se faire une idée de l'état d'esprit chez nos voisins. Dans un article récent intitulé « Combien va coûter Macron à l'Allemagne ? », le journal explique : « Pendant la campagne, [Macron] a défendu entre autres les eurobonds, la mutualisation des dettes au sein de l'Union européenne. Il a aussi évoqué un ministre des finances de la zone euro et une assurance chômage commune (…) ce sont des idées qui émanent d'une France très endettée et qui nous poussent, nous Allemands, à tirer la sonnette d'alarme ».

    Le président français et la chancelière allemande se sont dit prêts à refonder certains traités européens, pour faire passer un cap à l'Europe. A quoi peut-on s'attendre de leur part ? Emmanuel Macron peut-il refonder les traités européens sans passer par un référendum ?

    Merkel et Macron sont tous deux en campagne. Les législatives françaises ont lieu en juin, les législatives allemandes en septembre. La chancelière ne peut ignorer l'immense euroscepticisme qui règne en France actuellement. Il suffit d'avoir additionné les scores des candidats « souverainistes » à l'issue du premier tour de la présidentielle pour l'avoir mesuré. Or Macron était un peu le candidat idéal pour Merkel, surtout lorsqu'il s'est trouvé opposé, au second tour, à Marine Le Pen. Sans doute la chancelière est-elle soucieuse de l'aider à obtenir à l'Assemblée cette majorité qui votera les fameuses « réformes pour regagner la confiance de l'Allemagne ». Elle a donc concédé que les traités européens pourraient être modifiés « là ou c'est nécessaire », histoire de se montrer agréable et d'encourager son interlocuteur.

    A vrai dire, ça ne mange pas de pain. Elle peut toujours concéder, il faut l'unanimité pour modifier les traités, et dans certains pays, le référendum est obligatoire. Il est donc hautement improbable qu'une telle chose advienne.

    De surcroît, Angela Merkel est, au sein de l'exécutif allemand, la préposée au rôle de « good cop ». Elle arrondit les angles avec diplomatie. Mais elle a auprès d'elle un « bad cop » très efficace en la personne de Wolfgang Schäuble, son ministre des Finances. Lui a déjà fait savoir dans un entretien au journal italien La Repubblica qu'il goûtait peu les projets de Macron. Il a même formulé une contre-proposition, celle de réformer la zone euro en donnant davantage de pourvoir au MES, le mécanisme européen de stabilité dont le rôle est... de prêter de l'argent aux pays du Sud en difficulté. Et qui est dirigé par un Allemand, Klaus Regling.

    Le MES est un organisme européen ad hoc, qui n'a été créé que dans l'urgence et pour faire face à la crise. Le renforcer serait renoncer au surcroît d'intégration fédérale souhaité par Macron et faire la part belle à la méthode intergouvernementale. Ce n'est pas si étonnant de la part de Schäuble quand on se souvient qu'il disait au Financial times il y a quelques mois : « l'idée fédérale n'a pas disparu, mais actuellement elle n'a aucune chance de se réaliser. Nous devons donc améliorer ... nos méthodes intergouvernementales ».

    Au risque de me répéter, je maintiens que l'Allemagne n'est pas (plus ?) fédéraliste. Elle est souverainiste. Elle veut bien des réformes, mais des réformes de type austéritaire, et prioritairement chez ses voisins, afin d'être assurée de n'avoir jamais à payer pour les autres..... 

    Coralie Delaume est essayiste. Elle a publié Europe, les États désunis (Michalon, 2014) et, avec David Cayla, La fin de l'Union européenne (Michalon 2017). Elle anime depuis 2011 le blog L'arène nue, consacré au projet européen.

    Vianney Passot           

  • Le Prince était là…

     

    Par François Marcilhac

     

    364574047.jpgNous ne nous lasserons jamais de le répéter : le désespoir en politique est une sottise absolue. Une nouvelle preuve nous en a été fournie ce samedi 13 mai 2017. Alors que, hélas, le dimanche précédent, le pire n’avait pu être évité pour la France avec l’élection de Macron, c’est rue Cléry, dans le deuxième arrondissement de Paris, qu’un signe fort d’espérance est apparu dans le ciel assombri du pays, avec la participation du dauphin de France à notre colloque sur le Bien commun, participation qui en a fait tout le succès. Je reprendrai les mots de François Bel-Ker, secrétaire général de l’Action française : « Moins d’une semaine après le second tour de l’élection présidentielle, nous avons su répondre à l’abandon du politique par les élites cosmopolites, par un dense et riche colloque sur le Bien commun, dont le prince Jean a apprécié la haute tenue intellectuelle, la bonne ambiance et la jeunesse des participants, avant de donner lui-même une profonde leçon de philosophie politique. Initialement, il ne devait pas rester au banquet mais, réjoui par l’après-midi passé, il ne souhaitait pas nous quitter aussi rapidement. Comment ne pas être conquis ? Et comment, selon le mot de Me Tremolet de Villers, ne pas “être les serviteurs de celui qui est le serviteur de la France” ? Le Prince “nous est donné”. À nous de continuer à crédibiliser le projet capétien pour la France. »

    On prend les mêmes, ou presque !

    Quant au lendemain, ce n’est pas entre l’Élysée et l’Étoile que se déroulait l’événement national : c’est une avenue presque déserte que Macron a remontée, tandis que les patriotes, en grand nombre, défilaient pour rendre hommage à Jeanne d’Arc entre l’Opéra et les Pyramides. Un Macron qui, pour se faire élire, a surtout pratiqué l’art de l’instrumentalisation. N’est-ce pas Orléans et la célébration des fêtes johanniques qu’il avait choisis, en 2016, pour se poser en homme d’État ? Et n’est-ce pas de nouveau, un an plus tard, le jour de la fête nationale de Jeanne qu’il a été investi ? Certainement a-t-il dû voir là un signe trop grand pour lui, puisqu’il a, dimanche dernier, ignoré Jeanne. Un autre que lui, un patriote tout simplement, aurait vu au contraire dans la répétition de cette date l’exigence toute tracée de son mandat : redonner à la France son indépendance. Et n’aurait pas manqué durant sa journée d’aller déposer une gerbe à la statue des Pyramides… Mais, des Pyramides, il préfère à l’étendard de la statue de Jeanne le triangle de Peï…

    Dès le lendemain, François Hollande nommait Alain Juppé Premier ministre. Pardon, Emmanuel Macron chargeait Édouard Philippe de composer le gouvernement. Du vin vieux dans de nouvelles outres… Que dire d’autre en effet d’une nomination qui, loin d’être une révolution, s’apparente surtout à un retour en force de la cuisine politicienne de la IVe République, enterrant ce qu’il reste des institutions de la Ve ? À l’heure où nous écrivons, nous ne connaissons pas encore les membres du gouvernement que le président de la République aura nommés sur proposition du Premier ministre, selon la formule consacrée… Mais nul besoin d’être un devin pour savoir que ce gouvernement, évidemment « resserré », se voudra, comme annoncé, sur fond de parité, un subtil dosage non seulement entre politiques et membres de la société civile mais aussi entre fidèles de la première heure et débauchés du PS et de LR… Histoire d’affaiblir les partis de gouvernement, qui n’ont toutefois pas encore rendu l’âme, au profit d’un nouvel appareil à la solde du nouveau président. Mais un nouvel appareil qui devra tout, précisément, à des politiciens venus des anciens… Amenant avec eux, comme une seconde nature, les vieilles pratiques…

    Édouard Philippe, un boulet

    D’ailleurs, Édouard Philippe lui-même fait déjà débat. Disciple d’Alain Juppé, il l’est à coup sûr sur la question du communautarisme, le maire du Havre ayant pour l’islamisme politique la même indulgence que le maire de Bordeaux. C’est ainsi qu’il n’a pas hésité, le 15 octobre dernier, à prêter une salle municipale pour une conférence organisée par l’UOIF, durant laquelle se sont exprimés des orateurs prônant un islam radical. Il est vrai qu’en 2013, il avait déjà inauguré une mosquée proche des Frères musulmans. Quant à l’Observatoire du nucléaire, il dénonce la nomination au poste de Premier ministre d’un personnage qui aurait, en raison de son passé françafricain et uranifère, des mains « très… radioactives ». Il faut également rappeler, à la suite de Mediapart, les défaillances, en 2014, de sa déclaration de patrimoine, qui le feront écoper d’un blâme de la part de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, pour « manquements d’une certaine gravité ». Aux questions sur la valeur de son patrimoine, n’a-t-il pas répondu n’en avoir « aucune idée » ? La nomination de Philippe est une provocation de l’oligarchie à l’égard du pays réel. Elle traduit toute l’arrogance et tout le mépris de la France de Macron à l’égard de la France qui travaille et qui souffre et qui connaît, elle, quand elle en a un, la maigre valeur de son petit patrimoine. Il n’est donc pas certain que, dans sa hâte à débaucher un quadra des Républicains proche de Juppé, Macron soit tombé sur le bon numéro… et que celui-ci ne soit pas bientôt pour lui plus un boulet qu’un collaborateur lui permettant de parvenir rapidement à ses fins : recomposer à son profit le paysage politique français tout en en conservant son vice rédhibitoire, servir les intérêts de l’oligarchie. Une oligarchie qui a tout de suite adoubé Macron, rassurée que, poursuivant une tradition de servilité inaugurée par Sarkozy et poursuivie par Hollande, il soit allé, aussitôt après avoir nommé le Premier ministre, faire allégeance à Berlin, capitale d’une Allemagne qui codirige l’Europe avec la Commission européenne. En donnant ce gage de soumission, Macron a évidemment rassuré les marchés : il sera bien au service exclusif de la finance internationale et de l’euromark.

    Son objectif premier, ce sont les législatives : s’assurer une majorité solide pour pouvoir réaliser son programme en toute quiétude. Certes, rien n’est jamais acquis : cette majorité, Hollande ne l’avait-il pas avant que des frondeurs ne décrédibilisent son autorité et sa politique ? D’où sa tentative d’enliser dans un vaste marais allant du centre droit au centre gauche des professionnels déjà blanchis sous le harnais politicien, tout en espérant que ceux des élus de la société civile qui lui devront tout lui demeurent d’une fidélité sans faille. Encore une fois, les Français ne devront compter que sur eux-mêmes. Car rien ne serait plus dangereux pour le pays que Macron arrive à ses fins.

    Le Front national est manifestement trop occupé par ses dissensions internes pour constituer, au mois de juin, une force parlementaire crédible d’opposition nationale. L’échec de son alliance avec Debout la France en est un présage supplémentaire. Il n’est donc pas certain qu’il arrive à faire élire ces quinze députés qui lui permettraient d’obtenir un groupe à l’Assemblée. La contre-performance de Marine Le Pen à l’élection présidentielle laissera des traces profondes après avoir été une source immédiate de déception pour ses électeurs, dont une grande partie des 10,5 millions du second tour bouderont le vote FN en juin. Quant au retrait de Marion Maréchal-Le Pen, qui s’est mise en réserve de la République après un parcours sans faute, peut-être participera-t-il d’une recomposition du camp national, mais ce sera pour bien après les législatives ! Seule perspective immédiate : tout faire pour que Macron ne puisse disposer d’une majorité à l’Assemblée. Nous y reviendrons.  

  • Niquez vos (prétendues) races !

     

    Par Catherine Rouvier

    Voici une intéressante et pertinente tribune [Causeur, 23.06] sur fond d'intelligence, de subtilité et d'humour. Elle suscite ainsi - sur un sujet en fait grave et sérieux - la réflexion plutôt que la polémique facile. Catherine Rouvier a participé à quelques unes de nos réunions en Provence. Et nous en gardons un très bon souvenir ...  LFAR 

     

    sans-titre c r.pngUn décret remplace désormais la notion de race, « qui n’est pas applicable aux êtres humains », par celle de « prétendue race »

    Depuis le 3 août, un décret relatif aux provocations, diffamations et injures non publiques présentant un caractère raciste ou discriminatoire « substitue à la notion de race, qui n’est pas applicable aux êtres humains, celle de « prétendue race » » et « améliore la lutte contre les manifestations de racisme, de sexisme et d’homophobie dans des conditions similaires à ce qui a été prévu par la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 ».

    Allons bon, cette loi de janvier, on ne l’avait pas vue passer. Car depuis janvier, on a été vraiment très très occupés. C’était les primaires, et on allait se geler sur des places ventées et pluvieuses pour soutenir des candidats élus par nous mais lâchés par leur parti… Puis ce furent les élections présidentielle puis législatives.

    Ignorance crasse

    Mais là… c’est le calme plat. A l’Elysée, à l’Assemblée, ils sont tous en vacances. Un tweet compassionnel par-ci, une photo de presse par-là, et ils retournent prendre l’apéro sur le vieux port, escalader le col de Bavella ou faire du surf à Hossegor. Circulez, y a rien à voir…

    Et du coup nous, les citoyens, temporairement privés de spectacle, nous passons tous nos vacances, forcément, à lire les lois et leurs décrets que « nul n’est censé ignorer » sur nos iPhones, entre le bain de mer et l’apéro. A fortiori les journalistes.

    Dès lors il est incompréhensible qu’après l’attentat de Barcelone, Mounia, chroniqueuse sur Beur FM, ait tweeté : « Niquez vos races, ceux qui s’indignent parce qu’ils auraient pu être victimes, mais qui n’ont rien dit pour l’attentat de Ouagadougou ». 

    Sur le fond du propos on ne peut qu’être d’accord. Le silence coupable des médias sur cette attaque sanglante en Afrique est coupable, quand ils en font des tonnes dès que c’est près de chez nous.

    Mais sur la forme… Mounia, Mounia, a quoi ça sert que Hollande, puis Macron, se décarcassent ? Vous avez bien écrit : « Niquez vos races ? »

    Déraciner Voltaire

    Alors déjà, Mounia, de race il n’y en a qu’une. C’est la race humaine. Avant on disait l’« espèce humaine », et on la divisait en « races ». Le dictionnaire Littré de 1878 nous l’apprend en citant Voltaire lui-même, qui écrit dans son Essai sur les mœurs et l’esprit des nations : « la race des nègres est une espèce d’hommes différant de la nôtre, comme la race des épagneuls l’est des lévriers ». Mais ça c’était avant, et la statue de Voltaire va sans doute bientôt trembler sur socle.

    Sous Hollande, on a assorti l’usage du mot « race » d’une notice explicative ou - comme on dit en droit – d’une clause restrictive d’interprétation : « race, ok, mais alors au singulier ».

    Dans les écoles, les maîtresses ont tenté de l’expliquer : « Il n’y en a qu’une, vous entendez ? Et ne me regardez pas comme s’il y existait des différences entre les humains. On a tous le même ADN, vous entendez ? Et du reste, des découvertes scientifiques ont prouvé que toute l’humanité était noire, et qu’on s’est en partie décolorés avec le temps ». « Et les asiatiques, Madame, leurs yeux bridés, c’est venu avec le temps ça aussi ? »

    L’antiracisme, Littré n’y avait pas pensé

    Bref, c’était compliqué, et les « petits races », comme on appelait les enfants au XVIIIème siècle (Littré toujours), étaient durs à convaincre.

    Alors, avec Macron, on est passé au plan B. Désormais il n’y a pas « une seule race humaine », il n’y en a plus du tout.

    Le texte du décret du 5 août est formel : « la notion de race (…) n’est pas applicable aux êtres humains ». Interdire absolument d’appliquer le mot race aux humains aurait, d’après le décret, une vertu : ça « améliore (…) la lutte contre les manifestations de racisme ».

    Ça, l’antiracisme, Littré n’y avait pas pensé. Il faut dire qu’à son époque le mot « racisme » n’existait pas. L’émergence, quelques cinquante ans plus tard, de cet « isme » qui, partout et en tous temps, signale la théorisation, sent le dogme à plein nez et précède de peu l’idéologie, a changé la donne.

    Ainsi, le « raciste » ne se contente pas seulement de noter les différences. Il trie, il range, il catalogue, il hiérarchise. Pire, il peut dans les cas extrêmes, rêver d’appliquer la vision eugéniste de certains éleveurs de chiens ou de chevaux aux êtres humains. Sont considérés comme « de race » écrit Littré – car les élevages existaient déjà à son époque – ceux qui « descendent directement de la souche, de la race, sans croisements ».

    « Ouais, mais ça fait un peu long quand même »

    Au pire du pire, celui qui croit encore qu’il y a des races peut même, quand on lui propose une PMA, et si un jour on lui propose une GPA, vouloir choisir sur catalogue le géniteur ou la génitrice afin d’avoir une chance d’avoir un enfant blanc s’il est blanc, noir s’il est noir, etc.

    Pas de ça Lisette ! C’est pour éviter de telles dérives que le décret « substitue à la notion de race la notion de prétendue race ». Donc Mounia, il aurait fallu écrire « Niquez vos prétendues races ».

    Alors, bien sûr, on peut aussi chercher une autre formule, qui prenne en considération les différences morphologiques sans plus prononcer le mot maudit. Pour ma part, j’ai trouvé ! C’est chez Buffon. On ne fait pas plus « scientifique »… Il s’agit des « variétés dans l’espèce humaine ». Je suis fière de ma découverte.

    « Ouais, mais ça fait un peu long quand même », me dit Mohamed qui joue au foot avec son pote, et à qui je tente de communiquer mon enthousiasme. Sans comprendre la vraie portée de cette remarque, je me replonge dans la passionnante lecture de l’« Histoire naturelle », tandis qu’il reprend son jeu. Mais soudain, tombé par terre sur le gravier coupant après un croche pied vicieux de son copain Martial, il hurle « Nique ta race ! » Je corrige : « Ta  prétendue race, Mo’, ta prétendue race »… C’est vrai que « nique ta variété dans l’espèce humaine », c’était « un peu long ».  

    Catherine Rouvier

  • Culture • Au Mucem de Marseille, plus belle l’expansion musulmane

     

    ParJean-Paul Brighelli

    On sait que nous aimons les textes de Jean-Paul Brighelli, son style, son expression directe et sans ambages, son érudition, son bon sens, son non-conformisme, devenu, de nos jours, une qualité des plus appréciables. . Même, ajouterons-nous,  si nous ne partageons pas toutes ses idées. L'article qui suit - paru sur son blog le 22.08 - ne fait que nous conforter dans nos appréciations. LFAR 

    L’exposition sur les « aventuriers des mers » du musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem) est en fait une ode à l’expansion musulmane.  

    3327923779.jpgJe venais de traverser le Panier, qui comme son nom l’indique est une colline au-dessus du port de Marseille, et en redescendant, je suis tombé sur l’immense esplanade désespérée qui mène au MUCEM. « Aventuriers des mers » : un programme d’autant plus alléchant que l’Inspection générale a eu la bonne idée de décréter que le thème des prépas scientifiques, cette année, serait justement l’Aventure (Homère, Conrad, Jankelevitch).

    Quoiqu’échaudé déjà par quelques expositions médiocres montées dans ce cube de dentelles noires construit lorsque Marseille était capitale européenne de la culture (non, non, ne riez pas), ce MUCEM dont les collections permanentes n’ont ni rime ni raison — une juxtaposition d’objets hétéroclites et ethniques —, je me suis risqué.

    La citation d’Albert Londres, à l’entrée, faisait bon genre — beau sujet de dissert en perspective : « Dans le même voyage, l’homme de terre et l’homme de mer ont deux buts différents. Le but du premier est d’arriver, le but du deuxième est de repartir. La terre nous tire vers le passé, la mer les tire vers le futur. » C’est dans Marseille, porte du sud, publié en 1927. J’aime beaucoup Albert Londres, qui pensait que le métier de journaliste consiste à « porter la plume dans la plaie ». Tout un monde — disparu. Londres mourut dans l’incendie du Georges Philippar, quelque part au large d’Aden, en 1932, peut-être allumé pour lui : notre grandeur se mesure à la taille des bûchers qu’on nous prépare. C’est ça aussi, l’aventure — le risque du naufrage.

    Bref, je suis entré plus avant dans l’expo animé des meilleures intentions. 

    J’aurais dû me méfier en constatant que le premier « document » présenté était un extrait du Coran. J’aurais dû préparer ma visite en me rendant sur le site du MUCEM, où Vincent Giovannoni, conservateur du musée et commissaire de l’exposition, déclare : « L’exposition débute par la mise en place, au VIIe siècle, d’un empire des deux mers, celui des Omeyyades qui, régnant sur la mer Méditerranée et l’océan Indien, va permettre le développement du commerce maritime entre ces deux mondes. » Cet intéressant garçon, ethnologue (qui ne l’est pas ?) spécialiste des techniques de pêche dans l’étang de Thau, continue sur sa lancée : « Et puis, en commerçant, on rencontre « l’autre ». De l’histoire de ces rencontres, l’exposition n’élude ni l’esclavage, ni les tentatives d’évangélisation entreprises par les Européens. Elle raconte mille ans de projets commerciaux et, au final, de guerres économiques entre l’Orient et l’Occident. » C’est sûr que seul l’Occident (les « tentatives d’évangélisation », hein…) s’est rendu coupable d’esclavage et de colonisation. Que les Arabes aient conquis au VIIème siècle un immense empire par le fer et par le feu ; que les Turcs le leur aient subtilisé en appliquant les mêmes méthodes, en pire ; que les uns et les autres aient pratiqué les conversions forcées, les massacres, le pal en série, l’esclavage à bien plus grande échelle que l’Occident négrier, tout cela ne compte pas. La culpabilité sera chrétienne ou ne sera pas. Ici les bourreaux et là-bas les pauvres victimes.

    J’aurais surtout dû savoir que l’exposition était la reprise — avec moins d’ampleur, d’intelligence et d’objets présentés — d’une exposition présentée à l’Institut du Monde Arabe (IMA) en 2016.

    Or, quel était le fil conducteur de l’expo parisienne ? « Guidés par Sindbad le marin de légende, al-Idrîsî le géographe, Ibn Battûta l’explorateur et bien d’autres encore, embarquez au côté des Arabes, maîtres des mers, et des grands navigateurs européens qui empruntèrent leurs routes, pour un fabuleux périple en Méditerranée et jusqu’aux confins de l’océan Indien. Des débuts de l’islam à l’aube du XVIIe siècle, une aventure en mer à voir et à vivre, au fil d’un parcours immersif exceptionnel mêlant son, images et procédés optiques. D’extraordinaires récits de voyages ont conté la richesse des échanges maritimes entre les mers de l’Ancien Monde. Les plus fameux des témoins-voyageurs partagent avec vous ces fabuleux récits, fils d’Ariane de l’exposition. Ils vous emmènent à la croisée de l’or d’Afrique et de l’argent d’Occident, des monnaies grecques et des diamants de Golconde, des verreries d’Alexandrie, de Venise ou de Bohême et des porcelaines, des soieries et des épices venues de Chine et des Moluques. »

    Capture-d’écran-2017-08-22-à-12.49.17.pngAinsi parlait le prospectus de présentation, en toute logique . Explorateurs et aventuriers ont peut-être des pensées de commerce et de lucre, mais l’inspiration initiale leur vient des mythes littéraires. L’Occident s’est enté sur Ulysse et Enée, l’Odyssée et l’Enéide, l’Orient sur Sindbad et les 1001 nuits. On « fait comme » — puis on dépasse la légende pour construire la sienne. Les navigateurs arabes sont partis eux aussi à la poursuite d’un rêve, des démons et merveilles comme cet oiseau Rukhkh (ou Roc, dans les traductions françaises) qui s’en prend justement au navire de Sindbad.

    Mais que nous dit l’illustrissimo facchino Vincent Giovannoni ? « Le Mucem étant un musée de civilisations, plutôt que de valoriser les « héros », nous faisons la part belle aux cultures, aux civilisations et aux échanges. (…) Ce qui nous importe enfin, c’est les relations interculturelles, les échanges entre les civilisations. »

    Le voyez-vous pointer le bout de son nez, notre spécialiste de la pêche du loup aux leurres ? Des produits d’artisanats divers, des casiers pleins d’épices, des bouts de tissus et des tapis persans. Mais de héros et de grands voyageurs, peu de nouvelles.

    On y présente par exemple l’extraordinaire mappemonde de Fra Mauro, réalisée vers 1450 et à lire tête bêche, à l’époque on mettait le sud en haut (si vous voulez en savoir plus, lire le Rêve du cartographe, de James Cowan, Ed. Hozholi, 2015), d’une précision qui suppose une enquête minutieuse, sans nous dire que le moine vénitien — aidé d’un marin et cartographe de la ville, Andrea Bianco — s’est appuyé entre autres sur le récit de Nicolò de’ Conti, qui entre 1414 et 1440 parcourut le Moyen-Orient, navigua sur le golfe persique, passa le détroit d’Ormuz, atteignit les Indes, descendit à Ceylan, puis Sumatra, le golfe du Bengale, la Carte-de-Fra-Mauro (1).pngBirmanie, la Malaisie — et retour, un homme que les gentils Musulmans de l’époque obligèrent, lui et sa famille, à se convertir à l’islam sous peine de mort. C’est même à cette apostasie pas du tout imposée que l’on doit le récit de son voyage, car le pape auquel il était allé demander pardon du sacrilège consentit à le ramener dans le sein de la chrétienté pourvu qu’il raconte son périple à son secrétaire, Poggio Bracciolini. D’où la mine d’informations dont a bénéficié Fra Mauro pour établir sa carte.

    Et Nicolò de’ Conti n’était pas le seul, splendides aventuriers qui ne devaient rien — mais alors, rien — à l’expansion arabe.

    Bezoard-Inde-©-Khm-museumsverband.jpgJe ne veux pas avoir l’air de dénigrer. L’exposition du MUCEM est encore riche d’objets précieux, comme ce bézoard (la panacée, l’anti-poison miracle, le remède des remèdes, comme la corne de rhinocéros pilée ou les poils de tigre) ramené des Indes [ci-contre].

    Ou cette tapisserie monumentale illustrant l’arrivée de Vasco de Gama à Calicut.

    A la fin de l’expo — mais on ne comprend pas pourquoi elle finit là si l’on ne sait pas, depuis le début, qu’elle ne se préoccupe en fait que de l’expansion musulmane —, un tableau vénitien magistral, quoiqu’un peu fouillis, célèbre la bataille de Lépante, « la meravigliosa gran vitoria data da Dio », comme dit la légende au bas de la toile,où les bateaux de Don Juan d’Autriche ont flanqué la raclée aux galères turques. À côté de moi, une jeune femme accrochée au bras d’un monsieur un peu plus âgé murmura à son compagnon : « Et à votre avis, il est où, Cervantès, dans ce fatras ? Et est-ce qu’il a déjà perdu son bras ? »

    imagevascodegamavoyage.jpg

    L’arrivée de Vasco de Gama à Calicut.

     

    Capture-d’écran-2017-08-22-à-12.55.10 (1).png

    La bataille de Lépante

    J’ai acheté le catalogue, splendide et intelligent, qui vous dispensera de l’expo, et je suis ressorti. Il faisait toujours beau. Sur la façade du MUCEM était annoncée la prochaine manifestation culturelle : Je gage que celle-là sera 100% marseillaise, et qu’y officiera peut-être Christian Bromberger, prof d’ethnologie à la fac d’Aix — c’est lui qui a dirigé la thèse aquatique de Vincent Giovannoni. Il a une double spécialité : l’Iran moderne et le foot. Deux beaux sujets pour célébrer la paix et la fraternité.  

      

    Capture-d’écran-2017-08-21-à-16.12.57.png

    Liens

    le site du MUCEM

    Exposition présentée à l’Institut du Monde Arabe

  • Le petit soldat

     

     

     Par François Marcilhac

     

    364574047.jpgL’élection d’Emmanuel Macron devait ouvrir une ère nouvelle : elle se contente d’aggraver les défauts de l’ancienne sans qu’il faille attendre du nouveau pouvoir la volonté de répondre aux défis qui se posent à notre pays. Entre enfumage et brutalité, le but désormais avoué est au contraire d’achever la société française dans son équilibre traditionnel, de plus en plus précaire.

    Les couacs ou les polémiques dont Jupiter rendrait responsables, dans les milieux bien informés, ses différentes équipes, qu’il s’agisse de ses collaborateurs directs, du Gouvernement ou de La République en marche, sont avant tout le fruit du malentendu qui s’est installé entre lui et les Français. Non seulement ils ne l’ont jamais adoubé comme un sauveur, puisqu’il est le plus mal élu de tous nos présidents, mais ils se sont aperçus très vite que loin de représenter une rupture, son élection était un aboutissement. C’est comme des fruits pourris, c’est vrai, que les vieux partis de gouvernement sont tombés au printemps dernier. Sonnées, les vieilles équipes vont prendre quelque temps avant de se reconstituer et de faire le nécessaire travail de recomposition idéologique, mais les partis sont parties prenantes d’une Ve République qui a été la première à leur attribuer dans la Constitution un rôle spécifique, puisque, selon l’article 4, ils « concourent à l’expression du suffrage ». D’où la bâtardise de La République en marche, conçue comme une sorte de mouvement poujadiste pour CSP++, que le chef de l’État cherche désormais à faire entrer dans le cadre vermoulu de nos institutions – le seul qui demeure pour l’instant opératoire –, fût-ce au corps défendant de ceux qui ont vraiment cru que leur élection représentait enfin la disparition du décalage entre le pays légal et le pays réel. La République en marche, n’est-ce pas la société civile enfin représentée par elle-même à l’Assemblée ? Peu importe que les membres de la nouvelle majorité soient à ce point coupés des Français ! Ils croient d’autant plus volontiers à leur mission novatrice qu’ils prennent leur absence de culture politique pour un défi au vieux personnel et aux vieilles pratiques : Macron ne les a-t-il pas appelés pour faire de la France une jeune pousse ? Ne se sentent-ils pas tous promis à cette révolution qui consiste à larguer les lourdeurs de modèle politique pour l’efficacité du modèle de la start-up ?

    Bercy prend le pouvoir

    Macron est un aboutissement, avons-nous dit. Jusqu’à présent cohabitaient à la tête de l’État un personnel politique hérité de la tradition républicaine et les intérêts de l’oligarchie, qui, à la faveur de la construction européenne, a pris le dessus sur nos exécutifs. Certes, cette domination n’a pas pu être possible sans la trahison par nos élites de leur mission politique, que la prise du pouvoir par la rue du Louvre en 1974 a amorcée et que celle par Bercy en 2017 a achevée. De Giscard à Macron, il n’y a pas de solution de continuité. Il y a seulement l’aboutissement d’un double projet technocratique et mondialiste – Giscard est déjà l’homme qui regarde la France de l’extérieur et réduit notre pays à 1 % du monde. Le personnel politique, durant ces quarante-cinq ans, loin de lutter, comme c’était son devoir, contre une évolution qui n’avait rien d’inéluctable – il n’y a pas de sens de l’histoire, il y a seulement des tendances lourdes qui se succèdent au fil des rapports de forces successifs –, a au contraire cherché à l’accompagner, dans l’espoir non pas de l’encadrer ou d’en limiter les effets, mais d’y survivre en en devenant un des partenaires. Le double septennat de Mitterrand fut de ce point de vue catastrophique. Ancien militant politique de droite sous la IIIe République, politicien opportuniste sous la IVe République, concurrent socialiste malchanceux de De Gaulle et de Giscard sous la Ve, Mitterrand avait tout de l’homme politique ancienne mode. Las ! Exception faite des deux premières années, du reste malheureuses, de son premier mandat, Mitterrand mit bientôt la France à l’heure européenne, ou plus exactement allemande, il suffit de relire un acteur de l’époque, Chevènement. Car le traité constitutionnel de 2005 – dernière fois où les Français purent se prononcer en tant que peuple politique –, la forfaiture de Lisbonne en 2008 ou celle du traité budgétaire en 2011 ne furent possibles que parce que Mitterrand avait engagé, en 1992, la disparition de la France comme acteur politique par le traité de Maëstricht, tout en entamant la dissolution de la France comme être politique via le remplacement de l’idéologie socialiste, encore trop politique, par l’antiracisme, aggravant du point de vue de l’identité nationale la politique migratoire inaugurée sur le plan démographique par Giscard.

    Médiocrité croissante à l’Élysée

    Comment s’étonner que la classe politique, génération après génération, ait perdu progressivement le sens même de la nation, et avec celui-ci, le sens de l’État ? La médiocrité croissante de nos chefs d’État de Mitterrand à Hollande correspond à la perte progressive de la notion même du politique chez nos élites. C’est en ce sens que Macron est un aboutissement et non une rupture : celui du mouvement né avec le retour du saint-simonisme en 1945 et porté sur les fonts baptismaux par un Jean Monnet et toute sa clique sous la IVe République. Et si les débuts de la Ve ont pu faire illusion avec le retour de De Gaulle au pouvoir, qui a marqué une pause dans le projet européen, celui-ci repartit de plus belle après son départ et surtout après 1974, la mondialisation financière décidant du rapport de forces.

    Le rejet, au printemps dernier, des partis politiques traditionnels au profit, tout relatif, compte tenu du taux d’abstention inédit, de La République en marche, est celui d’acteurs fondés sur une forme ancienne – les partis de la IIIe République – discrédités d’avoir accompagné et même favorisé la prise de pouvoir par l’oligarchie alors que leur mission, au moins théorique, était d’en protéger les Français. La création de La République en marche a eu pour fonction de remplacer ces vieilles outres, rendues obsolètes par Hollande et Fillon, par une outre nouvelle, totalement connectée sur le nouveau monde, dont le nouveau parti, « en marche » perpétuelle, comme le temps de la finance, doit être, et est, en quelque sorte, une représentation fidèle. Ce nouveau parti a toutefois besoin d’être encadré, car la « société civile », même tronquée, n’a, par elle-même, aucune unité. On comprend qu’une partie du vieux personnel politique se soit recasée auprès de Macron pour assurer cette délicate mission dans un cadre encore politique et constitutionnel. Nous sommes donc toujours dans une situation bâtarde. La prochaine étape sera le dépassement même de ce cadre. D’où les velléités de réforme constitutionnelle vers un régime parlementaire encore plus raisonné et efficace. Comprenez, encore plus docile et inefficient. Car c’est bien vers un affaiblissement du rôle du Parlement que s’oriente Macron, comme le montre la prétendue réforme de moralisation qui vise à achever de discréditer le parlementaire comme tel tout en s’orientant vers un parlement chimiquement pur, sur le plan idéologique, puisque désormais, il faudra être antiraciste, immigrationniste et militant LGBTIXYZ pour être élu.

    L’État livré à l’oligarchie

    Devrions-nous nous en réjouir, nous, qui à l’Action française, n’avons cessé, à juste titre, de dénoncer les défauts irrémissibles du régime des partis ? Malheureusement, le but de Macron n’est pas de redonner à un exécutif véritablement indépendant le pouvoir souverain de décision. Non, il est d’achever le processus en livrant définitivement l’État ou, plutôt ce qu’il en reste, à l’oligarchie internationale, dont il est le petit soldat.   

    L'Action Française 2000 du 03 Août 2017.

  • Mathieu Bock-Côté : « Macron oblige ses opposants conservateurs à élever le niveau »

     

    Par Mathieu Bock-Côté

    L'analyse qui suit - comme toujours pertinente et profonde - n'est pas d'esprit politicien. Mathieu Bock-Côté ne néglige pas de constater avec lucidité qu' « une bonne partie de la droite, au fond d'elle-même, est progressiste ». Son objectif peut se résumer à ceci : « Il ne s'agit pas de restaurer le monde d'hier, d'ailleurs, mais de renouer avec les permanences essentielles de toute civilisation ». Ainsi se définit ce qu'il nomme conservatisme. Mais qui pourrait tout aussi bien, dans son acception noble, s'appeler un traditionalisme.  LFAR   

     

    2760774407.2.jpgOn annonçait une victoire écrasante de la République en Marche, avec une opposition atomisée, condamnée à l'insignifiance politique. Le coup d'éclat d'Emmanuel Macron culminerait dans la conquête d'un pouvoir absolu. Le résultat du deuxième tour des élections législatives oblige à nuancer ce portrait. Tous ont noté un taux catastrophique d'abstention. Et si la gauche historique est presque fauchée, l'opposition de droite évite l'humiliation. De même, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon trouvent leur place à l'Assemblée : on y trouvera donc une concurrence forte entre deux figures désirant occuper la fonction tribunitienne. C'est un peu comme si une part significative du corps électoral s'était révoltée au dernier moment contre une complète macronisation de la vie politique. Le pluralisme démocratique sera assuré dans la nouvelle assemblée, même si la victoire de LREM est indéniable et ne saurait être décrétée illégitime, quoi qu'en disent ceux qui croient avoir un monopole sur le peuple qu'ils imaginent toujours en insurrection.

    Le cycle électoral engagé avec les primaires s'est donc terminé : c'est peut-être même une nouvelle époque politique qui commence en France. On peine toutefois à la caractériser. Le macronisme semble concrétiser le rêve du grand parti de la raison, rassemblant les gens qui s'autoproclament éclairés des deux bords du spectre politique, comme s'ils parvenaient à se libérer d'une polarisation désuète, ne correspondant plus au monde d'aujourd'hui. C'est le parti de ceux qui se veulent intelligents et se croient seuls à l'être. Idéologiquement, le macronisme cherche à traduire cette vision en distinguant d'un côté les progressistes et de l'autre les conservateurs. Les premiers adhéreraient à l'esprit de l'époque. Ils seraient réformistes, ouverts, mobiles, innovateurs. Les seconds, qu'ils soient de gauche ou de droite, seraient exagérément accrochés à leurs privilèges ou leurs souvenirs. Ils seraient corporatistes ou nostalgiques. On les présente comme des esprits chagrins. Cela sans compter les populistes, qu'il faudrait tenir à l'écart de la conversation civique.

    Que la distinction entre progressistes et conservateurs soit essentielle n'est pas faux. Elle ne saurait toutefois se définir de manière aussi caricaturale. Ces termes ne sauraient désigner simplement une attitude devant le changement. Ce qui distingue les premiers des seconds, c'est le rapport aux limites. Et Emmanuel Macron, on l'aura noté ces dernières semaines, n'est pas un progressiste caricatural. Le président est plus intéressant que le candidat. Dans son désir manifeste de restaurer, ne serait-ce que sur le plan des apparences, la verticalité du pouvoir, il s'éloigne de l'histrionisme sarkozyste et de la normalité hollandienne. Autrement dit, il cherche à s'approprier symboliquement les marques d'un certain conservatisme, ou du moins, à laisser croire qu'il n'est pas étranger à la dimension hiératique du pouvoir. Si la tendance se maintient, il parviendra, pour un temps du moins, à ne pas raviver la colère de ceux qui sont attachés à la prestance des institutions. Les Français seront beaucoup moins nombreux à avoir honte de leur président.

    Mais on passe là à côté de l'essentiel. Pour l'instant, on peine surtout à repérer les lignes de clivage idéologique fortes autour desquelles pourra prendre forme le débat politique dans les années à venir. On a beau vouloir passer du clivage gauche-droite au clivage progressistes-conservateurs, ou même au clivage plus improbable qu'on ne le dit entre mondialistes et souverainistes, cette grande transformation politique demeure pour l'instant hypothétique : à tout le moins, elle tarde à se fixer. Nous sommes dans une période de mutation où les grandes catégories politiques demeurent brouillées. C'est un changement d'époque. On ne saurait se contenter non plus d'une mise en scène d'un conflit entre un bloc élitaire et un bloc populaire, ou d'une lutte entre le centre et la périphérie, à moins de consentir à un retour explicite de la lutte des classes qui pourrait entraîner bien des débordements. Sur quelles bases se construira l'opposition au macronisme ?

    Assisterons-nous au retour d'une politique apaisée ? Rien n'est moins sûr. Le macronisme victorieux n'est déjà plus euphorique. Certes, l'opposition en bloc et systématique à tout ce que proposera Emmanuel Macron est stérile. Le discours antisystème en est venu à tourner à vide et la faillite du Front national au deuxième tour de la présidentielle le confirme. Les Français ne sont certainement pas enthousiastes devant la nouvelle présidence. Elle ne les révolte pas non plus. Ils souhaitent manifestement qu'Emmanuel Macron soit capable de débloquer un pays que plusieurs sentent enfoncé dans l'impuissance. Ils ne rêvent pas non plus d'une grande liquidation. Il n'est pas interdit de penser non plus qu'il soit capable d'en surprendre plusieurs, si les circonstances historiques l'exigeaient. Chose certaine, devant un bouleversement politique de grande ampleur qu'ils sont très peu nombreux à avoir prévu, il n'est pas interdit d'éviter les prophéties positives ou négatives pour les prochains temps.

    Il n'en demeure pas moins que le réel conserve ses droits et qu'on ne saurait soumettre durablement la politique à un mirage technocratique. La dissolution du politique dans un matérialisme avilissant prend aujourd'hui le visage de l'économisme le plus étroit. Le citoyen est réduit à la figure d'un individu qui n'est plus lié intimement à la communauté politique. Mais de l'immigration massive au multiculturalisme en passant par le terrorisme islamiste et les nouveaux enjeux sociétaux, la crise de civilisation que la France traverse avec les autres sociétés occidentales ne vient pas de se dissiper d'un coup. Elle a été étrangement absente de la dernière séquence politique. Elle s'imposera de nouveau. On ne peut durablement censurer la réalité, malgré ce que pensent ceux qui s'imaginent qu'il suffit de ne pas parler d'un problème pour le faire disparaître.

    Certains relativiseront cette crise de civilisation en disant que le monde a toujours changé et toujours changera. Dès lors, la première vertu de l'homme devient sa capacité d'adaptation à tout ce qui arrive. C'est ce que réclame la mondialisation. Comment ne pas y voir une technicisation à outrance de l'existence ? Mais l'homme ne saurait habiter le monde en étant toujours en marche, comme s'il était soumis à un flux incessant et immaîtrisable. Il a aussi besoin de permanences. Il a besoin d'habiter un monde durable qui marche moins qu'il ne demeure. Qui portera ce désir de continuité ? L'inépuisable question de l'identité de la droite revient alors dans l'actualité. Pour l'instant, une partie de la droite se contente d'une critique comptable du régime qui s'installe, comme si elle était heureuse de se tenir éloignée des enjeux civilisationnels qui ont marqué les dernières années. Elle rêve de moins en moins secrètement de se rallier au nouvel état des choses. Une bonne partie de la droite, au fond d'elle-même, est progressiste.

    La pensée conservatrice a connu une vraie renaissance ces dernières années. Elle s'était peut-être exagérément accrochée à l'échéance présidentielle de 2017, comme si elle représentait un possible point tournant de l'Histoire. Elle s'était fait croire qu'elle avait renversé l'hégémonie culturelle de la gauche. C'était une illusion. On ne reconstruit pas en une élection un monde déconstruit pendant un demi-siècle. Il ne s'agit pas de restaurer le monde d'hier, d'ailleurs, mais de renouer avec les permanences essentielles de toute civilisation. Ce travail de discernement ne va pas de soi. Pour reprendre les mots d'un philosophe, rien n'est aussi complexe que de distinguer l'essentiel de l'anachronique. Le travail de fond devra se poursuivre, au-delà des seuls rendez-vous électoraux qui, aussi importants soient-ils, ne sauraient définir exclusivement la vie de la cité. Il s'agit de faire renaître un imaginaire, une anthropologie, de désenfouir des sentiments oubliés. Ce n'est qu'ainsi que le conservatisme redeviendra une politique de civilisation. 

    « Une bonne partie de la droite, au fond d'elle-même, est progressiste. »  

    Mathieu Bock-Côté

    Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007), de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016) et de Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).

  • MEDIAS • Charlie hebdo : des anars aux bouffons républicains... Par Grégoire Arnould*

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    L'effet Charlie est largement retombé. Et parmi ceux qui au lendemain de la tuerie du 7 janvier se sont dits Charlie - ce ne fut jamais notre cas - nombreux sont ceux qui ont rapidement compris que ce slogan était une sorte de piège immédiatement imaginé par les hommes du Système pour canaliser, détourner la réaction nationale et populaire qui eût été normalement la suite de ces événements. Les positions se sont progressivement modifiées dans de nombreux cas. Et l'engouement pour Charlie n'est déjà plus aussi unanime qu'il le fut... Raison de plus pour réfléchir sur ce qu'a été, ce qu'est encore réellement Charlie hebdo. Ce que fait ici Grégoire Arnould. Et c'est fort intéressant.  Lafautearousseau

     

    La presse satirique d’après-guerre est peu importante, bien que quelques dessins soient publiés ici et là. A la fin des années 1960, une comète arrive : Hara-Kiri, qui deviendra rapidement Charlie Hebdo. Une revue qui provoque tous les types de réactions, du rire franc à l’indignation totale. Mais ce Charlie Hebdo-là n’a pas grand-chose en commun avec le titre endeuillé d’aujourd’hui…

    Au commencement était Hara-Kiri. Ses fondateurs avaient pour noms Choron et Cavanna. Des anars, des écorchés vifs qui tournaient tout en dérision. Des grandes gueules qui surjouaient toujours un peu le rire – ou la colère – quand les caméras étaient braquées sur eux. Il fallait les voir travailler ! L’Ina le permet. On ne peut que conseiller de se forger une idée en allant jeter un œil sur les archives vidéos disponibles. Vous entendrez un brouhaha terrible, vous verrez des volutes de fumées envahissantes, qui font se demander comment ils pouvaient dessiner dans un tel brouillard de tabac, et puis, un peu partout, des verres souvent plus trop remplis. Les cadavres de bouteilles, gisant à côté, ne laissent guère de doutes, on y picolait sérieusement. Sur les tables, des dessins souvent grivois, volontiers provocateurs avec tout ce qui incarnait le pouvoir : police, église, classe politique… Choron, Cavanna et leurs dessinateurs étaient, presque tous, des iconoclastes.

    Bien sûr, le mauvais goût n’était jamais loin. Souvent, même, les dessinateurs se jetaient à corps perdu dedans. Voilà, « bête et méchant », c’était bien résumé leur truc à Hara-Kiri, au début. C’est ce que leur avait dit, indignée, une lectrice. Ils avaient alors placé cette formule au fronton de leur journal. Au fond, c’étaient des sales gosses – talentueux, qu’on le veuille ou non – qui ont voulu le rester, coûte que coûte. D’ailleurs, ils se ruinaient en procès, car c’est ainsi que les choses se réglaient. Puis, ce fut la couverture de trop – pour les censeurs de l’époque –, la fameuse « une » « Bal tragique à Colombey – un mort ». Hara-Kiri, au moins sa version hebdomadaire, était interdit… mais allait vite renaître sous le titre Charlie Hebdo.

    Le pic : 150 000 exemplaires

    Avec Charlie Hebdo, ce fut une montée en puissance. C’était la France de Pompidou, puis de Giscard, à vrai dire la France d’après-mai 68. événement dans lequel, paradoxalement, un Choron, par exemple, n’avait pas vraiment grand-chose à saluer. Dans ces années 1970, les ventes atteignirent même un pic de 150 000 exemplaires. La concurrence était mince, le Canard enchaîné n’évoluait pas dans le même registre – du calembour essentiellement, que méprisaient tous les dessinateurs – et Minute bien trop éloigné sur le plan des idées pour capter le même lectorat. L’esprit de Charlie Hebdo était dans la filiation de celui d’Hara-Kiri : l’irrévérence, le mépris envers toute forme de pouvoir, l’humour immoral – ou amoral, selon ce qu’on en pense.

    Et puis Mitterrand fut élu. La prise de pouvoir par la gauche allait être fatale à Charlie Hebdo. La droite s’en allait, en même temps qu’une époque, et la bande à Choron et Cavanna perdait, là, ses cibles. Cette transition politique s’accompagnait d’une évolution de la jeunesse et des mœurs. Les jeunes générations ne les lisaient plus, les anciens lecteurs s’en étaient sans doute lassés. Charlie Hebdo s’était probablement enfermé dans une sorte de conformisme qu’il se plaisait, pourtant, à brocarder le plus possible. Les chiffres furent impitoyables : à peine 30 000 exemplaires vendus. Le début des années 80 sonnait le glas de leur aventure : ils mirent la clé sous la porte, avec une dernière « une », presque pathétique, « Allez tous vous faire… ». Un bras d’honneur de désespoir.

    Sous philippe Val, un nouveau Charlie

    Pendant une dizaine d’années, quelques journaux tentèrent de prendre la relève, sans accéder à la même notoriété. On peut penser à l’Idiot international de Jean-Edern Hallier, par exemple. C’est ce que soutient l’écrivain Marc-édouard Nabe, dans un film de Pierre Carles intitulé Choron dernière, lui qui, très jeune, publiait ses premiers dessins dans Hara-Kiri. Pour lui, l’esprit originel de Charlie Hebdo pouvait se retrouver dans l’Idiot. Mais cette aventure, initiée à la fin des années 60, se termina mal. Les relations Mitterrand/Jean-Edern Hallier l’expliquant pour beaucoup, surtout la mort du dernier…

    En 1992, en revanche, Charlie Hebdo allait renaître. Exit le professeur Choron, bonjour Philippe Val. Enfin, pas tout de suite. Le dessinateur Gébé dirigeait au début. Mais, très vite, Val allait prendre le pouvoir. Avec une équipe rajeunie (Charb notamment), mais toujours sous le parrainage des anciens, Cabu, Wolinski, Siné et Cavanna, qui semblait surtout servir de caution historique. Cela dit, ce n’était plus comme avant. Exemple typique : Philippe Val décide de tout, seul. Les « unes », c’est lui. Les choix éditoriaux, aussi. Avant, à l’époque Choron, la décision était prise à l’unanimité, le choix final se faisant parfois à deux heures du matin, comme on peut le voir dans certaines vidéos de l’époque.

    Sous Val, le ton change aussi. Le journal devient plus politique, plus engagé dans un seul sens. Il s’en prend encore au pouvoir, mais plus tout à fait de la même manière. 1995 leur offre une opportunité formidable : Chirac remporte la présidentielle. Un changement de pouvoir, une aubaine pour ce Charlie Hebdo 2.0. En parallèle, depuis les années 1980, un nouvel ordre moral et ses nouveaux bigots se sont installés. Sos-racisme était passé par là, les mouvements féministes aussi. D’ailleurs, on compte parmi les nouvelles plumes de Charlie Hebdo, les Caroline Fourest ou les Fiammenta Venner.

    Mais le journal satirique, rapidement, s’ancre dans le « système », il n’est plus tout à fait « anar ». Il milite pour l’intervention au Kosovo, pour le « oui » au référendum sur la constitution européenne. Toujours sous l’influence de Val. Le « système » n’est pas avare en récompenses d’ailleurs, si l’on suit l’ascension de Val, propulsé à la tête de France-Inter à la fin des années 2000. Les mauvaises langues expliquent que Sarkozy l’y a placé pour évincer les « humoristes » Guillon et Porte. Ironie de l’histoire ! Quelque temps avant le départ de Val, certains “historiques” du journal sont invités à prendre la porte. Siné est l’un deux.

    Raison donnée ? Antisémitisme ! La dent dure, celui qui a fondé Siné Hebdo assassine, dans une interview pour un webzine, l’évolution de Charlie Hebdo, période Val : « Ils bouffaient tous avec le pouvoir. Cabu, par exemple, était devenu très copain avec Delanoë. Charb, lui, avait mis des panneaux “interdit de fumer” partout ! » On est pas loin de l’hygiénisme. Il fallait voir, aussi, Philippe Val – encore à l’époque à la tête de Charlie Hebdo – monter les marches du festival de Cannes, entouré de BHL ou Glucksmann, avec un sourire satisfait, pour présenter le film C’est dur d’être aimé par des cons réalisé à la suite de la publication des caricatures de Mahomet.

    Chemin faisant, au cours de sa seconde vie, Charlie Hebdo s’est institutionnalisé en se muant en défenseur de la liberté d’expression, mais dans un cadre républicain. Voir Valls, aujourd’hui, descendre le perron de Matignon avec un Charlie Hebdo à la main donne l’impression que ce journal est devenu le bouffon de la République. Qu’il semble loin le temps des anars du début, quand on parlait, encore, de la liberté d’opinion. Quand un Choron défendait l’existence de Minute sur un plateau de télévision… ô tempora, ô mores…   

     

    * Politique magazine - Par    

     

  • LA RÉVOLTE GRECQUE, LA FIN DE LA CONNIVENCE ? Par Georges-Henri SOUTOU, de l'Institut*

     

    Si au moins deux scénarios sont envisageables, la négociation de la dette grecque aura dans tous les cas de figure des conséquences directes sur l'ensemble de l'Union européenne. Les répercussions ne seront pas seulement économiques mais largement politiques. 

    Pour la première fois, des communistes sont arrivés au pouvoir à la suite d'élections libres. Il ne faut pas sous-estimer leur détermination : elle est nourrie par leur histoire - la terrible guerre civile de 1944 à 1949, le coup d'État des colonels en 1967 et la répression qui l'a suivi. De plus, une grande majorité de Grecs, même si elle ne partage pas les idées du parti Syriza, refuse d'accepter la situation actuelle. Et pour cause. Après une cure de cheval et avec 25 % de chômeurs, la dette du pays est montée à 180 % du PIB, alors qu'elle n'était encore que de uo % au début de la crise. Malgré des signes de reprise de l'activité économique, le chemin suivi aboutit incontestablement à une impasse.

    Le nouveau premier ministre, Alexis Tsipras, a réaffirmé ses engagements de campagne : sortir du système de la « Troïka » (Banque centrale européenne, Commission de Bruxelles, FMI), qui contrôle les finances du pays depuis 2010, et renégocier la dette de la Grèce. Bien au-delà des seuls sympathisants des partis de la coalition gouvernementale, c'est une grande majorité du peuple hellène qui soutient ce programme. Pour des raisons au moins autant psychologiques que financières. Les Grecs se perçoivent en effet comme des victimes. Il faut dire que le xxe siècle ne les a pas épargnés.

    D'autre part, Alexis Tsipras a fait alliance avec le parti souverainiste des Grecs indépendants et il s'est bien gardé jusqu'à maintenant de s'attaquer à l'Église, même si cette dernière détient 25 % des terres. On assiste ainsi non pas seulement à une victoire des « popilistes », mais à la mise en place d'un « compromis nationaliste » qui se nourrit de l'opposition à Bruxelles d'un côté et à la Turquie de l'autre (à cause de Chypre et du conflit autour de l'exploitation du pétrole de la Mer Egée).

    LA GRÈCE NE PEUT JOUER LA MONTRE

    Dans ces conditions, quelle tournure va prendre la renégociation de la dette grecque ? Une chose est sûre : Athènes ne peut pas simplement jouer la montre car, sans nouvelle aide extérieure, elle ne peut tenir au-delà de la mi-mars. 

    Le refus de la BCE de continuer à refinancer les banques grecques par des facilités à court terme, motivé par des considérations techniques et juridiques, n'est pas la position définitive de l'Union européenne. La négociation va continuer et rien ne permet de penser qu'elle n'aboutira pas. En effet, l'endettement grec actuel (316 milliards d'euros) est, à la différence de celui de 2010, largement constitué de créances publiques, plus faciles à restructurer que des créances privées. De plus, ces grands endettements publics sont complexes et, partant, susceptibles d'amodiations (prolongation des délais de remboursement, taux d'intérêt revus à la baisse), sans parler d'astuces comptables variées. Et si, pour finir, on réduit la dette grecque en valeur nominale, comme elle est largement publique, elle se dissoudra dans les budgets des pays concernés - Allemagne et France en particulier. On remarquera que l'assouplissement quantitatif de 1 Zoo milliards d'euros décidés par la BCE le 22 janvier arrive à point pour gérer d'éventuels problèmes de trésorerie, en cas de défaut partiel sur une dette grecque de 316 milliards...

    Dans cette négociation, les Grecs ne sont pas dépourvus de moyens. La crise actuelle au Moyen Orient et le conflit qui oppose l'Europe de l'Ouest à la Russie, avec laquelle la Grèce a des liens historiques et religieux anciens, font d'Athènes une capitale courtisée. Cela s'est vérifié récemment quand le nouveau gouvernement a bloqué pendant 24 heures une discussion sur l'extension des sanctions qui frappent Moscou... De même, avec le tourisme, sa marine marchande et le rôle régional essentiel de ses banques dans les Balkans, la Grèce n'est pas sans alternative si elle devait quitter l'UE.

    Or, en Europe, les Grecs ne sont pas seuls à contester la façon dont a été gérée la crise financière de 2008. « Podemos » en Espagne, « Cinque Stelle » en Italie, le Front national et la gauche de la gauche en France, sont sur des positions comparables. Mais si ces partis, ou ces mouvements d'opinion, obtiennent dans les urnes et dans les sondages des résultats que personne n'eût imaginés il y a encore deux ans, leurs revendications sont souvent trop vagues pour être convertis en politiques concrètes. Or, en Grèce, les nombreux économistes présents au sein du gouvernement ne sont pas des inconnus et participent depuis des années au débat qui entoure la politique d'orthodoxie financière de la BCE et de l'UE, orientée sur le modèle allemand. Le ministre des Finances, Yanis Varoufakis, n'est pas un énervé. Quand il explique qu'en 2010 la Grèce ne souffrait pas d'une crise passagère de liquidités mais d'une véritable banqueroute que l'on ne pouvait pas enrayer en empruntant toujours plus sans garantie de remboursement, il dit la vérité. Et son livre, cosigné avec James K. Galbraith et Stuart Holland, deux économistes reconnus, Modeste proposition pour résoudre la crise de la zone euro (édition Les Petits matins, janvier 2014), montre qu'il n'est pas isolé. Certes, bien des points du programme de Tsipras (la hausse du SMIC par exemple) sont démagogiques. Mais les jugements tranchés et méprisants qui, dans certains milieux, ont accueilli son arrivée au pouvoir semblent plus arrogants qu'informés.

    UN VÉRITABLE SUSPENSE

    Deux scénarios sont désormais envisageables. Le premier verrait l'échec de la négociation entre Athènes, la BCE, l'UE et le FMI. On entrerait alors dans une zone de turbulence. Le peuple grec, ne se désolidariserait vraisemblablement pas de son gouvernement et la Grèce sortirait alors de l'euro, ce qui entraînerait de considérables répercussions, dont la remise en cause radicale de la façon dont celui-ci a été géré jusqu'ici.

    Dans le deuxième scénario, toutes les parties parviendraient à un accord qui serait évidemment extrêmement coûteux pour les créanciers. Problème : ce serait la reconnaissance d'une forme de mutualisation de la dette des États européens, mutualisation rigoureusement exclue par les textes. Du coup, il est tout à fait envisageable que le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe mette le holà. Et, politiquement, il faudrait en plus compter sur les réactions des électeurs-contribuables européen. À titre d'exemple, la part française dans la dette grecque représente l'équivalent d'une année d'impôt sur le revenu... Enfm, les pays qui comme l'Espagne, le Portugal et l'Irlande ont fait des efforts considérables pour revenir à l'équilibre pourraient demander à bénéficier des mêmes facilités. Bref, d'une façon ou d'une autre, le système va profondément être remis en cause.

    À cela s'ajoute le fait que la situation d'Angela Merkel deviendrait encore plus difficile qu'elle ne l'est aujourd'hui. En particulier, et on le perçoit déjà, parce qu'elle sera amenée à faire des concessions aux Britanniques pour s'assurer que Londres reste dans l'Union. Une UE qu'un « Brexit », après un « Grexit », finirait d'achever. Celle-ci serait de toute façon soumise à des pressions encore renforcées dans le sens d'un changement de cap radical. Quelle que soit l'issue, on peut penser que l'accord établi depuis longtemps entre chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates au niveau européen, symbolisé par le partage de la présidence du Parlement européen (deux ans pour chacun des deux partis) quel que soit le résultat des élections, et qui repose sur un mélange instable de mondialisation libérale, d'orthodoxie financière et de politique de protection sociale élevée par rapport au reste du monde, serait remis en cause. Ce serait le retour de la politique et la fin de la connivence.  

     

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    Yanis Varoufakis, ministre de l'Economie grec. Il avait prédit l'effondrement de son pays. 

     

    * Politique magazine