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Rechercher : qu'est ce que le système ?

  • De la lutte intestine à la Guerre civile

    Le nouveau préfet de police de Paris, Didier Lallement. La mission est claire : casser la rue.

    Par Hilaire de Crémiers 

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    Les décisions macroniennes sont de plus en plus risquées. Jusqu’où ?

    Macron joue au chef. Comme un adolescent à la tête d’une bande. Il fait tomber des têtes ; c’est sa méthode.

    Le préfet de police de Paris, Michel Delpuech, son directeur de cabinet, Pierre Gaudin, le directeur de la Sécurité de proximité de l’agglomération parisienne, Frédéric Dupuch, l’ont appris à leurs dépens. Motif invoqué de ces limogeages en série qui en annoncent d’autres plus discrets mais tout aussi violents : de graves dysfonctionnements dans la chaîne de commandement lors des manifestations du samedi 16 mars pour l’acte XVIII des Gilets jaunes. Ce discours aux « éléments de langage » convenus fut tenu dès le soir de ce même samedi, divulgué sur toutes les ondes et repris publiquement par le Premier ministre, Edouard Philippe, sur un ton sec et impérieux, officialisant les destitutions-sanctions, dès le lundi 18 mars. Sévérité foudroyante qui, devant les débris fumants des pillages qui avaient dévasté les Champs-Élysées, devait manifester clairement la droite et exigeante conscience des plus hautes autorités de l’État : l’ordre républicain n’était pas négociable.

    Hypocrite explication

    le-fouquet-s-samedi-16-mars-photo-zakaria-abdelkafi-afp-1553367166.jpgLe ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner ne se serait rendu compte de la gravité des faits que le soir du même samedi 16 mars vers 17 heures passées, après le saccage du Fouquet’s. Eh oui, ce n’est qu’alors, qu’il aurait compris que « ses instructions de la plus grande fermeté » n’avaient pas été exécutées, obligeant le chef de l’État, son ami, son patron, pour ne pas dire son parrain, à revenir de toute urgence de la station de ski des Pyrénées où il pensait s’offrir en toute tranquillité avec Brigitte, loin des Gilets jaunes, deux jours de détente bien méritée. Un sabotage, quoi, et qui expliquait tout ! « Un échec », avouait devant micros et caméras, avec la modeste ingénuité d’un truand repenti, notre Castaner national, lui qui se sent – il l’a fait savoir solennellement – toujours en service de haute vigilance, même au-delà de minuit, même au plus profond des boîtes de nuit, même après moult verres de vodka, même dans les bras câlins d’une jeune collaboratrice de ses précédentes fonctions.

    Se faire « avoir » comme ça, en pleine journée et dans l’exercice de ses fonctions ! Car il était bien à la manœuvre dès le matin place Beauvau avec son état-major, n’est-ce-pas ? Son propos mêlait l’indignation, l’amertume et le regret ; il sentait la plus scandalisée des sincérités ! Faut-il se souvenir que ce ministre hors norme, si avisé, a commencé sa carrière à 18 ans dans le poker-menteur, sa première spécialité et son premier gagne-pain, en même temps qu’au parti socialiste, ce qui s’accommode fort bien, y jouant comme dans un tripot avec ses petits camarades de la sociale ? Le PS du Midi de l’époque est un solide repaire…, tout comme celui du Nord, d’ailleurs : le truandage érigé en principe vital et en norme politique ! Faut-il aussi rappeler qu’il attrapa vite du galon dans le cours parallèle de ces deux genres d’activités avec leurs multiples ramifications qui se ressemblent tant, se recoupent et qui exigent le même talent, le même boniment et le même entrain ? Et, certes, notre Castaner n’en manquait pas.

    D’un côté il était lié au caïd du grand banditisme Christian Oraison, de la redoutable Dream Team, dit « le Grand Blond », abattu pour règlement de compte en 2008 à Manosque, – « mon grand frère, mon protecteur », avait-il déclaré publiquement non sans émotion, avec cette pudeur d’un ancien enfant de chœur qui cherche à exprimer sa reconnaissance ; et l’envie ne manque pas de s’interroger en quoi pouvait se cultiver une telle intimité. De l’autre côté, simultanément, il s’inséra vite dans l’appareil du parti, en commençant par l’UNEF à l’imitation de tant d’anciens grands pontes de ce socialisme justicier qui ont su y commencer leur petite fortune avant de parvenir aux sommets de la République ; et, toujours comme eux, il accéda donc dans la foulée aux cabinets ministériels qui lui ouvrirent la voie électorale et politicienne à laquelle il aspirait de tout son être. Et voilà, depuis deux ans, qu’au bout de ces itinéraires prometteurs il débouche enfin, et comme de droit, dans la macronie qu’il va diriger dès 2017 avec toute la confiance du patron qui est aussi – ne l’oublions pas – celui de Benalla ; et c’est de là qu’il s’élance sur la trace des Defferre et des Pasqua, à l’instar d’un Vidocq, jusqu’au poste de premier flic de France. Chapeau !

    7794918539_le-ministre-de-l-interieur-gerard-collomb-le-19-septembre-2018-a-paris.jpgDepuis le mois de novembre, Collomb s’étant judicieusement esbigné, c’est donc lui qui fait face à la révolte des Gilets jaunes. On sait suffisamment comment des groupes de casseurs s’en mêlèrent sans que jamais il ne fut apparemment possible de les cerner ni de les empêcher de nuire pour permettre aux Gilets jaunes de manifester selon le droit. Dès le mois de décembre, après les incidents de l’Arc de Triomphe, Castaner peut donc amalgamer dans son discours officiel casseurs et Gilets jaunes, prenant les dispositions en conséquence et justifiant la répression avec tous les moyens, dont les lanceurs de balles de défense (LBD 40) – il en a même expliqué l’usage aux enfants des écoles ! – et les grenades à effet de souffle, dites de désencerclement (GLI-F4). Le but politique était si évident que personne, ni à droite ni à gauche, ni surtout dans la police, n’en était dupe.

    Vers la guerre contre le peuple

    Que s’est-il passé le 16 mars ? Véritablement ? Laurent Nuñez, le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur, ancien préfet des Bouches-du-Rhône, ancien directeur général de la Sécurité intérieure (DGSI) qui, lui, est un professionnel de l’ordre public et placé, d’ailleurs, à cet effet à ce poste pour pallier les carences de Castaner, a prétendu fournir des explications, mais, à bien les écouter, c’était sans vraies précisions. Il paraît que l’enquête est en cours pour évaluer le niveau des défaillances. En fait, en bon fonctionnaire qui se veut efficace, il couvre son ministre, l’autorité politique et, au-dessus, Emmanuel Macron.

    1040304969.png« Des instructions de retenue » auraient été données aux forces de l’ordre au rebours « des directives offensives » du ministre. Frédéric Dupuch a fait circuler une note – sans même en référer au préfet de police, précise-t-on – engageant à un usage plus modéré des LBD, ce qui, en soi, étant donné les risques graves encourus, les nombreuses blessures et plaintes ainsi que les condamnations sans appel des instances supranationales, se comprend parfaitement. Et d’autant plus que la direction de la Sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP) avait créé après le 1er décembre les détachements d’action rapide (DAR) à qui revenaient les interpellations sur le tas et la sécurité des manifestations. Il y avait ainsi deux centres opérationnels. Soit. C’était une garantie de pondération ; et il y avait un commandement unique qui restait sous les ordres de Beauvau et de l’Élysée. Mais l’Élysée et Beauvau ne veulent plus qu’une seule machine unifiée de répression et il faut donc mettre au pas la grande maison de la Préfecture de Police qui a ses structures, ses habitudes et ses logiques qui lui viennent de son histoire et de sa connaissance des situations. La crise permet donc à Macron – et à Castaner sous ses ordres – de régler la question de la sécurité et de l’ordre public comme sont réglées toutes les autres questions de finances, de politique, de société : tout pouvoir entre les mains de l’exécutif en la personne du président de la République. C’est simple… et c’est fou.

    La nomination de Didier Lallement, l’ancien préfet d’Aquitaine, comme préfet de police de Paris correspond exactement à cette politique. L’homme est connu pour son tempérament et son ambition. Ce sera le tout répressif. Et la mobilisation des soldats de l’opération Sentinelle – malgré les dénégations macroniennes – relève de la même conception, dans la grande tradition républicaine de la Révolution, des Cavaignac, des Thiers, des Clemenceau, ce dernier étant invoqué par Castaner et Macron comme le modèle. Pourquoi pas le 6 février 34 ?

    La liquidation de Delpuech sans fioriture satisfait en outre l’assouvissement d’une vengeance froide de l’Élysée ; il était, en effet, l’un des rares témoins devant la commission d’enquête du Sénat sur l’affaire Benalla à n’avoir pas menti sous serment pour couvrir l’Élysée et à avoir dénoncé « des copinages malsains ». Une telle indépendance méritait sa sanction !

    Et le samedi 16 mars ? Ceux qui ont observé la manifestation ont parfaitement remarqué dès le matin 11 heures les groupes de black blocs avec leurs accoutrements cagoulés caractéristiques, leurs drapeaux rouges et noirs, leurs slogans propres se revendiquant de l’anticapitalisme. À Saint-Lazare, à Saint-Augustin, rue La Boétie, à Saint-Philippe du Roule, ils étaient distincts de la foule des Gilets jaunes, en tête ou en queue. Ils n’étaient pas 1 800 comme l’affirme Castaner. Quelques centaines, tout au plus. Il fallait les arrêter, eux et eux seuls, à ce moment-là. Ce n’était rien du tout.

    89950_black-bloc-marx.jpgL’opération n’a pas été faite. Beauvau commandait. Une fois les Champs-Élysées gagnés, les black blocs étaient les maîtres. La préfecture n’y pouvait plus rien ; elle ne pouvait que chercher à limiter la casse dans Paris.

    Il appartient au Sénat de poursuivre ses enquêtes. C’est pourquoi la Chambre haute est devenue l’ennemi N°1 de l’Élysée. Macron a réussi à instituer une violente lutte intestine, jusqu’au sein même des institutions. Gare à toutes les guerres civiles qui peuvent se déclencher dans le désordre généralisé qui s’installe. Ce n’est pas son grand débat ni sa lettre aux citoyens d’Europe, ni ses sermons indéfinis, y compris aux intellectuels, qui changeront quoi que ce soit à un mauvais rapport de force qu’il a érigé en système de gouvernement. Plus personne en Europe ne le prend au sérieux, pas même les Allemands qui l’ont clairement signifié ! Le peuple français dans ses profondeurs ne le supporte plus, dût-il gagner les élections européennes par subterfuge. Lui et son Castaner feraient bien d’y réfléchir à deux fois. Il serait temps de mettre fin à l’expérience avant le désastre.   

    Hilaire de Crémiers

  • Livres & Société • Histoire de l’islamisation en France, 1979-2019

       

    michelletribalat.pngLes auteurs de ce livre ont eu l’idée géniale de reprendre ce qui s’est dit et écrit sur l’immigration et l’islam au cours des quarante ans qui viennent de s’écouler en rappelant « les faits et les décisions », comme le mentionne la quatrième de couverture.

    Ce rappel se fait à travers de très nombreuses citations tirées d’archives. De ces auteurs nous ne savons rien, puisque la signature est celle d’un collectif anonyme. Mais on comprend, à la lecture, qu’ils se soient mis à plusieurs, compte tenu de la masse documentaire considérable qu’ils ont eu à travailler. 

    Histoire-de-l-islamisation-francaise-1979-2019.jpgLe titre du livre, Histoire de l’islamisation française – et non Histoire de l’islamisation de la France – insiste sur la fabrication française d’un renoncement à être et à persévérer dans son être d’une nation abandonnée par des élites qui s’appliquent à domestiquer des autochtones qui renâclent à l’adaptation qu’elles attendent d’eux.

    Ce livre est l’occasion de nous rappeler tout ce que nous avons eu tendance à oublier ou que nous n’avons tout simplement pas remarqué et qui, au fil des ans, fait système. Il raconte la lente élaboration d’une idéologie islamophile, portée par une bonne partie des élites intellectuelles et médiatiques dont le bréviaire de gauche est en train de changer en début de période et qui va avoir tendance, au fil des ans, à devenir hégémonique.

    Chacun des titres des 40 chapitres est un millésime (de 1979 à 2018), accompagné d’une citation qui en donne la tonalité. Le premier chapitre démarre ainsi sur la révolution iranienne de 1979, avec ces mots de Serge July dans Libération : « La joie fait son entrée à Téhéran ». Le dernier chapitre s’ouvre sur le lapsus du décodeur de France Culture, Nicolas Martin, lapsus qui révèle « son incompétence et ses préjugés inconscients » :

    « Si les immigrés font plus d’enfants, seront-ils plus nombreux ? »

    Ce livre est l’occasion de repérer les prémisses de ce que l’on entend aujourd’hui, de manière récurrente, sans y avoir toujours prêté attention alors. Qui se rappelle qu’en 1979, en réponse aux propos de Georges Marchais, Libération publiait une tribune de Fredj Stambouli de l’université de Tunis qui plaidait déjà pour une décolonisation des esprits des populations occidentales, afin de leur permettre « d’accepter et même d’encourager le droit légitime des Autres à rester ce qu’ils veulent être » ? Nous étions à la fin des années 1970 et, déjà, l’assimilation faisait figure de repoussoir. C’étaient déjà les autochtones qu’il fallait acclimater aux nouveaux venus.

    Déjà, dans les années 1980, les propos des musulmans dits « modérés » étaient reçus avec politesse, même s’ils disaient la même chose que ceux proférés par d’autres qualifiés d’islamistes. Dans Le Monde de mars 1989, Mohammed Arkoun, grand « modéré » s’il en est, pouvait ainsi accuser, sans soulever le moindre tollé « la raison des Lumières d’avoir substitué le dogme de sa souveraineté à celui de la raison théologique ». On ne lui répondit pas.

    « La raison des Lumières d’avoir substitué le dogme de sa souveraineté à celui de la raison théologique. »

    Vingt-cinq ans plus tard, le réflexe de l’inversion ou du mensonge par omission s’est si bien propagé que la presse rapporte parfois exactement l’inverse de ce qui est dit, tout en faisant silence sur les propos les plus gênants. C’est l’objet du chapitre 2014. Cette année là, le « modéré » Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris et président du CFCM, présente à la presse une Convention citoyenne des musulmans de France pour le vivre-ensemble concoctée par le CFCM. Ça sonne bien à nos oreilles. Lors de la conférence de presse, Dalil Boubakeur se garde bien d’évoquer l’article 5 de la convention sur les tenues vestimentaires qui fait du voile une obligation islamique. Les rares médias qui évoquent cette convention trouvent motif à se réjouir, sans jamais parler de l’article 5. Ainsi, Le Monde  déclara que « ce message ne pouvait pas mieux tomber ». Il ajouta que « le texte s’attache aussi à lever les soupçons qui pèsent sur l’islam. “L’islam est parfaitement compatible avec les lois de la République” proclame-t-il […], le texte affirme que “les musulmans de France désirent se joindre au renouveau de la pensée religieuse sur l’islam” et “ajuster leurs pratiques” à la société française. » Jean-Louis Bianco aussi salua cette avancée. MédiapartLe Nouvel Observateur et la Ligue de l’enseignement ne furent pas en reste. La lettre ouverte de trois femmes du collectif « Femmes sans voile » d’Aubervilliers, parue dans Marianne et qui dénonçait le CFCM, n’aura aucun écho. Les féministes ne bougeront pas. Enhardi par cette méprise volontaire, Dalil Boubakeur récidive en juin 2017 lorsqu’il met en ligne, sur le site de la mosquée de Paris, des textes injurieux, méprisants et hostiles au christianisme et au judaïsme, textes qui reprennent en gros la doctrine islamique sur le sujet. Sans provoquer, là encore, la moindre réaction.

    Le cas Redeker

    XVMb988ecf6-6456-11e6-89ca-170f2a825fda.jpgHeureusement, le chapitre 2006 nous a déjà rappelé la veulerie dans laquelle se sont vautrés les contempteurs de Robert Redeker, menacé de mort et condamné à la clandestinité pour avoir écrit dans Le Figaro ce que d’autres avant lui avaient écrit sur l’islam. C’est vrai, c’est plus facile et moins risqué de se mettre du côté du plus fort. Olivier Roy y vit « un tissu d’imbécilités », Le Monde, « des vociférations ». Libération parla d’une « tribune satanique ». Et, n’écoutant que son courage, la responsable de la page « Débats » du Monde rassura les lecteurs du journal : Si la tribune avait été proposée au Monde, « nous ne l’aurions certainement pas publiée ». On retrouve donc les “Usual Suspects”, dont Le Nouvel Observateur qui a l’audace d’écrire que Robert Redecker n’est pas victime d’islamistes, de musulmans vindicatifs mais « de son orgueil de roseau pensant », mettant ainsi en doute sa compétence de philosophe. C’est la curée. S’y joignent Témoignage chrétien qui voit dans la tribune de Robert Redeker une injure islamophobe digne de l’extrême droite et Paris Match qui pousse au maximum le renversement moral en parlant de chronique haineuse d’un « simplet » qui cherche la notoriété et n’est pas digne d’être défendu au nom de la liberté d’expression.

    Les auteurs du livre y voient une inversion, dénoncée au fil des chapitres, qui place la violence du côté de celui qui en est victime. Olivier Roy gagne le pompon de la lâcheté lorsque, dans Libération, en septembre 2006, il accuse Robert Redeker de « chatouiller la fatwa », lequel ne devrait pas s’étonner de ce qui lui arrive. Pour Olivier Roy, qui remet ça dans Esprit, « Robert Redeker est raciste ».

    Et, si l’on veut bien remonter au chapitre 1989, on trouvera le même genre de veulerie intellectuelle lors de l’affaire Rushdie. Rappelons simplement ce que le grand Jacques Berque écrivait dans Le Figaro à l’époque. Il aurait préféré que Les versets sataniques ne soient pas diffusés en France et considérait que Salman Rushdie ne pouvait en aucun cas être pris pour un héros de la libre-pensée après avoir insulté si grossièrement le prophète de l’islam.

    Les caricatures danoises de 2005

    JFSCaric2.jpgSans oublier l’affaire des caricatures danoises publiées en 2005 qui donna l’occasion aux députés européens de montrer leur courage en adoptant une résolution dénonçant les abus de la liberté d’expression qui incitent « à la haine religieuse, au racisme et à la xénophobie » et exprimant leur « sympathie à l’égard de ceux qui se sont sentis offensés par les caricatures du prophète Mahomet ». Le Conseil des ministres de l’UE s’était fendu, rappelons-nous, d’un texte où il avait cru bon de préciser que « la liberté d’expression devait respecter les croyances et les convictions religieuse ». On a là un renversement de l’interprétation de l’incitation à la haine décrit par Flemming Rose, qui parle d’inversion de l’effet et de la cause dans son livre, jamais traduit en français, The Tyranny of Silence. Rappelons seulement la stupéfaction qui fut la sienne lorsqu’il fut accueilli le 10 décembre 2005 pour participer à un débat organisé par Amnesty International et l’Institut danois des droits de l’homme, lesquels avaient installé une bannière au titre orwellien « Victimes de la liberté d’expression » (http://www.micheletribalat.fr/439913052). Le livre illustre la progression de cette inversion et de l’activisme nécessaire pour, au moins, faire taire ceux qui seraient tentés par la lucidité.

    Jacques Chirac lui-même avait condamné les caricatures, ce qui avait rendu le CFCM audacieux au point de demander une loi interdisant le blasphème, demande relayée par Éric Raoult qui fut un temps ministre de l’intégration ! Cette affaire des caricatures a eu les conséquences que l’on sait et a renforcé la tyrannie du silence dénoncée par Flemming Rose, dont les effets désastreux sont parfaitement décrits au fil des pages de ce livre.

    Même sans loi écrite sur le blasphème, la liberté d’expression n’est plus qu’un lointain souvenir. Les poursuites en justice qui se sont multipliées ont un puissant pouvoir d’intimidation. Même lorsque les personnes poursuivies gagnent leur procès, l’intimidation dont elles ont fait l’objet tend à les rendre plus discrètes et plus prudentes et à dissuader celles qui seraient tentées de s’exprimer librement de le faire. Et, depuis Charlie Hebdo, la menace s’est concrétisée.

    La peur a abîmé la notion de respect et de tolérance. Salman Rushdie craignait par dessus tout que des gens bien puissent céder à la peur en appelant cela du respect. Jens-Martin Eriksen et Frederik Stjernfelt, deux chercheurs danois, parlent de « respect-mafia ».

    La peur a aussi démonétisé toute idée de subversion…

    Alors qu’on attendait des élites politiques, intellectuelles et médiatiques qu’elles défendent la liberté d’expression, elles se sont trop souvent illusionnées en croyant défendre les faibles et les déshérités. Elles ont ainsi pratiqué l’amalgame qu’elles dénoncent tant par ailleurs en prétendant défendre les musulmans qu’elles considèrent authentiques, sans grand discernement, tout en abandonnant les dissidents acquis aux valeurs libérales. L’assimilation des critiques et des moqueries de l’islam à du racisme a produit cet amalgame et favorisé l’infantilisation des musulmans.

    Ce livre permet de mesurer ce qui nous sépare aujourd’hui d’un temps pas si lointain où les connaisseurs de la question, tombés dans l’oubli pour ce qu’ils ont écrit sur l’islam (c’est le cas de Jacques Ellul), écrivaient ce qui leur vaudrait aujourd’hui un passage à la 17e chambre, sans parler des menaces de mort. Et les livres scolaires sont à la pointe du « progrès ».   

    Article paru sur le site de Michèle Tribalat, avec son aimable autorisation

    Source : ICI

  • Livres • Mathieu Bock-Côté : « Le multiculturalisme est une inversion du devoir d’intégration »

     

    par Jean-Baptiste d'Albaret

    Canadien de Montréal, souverainiste québécois, Mathieu Bock-Côté lutte pour que le combat indépendantiste prenne en compte la dimension identitaire. Son dernier livre, Le Multiculturalisme comme religion politique, est une analyse lucide et profonde de la modernité. Sociologue, chroniqueur, il est aussi un observateur avisé de la situation politique française. Les lecteurs de Lafautearousseau le connaissent bien. Nous suivons, ici, ses analyses, ses publications, depuis déjà un certain temps. Avec la plus grande empathie. Il a accordé à Politique magazine [janvier 2017] l'entretien qui suit.  LFAR 

     

    En quoi le multiculturalisme est-il une religion politique ?

    Le multiculturalisme est apparu au mitan du XXème siècle comme une révélation. Il ne prétend pas améliorer la société, mais la démanteler pour la reconstruire radicalement selon une nouvelle anthropologie. Ce en quoi il est aussi une eschatologie : il y a le monde d’avant, coupable de péchés indélébiles contre la diversité, et le monde d’après, qui tend vers le paradis diversitaire et transnational, étape ultime de l’aventure humaine et seul visage possible de la modernité.

    Selon les tables de la loi multiculturelle, les vieilles institutions sociales doivent s’effacer au profit des revendications exprimées par tous les « exclus » de la terre qui se trouvent parés, en tant que tels, de l’aura christique des réprouvés.

    De là découle une conception particulière de l’affrontement politique. Car les grands prêtres du multiculturalisme ne conçoivent pas la démocratie comme la confrontation de conceptions concurrentes du bien commun mais comme un espace d’éradication du mal. Qui ne communie pas au culte de la diversité est le diable en personne – et le diable est intolérant, raciste, islamophobe, homophobe… C’est ainsi que le débat public en Occident a été confisqué par un petit clergé progressiste qui menace du bûcher toute pensée dissidente.

    Vous expliquez que le multiculturalisme est né sur les décombres du soviétisme, comme une métamorphose de l’imaginaire marxiste…

    Il est certain qu’à partir des années 1950, la plupart des intellectuels marxistes prennent conscience que l’URSS, leur nouvelle Jérusalem, ressemble davantage à un enfer concentrationnaire qu’à un paradis de travailleurs. C’est le début de ce que j’appelle le « socialisme migrateur » ou « socialisme tropical » : beaucoup vont chercher de nouvelles terres promises en Chine, à Cuba, en Afrique… Mais c’est à partir des années 1960 que le progressisme va profondément muter en se détachant du communisme.

    Mai 68 et les Radical Sixties marquent le triomphe du gauchisme et de la contre-culture qui débordent le communisme par la gauche et transforment le rapport au mythe révolutionnaire. C’est l’époque où Herbert Marcuse parle avec dédain des « classes populaires conservatrices ». La gauche radicale constate que le prolétariat aspire davantage à la middle class qu’à la révolution. Désormais, elle fera la révolution sans le peuple et même, au besoin, contre lui. Et c’est aux minorités que le rôle de catégorie sociale révolutionnaire de substitution est dévolu.

    Mais le muticulturalisme ne menace-t-il pas d’implosion violente les sociétés où il s’exerce ?

    Pourquoi vivre en commun si on ne partage pas la même culture ? En laissant cette question sans réponse, le multiculturalisme, loin de tenir sa promesse du « vivre-ensemble », ne produit, au mieux, qu’une pluralité d’appartenances au sein de sociétés fragmentées et communautarisées. Mais ne réduisons pas sa critique aux aspects liés à la paix civile même s’ils ne sont pas négligeables.

    L’idéologie multiculturelle obéit d’abord à une logique de déracinement qui passe par le démantèlement des institutions et des systèmes normatifs traditionnels. Elle est fondée sur une inversion du devoir d’intégration : l’immigré n’a plus vocation à se fondre dans le creuset de la culture d’accueil mais c’est la culture d’accueil qui doit s’accommoder de la culture d’importation. La culture d’accueil perd ainsi son statut référentiel et devient, en quelque sorte, optionnelle, sauf pour expier ses crimes contre la diversité, ce qui revient évidemment à œuvrer à sa propre destruction. C’est exactement ce qui est arrivé au Canada.

    Le Canada, présenté par les thuriféraires du multiculturalisme comme un modèle de gestion ethnoculturelle… Qu’en est-il de la réalité ?

    Je ne sais pas si on peut parler de modèle, mais le multiculturalisme est là-bas une sorte de doctrine d’Etat. Avec son enthousiasme coutumier, notre flamboyant Premier ministre, Justin Trudeau, vient d’expliquer dans le New York Times que c’était la diversité qui caractérisait le Canada. Et de fait, au pays des accommodements raisonnables, une immigrée peut prêter son serment de citoyenneté en niqab avec la bénédiction des tribunaux ou le Premier ministre d’une province comme l’Alberta peut se montrer dans une vidéo revêtue d’un voile islamique pour fêter la fin du ramadan…

    Ce zèle diversitaire, ce multiculturalisme triomphant récoltent l’admiration béate des élites culturelles et médiatiques qui se congratulent entre elles de ces marques définitives de tolérance et d’ouverture d’esprit. Au Canada, le multiculturalisme est, si j’ose dire, entré dans les mœurs.

    En revanche, on sait moins qu’il y a été utilisé et programmé comme une arme de guerre contre le nationalisme québécois. C’est Pierre Trudeau, le père de l’autre, qui l’a fait inscrire dans la loi constitutionnelle de 1982, imposée de force au Québec afin de désamorcer ses revendications historiques à se constituer en nation. Trudeau voyait en effet d’un très mauvais œil le souverainisme québécois qu’il accusait d’ethnocentrisme, alors même que le socle de l’identité canadienne reposait traditionnellement sur la figure des deux peuples fondateurs, les anglophones et les francophones.

    Le résultat ne s’est pas fait attendre. Ainsi constitutionnalisé, le multiculturalisme a non seulement amputé le Canada de son identité française, mais il a aussi privé le Québec de son statut de nation fondatrice. Triste destin pour le peuple québécois, extrait de sa propre histoire, dépossédé d’une part de lui-même et rabaissé à l’état de communauté ethnique parmi d’autres au sein de la diversité canadienne…

    En France, la victoire de François Fillon à la primaire de la droite est parfois analysée comme une réaction à l’idéologie des élites, largement comparable à ce que vous décrivez pour le Canada. Est-ce aussi votre sentiment ?

    Oui, d’une certaine façon, même si, en France, les références aux valeurs républicaines entretiennent l’illusion d’une communauté politique unifiée. Je dis bien l’illusion : on sait que la réalité est tout autre et qu’énormément de Français ont le sentiment que leur pays se décompose. C’est pourquoi je crois que les gens ont moins voté pour le programme de François Fillon que pour l’image d’une France traditionnelle et enracinée qu’il personnifie. De ce point de vue, il est l’exact contraire de Justin Trudeau qui incarne un cosmopolitisme diversitaire sans racines et la dissolution du politique dans la communication. Fillon est la sobriété faite homme. Pas de transgression outrancière chez lui. Ce qui le distingue aussi d’un populiste du genre Donald Trump.

    Fillon l’a plus emporté pour la part de conservatisme qu’on lui attribue que pour sa promesse de rétablir les finances publiques ?

    Sans aucun doute, même si le verbe « rétablir » que vous venez d’employer est celui qui lui convient. François Fillon doit avoir conscience des enjeux qu’il a fait naître. Il porte pour l’élection de 2017 tous les espoirs d’un certain conservatisme à la française. Je veux parler d’un mélange d’enracinement, de sens commun, de dignité qu’il lui faudra, sous peine d’immense déception, incarner personnellement mais aussi politiquement s’il est élu à la tête de l’État.

    Ce conservatisme réclame une part de volontarisme car, dans le monde qui est le nôtre, il ne s’agit plus seulement de conserver, il faut également restaurer ce qui a été mutilé par quarante ans de progressisme maniaque. En France, cela commence par l’État, l’autorité de l’État. La psychologie politique de votre pays est profondément imprégnée de l’idée que c’est l’Etat souverain qui incarne le destin de la nation et il serait tout à fait illusoire de vouloir lui substituer la société civile comme le prône le philosophe anglais Roger Scruton. Le conservatisme français est une synthèse originale d’identité et de liberté, même sur les questions de mœurs.

    Cela le distingue du conservatisme social américain qui peut avoir une dimension agressive, très éloignée du conservatisme tranquille qui s’est exprimé lors de la Manif pour tous. Si les Français sont à la recherche de leur conservatisme, qu’ils ne le regardent surtout pas avec une loupe américaine ou britannique !

    Le problème de ce conservatisme n’est-il pas de ne jamais s’assumer en tant que tel ?

    C’est tout le problème des dirigeants de ce qu’on appelle la droite. Alain Juppé était tellement heureux d’être célébré par la presse de gauche qu’il en a oublié que la France ne se réduisait pas à ce que pensent Les Inrocks et Télérama. Le rêve d’une certaine droite, et c’est le danger qui guette Fillon désormais, c’est que la gauche lui dise qu’elle n’est pas vraiment de droite. Elle se croit donc obligée de prouver qu’elle est la plus moderne et, pour faire moderne, elle ne parle que d’Europe et de mondialisation, jamais ou presque jamais des questions sociétales et identitaires. Le débat public se résume ainsi depuis quarante ans à une querelle entre progressistes. C’est ce que j’appelle dans mon livre le « malaise conservateur » : bien que prégnant en France, le conservatisme n’a jamais trouvé sa traduction politique, sinon dans quelques discours électoraux vite oubliés une fois au pouvoir.

    Pourtant, on entend beaucoup dire que les « réacs » auraient gagné la suprématie culturelle…

    Et qui l’affirme ? Certes, quelques voix discordantes se font entendre un tout petit peu plus qu’avant, ce qui provoque un double phénomène : d’une part, la gauche hégémonique se croit assiégée parce que sa domination est très légèrement contestée ; de l’autre, la droite silencieuse se croit conquérante parce qu’elle est un tout petit peu plus entendue. Mais le fait est que la quasi-intégralité des pouvoirs institutionnels et culturels reste progressiste.

    Un dernier mot sur le regard qu’on porte sur la France depuis le Québec ?

    Il y a un vieux sentiment d’affection filiale qui vire à l’hostilité chez les élites car la France est perçue comme un rouleau compresseur laïciste qui étouffe sa diversité. Mais pour les souverainistes, qui représentent grosso modo 40% de la population, la France demeure la première alliée et un enjeu interne : même si la langue française est fragilisée à cause de l’État fédéral où elle n’existe quasiment plus, le Québec ne parle pas norvégien ou danois.

    Il parle français, une des plus grandes langues du monde, et cela a contribué à sa survie. Si l’aventure coloniale a pu avoir des aspects positifs, c’est bien ici, en Amérique du Nord, où la France a accouché d’un peuple neuf !

    Le Multiculuralisme comme religion politique, de Mathieu Bock-Côté, Le Cerf, 368 p., 24 euros.  

  • Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray (11)

    lfar bleu.jpgNous poursuivons la publication de notre série, dont la lecture expliquera à ceux qui ne l'ont pas connu le rôle intellectuel important de Pierre Debray à l'Action Française dans les années 1950-2000.  Cette analyse politique, économique, sociologique et historique, menée méthodiquement, à la maurrassienne, comporte de multiples enseignements, utiles aujourd'hui à notre école de pensée. Comme un stimulant de notre réflexion sur la situation présente de la France et sur l'action que nous avons à y mener. Même si le lecteur devra tenir compte des événements et des faits intervenus au cours des trois dernières décennies.  LFAR

     

    2235704335.jpg2ème partie : Une révolution copernicienne 

    Depuis 1950, sans qu'elle s'en doute l'humanité est entrée, timidement bien sûr, dans le troisième millénaire. Pour autant que l'an 2000 symbolise, dans l'imaginaire collectif, une date-butoir, il est derrière nous, non devant. Nos Diafoirus, encore qu'ils ne cessent dans leurs discours d'évoquer la révolution industrielle continuent de raisonner comme si nous vivions en 1848, où, pour les plus hardis, en 1929. Ils cherchent dans un passé proche mais révolu des exemples et des recettes. Faute de perspectives historiques, ils se rendent incapables de comprendre ce qui s'enfante sous leurs yeux.

    LE DÉCOLLAGE TECHNOLOGIQUE DE L'OCCIDENT SE PRODUIT AU MOYEN-ÂGE

    Sans remonter au néolithique, l'Occident a connu deux révolutions industrielles avant la nôtre, au XIe et au XVIIIe siècle. Leur étude peut nous instruire. En effet elles ont évolué de la même manière, la phase de démarrage s'amorce par un développement rapide de la production agricole avec, pour conséquence obligée, une croissance démographique. Sa population, qui n'est plus décimée par la famine et résiste mieux à la maladie, s'accroît. De ce point de vue, le XIe siècle ressemble plus qu'il ne semble au XVIIIe. L'essor de l'agriculture entraîne celui de la métallurgie. Les innovations techniques sont l'œuvre de forgerons de village : les artisans médiévaux inventent le soc, le coutre, le versoir, couverts de métal. Des haches plus solides permettent à des « ministériaux », véritables chefs d'entreprise, de conduire le défrichage, pour le compte des abbayes ou des seigneurs, prodigieuse aventure, qui préfigure la conquête de l'Ouest par les Américains. Le continent européen se couvre de cultures.

    Mais surtout au XIe siècle comme au XVIIIe, les ressources énergétiques sont beaucoup mieux exploitées. L'Europe multiplie les moulins à eau puis à vent. L'on construit même des usines marémotrices. Le charbon est déjà utilisé, même si l'on ne fore encore que superficiellement, les puits ne dépassant pas quinze mètres. Ainsi en 1325 un navire arrive à Pontoise, chargé de charbon de Newcastle et repart pour l'Angleterre avec une cargaison de blé. L'usage du harnais, ignoré de l'antiquité, permet de mieux utiliser l'énergie animale, facilitant labours et transports. L'on est bien en présence d'une révolution industrielle puisque celle-ci se manifeste par la multiplication de la quantité d'énergie disponible. D'ailleurs la production en série, autre caractéristique de la révolution industrielle, apparaît. Quand il partira pour la croisade, Richard Cœur de Lion fera fabriquer cinquante mille fers à cheval.

    Comme au XIXe siècle toujours, le textile sera à l'origine de l'essor industriel et pour la même raison. Une paysannerie mieux nourrie, disposant d'un surcroît de récoltes qu'elle vend, plus nombreuse aussi, représente un marché et réciproquement la production de masse, qui se développe, lui fournit de nouveaux débouchés, la laine, en particulier. D'où l'amélioration des races de moutons. Mais rien n'aurait été possible sans une avant-garde, qui jouera le rôle qu'exerceront au XIXe siècle ces fils d'artisans ruraux, partis à la ville, dont le dynamisme social se mettra au service du machinisme. Certes, les motifs sont bien différents. Les cisterciens ne cherchent pas la réussite mondaine. Ils la fuient. Soucieux de dépouillement évangélique, de solitude et de silence, ils s'enfoncent au cœur des massifs forestiers. Ils défrichent et, pour survivre, innovent. L'Europe leur doit ses grands vignobles, à commencer par le célèbre Clos Vougeot. L'abbaye allemande d'Eberbach envoyait par bateaux 215.000 litres de vin aux détaillants. Agriculteurs, les moines sont aussi métallurgistes. Leurs forges, équipées de marteaux hydrauliques devenaient des usines. On s'en rend compte à Royaumont.

    Au XVe siècle, l'Europe dispose de ressources énergétiques cent fois supérieures à celles de la Rome antique. Les deux industries de base, métallurgie et textile, ont atteint un niveau technique qu’elles ne dépasseront que dans le dernier tiers du XVIIIe siècle. Les soufflets hydrauliques, destinés à activer la combustion, apparus en 1323, permettent la construction de hauts fourneaux. Vers 1380 la fonte est découverte, les métallurgistes savent fabriquer le fil d'acier, mais aussi des canons. Ils multiplient les machines (la pompe aspirante et foulante, foreuses, aléseuses, système bielle, manivelle) tout comme les objets les plus usuels (l'aiguille d'acier, les clous et les boulons).

    Le textile évolue tout aussi vite. Au XIIe siècle se généralise en Flandre et en Champagne le métier horizontal à pédale, qui remplace le vieux métier vertical des gynécées. Mise en action par deux personnes, cette machine permet de fabriquer des pièces d'étoffes beaucoup plus larges et surtout de qualité constante. Outil de professionnels, elle quintuple la productivité. Le moulin à foulon, qui remplace les hommes, ce qui provoquera d'ailleurs des émeutes ouvrières, fonctionne grâce à l'énergie hydraulique. Le rouet à pédale (vers 1380) qui améliore le simple rouet apparu au siècle précédent, puis le fuseau à ailettes sont autant d'améliorations qui permettent aux fileurs de rattraper les tisserands. Dans la Gênes du XVe siècle, nous constatons l'existence d'un capitalisme industriel qui est assurément très dispersé. Cela tient aux sources d'énergie : les forges, les tissages, les papeteries sont liées aux moulins à eau. D'où une multitude de petites unités de production, encore que certaines emploient plusieurs centaines de travailleurs. Que l'on ne s'y trompe pas néanmoins, le stade de l'artisanat est dépassé depuis longtemps. Un même propriétaire possède, seul ou en commandite, de nombreux moulins ou plusieurs forges. Au demeurant, les petits entrepreneurs travaillent d'ordinaire, en sous-traitance. En fait, l'industrie génoise est dominée par un capitalisme financier qui a su forger les techniques bancaires (lettre de change, chèque, dépôts) et juridiques, que le XIXe siècle se contentera d'affiner et de généraliser. Le capitalisme, qu'ignorait le monde antique, naît au Moyen-Age et l'Eglise, quoi qu'on en ait dit, n'y fait pas obstacle. La notion de juste prix qu'elle défend s'oppose aux coalitions et aux monopoles, qui entravent la libre concurrence. Par l'idéal ascétique des cisterciens, qui annonce celui des entrepreneurs du XIXe siècle, elle s'est placée à l'avant-garde du progrès technologique. L'invention de l'horloge mécanique est-elle due, comme le prétendait Mumford, aux bénédictins ? Sans doute pas. Mais comment ne pas l'approuver quand il affirme que « la machine-clé de l'âge industriel moderne, ce n'est pas la machine à vapeur, c'est l'horloge... Permettant la détermination des quantités exactes d'énergie (donc la standardisation) l'action automatique et finalement son propre produit, un temps exact, l'horloge a été la première machine de l'époque moderne ». Le temps devient une quantité et l'automatisme commande à l'activité des hommes.

    La première révolution industrielle est close au XVème siècle. Certes, le développement technologique continue, mais uniquement en fonction des nécessités de la guerre. La dernière grande invention médiévale, les caractères d'imprimerie mobiles, apparaît vers 1445. Elle sera améliorée, mais le principe est acquis. Après, plus rien, ou presque, jusqu'au milieu du XVIIIe siècle. Ce n'est pas faute d'inventeurs. Ainsi Vaucanson. Cependant la première découverte significative, dans le domaine du tissage, la navette volante de John Kay, date de 1743 et dans celui de la métallurgie le procédé du puddlage d'Henri Cort, est breveté en 1784. Le marteau-pilon, connu du Moyen-Age et le haut fourneau se développent sans doute, mais il faudra la machine à vapeur de Watt (1769) pour que s'impose une source nouvelle d'énergie qui remplace le moulin. Que l'on ne m'oppose pas Léonard de Vinci. Il ne fait que continuer Villard de Honnecourt, prodigieux ingénieur, qui vivait vers 1250, qui nous a permis de connaître l'existence de la première machine automatique, la scie hydraulique, « une scie qui scie d'elle-même » écrit-il sous son dessin. Son album, conservé à la bibliothèque nationale, resté pratiquement inconnu des Français, encore que publié en fac-similé en 1858, prouve que Vinci perpétue une lignée, dont il est l'ultime représentant.

    Une révolution technologique peut donc connaître trois siècles d'interruption. Les marxistes et les libéraux cachent soigneusement la vérité sur le Moyen-Age parce que ce fait dément leur conception d'un progrès, né du « siècle des lumières », et destiné à se poursuivre indéfiniment. Or, ce hiatus gênant permet d'éclairer ce que Rostow nomme la « maturité » de la société industrielle, puisque le XVe siècle fournit le précédent dont nous avions besoin. Bien sûr, la guerre de cent ans, la peste noire, les guerres de religion ont brisé l'élan démographique, qui porte l'Occident depuis le VIe siècle et qui ne reprendra qu'au XVIIIe. Le pessimisme, dont le protestantisme n'est que l'une des manifestations, obscurcit la confiance du Moyen-Age dans la nature. La « renaissance » du XVIe siècle fut, en réalité, une régression, le retour à l'idéal antique. Tout cela joue, sans doute mais la Gênes que décrit Heers, est prospère. Elle donne tous les signes d'une apparente vitalité, et pourtant nous y découvrons la cause véritable du déclin.

    Peu à peu, le capitalisme industriel et le capitalisme marchand se voient soumis au capitalisme financier. L'entrepreneur, qu'il soit producteur ou marchand doit subir la loi du banquier qui décide souverainement, en fonction du profit à court terme. Les investissements dont la rentabilité n'est pas assurée dans l'immédiat, sont écartés. Refusant le risque, le capitalisme bancaire, du moment qu'il domine l'appareil de production élimine l'innovation. Ce sera l'Etat, avec Richelieu puis Colbert, qui tentera de se substituer aux entrepreneurs défaillants mais avec des résultats nécessairement limités. A un moment de crise due aux épidémies, aux guerres et aux disputes théologiques, l'industrie s'est trouvée stérilisée, incapable de réagir et les inventeurs, faute de support économique se sont mis à rêver comme Vinci et non plus à perfectionner l'acquis.   

    A suivre  (A venir : L'age du charbon et de l'acier).

    Lire les articles précédents ...

    Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray     

    (1)     (2)     (3)     (4)     (5)     (6)I     (7)     (8)    (9)     (10)

    lafautearousseau

  • Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray (11)

    lfar bleu.jpgNous poursuivons la publication de notre série, dont la lecture expliquera à ceux qui ne l'ont pas connu le rôle intellectuel important de Pierre Debray à l'Action Française dans les années 1950-2000.  Cette analyse politique, économique, sociologique et historique, menée méthodiquement, à la maurrassienne, comporte de multiples enseignements, utiles aujourd'hui à notre école de pensée. Comme un stimulant de notre réflexion sur la situation présente de la France et sur l'action que nous avons à y mener. Même si le lecteur devra tenir compte des événements et des faits intervenus au cours des trois dernières décennies.  LFARNous poursuivons la publication de notre série, dont la lecture expliquera à ceux qui ne l'ont pas connu le rôle intellectuel important de Pierre Debray à l'Action Française dans les années 1950-2000.  Cette analyse politique, économique, sociologique et historique, menée méthodiquement, à la maurrassienne, comporte de multiples enseignements, utiles aujourd'hui à notre école de pensée. Comme un stimulant de notre réflexion sur la situation présente de la France et sur l'action que nous avons à y mener. Même si le lecteur devra tenir compte des événements et des faits intervenus au cours des trois dernières décennies.  LFAR

     

    2235704335.jpg2ème partie : Une révolution copernicienne 

    Depuis 1950, sans qu'elle s'en doute l'humanité est entrée, timidement bien sûr, dans le troisième millénaire. Pour autant que l'an 2000 symbolise, dans l'imaginaire collectif, une date-butoir, il est derrière nous, non devant. Nos Diafoirus, encore qu'ils ne cessent dans leurs discours d'évoquer la révolution industrielle continuent de raisonner comme si nous vivions en 1848, où, pour les plus hardis, en 1929. Ils cherchent dans un passé proche mais révolu des exemples et des recettes. Faute de perspectives historiques, ils se rendent incapables de comprendre ce qui s'enfante sous leurs yeux.

    LE DÉCOLLAGE TECHNOLOGIQUE DE L'OCCIDENT SE PRODUIT AU MOYEN-ÂGE

    Sans remonter au néolithique, l'Occident a connu deux révolutions industrielles avant la nôtre, au XIe et au XVIIIe siècle. Leur étude peut nous instruire. En effet elles ont évolué de la même manière, la phase de démarrage s'amorce par un développement rapide de la production agricole avec, pour conséquence obligée, une croissance démographique. Sa population, qui n'est plus décimée par la famine et résiste mieux à la maladie, s'accroît. De ce point de vue, le XIe siècle ressemble plus qu'il ne semble au XVIIIe. L'essor de l'agriculture entraîne celui de la métallurgie. Les innovations techniques sont l'œuvre de forgerons de village : les artisans médiévaux inventent le soc, le coutre, le versoir, couverts de métal. Des haches plus solides permettent à des « ministériaux », véritables chefs d'entreprise, de conduire le défrichage, pour le compte des abbayes ou des seigneurs, prodigieuse aventure, qui préfigure la conquête de l'Ouest par les Américains. Le continent européen se couvre de cultures.

    Mais surtout au XIe siècle comme au XVIIIe, les ressources énergétiques sont beaucoup mieux exploitées. L'Europe multiplie les moulins à eau puis à vent. L'on construit même des usines marémotrices. Le charbon est déjà utilisé, même si l'on ne fore encore que superficiellement, les puits ne dépassant pas quinze mètres. Ainsi en 1325 un navire arrive à Pontoise, chargé de charbon de Newcastle et repart pour l'Angleterre avec une cargaison de blé. L'usage du harnais, ignoré de l'antiquité, permet de mieux utiliser l'énergie animale, facilitant labours et transports. L'on est bien en présence d'une révolution industrielle puisque celle-ci se manifeste par la multiplication de la quantité d'énergie disponible. D'ailleurs la production en série, autre caractéristique de la révolution industrielle, apparaît. Quand il partira pour la croisade, Richard Cœur de Lion fera fabriquer cinquante mille fers à cheval.

    Comme au XIXe siècle toujours, le textile sera à l'origine de l'essor industriel et pour la même raison. Une paysannerie mieux nourrie, disposant d'un surcroît de récoltes qu'elle vend, plus nombreuse aussi, représente un marché et réciproquement la production de masse, qui se développe, lui fournit de nouveaux débouchés, la laine, en particulier. D'où l'amélioration des races de moutons. Mais rien n'aurait été possible sans une avant-garde, qui jouera le rôle qu'exerceront au XIXe siècle ces fils d'artisans ruraux, partis à la ville, dont le dynamisme social se mettra au service du machinisme. Certes, les motifs sont bien différents. Les cisterciens ne cherchent pas la réussite mondaine. Ils la fuient. Soucieux de dépouillement évangélique, de solitude et de silence, ils s'enfoncent au cœur des massifs forestiers. Ils défrichent et, pour survivre, innovent. L'Europe leur doit ses grands vignobles, à commencer par le célèbre Clos Vougeot. L'abbaye allemande d'Eberbach envoyait par bateaux 215.000 litres de vin aux détaillants. Agriculteurs, les moines sont aussi métallurgistes. Leurs forges, équipées de marteaux hydrauliques devenaient des usines. On s'en rend compte à Royaumont.

    Au XVe siècle, l'Europe dispose de ressources énergétiques cent fois supérieures à celles de la Rome antique. Les deux industries de base, métallurgie et textile, ont atteint un niveau technique qu’elles ne dépasseront que dans le dernier tiers du XVIIIe siècle. Les soufflets hydrauliques, destinés à activer la combustion, apparus en 1323, permettent la construction de hauts fourneaux. Vers 1380 la fonte est découverte, les métallurgistes savent fabriquer le fil d'acier, mais aussi des canons. Ils multiplient les machines (la pompe aspirante et foulante, foreuses, aléseuses, système bielle, manivelle) tout comme les objets les plus usuels (l'aiguille d'acier, les clous et les boulons).

    Le textile évolue tout aussi vite. Au XIIe siècle se généralise en Flandre et en Champagne le métier horizontal à pédale, qui remplace le vieux métier vertical des gynécées. Mise en action par deux personnes, cette machine permet de fabriquer des pièces d'étoffes beaucoup plus larges et surtout de qualité constante. Outil de professionnels, elle quintuple la productivité. Le moulin à foulon, qui remplace les hommes, ce qui provoquera d'ailleurs des émeutes ouvrières, fonctionne grâce à l'énergie hydraulique. Le rouet à pédale (vers 1380) qui améliore le simple rouet apparu au siècle précédent, puis le fuseau à ailettes sont autant d'améliorations qui permettent aux fileurs de rattraper les tisserands. Dans la Gênes du XVe siècle, nous constatons l'existence d'un capitalisme industriel qui est assurément très dispersé. Cela tient aux sources d'énergie : les forges, les tissages, les papeteries sont liées aux moulins à eau. D'où une multitude de petites unités de production, encore que certaines emploient plusieurs centaines de travailleurs. Que l'on ne s'y trompe pas néanmoins, le stade de l'artisanat est dépassé depuis longtemps. Un même propriétaire possède, seul ou en commandite, de nombreux moulins ou plusieurs forges. Au demeurant, les petits entrepreneurs travaillent d'ordinaire, en sous-traitance. En fait, l'industrie génoise est dominée par un capitalisme financier qui a su forger les techniques bancaires (lettre de change, chèque, dépôts) et juridiques, que le XIXe siècle se contentera d'affiner et de généraliser. Le capitalisme, qu'ignorait le monde antique, naît au Moyen-Age et l'Eglise, quoi qu'on en ait dit, n'y fait pas obstacle. La notion de juste prix qu'elle défend s'oppose aux coalitions et aux monopoles, qui entravent la libre concurrence. Par l'idéal ascétique des cisterciens, qui annonce celui des entrepreneurs du XIXe siècle, elle s'est placée à l'avant-garde du progrès technologique. L'invention de l'horloge mécanique est-elle due, comme le prétendait Mumford, aux bénédictins ? Sans doute pas. Mais comment ne pas l'approuver quand il affirme que « la machine-clé de l'âge industriel moderne, ce n'est pas la machine à vapeur, c'est l'horloge... Permettant la détermination des quantités exactes d'énergie (donc la standardisation) l'action automatique et finalement son propre produit, un temps exact, l'horloge a été la première machine de l'époque moderne ». Le temps devient une quantité et l'automatisme commande à l'activité des hommes.

    La première révolution industrielle est close au XVème siècle. Certes, le développement technologique continue, mais uniquement en fonction des nécessités de la guerre. La dernière grande invention médiévale, les caractères d'imprimerie mobiles, apparaît vers 1445. Elle sera améliorée, mais le principe est acquis. Après, plus rien, ou presque, jusqu'au milieu du XVIIIe siècle. Ce n'est pas faute d'inventeurs. Ainsi Vaucanson. Cependant la première découverte significative, dans le domaine du tissage, la navette volante de John Kay, date de 1743 et dans celui de la métallurgie le procédé du puddlage d'Henri Cort, est breveté en 1784. Le marteau-pilon, connu du Moyen-Age et le haut fourneau se développent sans doute, mais il faudra la machine à vapeur de Watt (1769) pour que s'impose une source nouvelle d'énergie qui remplace le moulin. Que l'on ne m'oppose pas Léonard de Vinci. Il ne fait que continuer Villard de Honnecourt, prodigieux ingénieur, qui vivait vers 1250, qui nous a permis de connaître l'existence de la première machine automatique, la scie hydraulique, « une scie qui scie d'elle-même » écrit-il sous son dessin. Son album, conservé à la bibliothèque nationale, resté pratiquement inconnu des Français, encore que publié en fac-similé en 1858, prouve que Vinci perpétue une lignée, dont il est l'ultime représentant.

    Une révolution technologique peut donc connaître trois siècles d'interruption. Les marxistes et les libéraux cachent soigneusement la vérité sur le Moyen-Age parce que ce fait dément leur conception d'un progrès, né du « siècle des lumières », et destiné à se poursuivre indéfiniment. Or, ce hiatus gênant permet d'éclairer ce que Rostow nomme la « maturité » de la société industrielle, puisque le XVe siècle fournit le précédent dont nous avions besoin. Bien sûr, la guerre de cent ans, la peste noire, les guerres de religion ont brisé l'élan démographique, qui porte l'Occident depuis le VIe siècle et qui ne reprendra qu'au XVIIIe. Le pessimisme, dont le protestantisme n'est que l'une des manifestations, obscurcit la confiance du Moyen-Age dans la nature. La « renaissance » du XVIe siècle fut, en réalité, une régression, le retour à l'idéal antique. Tout cela joue, sans doute mais la Gênes que décrit Heers, est prospère. Elle donne tous les signes d'une apparente vitalité, et pourtant nous y découvrons la cause véritable du déclin.

    Peu à peu, le capitalisme industriel et le capitalisme marchand se voient soumis au capitalisme financier. L'entrepreneur, qu'il soit producteur ou marchand doit subir la loi du banquier qui décide souverainement, en fonction du profit à court terme. Les investissements dont la rentabilité n'est pas assurée dans l'immédiat, sont écartés. Refusant le risque, le capitalisme bancaire, du moment qu'il domine l'appareil de production élimine l'innovation. Ce sera l'Etat, avec Richelieu puis Colbert, qui tentera de se substituer aux entrepreneurs défaillants mais avec des résultats nécessairement limités. A un moment de crise due aux épidémies, aux guerres et aux disputes théologiques, l'industrie s'est trouvée stérilisée, incapable de réagir et les inventeurs, faute de support économique se sont mis à rêver comme Vinci et non plus à perfectionner l'acquis.   

    A suivre  (A venir : L'age du charbon et de l'acier).

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  • Le scandale social des maillots aux deux étoiles.

     

    Par Jean-Philippe Chauvin

     

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    Le capitalisme mondial est-il moral ?

    En fait, la question ne se pose plus depuis longtemps pour ceux qui en tirent le plus grand profit et, particulièrement, par le moyen d'une indifférence marquée à la question sociale, désormais grande absente des réflexions néolibérales et peu évoquée dans nos sociétés de consommation : il est vrai que le principe même de celles-ci insiste plus sur la consommation et sa croissance, véritable aune et condition de la santé d'une économie quand elle ne devrait être, en une société humaine, qu'un élément d'appréciation et éventuellement d'amélioration des conditions de vie des personnes et des familles. 

    Ainsi, tout à la joie de la victoire sportive de l'équipe de France de balle-au-pied, peu de journalistes et d'économistes ont signalé l'indécence de l'équipementier de celui-ci, une multinationale états-unienne au patronyme grec signifiant la victoire. En effet, Nike va bientôt mettre en vente pour le grand public et au prix de 140 euros un maillot frappé des deux étoiles de champion de monde, maillot dont le coût de production, selon le Journal du Dimanche(22 juillet 2018), équivaut à... 3 euros ! Comme le souligne Le canard enchaîné, voici une belle « culbute en or », au seul bénéfice de la multinationale peu regardante, pourrait-on croire naïvement, sur les conditions sociales de la production de ces maillots. 

    argent-foot-illustration_428x321__llf3yo (1).jpgDans son édition du 25 juillet, le journal satirique précise un peu les choses et renseigne sur ce qui permet d'atteindre un si bas niveau de coût pour un si grand profit envisagé : « La fabrication en masse de la tunique bleue (…) ne sera pas vraiment made in France, mais... made in Thailand. » Rien que cette simple phrase nous indique que la victoire des Bleus n'est pas forcément une bonne affaire pour l'industrie textile française qui, pourtant, aurait bien besoin d'un bon bol d'air, et que cette importation d'un maillot fabriqué loin de la France sera plus coûteuse sur le plan environnemental et commercial que ce qu'il pourra rapporter à la France : coût environnementalen fonction des milliers de kilomètres qui sépareront le lieu de production de l'espace de consommation, et qui se traduit par une pollution atmosphérique loin d'être négligeable en fin de compte ; coût commercial car cela fera encore pencher un peu plus la balance du commerce extérieur du côté du déficit, déjà beaucoup trop lourd pour notre économie ; mais aussi coût social car, en privant nos industries textiles locales de cette commande, cette fabrication « mondialisée » en Thaïlande fragilise un peu plus l'emploi français dans cette branche d'activité... Et que l'on ne nous dise pas que cette fabrication lointaine est ce qui permet de vendre « à bas coût » (sic !) ces maillots aux deux étoiles si longtemps espérées : non, elle permet juste de dégager de plus grands profits pour la multinationale et ses actionnaires, un point c'est tout ! L'on touche là à « l'hubris », à la démesure du capitalisme (1) et de ses « élites », incapables de retrouver la juste mesure qui, tout compte fait, est la condition de l'équilibre et de la bonne santé de nos sociétés ordonnées. 

    Mais au-delà du coût social proprement français, il est juste aussi de s'intéresser à celui qui, plus lointain, ne peut néanmoins nous laisser indifférent : Le Canard enchaîné nous livre quelques informations supplémentaires qui devraient indigner tout homme soucieux de son prochain. Ainsi en Thaïlande, la production se fera « plus précisément dans le nord-est du pays, où les salaires dans les ateliers de production (180 euros par mois) sont inférieurs à ceux de la capitale (250 euros) ». Ces salaires sont évidemment à comparer au prix final de ce maillot à la vente en France et, aussi, aux salaires ouvriers des pays européens et de la France, considérés comme « trop élevés » par ceux qui touchent des millions d'euros annuels pour « diminuer les coûts » et qui, souvent, sont les mêmes, qui n'ont à la bouche que le mot de compétitivité pour mieux servir leur cupidité... Quand les profits de quelques uns se font sur le dos de beaucoup, et sans volonté d'un minimum de partage des richesses produites, il y a là quelque chose d'insupportable pour le cœur comme pour l'esprit, et qui devrait provoquer une juste et sainte colère dans toute société normalement et humainement constituée. Mais, la Société de consommation repose sur une sorte d'addiction à la consommation elle-même, sur cette tentation permanente et toujours renouvelée dans ses objets, sur la possession individualisée qui en fait oublier les autres et la mise en commun, sauf en quelques espaces dédiés et pour quelques services de plus en plus marchandisés et privatisés... Du coup, les consommateurs n'ont guère de pensée pour les producteurs, et le mécanisme de séparation,voire de complète ségrégation entre les deux catégories, fonctionne comme une véritable protection du Système en place. D'ailleurs, le mécanisme de la Société de consommation valorise, en tant que tels, les consommateurs, quand les producteurs eux-mêmes, à quelque échelle qu'ils se trouvent mais surtout quand ils sont au bas de celle-ci, sont de plus en plus la variable d'ajustement, celle qui est la plus pressurée et la moins médiatisée : les classes ouvrières et paysannes font les frais d'une telle société où la marchandise à vendre et le profit à en tirer l'emportent sur le travail qui a permis de la fabriquer et, éventuellement, de la qualifier. Le problème, dans les pays dits « en développement », c'est que l'on a réussi à convaincre ces classes laborieuses (et ce qualificatif me semble particulièrement approprié ici) que leur condition misérable d'aujourd'hui est le passage obligé vers le statut de consommateurs de plein droit... Ce sont des classes sacrifiées mais, surtout, des classes sacrificielles, persuadées que leur sacrifice du jour est l'annonce d'un sort meilleur pour leurs enfants, ce qui n'est pas entièrement faux (si l'on se place dans le temps de deux ou trois générations) sur le plan des conditions de travail et de vie, mais s'accompagne d'une aliénation à la consommation, à l'argent qui en fixe le degré quantitatif et sur lequel le sort de chacun semble désormais indexé... 

    Ce que signale aussi l'article du Canard enchaîné, c'est l'absence de droit syndical et la limitation effective du droit d'expression et de manifestation dans le cadre du travail dans les usines de Thaïlande, qui rappellent les entraves à la défense des droits du travail et des travailleurs mises en place, en France, par la Révolution française elle-même à travers ses lois antisociales de 1791, du décret d'Allarde à la loi Le Chapelier, interdisant toute association ouvrière et tout droit de grève ou de manifestation aux ouvriers... « La devise dans ces usines ? « Réduction des minutes passées par ouvrier sur chaque maillot, automatisation et films ultratendus », rapporte l'ONG Clean Clothes. En prime, interdiction pour tout employé de communiquer sur les conditions de travail et d'adhérer à un syndicat. » En somme, une forme d'esclavage salarié pour faciliter les profits de l'entreprise états-unienne, milliardaire en bénéfices... 

    frise-13.jpgDoit-on se contenter d'un tel constat et laisser prospérer une telle attitude d'entreprise ? Si les consommateurs seront malheureusement toujours pressés d'acquérir ce fameux maillot aux deux étoiles, il n'est pas obligatoire de l'acheter pour qui se soucie d'éthique sociale. Mais, au-delà, sans doute faudrait-il que l’État, pour inciter la multinationale à changer de pratiques et d'état d'esprit, introduise dans le Droit social quelques mesures propres à empêcher des marges trop importantes au détriment des conditions sociales des producteurs de base. Une forme de « taxe sociale sur la profitabilité et pour l'équilibre social » calculée en fonction des marges bénéficiaires dégagées par une entreprise multinationale étrangère (mais pourquoi pas française aussi ?) pourrait être envisagée, entre autres. Ou, pourquoi pas une obligation pour la multinationale d'installer dans le pays de vente une partie de la production destinée au marché local ? En fait, ce ne sont pas les propositions et les idées qui manquent, mais bien plutôt la volonté politique de les proposer, de les mettre en place et de les appliquer. 

    La République n'est pas, ne peut être sociale en France, comme l'histoire nous le prouve depuis ses origines révolutionnaires, et, si cela est évidemment regrettable, ce n'est pas une raison pour ne rien faire : le royalisme social n'est pas l'attente de la Monarchie pour agir, mais la volonté et l'action sociale pour changer les choses, « même en République », tout en rappelant que la Monarchie politique serait plus efficace pour imposer aux féodalités économiques, même étrangères, de respecter les principes de la nécessaire justice sociale, colonne vertébrale de la société ordonnée française. En cela, la Monarchie active « à la française »,ne peut se contenter de « gérer la crise » mais se doit d'incarner, dès le jour de son instauration, « le sceptre et la main de justice », la décision politique et l'équilibre social...    

    * Une démesure structurelle ou conjoncturelle ? Je penche de plus en plus pour le premier qualificatif, au regard de l'histoire contemporaine et du cadre mental dans laquelle elle se déploie. 

    Le blog de Jean-Philippe Chauvin

  • Société • Philippe Meirieu, la fabrique des victimes L'ayatollah de la pédagogie qui fera pleurer vos enfants

     

    Par Jean-Paul Brighelli

    Nouveau Microsoft Publisher Document.jpgOn se souviendra que nous aimons les textes de Jean-Paul Brighelli, son style, son expression directe et sans ambages, son érudition, son bon sens, son non-conformisme et jusqu'à la verdeur de son langage. Derrière ce talent, la subtile analyse de Brighelli, ici, va très loin. Nous ne pouvions pas ne pas la donner à lire aux lecteurs de Lafautearousseau. Il 'agit de l'avenir de la jeunesse française. Et, au point où en sont les choses, de notre culture, de notre civilisation.  LFAR 

     

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    Riposte à Meirieu !

    Le dernier opus de Philippe Meirieu, dont j’ai rendu compte par ailleurs, valait le coup que j’y revinsse. Bien sûr, il mérite tout le mal que j’ai déjà pu en dire. Mais en fait, il en mérite davantage.

    9782746747579.jpgD’autant qu’être insulté par Brighelli fait partie de ses attentes esthétiques. Non seulement parce que je suis sa Némésis, qu’il convoque avec gourmandise (« « On attend impatiemment que le polémiste Jean-Paul Brighelli, passé du Point à Valeurs actuelles, toujours en avance d’une insulte sur ses petits camarades, publie, après la Fabrique du crétin, un pamphlet au vitriol sur la Fabrique des ravis de la crèche »), mais surtout parce que la position de persécuté lui sied.

    Ne pas y voir une quelconque trace de masochisme personnel. Meirieu est un pervers polymorphe qui prend des poses de grand persécuté. Cela lui permet de s’identifier avec Rousseau, le grand ancêtre — une attitude dont j’avais retracé l’origine dans l’un des très rares articles que m’a jadis demandé le Monde. On voudra bien m’excuser de me citer :

    « Puis vint Rousseau, un protestant genevois, foncièrement hostile à la notion de progrès, qui théorisa la bonté intrinsèque de l’homme, perverti par la civilisation. À rebours de tous ceux, Voltaire en tête, qui pensaient, contre la religion, que la civilisation est un progrès en soi, et qu’il valait mieux vivre au XVIIIe qu’au(x) siècle(s) précédent(s). La religion, si présente — et sous sa forme calviniste — chez le plus célèbre Genevois, s’accordait merveilleusement avec ces billevesées. « Bon sauvage » cessait d’être un oxymore, et devenait un pléonasme.(…) « Emile, l’élève de Rousseau, n’en recevait pas moins une éducation religieuse sévère, teintée de protestantisme genevois. Rien d’étonnant à ce qu’il ait séduit des gens — Philippe Meirieu par exemple — qui venaient des Jeunesses Ouvrières chrétiennes, et des ministres (Jospin) qui étaient des trotskystes protestants, ou des socialistes protestants (Rocard) — ou l’inverse. « Rousseau voit donc l’enfant comme un être bon par principe, tant qu’on ne le gâche pas. Tout part de ce postulat, qui n’a d’autre évidence que d’aller à l’encontre du principe classique selon lequel le petit homme est un être de chaos, d’instincts et d’appétits (« Cet âge est sans pitié », dit La Fontaine) auxquels l’éducation justement donne forme en les bornant sévèrement. Deux idées de l’homme, deux pédagogies.(…) « Nos « pédagos » modernes sont lecteurs de Rousseau. Ils ont importé au XXe siècle des concepts du XVIIIe. »

    L’article faisait pendant à un article de Meirieu — c’est cela, la démocratie selon le Monde, équilibrer la vérité avec le mensonge, et les faits avec l’idéologie (qui est, selon Hannah Arendt que Meirieu n’arrête pas de citer, dans la Riposte, « ce qui n’a aucun point de contact avec le réel »). Mais le cher Philippe, qui l’a lu, n’en a pas tiré d’enseignement — c’est normal, c’est lui qui enseigne aux autres.

    Du coup, le voici qui en remet une couche dans la victimitude, comme dirait Ségolène :

    « Depuis que Rousseau a ouvert la voie, le pédagogue est fasciné par la figure du persécuté. Jean-Jacques, il est vrai, avait quelques raisons de se considérer et de se comporter comme tel : banni, expulsé, pourchassé, caillassé, accablé de sarcasmes et d’attaques, courant de refuge précaire en asile éphémère, l’auteur du Contrat social et de l’Emile ne trouvera guère qu’un fugace repos quelques mois avant sa mort à Ermenonville. »

    Je dois compter parmi les caillasseurs de pédagogues — moi qui suis la tendresse même, la qualité première du pédagogue, selon Saint Philippe :

    « Comme Gepetto, le pédagogue essuie parfois une larme : c’est un sentimental et c’est là à la fois sa fragilité et sa force. Sa fragilité car, tout comme Rousseau face à l’humour ravageur d’un Voltaire, il apparaît vulnérable, quand ce n’est pas pleurnicheur. Sa force, car il suscite l’empathie de tous ceux et de toutes celles qui ont, un jour, eu un enfant dans les bras… avant de l’avoir très vite sur les bras. »

    C’est beau — c’est une synthèse étrange de Sacha Guitry et d’Yves Duteil. Ecrasons une larme.

    Juché sur son piédestal rousseauiste, exhibant ses stigmates et ses cicatrices, Meirieu dès lors peut attaquer de face. Il a la sympathie du lecteur, surtout si le lecteur est au SGEN :

    « On aimerait aussi que Jacques Julliard ou Natacha Polony, qui se sont fait une spécialité de dénoncer les errances du pédagogisme, s’attaquent enfin à cette « pédagogie horticole » de l’épanouissement spontané de l’enfant — dernier avatar de l’individualisme lénifiant qui s’étale dans toute la littérature du développement personnel… »

    Et de flinguer les émules de Montessori (il crucifie Céline Alvarez et il a bien raison) et tous les « hyper-pédagogues » qui l’ont dépassé sur sa droite, enfants adultérins de Freinet, A.S. Neill, l’admirable Janusz Korczack, et tous les gourous des « écoles alternatives ». Steiner, Decroly, Montessori, Hattemer, toutes mises dans le même sac des pédagogies centrées sur la construction personnelle, où les petits princes sont faits petits rois, sont donc des repères d’hyperpédagos. J’en connais à qui ça va faire plaisir !

    D’autant que notre pédagogue en chef fait du choix scolaire un symptôme de classe : « On se doutait bien que les parents qui mettaient leurs enfants dans une « école alternative » étaient plutôt socialement favorisés et de bon niveau culturel (…) Ainsi, à regarder les choses de près, on s’aperçoit que le discours hyperpédago est profondément lié à ce qu’on pourrait nommer le courant éducatif familialiste. » Et c’est là que la référence à Rousseau prend tout son sens.

    Meirieu et moi ne nous aimons pas. Mais il ne me viendrait jamais à l’idée de le prendre pour un imbécile, ni pour un inculte. Il sait très bien ce qu’il fait, et ce qu’il dit. Et ses références font sens. 

    L’Emile, si vanté par tant de pédagogues imbéciles (pas Meirieu, comprenons-nous bien) qui croient que Rousseau est partisan du laisser-faire et de la bride flottant sur le cou de l’élève (que l’on n’élève plus mais que l’on regarderait s’élever) est en fait le pendant du Contrat social. Et du Contrat social est sortie la Terreur.

    Le laxisme prôné par tant de pédagos est aux antipodes de la Pensée Meirieu. Ce n’est pas pour rien que notre ayatollah de la pédagogie note le « caractère très ambigu des pratiques de groupe non régulées… » : il est pour une régulation de chaque instant, une réflexion permanente sur la pratique (ce qu’un marxiste appellerait une auto-critique permanente), aux antipodes du laisser-faire enseigné dans les ESPE aujourd’hui et magnifié par tant de (dé)formateurs et d’inspecteurs ravis du « papotis » qui dans les classes, selon eux, témoigne de la belle créativité des élèves. Meirieu, revenu dans les années 2000 devant des élèves, a constaté la difficulté de se faire entendre — et ça ne l’amuse pas du tout.

    La pédagogie selon lui consiste à codifier toute pratique, à l’exécuter comme on exécute une partition ou un condamné, et à en tirer une expérience qui enrichira la pratique du lendemain. Issu de courants libertaires, il est l’anti-anar par excellence. D’ailleurs, un protestant, ça ne plaisante guère. Son horreur évidente de l’élitisme (républicain ou autre) vient de son goût pour les manœuvres militaires où chacun avance du même pas de l’oie. Le pédagogisme, loin d’être permissif, est un carcan rigoureux.

    Le droit à la parole, inscrit dans la loi Jospin à l’époque où Meirieu conseillait de près le ministre, n’est pas du tout ce que vous pensez. Elle est liberté au sens rousseauiste du terme, c’est-à-dire répression de la licence. On se rappelle la haine que Rousseau éprouvait envers les libertins, je me demande parfois si celle que Cher Philippe éprouve pour moi ne vient pas de ce qu’il a flairé de libertinage en moi. « La spontanéité, dit-il, n’est, le plus souvent, que la reproduction à l’économie des clichés les plus éculés. » Une sentence que je contresignerais volontiers.

    Mais alors, si Meirieu le pédagogue n’est pas responsable de la gabegie actuelle, saluée malgré tout par les épigones de Saint Philippe, d’où vient-elle ? Et la réponse fuse — une réponse qui ne plaira ni à l’actuel ministre, ni à Gérard Collomb, qui autrefois offrit Lyon à Meirieu, qui y dirigeait l’IUFM, avant de l’en chasser lors des élections de 2012 — avec des procédés de truand, dois-je dire. « On ne rappellera jamais assez, explique notre didacticien en chef, que l’enfant-tyran n’est pas un produit de Mai 68, encore moins de l’Education nouvelle et des « pédagogies actives », mais bien celui du capitalisme pulsionnel promu par le néo-libéralisme triomphant. »

    Et c’est là que l’analyse demande un peu de subtilité.

    Ce que Meirieu refuse de voir — et je le comprends, parce qu’il n’y survivrait pas — c’est que les crétins qu’il a recrutés, mis en place, installés aux commandes du système (et qui après lui avoir léché les bottes ne doivent même plus savoir qu’il existe) n’ont aucunement la capacité de mettre en place l’enseignement rigoureux et coercitif dont il rêvait — tout comme les suivants de Montessori, Freinet, Neill et autres très grands pédagogues ne leur arrivèrent jamais à la cheville, tant leur réussite dépendait de l’identification quasi freudienne de l’enfant à son enseignant. La nature suivant la pente au lieu de la remonter, ils ont fait du laxisme leur modus operandi, et c’est la combinaison de ce laxisme (libertaire, pour le coup) et des enjeux libéraux (transformer le citoyen en consommateur ravi) qui a fabriqué l’enfant-roi, celui qui crache à la gueule de ses parents et de ses profs, qui n’apporte pas une feuille ni un stylo en classe, pense que le rap est la forme la plus achevée de la poésie (et combien de pédagogues médiocres l’ont conforté dans cette croyance !), arrive en cours avec une attitude strictement consumériste et s’insurge si l’on insinue qu’il pourrait envisager peut-être de se mettre au travail…

    c3a9cole-de-merde.jpgAlors bien sûr que ce n’est pas avec des neuro-sciences et du numérique généralisé que nous remonterons la pente, et je partage entièrement sur ce point l’extrême méfiance de Meirieu envers ces gadgets qui au mieux enfoncent des portes ouvertes et au pire programment un transhumanisme entre Orwell et Zamiatine. Notre primat des Gaules tente de se placer au-dessus des partis et lance : « Entre les pédagogues jacobins de l’école unique et les pédagogues girondins des écoles alternatives, je refuse de choisir. »

    Mais il va bien falloir choisir ! Parce que les enfants décérébrés par les disciples de Meirieu, quand ils en ont marre de jouer avec des objets frappés d’obsolescence dans leur conception même, ou de se crétiniser devant Cyril Hanouna, privés de transcendance, choisissent la voie des armes. Nous n’avons encore rien vu, dans ce domaine. Demain, les chiens.

    Interdire les portables en classe est un gadget pédagogique. Restaurer un grand service public d’éducation est une urgence — et là, franchement, je ne compte pas sur des Marcheurs hantés de mondialisation pour réaliser cet objectif. L’opposition entre école jacobine et école girondine est évidente — évidente aussi la tendance centrifuge qui, via l’autonomie et les projets d’établissement, via la marchandisation et la ludification de savoirs remplacés par des « compétences », démantèle toute ambition collective.

    C’est étrange : on ne cesse de me reprocher mon élitisme, et je crois fermement qu’il y a dans ma pédagogie parfois brutale plus de tendresse réelle, d’altruisme et de sens de la collectivité que dans toutes les pleurnicheries compatissantes et narcissiques des pédagogues. On peut trouver le sergent Hartmann caricatural, mais il travaille à former une unité, un groupe, afin de donner à chacun des membres de ce groupe des chances réelles de survie. La pédagogie des enfants de Meirieu, sous prétexte de respecter la personnalité de chacun, fabrique des victimes. Il faut dire que, entraînés comme ils sont à pleurnicher, les pédagogues sauront les plaindre — avant de les oublier.   ■ 

    Jean-Paul Brighelli
    Enseignant et essayiste, anime le blog Bonnet d'âne hébergé par Causeur
  • Comment la France peut-elle recouvrer sa souveraineté sanitaire ?, par Emma­nuel Crenne (paru dans la Tri­bune).

    1A.jpgSource : https://www.actionfrancaise.net/

     

    OPINION.

    Et pour­quoi pas consti­tuer un Fond stra­té­gique pour retrou­ver en France une sou­ve­rai­ne­té en matière sani­taire ? Il aurait pour man­dat de consti­tuer des stocks stra­té­giques, de sécu­ri­ser les appro­vi­sion­ne­ments, de sou­te­nir les cham­pions indus­triels du sec­teur comme les star­tups… Par Emma­nuel Crenne, ancien ban­quier de Deutsche Bank, Mer­rill Lynch et Gold­man Sachs, direc­teur géné­ral et fon­da­teur du cabi­net BORG Asso­ciates – socié­té de conseil finan­cier et en ges­tion de pro­jet basée aux Emi­rats Arabes Unis de capi­tal 100% fran­çais (www.borgadvisors.com).

    La crise du Covid-19 a révé­lé la dépen­dance d’un cer­tain nombre de sec­teurs indus­triels fran­çais, dont celui de la san­té, vis-à-vis de pays étran­gers, comme la Chine et l’Inde, met­tant en péril la san­té de nos conci­toyens. De façon rela­ti­ve­ment consen­suelle sont incri­mi­nées la dés­in­dus­tria­li­sa­tion exces­sive liée à la mon­dia­li­sa­tion, l’ef­fa­ce­ment de l’E­tat dans ses pré­ro­ga­tives réga­liennes, et des struc­tures de déci­sions publiques et pri­vées inadap­tées et mal contrô­lées par les gou­ver­ne­ments fran­çais suc­ces­sifs.

    De nom­breux pays, dont la France, ont afir­mé leur volon­té de revoir leurs échanges exté­rieurs pour recou­vrer une par­tie de leur sou­ve­rai­ne­té dans le domaine sani­taire. Mais, dans une éco­no­mie mul­ti­po­laire et mon­dia­li­sée, avec une grande com­plexi­té de struc­ture de la chaîne de valeur dans les dif­fé­rents sec­teurs indus­triels et l’in­ter­dé­pen­dance de nos entre­prises avec l’ex­té­rieur, com­ment pen­ser cette sou­ve­rai­ne­té, quels outils faut-il mettre en place et com­ment les finan­cer, dans un contexte de fortes contraintes bud­gé­taires ? Com­ment pri­vi­lé­gier la san­té et la sécu­ri­té des Fran­çais, et en même temps évi­ter un repli pro­tec­tion­niste qui pour­rait être pré­ju­di­ciable à la posi­tion inter­na­tio­nale de la France et de ses entre­prises, en s’ins­cri­vant dans un cadre euro­péen et inter­na­tio­nal d’é­changes ?

    Une stra­té­gie à mettre en place

    Plu­sieurs outils ont été pro­po­sés par divers acteurs de manière assez dis­per­sée. Le plus visible est le fonds Sil­ver Lake, créé par BPI avant la crise. Sans par­ti­ci­pa­tion majo­ri­taire de l’E­tat, et limi­té aux entre­prises cotées, cet outil, n’est pas dimen­sion­né pour la mise en place d’une véri­table poli­tique de sou­ve­rai­ne­té sani­taire. Plus récem­ment, la résur­gence d’un Com­mis­sa­riat au Plan pour­rait don­ner une impul­sion salu­taire, si l’on se garde tou­te­fois d’un diri­gisme éta­tique qui pour­rait être pré­ju­di­ciable aux indus­tries de san­té, s’il décou­ra­geait l’in­ves­tis­se­ment et l’i­ni­tia­tive pri­vée. Enfin le plan de relance de 100 mil­liards d’eu­ros, qui fait de la san­té un des cinq nou­veaux sec­teurs stra­té­giques, risque, sans coor­di­na­tion par une struc­ture spé­ci­fique, de dis­per­ser et de brouiller la lisi­bi­li­té de l’ef­fort entre au moins cinq filières.

    Mal­gré leur inté­rêt, aucune de ces ini­tia­tives ne semble à elle seule répondre à l’en­semble des enjeux, ni per­mettre la poli­tique ambi­tieuse de retour à la sou­ve­rai­ne­té sani­taire vou­lue par le pré­sident de la Répu­blique. Cet objec­tif ne nous semble pou­voir être atteint que si des outils spé­ci­fiques sont mis en place de façon coor­don­née avec les acteurs publics et pri­vés du sec­teur.

    Créa­tion d’un Fonds stra­té­gique de sou­ve­rai­ne­té sani­taire

    A cette fin, le gou­ver­ne­ment devra recen­trer le minis­tère de la San­té sur son cœur de métier, la ges­tion du sys­tème de san­té fran­çais et notam­ment les hôpi­taux et les EHPAD. En paral­lèle, nous pro­po­sons de mettre en place une nou­velle struc­ture, un Fond Stra­té­gique de Sou­ve­rai­ne­té Sani­taire (F3S), ayant pour man­dat : la consti­tu­tion de stocks stra­té­giques, la sécu­ri­sa­tion de nos appro­vi­sion­ne­ments, le sou­tien aux cham­pions indus­triels du sec­teur comme aux star­tups, tout en conser­vant une agi­li­té de déci­sion et de finan­ce­ment. Le tout sous le contrôle de l’E­tat, dont découle le concept de sou­ve­rai­ne­té, tout en limi­tant la lour­deur tech­no­cra­tique et admi­nis­tra­tive qui pour­rait obé­rer ses chances de suc­cès.

    Cette struc­ture serait gérée de façon indé­pen­dante du gou­ver­ne­ment par un conseil d’ad­mi­nis­tra­tion com­po­sé de façon équi­li­brée de fonc­tion­naires, de per­son­na­li­tés issues des indus­tries de san­té, et de la finance. Le finan­ce­ment ini­tial serait appor­té par l’É­tat, mais l’ob­jec­tif serait de rendre cette nou­velle ins­ti­tu­tion auto­su­fi­sante après quelques années.

    Inves­tis­se­ment ini­tial de plu­sieurs mil­liards

    Au début, l’E­tat inves­ti­rait une somme de plu­sieurs mil­liards per­met­tant

    a) de consti­tuer des stocks stra­té­giques ini­tiaux

    b) de payer les frais de struc­ture

    c) d’ap­por­ter un sou­tien d’ur­gence pour reca­pi­ta­li­ser les entre­prises stra­té­giques du sec­teur

    d) de capi­ta­li­ser un fond de sou­tien à la réin­dus­tria­li­sa­tion. F3S pour­rait aus­si béné­fi­cier d’une allo­ca­tion des contri­bu­tions patro­nales de pro­tec­tion sociale exis­tantes, de manière sta­tu­taire, sur le modèle du CRDS finan­çant le CADES.

    Dans un deuxième temps, F3S lève­rait de la dette, garan­tie par la France, pour refi­nan­cer la contri­bu­tion ini­tiale de l’E­tat. L’é­mis­sion pren­drait la forme d’o­bli­ga­tion per­pé­tuelle, avec facul­té de rem­bour­se­ment anti­ci­pé annuel au bout d’une cin­quan­taine d’an­nées, selon un modèle proche de l’emprunt de guerre bri­tan­nique émis en 1915 et rem­bour­sé en mars 2015, le tout, en confor­mi­té avec les règles de l’Eu­ro­stat. F3S paie­rait une prime de garan­tie à l’E­tat au prix du mar­ché, confor­mé­ment au méca­nisme euro­péen exis­tant pour l’I­ta­lie et la Grèce pour les opé­ra­tions de titri­sa­tion de prêts ban­caires en défaut. Le rem­bour­se­ment s’ef­fec­tue­rait à par­tir des reve­nus tirés par F3S de ses par­ti­ci­pa­tions.

    Outre ses avan­tages struc­tu­rels et finan­ciers, F3S per­met­trait aus­si de créer un grand espace de dia­logue, des ini­tia­tives col­lé­giales et des syner­gies fortes entre les acteurs indus­triels, l’E­tat, et les biotech/startup, cou­vrant les aspects finan­ciers, tech­no­lo­giques et régle­men­taires, en pro­lon­ge­ment du Conseil Stra­té­gique des Indus­tries de San­té (CSIS) dont la 9e édi­tion est en pré­pa­ra­tion. Cet outil a été pré­sen­té au comi­té sou­ve­rai­ne­té du MEDEF et à la FEFIS en juin 2020 et nous espé­rons que cette idée, qui per­met­trait la mise en place rapide d’une poli­tique de sou­ve­rai­ne­té sani­taire ambi­tieuse, trou­ve­ra un écho favo­rable auprès du gou­ver­ne­ment.

  • Michel Onfray: «Le mal français, c’est d’abord la haine de soi dont presque tout dépend», par Vincent Trémolet de Viller

    «Aimer la France est nécessaire pour en finir avec ce qui la tire vers le fond. L’aimer c’est croire en la possibilité de lui redonner un lustre avec ce qui fit sa grandeur», avance Michel Onfray. Philip Conrad/Photo12 via AFP

    Sources : https://artofuss.blog/

    https://www.lefigaro.fr/vox/

    http://www.gaullisme.fr/

    Dans cet autoportrait politique, le philosophe, qui a lancé avec fracas et quelques polémiques une revue trimestrielle rassemblant souverainistes de tous bords, rappelle son amour de la France, celle de Corneille à Robespierre, et de Bossuet à Sartre.

    «Populaire» dans toute la polysémie du mot, le philosophe, essayiste, écrivain, professeur et désormais directeur de publication a lancé avec fracas et quelques polémiques une revue trimestrielle qui entend rassembler les souverainistes de tous bords. Proudhonien de gauche mais aussi proudhonien de droite, Michel Onfray choisit de Gaulle contre Mitterrand. Dans cet autoportrait politique, il se moque des étiquettes comme de ceux qui veulent à tout prix lui en donner, et rappelle son amour de la France, pas celle d’un homme ou d’un camp, mais tout à la fois celle de Corneille et de Robespierre, de Bossuet et de Sartre.

    LE FIGARO. – Vous avez lancé une revue dont le titre «Front populaire» emprunte à la gauche un des événements les plus importants de son imaginaire. Vous vous êtes toujours affiché comme un homme de gauche. Quelle est votre filiation: Marx? Proudhon? Jaurès? Péguy?

    Michel ONFRAY. – Le titre renvoie à deux choses: la première ce sont les images du Front populaire, celles de Willy Ronis par exemple, qui montrent des gens simples et modestes heureux de découvrir la campagne, la montagne, la mer, les plages, les bals populaires, le camping, le vélo et le tandem grâce aux avancées sociales du Front populaire qui n’ont pas fait couler une seule goutte de sang – au contraire d’autres moments de l’histoire de la gauche, je songe plus particulièrement à 1793.

    La seconde, au sens second de ces termes: faire un front qui soit populaire afin de l’opposer à un front qui existe déjà, mais qui est populicide, et qui est celui de la droite de gauche et de la gauche de droite qui communient dans une même idéologie, celle de l’européisme maastrichtien et qui a été fédéré par Emmanuel Macron. Ma filiation est simple: c’est la gauche proudhonienne antimarxiste.

    Homme de gauche, vous avez des lecteurs et des soutiens à droite et même à la droite de la droite, quelle serait votre filiation à droite: Joseph de Maistre, Tocqueville, Aron?

    Proudhon… Car son socialisme n’a pas déplu à la droite parce qu’il était pragmatique, empirique et qu’il refusait l’idéologie. Proudhon est pour la propriété privée, pour la liberté d’entreprendre, pour l’initiative et la responsabilité individuelle, mais aussi pour le mutualisme, pour la coopération, pour le partage des profits, pour l’autogestion. De même, il ne souscrit pas à l’idéologie du progrès et encore moins à sa religion, le progressisme. Il est conservateur de ce qui doit être conservé et révolutionnaire pour ce qui peut être dépassé. Un conservateur sans la révolution et un révolutionnaire sans le conservatisme incarnent l’un et l’autre deux modalités de la barbarie. Il y a les deux chez Proudhon.

    Entre le général de Gaulle et François Mitterrand, votre esprit balance?

    Il ne balance pas du tout: c’est clairement oui à de Gaulle dont la grand-mère, qui écrivait, avait publié un éloge de Proudhon. Son projet de référendum sur la participation, pour répondre à Mai 68, a été torpillé par la droite conservatrice et refusé par la gauche opportuniste. Or ce texte est fortement inspiré par le socialisme français du XIX° siècle dont de Gaulle disait par ailleurs du bien.

    Mon de Gaulle est celui de Malraux et de Gary, de Simone Weil et de Kessel, de Mauriac et de Maurice Clavel

    Michel Onfray

    Le paradoxe de ces deux-là est que de Gaulle fut un homme de gauche soutenu par la droite et Mitterrand un homme de droite soutenu par la gauche. Mon de Gaulle est celui de Malraux et de Gary, de Simone Weil et de Kessel, de Mauriac et de Maurice Clavel. Mitterrand n’eut que Jean Guitton, un philosophe pétainiste, à mettre en face…

    Le couple de Gaulle-Mitterrand a fait/défait la France du XXe siècle. Je raconte tout cela dans un livre à paraître à la rentrée qui s’intitule Les Vies parallèles

    Vous vous présentez comme souverainiste. Cette notion n’est-elle pas réductrice? Celui qui aime son pays est patriote, il sait que la souveraineté n’est jamais absolue et que la vie d’une nation est faite de dépendances, d’alliances, de contraintes extérieures avec lesquelles il faut composer…

    Bien sûr mais faites-moi la grâce de ne pas souscrire à la définition idéologique qu’en donnent ses ennemis! Le souverainisme n’est pas l’autisme de la nation mais la possibilité pour elle de recouvrer ses esprits.

    Le souverainisme n’est qu’un préalable: il est l’art de reprendre en main le gouvernail d’un bateau qui part à la dérive. Ce qui n’augure en rien d’un cap qui s’avère le second temps.

    Une première perversion des maastrichtiens ennemis de la France est qu’ils sont parvenus à associer le mot souverainisme à une insulte, ce qui veut dire qu’ils font de son contraire une vertu. Or le contraire de souverainisme c’est vassalité, soumission, dépendance, assujettissement, tutelle! Je ne crois pas pour ma part que la servitude soit une vertu…

    Le souverainisme s’appuie sur la conception gaullienne de l’Europe qui défend une Europe des nations

    Michel Onfray

    Une deuxième perversion est qu’ils sont également parvenus à faire croire que le souverainisme c’était la nation, donc le nationalisme, donc la guerre! Rappelons que les deux guerres mondiales ont moins concerné les nations que les empires! Car c’est l’impérialisme qui est la guerre. Or, cet impérialisme c’est celui de l’Europe de Maastricht et non de la France. Un entretien entre BHL et Philippe de Villiers récemment paru dans vos colonnes a permis à BHL de revendiquer pour l’Europe la nécessité d’imposer «un pôle “impérial” alternatif» – les guillemets sont de lui…

    Une troisième perversion consiste à faire croire que l’Europe c’est l’Europe libérale et que, si l’on est contre l’Europe libérale parce qu’elle est libérale, c’est qu’on est contre l’Europe tout court, donc, je me répète, car ils se répètent: c’est qu’on est pour les nations, donc pour le nationalisme, donc pour la guerre! Mais l’Europe n’existe pas en soi: Charlemagne, Napoléon, Hitler et Jean Monnet l’ont également voulue!

    Le souverainisme s’appuie sur la conception gaullienne de l’Europe qui défend une Europe des nations. Personne ne peut croire, sauf mauvaise foi polémique, que le souverainisme ce soit le repli autiste sur son carré de luzerne national…

    Le souverainisme n’a-t-il pas tendance à chercher des causes externes à ce qu’Alain Peyrefitte appelait «le mal français»? En d’autres termes reprocher à Bruxelles un certain nombre de défaillances (bureaucratie, État social trop prodigue, pression fiscale…) qui sont de notre fait et pas du fait de l’Union européenne?

    La construction de cette Europe américaine voulue par la CIA, Jean Monnet, Mitterrand, puis les maastrichtiens de droite et de gauche, s’est faite sur la haine de la France. Le mal français est moins caractérisé par la bureaucratie, l’administration, l’assistanat, les impôts que par la haine de soi dont presque tout dépend. Cette haine de soi fut vendue comme condition de possibilité de l’amour de l’Europe.

    Aimer la France est nécessaire pour en finir avec ce qui la tire vers le fond. L’aimer c’est croire en la possibilité de lui redonner un lustre avec ce qui fit sa grandeur

    Michel Onfray

    Or, aimer la France est nécessaire pour en finir avec ce qui la tire vers le fond. L’aimer c’est croire en la possibilité de lui redonner un lustre avec ce qui fit sa grandeur: un mélange de vertu austère, Corneille et Racine, et de romantisme échevelé, Hugo et Delacroix, un mixte de christianisme sévère, Champaigne et Bossuet, et de jacobinisme intransigeant, Robespierre et Bonaparte, un amalgame d’idéalisme éthéré, Sartre et Boulez, et de pragmatisme tragique, Camus et Aron.

    Vous êtes très sévère avec la sphère médiatique et politique et pourtant vous continuez à y prendre part. Vous qui avez consacré un essai à Thoreau, êtes-vous hanté par la «tentation de la cabane» ou tout au moins la poursuite d’une œuvre philosophique et littéraire loin du débat public?

    Je suis sévère parce que je parle d’expérience… Lors de la parution de mon livre sur Freud et la psychanalyse, en 2010, alors que l’ouvrage était à peine en libraire, j’ai vu fonctionner «cette sphère médiatique» qui, comme un seul homme, a lancé une curée contre moi. Il était interdit de lire l’œuvre complète de Freud et d’effectuer des variations, pendant cinq cents pages, sur un thème fourni par Freud lui-même selon lequel la psychanalyse était «un blanchiment de nègres» – cette expression est de lui. Cette expérience fut pour moi comme une porte ouverte sur la salle des machines du système! J’ai depuis accumulé les campagnes de presse contre moi… Je connais donc leurs logiques.

    Faudrait-il pour autant se taire? Je ne le crois pas. Les tenants de cette boutique l’aimeraient tant! Je crois au contraire à la nécessité de raconter sans cesse comment fonctionne la machine à décerveler, à embrigader, à gaver, à abrutir, à hébéter, à insulter, à mépriser – en un mot: à fabriquer du consentement.

    Le peuple n’a pas toutes les vertus mais il s’en prend plein la figure depuis des décennies…

    Michel Onfray

    Par ailleurs, je poursuis une œuvre philosophique (un certain nombre de textes, dont trois volumes de chacun plus de 500 pages, Brève encyclopédie du monde), historiographique (une douzaine de livres d’histoire de la philosophe avec ma Contre-histoire), poétique (une dizaine de recueils de poésie…), esthétique (une vingtaine de monographies consacrées à des peintres vivants) – ce dont la presse se moque absolument puisqu’elle veut absolument m’arraisonner à l’avatar qu’elle a fait de moi et qui ne correspond en rien à ce que je suis vraiment, un avatar sur lequel elle tape à bras raccourcis…

    Pour autant, je n’exclus pas un jour de recourir à la tentation de la cabane. Mais disons pour l’heure que l’ardeur de certains politiques, en Normandie et à Paris, à détruire l’université populaire de Caen afin de me réduire au silence était un mauvais calcul: ça m’a plutôt rendu plus bavard! D’où la création de Front populaire avec mon ami Stéphane Simon, mais également d’autres projets auxquels nous travaillons…

    Vous voulez vous faire le porte-voix du peuple mais la dialectique peuple-élite n’est-elle pas faussée et mortifère? N’y a-t-il pas un danger à habiller le peuple de toutes les vertus et les élites de toutes les turpitudes? Camus, que vous admirez, est parvenu à passer de l’école communale au prix Nobel de littérature, du «peuple» à «l’élite»…

    Je ne pense pas comme ça… Le peuple n’a pas toutes les vertus mais il s’en prend plein la figure depuis des décennies… Les élites ne sont pas toutes condamnables, mais la plupart sont souvent du côté de ceux qui portent les coups au peuple.

    Je n’essentialise aucune de ces deux catégories et j’ai pu, dans un livre sur les «gilets jaunes», Grandeur du petit peuple, dire à plus d’une reprise combien je ne me sentais pas solidaire de telle ou telle exaction commise par des «gilets jaunes», mais aussi combien j’approuvais les intellectuels qui défendaient les «gilets jaunes» tels Emmanuel Todd ou Jean-Claude Michéa, et ce factuellement, sans jamais généraliser.

     

    Par ailleurs, à l’époque de Camus, un enfant de pauvre pouvait s’en sortir grâce à l’école. Je témoigne que pour moi, qui suis né en 1959, c’était encore également possible. Je crois simplement qu’aujourd’hui il devenu très très improbable, sortant du petit peuple, d’accéder au monde des élites.

    Raphaël Glucksmann, François-Xavier Bellamy sont passés de l’arène philosophique à l’arène politique et électorale. Est-ce une tentation pour vous? Allez-vous y céder?

    Non, pas du tout. Je crois qu’on peut faire de la politique autrement qu’en devenant le porteur d’eau d’un parti politique.

  • Aux origines de la violence contemporaine, par François Dubreil.

    Manifestation de "zadistes" à Toulouse en hommage à Rémi Fraisse, février 2015 © Fred Scheiber/SIPA Numéro de reportage: 00705776_000036

    Violence. Ce mot est partout. Radios, télévisions, nouveaux médias et réseaux sociaux ne parlent que « d’ensauvagement » et relatent jour après jour des faits divers sans cesse plus atroces dignes de cette France Orange Mécanique dont Laurent Obertone annonçait l’avènement il y a quinze ans déjà.

    Quand tout cela a-t-il commencé ? Et plus encore, pourquoi cela a-t-il commencé ?

    13.jpgObertone – encore lui – liait directement cette montée de violence à l’installation massive de populations immigrées issues de régions de la planète aux mœurs moins policées. Ce n’est pas totalement faux, mais pas vraiment pour les raisons qu’il mettait en avant. On ne peut en effet se contenter de croire en une sorte de propension intrinsèque à la violence chez ces nouveaux arrivants, liée à leur origine ethnique ou leur appartenance religieuse. En dehors même des stéréotypes racistes que véhicule cette thèse, les contre-exemples sont en effet trop nombreux pour qu’elle puisse être valablement retenue. A ceux qui en douteraient, et qui considèrent par exemple que « tous les musulmans sont violents » et que « tous les asiatiques sont pacifiques », je conseille vivement d’effectuer un voyage à Dubaï puis en Birmanie, à titre de comparaison : les faits parleront d’eux-mêmes. Mais il est certainement possible en revanche d’imaginer que des personnes ayant grandi et vécu dans des pays marqués par la brutalité civile ou militaire puissent être quelque peu imprégnées par cette culture du rapport de force, et qu’elles puissent ainsi parfois transporter avec elles une part de la violence dans laquelle elles ont toujours baigné.

    Immigration et violence

    Le phénomène migratoire pourrait donc expliquer, pour partie, l’augmentation des crimes et délits en France au cours des six dernières décennies. Mais il ne saurait néanmoins en être la cause principale ou déterminante, car la hausse du taux de criminalité en France a de fait largement précédé le développement de l’immigration extra-européenne, qui n’est devenue réellement massive et pérenne qu’après la mise en place de la politique de regroupement familial en 1976. Si nous nous fions aux chiffres transmis par la Direction Centrale de la Police Judiciaire, nous voyons en effet que tout au long des années 50, et même jusqu’au milieu des années 60, notre pays présentait un niveau de violence très faible, avec des taux de criminalité annuels de l’ordre de 10 à 15 pour mille. Puis une hausse brutale s’est développée entre 1966 et 1980, date depuis laquelle le taux n’est plus jamais descendu au-dessous de 50 pour mille, dépassant parfois même largement les 60 pour mille. Au moins une autre cause que l’immigration a donc dû jouer un rôle essentiel. J’en retiendrai deux.

    Ce n’est qu’à partir de l’effondrement brutal de l’emprise chrétienne sur les consciences, au décours des années 1960, que la violence a pu se rendre visible, avant même de pouvoir devenir omniprésente

    Regardons un peu en arrière, pour commencer, et voyons quel était l’extrême niveau de violence en France à la Libération, à l’issue de cinq années de conflit extérieur et de guerre civile larvée entre « résistants » et « collabos ». Souvenons-nous du comportement de nos grands-parents lors de l’Épuration sauvage, des femmes tondues et des exécutions sommaires dans nos villes et nos villages… Souvenons-nous même, avec un brin d’horreur, que quelques années plus tôt encore (jusqu’en 1939, pour être exact), même les exécutions capitales « officielles » avaient encore lieu en public, et que tout un chacun pouvait donc alors, en France, venir voir le plus légalement du monde un homme se faire trancher la tête. Souvenons-nous enfin du fait que nos aînés, en Indochine puis en Algérie, ont été les acteurs de guerres d’une violence extrême, et ce jusqu’au début des années 1960 ; violence qui déborda d’ailleurs le simple théâtre des opérations militaires puisqu’elle s’invita aussi largement en France métropolitaine, via le terrorisme de l’OAS ou lors de la répression de la manifestation des Algériens à Paris en 1961 par exemple.

    Rendez-nous la violence légale et la justice

    Et pourtant à cette même époque, le taux de criminalité, lui, restait extrêmement faible. A quoi donc alors rattacher ce décalage manifeste ? Peut-être pour une part à « l’équilibre dissuasif » qu’établissait encore dans ces années 1945-1965 la persistance de l’usage traditionnel, au sein de l’appareil militaire, policier et judiciaire, d’un très important degré de violence légale. La remise en cause de cette stratégie immémoriale, opposant à la brutalité criminelle le déploiement d’une violence étatique équivalente – voire supérieure – avait pourtant commencé dans l’immédiat avant-guerre, avec la suppression de la déportation aux bagnes (1938) et la fermeture des colonies pénitentiaires pour mineurs (1939). Mais le regain de brutalité général engendré par le second conflit mondial puis les guerres coloniales vint ensuite ralentir pour une vingtaine d’années cette évolution de fond. Il fallut donc attendre le tournant des années 1960-1970 pour que l’action de juristes comme Robert Badinter ou de philosophes comme Michel Foucault (notamment via son fameux Surveiller et Punir, paru en 1975) vienne définitivement délégitimer le droit que s’arrogeait encore l’État de violenter les corps. On vit alors successivement disparaitre la peine de mort (1981) et les Quartiers de Haute Sécurité (1982), tandis que peu à peu la sévérité – et même la simple application – des peines carcérales prononcées par la justice pénale allait en décroissant.

    On pourrait toutefois, à ce propos, discuter la valeur dissuasive effective que pouvait avoir cette violence « officielle », notamment dans le cas emblématique de la peine de mort. C’est précisément un des angles d’attaque qu’utilisèrent ses opposants, et c’est d’ailleurs une critique parfaitement fondée. Mais ce n’est pas précisément notre sujet. Ce qui nous intéresse, c’est la valeur coercitive que pouvait entretenir une telle brutalité. Ce que provoque inévitablement en retour la réduction de la contrainte physique des criminels, par le jeu des remises de peine, des libérations anticipées, et des mesures alternatives à l’emprisonnement, c’est bien en effet une certaine forme de libération de leur violence dans l’espace public. Nous le voyons assez clairement dans le problème de plus en plus préoccupant de la récidive, chez des individus que le système n’éloigne plus désormais radicalement de la société par la mort, la relégation ou l’enfermement. Le même phénomène de libération de violence, d’ailleurs, s’est développé d’une façon très significative durant la même période en matière de gestion de l’ordre public. Depuis mai 1968, suivant un revirement radical par rapport aux périodes antérieures, la doctrine officielle vise ainsi désormais à épargner avant tout les vies des manifestants, y compris au prix d’une mise en danger des forces de l’ordre et d’une augmentation conséquente des dégradations commises sur la voie publique. Les rares morts survenues depuis lors de manifestations, de Malik Oussekine à Rémi Fraisse, ont donc été considérées par les autorités elles-mêmes non plus comme le résultat accidentel et inévitable de heurts plus ou moins délibérément provoqués, mais comme des drames inacceptables, aboutissant quasi-systématiquement à la condamnation – au moins morale – des forces de l’ordre et à leur paralysie progressive. Pour caricaturer à dessein, il ne serait plus venu l’idée à personne, même dans les esprits les plus réactionnaires de la Préfecture de Police, de traiter les plus violentes des actions des gilets jaunes en 2018 comme l’avait été une soixantaine d’années plus tôt la manifestation – pourtant pacifique – des Pieds Noirs d’Alger sur la rue d’Isly… Et gageons en retour que le saccage de l’Arc de Triomphe aurait certainement été évité si les CRS avaient ouvert le feu à l’arme automatique sur le rond-point de l’Etoile… L’affaiblissement (relatif, car la violence non létale reste encore largement employée) de la brutalité policière a donc inévitablement laissé davantage de champ à l’exercice de la violence des casseurs de tous bords. Nous l’avons vu clairement en 2016 lorsqu’une voiture de policiers isolée en marge d’une manifestation parisienne put impunément être caillassée puis incendiée devant les caméras sans qu’aucun des fonctionnaires à bord ne fasse usage de son arme de service, l’un d’eux ayant même été depuis décoré précisément pour la grande retenue dont il avait fait preuve tandis qu’un des casseurs s’en prenait physiquement à lui. Les agresseurs identifiés se virent certes sanctionnés par la suite, mais leur agressivité avait néanmoins pu se déployer sur le moment sans aucune entrave…

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    Le 18 mai 2016, une voiture de police est incendiée par des manifestants quai de Valmy à Paris. SIPA. AP21899220_000001

    Déchristianisation et exposition permanente de la violence

    A ce point de mon argumentaire, avant d’être accusé de crypto-fascisme, je tiens à préciser les choses : mon propos n’est pas ici de déplorer un quelconque laxisme, de faire l’apologie de la violence d’État, de demander le retour de la guillotine sur la place publique et des parachutistes dans les rues. Je tiens seulement à mettre (ou remettre, plus exactement) la société face à sa responsabilité : si elle choisit (pour toutes sortes de raisons morales) de renoncer à l’usage de la violence légale, elle doit assumer en retour de se trouver confrontée à une plus grande intensité de violence illégale… Pour reprendre un vieil adage, il est vain de déplorer les effets dont on chérit les causes…

    Mais j’avais évoqué deux explications à l’accroissement de la violence dans notre pays. Et de fait, une autre voie d’opposition que la permanente concurrence de brutalité entre les autorités d’un côté, les criminels et les casseurs de l’autre, existait jusqu’à une période récente dans notre tradition culturelle. Elle était vieille de deux mille ans, et depuis ses origines elle avait perpétuellement combattu (avec plus ou moins de conviction selon les époques, c’est vrai) le principe même de la violence. Le christianisme, car c’est bien de lui qu’il s’agit, avait ainsi proposé une réponse en retour basée non plus sur une brutalité équivalente, mais sur son contraire absolu : l’Amour. C’est d’ailleurs cette longue tradition de miséricorde et de charité – au sens étymologique – qui triomphe aujourd’hui dans le discours du pape François, mais son écho n’est plus que marginal, tant la déchristianisation de nos sociétés est désormais avancée. Ce message a néanmoins très largement précédé le pontificat actuel (il est directement issu des textes évangéliques) et il a d’ailleurs été relativement dominant dans l’Église chaque fois que celle-ci n’a pas eu partie liée – directement ou pas – avec le pouvoir temporel. Il a ainsi longtemps imprégné la société occidentale d’une très forte condamnation morale de la violence qui aboutissait, jusqu’à l’époque contemporaine, à une censure de fait de ses représentations littéraires et audiovisuelles. Et ce n’est donc qu’à partir de l’effondrement brutal de l’emprise chrétienne sur les consciences, au décours des années 1960, que la violence a pu se rendre visible, avant même de pouvoir devenir omniprésente. Les descriptions des horreurs des combats de 14-18 sont ainsi bien moins crues dans les Orages d’Acier de Jünger (pourtant acteur des faits) que dans Au Revoir Là-Haut de Lemaitre. De même, la vision donnée du Débarquement sur la plage d’Omaha dans Le Jour le Plus Long de Zanuck est infiniment plus édulcorée que celle qu’offrit Spielberg avec Il Faut Sauver le Soldat Ryan, bien que la familiarité des spectateurs avec les scènes de guerre fût indiscutablement bien plus grande en 1962 qu’en 1998. Ce carcan moral fondé sur les valeurs chrétiennes – qui se traduisait par une censure de fait – était plus fort encore dans les publications et émissions destinées à la jeunesse, qui devaient impérativement présenter un univers tout en douceur et en politesse. Ceux qui comme moi ont grandi dans les années 1970 se souviennent ainsi du choc symbolique que représenta l’arrivée sur nos écrans de Goldorak, après le long règne de Nounours et du Manège Enchanté. Le succès fut énorme, car la violence, comme le fascisme, est fascinante… Mais les conséquences ne le furent pas moins: désormais, partout, dans la littérature comme au cinéma, à la télévision et bientôt sur internet, la brutalité ne serait plus censurée mais exhibée à tous sous des jours de plus en plus complaisants en une permanente surenchère, de l’Inspecteur Harry jusqu’à Kill Bill… Là encore, mon propos n’est pas de juger ni de déplorer : j’aime tout autant Clint Eastwood que Quentin Tarantino, et il ne viendrait plus à l’esprit de personne, désormais, de sacrifier le réalisme à la morale. Mais qu’une trace de cette exposition permanente puisse ensuite s’imprimer dans les esprits et dans les comportements – en particulier des plus jeunes – me semble une évidence…

    Au mitan des années 60, donc, un nouveau monde émergea, tournant le dos à la fois à l’autoritarisme brutal des pouvoirs anciens et à la morale religieuse traditionnelle. C’est en 1964-1966 que Guillaume Cuchet fait débuter notre sortie du christianisme, et c’est en 1968 que commença l’effondrement de l’ordre gaullo-républicain. Nous autres, désormais, vivons sur une société issue de ces deux bouleversements gigantesques. L’explosion de violence à laquelle nous sommes confrontés, quoi qu’on en dise, est le prix à payer pour cela…

  • Le cas Georges Floyd : drame, drogue, deep state, par Marc Obregon.

    Source : https://lincorrect.org/

    Pauvre Georges Floyd. Non content d’être assassiné devant les caméras, le voilà qui devient l’emblème de la majorité hurlante des minorités, de ces foules psittacistes, de ces communautés glapissantes qui s’emparent cycliquement de l’opinion pour asséner leurs convictions d’enfants bornés, faites de mythologies abstruses et de repentir malsain.

    2.pngMuray dénonçait dès 1991 l’avènement de l’Empire du Bien, et nous y voilà toujours, barboteurs à jamais de ce petit bain où la démocratie fait taire ses plus douloureuses varices. « Qui était Georges Floyd ? » s’interroge avec componction la presse hexagonale, ou encore « De quoi Georges Floyd est-il le nom ? ».

     

    « Qui était Georges Floyd ? » s’interroge avec componction la presse hexagonale, ou encore « De quoi Georges Floyd est-il le nom ? ». D’un nègre mort, serait-on tenté de répondre pour paraphraser cette réplique culte de Pulp Fiction…

     

    D’un nègre mort, serait-on tenté de répondre pour paraphraser cette réplique culte de Pulp Fiction… Attention, que l’on soit bien clair : oui, la ségrégation raciale existe aux Etats-Unis, oui, une partie de la police s’en donne sans doute à cœur joie dès qu’il s’agit de molester un crackhead pour lui faire expier sa couleur de peau en sus de quelques chicots…

     

    Il y a bien un mal qui réside dans ce pays, un mal profond, séculaire, qui en fait une terre maudite, infestée par la violence, les rapports de force : nation fondée sur le génocide des peuples autochtones, puis sur la traite des africains, les Etats-Unis ont le meurtre dans le sang, et cette terre sur laquelle ne poussent désormais plus que des banlieues pavillonnaires sans fin, des Dunkin’ Donuts peuplés de blattes obèses et des campus pour hologrammes est une terre mauvaise, bourbeuse de sang et de viols, ce qu’avalise toute une tradition de l’horreur domestique, de Lovecraft à Stephen King. Mais alors, enfin, saperlotte, de quoi Georges Floyd est-il vraiment le nom, ô Incotidien ?

    Avec sa mort, et la récupération systématique de cette tragédie par les phalanges démocrates, c’est en réalité un nouveau drame de sa propre mise en spectacle que vit la population afro-américaine : les Etats-Unis, en particulier dans les années Obama, se sont  pensé politiquement et socialement comme une Nation post-raciale (c’était là les mots même d’Obama lors de son investiture), mais chassez la race, elle revient au galop : c’est précisément parce que la tradition philosophique états-unienne est fondée sur la critique rationaliste et arminienne, et sur le legs pesant de la révolution luthérienne, puis évangélique, que sa spécificité structurelle s’est transformée en dogme communautariste, qu’en cherchant à tout prix à fédérer les peuples sous la houlette d’un nationalisme prométhéen, elle a en réalité révélé toutes les coutures les plus grossières et toutes les impasses. Car oui, n’en déplaisent aux pleureuses de la Novlangue étatique, les races existent bel et bien.

     

    Elles existent et elles sont belles, parce qu’elles appartiennent à des terres, à des pans du cosmos, à des configurations précises de l’espace et du temps, qui les ont savamment faites évoluer comme dans des athanors, distillant les exceptions et les pugnacités de chacune avec la patience infinie que le travail des particules donne parfois aux millénaires. Les Etats-Unis, ce pays éprouvette de l’extinction des races, ont justement cherché par tous les moyens possibles, à taire la mystique raciale propre à chaque peuple afin de valoriser ses aspects les plus crapuleusement capitalistes.

     

    Grâce à une  ingénierie sociale constante, qui a commencé avec Angela Davis et qui a culminé avec l’investiture d’Obama, faux noir intégral, en passant par les opérations d’infiltration ordonnées par Hoover au sein des Black Panthers (via le fameux COINTELPRO, ou Counter Intelligence Program, qui s’est révélé être une véritable usine à dissidences contrariées) le pouvoir états-unien a modelé et a subjugué toujours un peu plus les afro-américains, et cette récupération n’en est que la phase terminale : après les avoir parqués dans des zones de non-droit, leur avoir distribué du crack pour qu’ils s’entretuent, leur avoir fait miroiter une réussite facile en valorisant le capitalisme sauvage grâce à la culture hip hop, cette musique frauduleuse qui n’a servi en réalité qu’à les bâillonner un peu plus, qu’à les conforter dans leur image de crétins violents et à les investir rituellement  dans une insertion au forceps ;

     

    Les Etats-Unis, ce pays éprouvette de l’extinction des races, ont justement cherché par tous les moyens possibles, à taire la mystique raciale propre à chaque peuple afin de valoriser ses aspects les plus crapuleusement capitalistes.

     

    voilà toutes ces foules de babtous écœurantes qui scandent le nom de Georges Floyd, ce nouveau mantra destiné à faire chuter Trump de son piédestal, pour mettre à sa place une tête de gondole un peu plus vendeuse, un peu plus aimable et un peu plus soumise à l’Etat Profond, qu’il s’agisse de l’éléphant de mer Michelle Obama ou du perv Joe Biden. Une nouvelle façon de réduire les afro-américains à leur couleur de peau, et surtout à taire les revendications sociales de toute une Amérique oubliée, pour laquelle Trump a pourtant œuvré depuis le début de son investiture en tentant de rétablir un productivisme qui a porté ses fruits.

     

    On oublie également, de notre point de vue français, le rôle déterminant joué par la drogue dans la ségrégation raciale et dans la violence quotidienne qui s’exerce dans les grandes villes américaines : dans les années 80 et 90 c’est l’épidémie de crack, touchant majoritairement les classes déshéritées, qui a forcé les pouvoirs publics à consolider leur appareil juridique : de nombreuses lois permettant des peines plancher systématiques ont abouti à des milliers d’incarcérations parmi les afro-américains.

     

    En effet, les lois sur les peines plancher autorisent encore aujourd’hui une disparité de 1 pour 100 pour le crack et la cocaïne, c’est-à-dire qu’une personne possédant 5 grammes de crack reçoit la même peine plancher qu’une personne possédant 500 grammes de cocaïne…une loi qui a entraîné une énorme discrimination raciale et qui a contribué depuis 25 ans à remplir les prisons fédérales, tout en provoquant une véritable bataille politico-juridique jusqu’au sommet du pouvoir… On  commence seulement à comprendre qu’il s’agissait davantage d’une crise sanitaire organisée que d’une cartellisation des quartiers, à l’heure où la crise des opioïdes tue aujourd’hui 60 000 américains par an, entraînant pour la première fois depuis 1918 une baisse de l’espérance de vie dans le pays. Ici la drogue légale ou semi-légale s’exerce comme un pouvoir ultime qui permet d’anesthésier une population entière pour éviter qu’elle ne se révolte.

     

    Avec la bénédiction des laboratoires, des médecins généralistes et même de la culture populaire, à commencer par ce bon vieux hip hop, qui en fait cyniquement les louanges, jusqu’en nos contrées. En célébrant ce qui détruit les quartiers, la culture rap ferme la boucle : aujourd’hui on apprend que Georges Floyd lui-même était drogué au fentanyl et que sa mort a probablement été précipitée par la détresse respiratoire qu’entraîne cet opioïde dix fois plus puissant que l’héroïne… Dans American War Machine l’universitaire Peter Dale Scott accuse l’État Profond américain, par la main de la CIA,  d’avoir facilité et organisé une partie du trafic de drogue afin de soumettre les populations les plus rétives : il parle d’une « connexion narcotique globale » qui aurait permis à l’État américain de s’enrichir, en passant des alliances contre nature avec les cartels et certains gouvernements mafieux (Birmanie, Venezuela), tout en s’assurant la soumission des communautés noires et latino-américaines.

     

    Dans American War Machine l’universitaire Peter Dale Scott accuse l’État Profond américain, par la main de la CIA,  d’avoir facilité et organisé une partie du trafic de drogue afin de soumettre les populations les plus rétives

     

    Un système d’oppression qui culmina selon lui avec le Triangle d’Or et qui a dû se repenser après son démantèlement : la crise des opioïdes, contre laquelle Trump a déclaré l’état d’urgence sanitaire en 2018, ne serait que la continuation officielle, à peine cachée, de cette tentative de soumettre un pays entier par la chimie. C’est évidemment une thèse fort débattue, et Scott fait partie des auteurs bien connus et rabâchés par la complosphère. Le cas Georges Floyd peut-il se voir sous ce prisme, comme une énième tragédie de cette domestication forcée du peuple par la sujétion narcotique ? On vous laisse le soin d’y réfléchir : l’Amérique questionne constamment son propre mythe, et si certaines théories ont été validées in fine par la déclassification des archives (l’opération Paperclip, le programme MK Ultra), l’implication de la CIA dans le trafic mondial de drogues reste une marotte conspirationniste un peu éculée.

     

    Trump joue probablement sa présidence, et on ne peut que saluer sa prestance dans une situation aussi complexe : il lâchait récemment lui-même qu’il se battait contre un état profond, sans doute parce que le thème fait florès au sein de même de son électorat, rompu aux vocables conspirationnistes. Néanmoins, parler d’état profond n’est pas totalement dépourvu de sens lorsqu’on sait que Trump est menacé d’impeachment depuis le premier jour de son investiture : aujourd’hui encore son élection constitue un drôle de bug dans la matrice, une sorte de dérèglement que certains ont encore du mal à gober.

    L’Etat américain n’a semble-t-il jamais été aussi complexe, stratifié, travaillé par le sempiternel complexe militaro-industriel, par les cartels pharmaceutiques et par le nouveau pouvoir transverse que représentent les tech-évangélistes de la Silicon Valley, qui constituent encore une véritable inconnue dans l’équation. Contre le bégaiement mongoloïde de la contestation démocrate, il tente une poigne de fer à la Nixon, et une parole « nativiste » qui a déjà porté ses fruits lors de son élection, dans le sillage paléo-conservateur d’un Pat Buchanan : c’est quitte ou double.

     

    Au sein même de l’administration Trump le conflit fait rage : d’un côté son conseiller Jared Kushner le supplie de ne pas se couper de l’électorat noir américain, de l‘autre son chef de cabinet Mark Meadows semble prêt à faire l’impasse dessus. Ce qui se joue, finalement, c’est l’avenir des Etats Unis comme pays ou comme simple « intégrateur de contenus » : si Trump cède face aux communautaristes de tous bords, face à la percée des démocrates dont l’utopie se résume à une sorte de Silicon Valley géante, les Etats-Unis perdront probablement la seule chose qui leur restait : la possibilité d’une nation.

  • A quand les excuses d’Alger pour la traite des esclaves européens ?, par Bernard Lugan.

    Pères de l’Ordre des Trinitaires négociant le rachat d’esclaves français à Alger au début du XVIIe siècle.
     
    En ces temps de repentance et d’ethno-masochisme, puisque ceux qu’il est difficile de désigner autrement que par le terme d’ennemis, vu leur comportement à l’égard de la France, s’amusent à jongler avec le contexte historique, alors, faisons de même. 
     
    L’Algérie aux abois économiquement, ruinée par les profiteurs du Système qui depuis 1962 se sont méthodiquement engraissés en pillant ses ressources, a donc l’outrecuidance de demander des excuses à la France. Pourquoi pas d’ailleurs, puisque, comme le disait Etienne de la Boétie : « Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux » ? 

    bernard lugan.jpgDes excuses donc pour avoir tracé en Algérie 54 000 kilomètres de routes et pistes (80 000 avec les pistes sahariennes), 31 routes nationales dont près de 9000 kilomètres goudronnés, construit 4300 km de voies ferrées, 4 ports équipés aux normes internationales, 23 ports aménagés (dont 10 accessibles aux grands cargos et dont 5 qui pouvaient être desservis par des paquebots), 34 phares maritimes, une douzaine d’aérodromes principaux, des centaines d’ouvrages d’art (ponts, tunnels, viaducs, barrages etc.), des milliers de bâtiments administratifs, de casernes, de bâtiments officiels, 31 centrales hydroélectriques ou thermiques, une centaine d’industries importantes dans les secteurs de la construction, de la métallurgie, de la cimenterie etc., des milliers d’écoles, d’instituts de formations, de lycées, d’universités avec 800 000 enfants scolarisés dans 17 000 classes (soit autant d’instituteurs, dont deux-tiers de Français), un hôpital universitaire de 2000 lits à Alger, trois grands hôpitaux de chefs-lieux à Alger, Oran et Constantine, 14 hôpitaux spécialisés et 112 hôpitaux polyvalents, soit le chiffre exceptionnel d’un lit pour 300 habitants. Sans parler d’une agriculture florissante laissée en jachère après l’indépendance, à telle enseigne qu’aujourd’hui l’Algérie doit importer du concentré de tomates, des pois chiches et jusqu’à la semoule pour le couscous… 
     
    Or, tout ce que la France légua à l’Algérie en 1962 fut construit à partir du néant, dans un pays qui n’avait jamais existé et dont même le nom lui fut donné par le colonisateur... Tout avait été payé par les impôts des Français. En 1959, toutes dépenses confondues, l’Algérie engloutissait ainsi 20% du budget de l’Etat français, soit davantage que les budgets additionnés de l’Education nationale, des Travaux publics, des Transports, de la Reconstruction et du Logement, de l’Industrie et du Commerce ! (Voir à ce sujet mon livre Algérie l’Histoire à l’endroit). 
     
    L’Algérie a exigé, et sur ce point comment ne pas être d’accord avec elle, que la France lui restitue les cranes de combattants vaincus par l’armée française lors de la conquête. Mais alors, quid des restes des dizaines de milliers d’esclaves européens dont des milliers de Français enlevés en mer ou par des razzia littorales, morts en Algérie et enterrés dans la banlieue d’Alger dans ce qui, avant la conquête était désigné comme le cimetière des chrétiens ? C’est en effet par dizaines de milliers que des hommes, des femmes et des enfants européens furent pris en mer ou enlevés à terre par les pirates barbaresques. De 1689 à 1697, Marseille perdit ainsi 260 navires ou barques de pêche et plusieurs milliers de marins et de passagers, tous ayant été réduits en esclavage. En 1718, la comtesse du Bourk, ses enfants et ses domestiques qui avaient embarqué à Sète pour rejoindre via Barcelone son mari ambassadeur en Espagne furent capturés en mer. La petite Marie-Anne du Bourk alors âgée de 9 ans, fut rachetée en 1720. 
     
    Grâce aux rapports des pères des Ordres religieux dits de « rédemption des captifs », qu’il s’agisse de l’Ordre des Trinitaires fondé par Jean de Matha et Félix de Valois, ou des Pères de la Merci, les Mercédaires, un ordre religieux fondé par Pierre Nolasque, nous connaissons les noms de milliers d’esclaves rachetés, ainsi que leurs villes ou villages d’origine, cependant que, faute de moyens, des dizaines de milliers d’autres ne le furent pas et moururent dans les chaînes.
     
    En 1643, le Père Lucien Héraut, prêtre de l’Ordre de la Trinité et Rédemption des Captifs, rentra en France avec 50 malheureux Français qu’il venait de racheter aux esclavagistes algérois. Faute de moyens, la mort dans l’âme, il avait laissé derrière lui plusieurs milliers d’autres Français, sans compter les milliers d’esclaves appartenant aux autres nations européennes enlevés en mer ou sur le littoral. 

    Dans une lettre d’une grande puissance de témoignage adressée à Anne d’Autriche, Reine-Régente du royaume de France, le père Héraut se fit l’interprète des captifs, s’adressant à la reine en leur nom, afin de lui demander une aide financière pour les racheter. Une lettre qui devrait clore les prétentions et les exigences d’excuses des descendants des esclavagistes algérois : « Larmes et clameurs des Chrestiens françois de nation, captifs en la ville d’Alger en Barbarie, adressées à la reine régente, par le R. P. Lucien Heraut, Religieux de l’Ordre de la Trinité et Rédemption des Captifs, 1643. 


    « (…) ainsi qu’il arrive ordinairement aux vassaux de vostre Majesté, qui croupissent miserablement dans l’horrible esclavage (…) cette mesme necessité addresse aux pieds de sa clemence et Royalle bonté, les larmes et soupirs de plus de deux milles François de nation Esclaves en la seule ville d’Alger en Barbarie, à l’endroit desquels s’exerce les plus grandes cruautés que l’esprit humain puisse excogiter, et les seuls esprits infernaux inventer. 


    Ce n’est pas, Madame, une simple exaggeration (…) de ceux, qui par malheur sont tombés dans les griffes de ces Monstres Affricains, et qui ont ressenty, comme nous, leur infernalle cruauté, pendant le long sejour d’une dure captivité, les rigueurs de laquelle nous experimentons de jour en jour par des nouveaux tourments: la faim, le soif, le froid, le fer, et les gibets (…) mais il est certain que les Turcs et Barbares encherissent aujourd’hui par-dessus tout cela, inventans journellement de nouveaux tourments, contre ceux qu’ils veulent miserablement prostituer, notamment à l’endroit de la jeunesse, captive de l’un et l’autre sexe, afin de la corrompre à porter à des pechés si horribles et infames, qu’ils n’ont point de nom, et qui ne se commettent que parmys ces monstres et furies infernales et ceux qui resistent à leurs brutales passions, sont écorchez et dechirez à coup de bastons, les pendants tous nuds à un plancher par les pieds, leur arrachant les ongles des doigts, brullant la plante des pieds avec des flambeaux ardents, en sorte que bien souvent ils meurent en ce tourment. Aux autres plus agés ils font porter des chaisne de plus de cent livres de poids, lesquelles ils traisnent miserablement partout où ils sont contrains d’aller, et apres tout cela si l’on vient à manquer au moindre coup de siflet ou au moindre signal qu’ils font, pour executer leurs commandements, nous sommes pour l’ordinaire bastonnez sur la plante des pieds, qui est une peine intollerable, et si grande, qu’il y en a bien souvent qui en meurent, et lors qu’ils ont condamné une personne à six cent coups de bastons, s’il vient à mourir auparavant que ce nombre soit achevé, ils ne laissent pas de continuer ce qui reste sur le corps mort. 


    Les empalements son ordinaires, et le crucifiment se pratique encore parmy ces maudits barbares, en cette sorte ils attachent le pauvre patient sur une manière d’echelle, et lui clouent les deux pieds, et les deux mains à icelle, puis après ils dressent ladite Eschelle contre une muraille en quelque place publique, où aux portes et entrées des villes (…) et demeurent aussi quelque fois trois ou quatre jours à languir sans qu’il soit permis à aucun de leur donner soulagement. 


    D’autres sont écorchez tous vifs, et quantitez de bruslez à petit feu, specialement ceux qui blasphement ou mesprisent leur faux Prophete Mahomet, et à la moindre accusation et sans autre forme de procez, sont trainez à ce rigoureux supplice, et là attachez tout nuds avec une chaine à un poteau, et un feu lent tout autour rangé en rond, de vingt-cinq pieds ou environ de diametre, afin de faire rostir à loisir, et cependant leur servir de passe-temps, d’autres sont accrochez aux tours ou portes des villes, à des pointes de fer, où bien souvent ils languissent fort long temps. 


    Nous voions souvent de nos compatriots mourir de faim entre quatre murailles, et dans des trous qu’ils font en terre, où ils les mettent tout vif, et perissent ainsi miserablement. Depuis peu s’est pratiqué un genre de tourment nouveau à l’endroit d’un jeune homme de l’Archevesché de Rouen pour le contraindre a quitter Dieu et nostre saincte Religion, pour laquelle il fut enchaisné avec un cheval dans la campagne, l’espace de vingt-cinq jours, à la merci du froid et du chaud et quantitez d’autres incommoditez, lesquelles ne pouvant plus supporter fit banqueroute à notre saincte loy. 


    Mille pareilles cruautez font apostasier bien souvent les plus courageux, et mesme les plus doctes et sçavants : ainsi qu’il arriva au commencement de cette presente année en la personne d’un Père Jacobin d’Espagne, lequel retenu Captif, et ne pouvant supporter tant de miseres, fit profession de la loy de Mahomet, en laquelle il demeura environ six mois, pendant lesquels (…) il avoit scandalisez plus de trente mille Chrestiens esclaves de toutes nations (…) il se resolu à estre brullé tout vif, qui est le supplice ordinaire de ceux qui renoncent à Mahomet (…)en suite deqoy il fut jetté en une prison obscure et infame (…) Le Bascha le fit conduire au supplice(…) il fut rosty à petit feu un peu hors de la ville près le Cimitiere des Chrestiens. 


    Nous n’aurions jamais fait, et nous serions trop importuns envers votre Majesté, de raconter icy toute les miseres et calamitez que nous souffrons : il suffit de dire que nous sommes icy traittez comme de pauvres bestes, vendus et revendus aux places publiques à la volonté de ces inhumains, lesquels puis apres nous traittent comme des chiens, prodiguans nostre vie, et nous l’ostans, lors que bon leur semble (…). 


    Tout cecy, Madame, est plus que suffisant pour émouvoir la tendresse de vos affections royales envers vos pauvres subjets captifs desquels les douleurs sont sans nombre, et la mort continuelle dans l’ennuy d’une si douleureuse vie (…), et perdre l’ame apres le corps, le salut apres la liberté, sous l’impatience de la charge si pesante de tant d’oppressions, qui s’exercent journellement en nos personnes, sans aucune consideration de sexe ny de condition, de vieil ou du jeune, du fort ou du foible : au contraire celuy qui paroist delicat, est reputé pour riche, et par consequent plus mal traitté, afin de l’obliger à une rançon excessive, par lui ou par les siens (…) nous implorons sans cesse, jettant continuellement des soupirs au Ciel afin d’impetrer les graces favorables pour la conservation de vostre Majesté, et de nostre Roy son cher fils, destiné de Dieu pour subjuguer cette nation autant perfide que cruelle, au grand souhait de tous les Catholiques, notamment de ceux qui languissent dans ce miserable enfer d’Alger, une partie desquels ont signé cette requeste en qualité, Madame, de vos tres humbles, tres obeyssants, tres fidels serviteurs et vassaux les plus miserables de la terre, desquels les noms suivent selon les Dioceses et Provinces de votre Royaume. » 


    Le numéro du mois de septembre de l’Afrique Réelle sera un numéro spécial consacré à la repentance et à l’esclavage et, le 1er septembre, je publierai un livre intitulé Esclavage, l’histoire à l’endroit, une arme de réfutation de la doxa culpabilisatrice. Les lecteurs de ce blog et les abonnés à la revue seront informés dès sa parution.


    Bernard Lugan
  • Retour des djihadistes, Traoré : Dupond Moretti commence fort, par Régis de Castelnau.

    Source : https://www.vududroit.com/

    Éric Dupond-Moretti, le bravache de la société du spectacle dont Macron dans un souci de diversion avec son lugubre remaniement nous a fait un Garde des Sceaux, n’ira probablement nulle part. Car quelles que soient ses intentions, et il y en a peut-être de souhaitables, nous savons bien qu’il ne pourra rien faire d’utile. Ne pouvant échapper à ce qu’il est, une caution sans pouvoir. Juste un exemple, la justice française une des plus pauvres d’Europe, est complètement en faillite, l’avons-nous entendu s’exprimer sur la nécessité absolue et urgente d’augmenter considérablement son budget ? Eh non, parce que là il s’agit d’affronter Bercy, où résident les vrais patrons du système Macron et où effets de manches et aboiements n’impressionnent personne.

    4.jpgOn l’entend en revanche plus facilement sur des sujets secondaires jetés en pâture à la polémique, comme par exemple le rapatriement des djihadistes de nationalité française partis rejoindre le terrorisme islamiste au Moyen-Orient, ou son ingérence dans la procédure judiciaire concernant la mort d’Adama Traoré.

    Djihadistes criminels : tout le monde à la maison !

    Soucieux de complaire au mainstream et de s’attirer les bonnes grâces des belles âmes des beaux quartiers nous rebattant les oreilles avec ce sujet, il demande le rapatriement des djihadistes français partis apporter la mort au Moyen-Orient, et avec comme seul argument, le fait qu’ils soient français. Au-delà du caractère indécent et provocateur de la posture, cette demande est complètement irrecevable, et pour plusieurs raisons :

    •            Tout d’abord la moindre des choses serait de respecter la souveraineté des États sur le territoire desquels les exactions ont été commises. Car c’est à eux qu’il appartient de donner à ces crimes les réponses prévues par leurs règles. La France n’a pas à s’ingérer et à donner des leçons de morale permanentes à des pays qui ont subi l’horreur, et dont la politique française, en particulier celle menée par Hollande est en partie à l’origine. Donc, modestie, respect de la souveraineté, et absence de ce paternalisme vaguement raciste seraient souhaitables.

    •            Ensuite, l’État français doit protection à ses ressortissants, mais cette protection ne consiste pas à les exonérer de leurs responsabilités vis-à-vis des pays dont ils ont violé les lois. Les consulats et les ambassades peuvent et doivent apporter une aide matérielle, mais en aucun cas s’ingérer dans les compétences d’états souverains.

    •            Ensuite toujours, il est possible de négocier avec des états des traités bilatéraux, qui permettent de faire exécuter en France des peines décidées dans un État étranger. C’est ce qui est arrivé à Bertrand Cantat condamné en Lituanie et qui a exécuté en France une partie de la peine après que celle-ci eut été infligée par le tribunal de Vilnius. Ce n’est pas le cas avec les pays concernés.

    •            Ensuite toujours, on peut certes juger en France des nationaux pour des crimes commis à l’étranger. Dès lors que le criminel recherché est sur le territoire national, et en application du principe que l’on n’extrade pas les nationaux, la justice française est alors compétente. C’est ce qui est arrivé à Éric Robic, français, et Claude Khayat, franco-israélien, deux chauffards qui avaient renversé et tué une jeune femme sur un passage protégé à Tel-Aviv avant de s’enfuir pour retourner en France.

    •            Ensuite toujours, la demande de rapatriement formulée par Éric Dupond Moretti qui n’a donc aucun support juridique, nécessiterait obligatoirement négociations et contreparties parfaitement opaques pour la remise à l’État français de ces nationaux. Qui par leurs actes et leurs déclarations se sont posés en ennemis de leur pays. Que l’État fasse tous les efforts, y compris financiers, pour essayer de faire libérer des otages innocents c’est une chose, mais il n’est pas envisageable de demander la même chose aux Français pour ceux qui leur ont déclaré la guerre.

    •            Enfin, même si par extraordinaire et à l’encontre de ce que souhaite manifestement l’opinion publique, des tractations inavouables permettaient ce rapatriement, ceux qui se sont rendus coupables de crimes à l’étranger ne pourraient pas être jugés dans des conditions conformes aux principes constitutionnels français et aux conventions internationales que nous avons signées. Le droit au procès équitable est un principe fondamental, qui nécessite une identification claire des faits, afin qu’accusation et défense aient des armes égales pour en établir la vérité judiciaire, aboutissant à une décision légitime. Ce droit au procès équitable vaut bien sûr pour la défense mais également pour l’accusation qui représente rappelons le, les intérêts du peuple français. Comment imagine-t-on que l’on puisse établir une réalité factuelle pour des faits qui se sont déroulés dans des circonstances exactes que l’on connaît si peu ? Dans quelles conditions de sérénité et de sécurité intervenants et témoins pourraient-ils être sollicités ? Le renvoi dans la nature des criminels ne serait pas évitable.

    Il n’y avait rien de plus urgent, Monsieur le Garde des Sceaux ?

    Adama Traoré, saint et martyr

    Le deuxième sujet est relatif à l’étonnement manifesté par Éric Dupont Moretti devant le fait qu’Assa Traoré, partie civile dans la procédure ouverte à la suite de la mort de son frère, n’ait pas encore été reçue par les juges d’instruction. Rejoignant en cela la complaisance de son prédécesseur place Vendôme et les délires de celui de Gérald Darmanin inventant la loi républicaine à géométrie variable, dès lors que l’on manifeste son soutien à la pègre des quartiers. La première observation concerne le fait que, les juges d’instruction entretenant les rapports prévus par la procédure avec les avocats de la partie civile, n’ont jusqu’à présent aucune obligation légale de ce type. La deuxième pour rappeler que depuis quatre ans le comité Adama Traoré avec la sœur du disparu à sa tête a passé son temps à insulter les magistrats, les prétendant partiaux et soumis à la raison d’État. Ce qui n’est peut-être pas la meilleure façon de solliciter une audition.

    Mais ne pourrait-on pas se dire aussi que le ministre de la justice aurait été bien inspiré d’être modeste et de ne pas apporter de l’eau au moulin de tous ces journalistes, tous ces élus, tous ces manipulateurs, qui font passer un criminel pour le martyr innocent d’un crime raciste de la gendarmerie française. Parce que dans toute cette affaire il y a quand même quelque chose de stupéfiant c’est de voir des gens de plus ou moins bonne foi s’accrocher à un mensonge et une imposture dont l’évidence saute aux yeux. Assa Traoré et les militants qui l’entourent relayés par des dirigeants politiques, des parlementaires, des élus, des journalistes, prétendent qu’Adama Traoré a été interpellé parce que noir, c’est faux. Qu’il a été tué par les gendarmes parce que noir, cela n’est non seulement pas établi, mais les dernières investigations disent le contraire. En particulier, le témoignage réclamé par la partie civile d’une personne déjà entendue au début de l’enquête, et dans l’appartement duquel Traoré réfugié a été arrêté. Et qui n’a fait que confirmer sa première déposition, à savoir que le fugitif était déjà dans un très mauvais état après sa course et avant même l’arrivée des gendarmes. Déçue, la partie civile a immédiatement déposé plainte contre lui pour faux témoignage…

    Assa Traoré, présente ses frères délinquants comme des victimes, les qualifiant de « prisonniers politiques ».  Casiers judiciaires aidant, on sait ce qu’il faut penser de cette présentation. Mais ce qui est plus intéressant, c’est alors qu’on était confronté à de la délinquance crapuleuse du genre « extorsion de fonds sur personne vulnérable, violences volontaires, menaces de mort, tentative de meurtre », le palmarès vient de s’enrichir d’une qualification d’un autre calibre.

    Adama Traoré avait fait l’objet d’une plainte pour viol d’un de ces anciens co-détenu. L’instruction n’a pu avoir lieu, du fait de son décès l’action publique étant éteinte. En revanche, le frère de Traoré et un de ses amis se sont emparés du plaignant et lui ont fait subir des violences pour lesquelles ils ont été condamnés, excusez du peu, à 18 mois de prison ferme. Mais le plus intéressant, est la décision rendue en mars dernier par la Commission d’Indemnisation des Victimes (CIVI) qui en matière d’infractions pénales se substitue aux coupables pour indemniser les victimes en faisant l’avance sur fonds publics des dommages intérêts. À charge pour elle de se retourner contre le responsable ou ses ayants droits pour les récupérer. C’est ce que la CIVI, saisie par l’ancien codétenu plaignant, a fait en rendant une décision considérant les faits comme établis ce qui permettait de l’indemniser du préjudice subi du fait du viol. Nous avons donc la décision d’une instance juridictionnelle qui dispose de l’autorité de la chose jugée et qui a tranché la question de la réalité de l’infraction : « la matérialité des infractions d’agressions sexuelles dénoncées doit être considérée comme établie ». Ce n’est pas une reconnaissance de culpabilité, seule la juridiction pénale le peut, mais c’est en revanche une reconnaissance de l’existence des faits.

    On ajoutera que la CIVI a également décidé d’indemniser la jeune victime, toujours sur fonds publics, pour son passage à tabac par le frère d’Adama, qualifié par le procureur au moment de l’audience correctionnelle de « sauvage agression ».

    Il y a parmi ceux qui s’acharnent à relayer le mensonge visant à faire passer une fratrie lourdement délinquante pour des combattants de la liberté, des gens qui sont hélas de bonne foi mais désormais inaccessibles au réel. Mais parmi les politiques élus et militants, il y a nécessairement ceux qui savent très bien ce qu’ils font. Nullement effarouchés par la manipulation, pensant que leur intérêt est de s’appuyer sur cette pègre, ils la laissent prospérer et veulent qu’on leur abandonne les quartiers populaires et ceux qui les habitent.

    Éric Dupond Moretti n’appartient peut-être à aucune des deux catégories, mais cette volonté de paraître et de prendre la pose sur ces sujets ou la discrétion s’imposait, en dit long sur l’impasse politique dans laquelle nous allons risquer de rapidement nous trouver.

  • Orban répond à l’agression de Soros.

    Nom­breux sont ceux qui pensent que le chef du gou­ver­ne­ment d’un pays n’a pas à débattre avec George Soros. Pour eux, Soros est un délin­quant éco­no­mique, qui a gagné son argent par la spé­cu­la­tion, par la ruine de mil­lions de per­sonnes, et même par le chan­tage exer­cé sur rien moins que des éco­no­mies natio­nales.

    Tout comme les gou­ver­ne­ments ne peuvent pas dis­cu­ter avec des ter­ro­ristes, les chefs de gou­ver­ne­ment ne peuvent pas non plus débattre avec des délin­quants économiques.

    J’y suis tout de même contraint aujourd’hui, parce que George Soros, le mil­liar­daire spé­cu­la­teur d’origine hon­groise, a publi­que­ment impar­ti des ordres aux diri­geants de l’Union euro­péenne dans un article paru le 18 novembre sur le site dénom­mé Pro­ject Syn­di­cate, dans lequel il leur intime de punir sévè­re­ment les Etats-membres qui se refusent à s’intégrer dans un empire euro­péen glo­bal et uni­fié sous la ban­nière de la socié­té ouverte.

    Tout au long de l’histoire, ce sont tou­jours les nations qui ont don­né sa force à l’Europe. Bien que les nations for­mant l’Europe soient d’originesperses, les racines com­munes de notre foi les ont réunies. Le modèle de la famille repo­sant sur la tra­di­tion judéo-chré­tienne a été le fon­de­ment de nos com­mu­nau­tés. C’est la liber­té chré­tienne qui a assu­ré la liber­té de la réflexion et de la culture et a créé une concur­rence béné­fique entre les nations de l’Europe. Le mélange ver­tueux des dif­fé­rences a fait de l’Europe, pen­dant des siècles, la force motrice du monde.

    Toutes les ten­ta­tives visant à cher­cher à uni­fier l’Europe sous l’égide d’un empire ont échoué. C’est pour­quoi l’expérience his­to­rique nous fait dire que l’Europe ne sera de nou­veau grande que lorsque ses nations le seront éga­le­ment, et qu’elles sau­ront résis­ter à toute ten­ta­tive impériale.

    Des forces puis­santes sont de nou­veau à l’oeuvre pour faire dis­pa­raître les nations euro­péennes et uni­fier le conti­nent sous l’égide d’un empire glo­bal. Le réseau Soros, qui imprègne de toutes parts la bureau­cra­tie euro­péenne et les élites poli­tiques, tra­vaille depuis des années à faire de l’Europe un conti­nent d’immigration. Aujourd’hui, le plus grand dan­ger qui menace les Etats de l’Union euro­péenne est repré­sen­té par le réseau Soros et la socié­té ouverte, employés à pro­mou­voir l’élimination des cadres natio­naux. Les objec­tifs du réseau sont clairs : au tra­vers de l’accélération de la migra­tion, créer une socié­té ouverte mul­ti­cul­tu­relle et eth­ni­que­ment mélan­gée, déman­te­ler les pro­ces­sus de déci­sion natio­naux et les remettre entre les mains des élites globalisées.

    L’Union euro­péenne est à la peine. Elle est atteinte depuis 2008 par une crise éco­no­mique inédite, depuis 2015 par une crise migra­toire, et en 2020 par une pan­dé­mie dévas­ta­trice. Elle n’est même pas sor­tie de ses crises pré­cé­dentes qu’elle doit faire face aux consé­quences encore plus lourdes de la pan­dé­mie du coro­na­vi­rus. Les signes en sont déjà là. La dette publique, le chô­mage, l’état de l’économie atteignent des niveaux cri­tiques dans nombre de pays. L’on n’a jamais eu davan­tage besoin de la soli­da­ri­té euro­péenne et du ras­sem­ble­ment des nations euro­péennes pour se venir mutuel­le­ment en aide.

    Lors d’aucune de ces crises le spé­cu­la­teur qui se dit phi­lan­thrope ne s’est pré­oc­cu­pé des inté­rêts des Euro­péens. Il a chaque fois agi en fonc­tion de ses propres inté­rêts. L’on se sou­vient, au moment de la crise éco­no­mique, de son attaque contre le forint et contre la plus grande banque de Hon­grie ain­si que, au moment de la crise migra­toire, de son plan visant à l’accélération de l’implantation, de la répar­ti­tion et du finan­ce­ment des migrants. A pré­sent, au lieu de la soli­da­ri­té et de l’entraide mutuelle, le voi­là qui se pré­sente avec une pro­po­si­tion visant à nous punir les uns les autres.

    Le réseau diri­gé par George Soros ne recule même plus devant l’intervention ouverte. Il veut pla­cer les Etats-nations sous la pres­sion la plus forte pos­sible. Il dresse les uns contre les autres les peuples d’Europe. Les moyens employés par le réseau sont mul­tiples et actifs sur les scènes les plus variées de la vie publique. La liste est longue des res­pon­sables poli­tiques, des jour­na­listes, des juges, des bureau­crates, des pro­pa­gan­distes poli­tiques maquillés en repré­sen­tants de la socié­té civile qui émargent aux fiches de paie éta­blies par George Soros. Et bien que le mil­liar­daire accuse tous ses adver­saires de cor­rup­tion, il est lui-même l’homme le plus cor­rom­pu de la terre. Il paie et achète tous ceux qu’il peut. Ceux qu’il ne peut ni payer ni ache­ter ont droit aux rigueurs de la redou­table arme du réseau : le déni­gre­ment, l’humiliation, l’intimidation, l’annihilation au tra­vers de la presse de gauche.

    De nom­breux bureau­crates de haut niveau de l’Union agissent de concert avec le réseau de George Soros en vue de la créa­tion d’un empire uni­fié. Ils sou­haitent mettre en place un sys­tème ins­ti­tu­tion­nel visant à impo­ser aux nations libres et indé­pen­dantes d’Europe un mode de pen­sée unique, une culture unique, un modèle social unique. En leur ôtant le droit de tout peuple à déci­der lui-même de son sort. C’est le but de leur pro­po­si­tion appe­lée Etat de droit, qui ne recon­naît tou­te­fois pas la pré­do­mi­nance du droit, mais celle du plus fort.

    Les dif­fé­rences sont évi­dentes. Soros veut une socié­té ouverte (Open Socie­ty), nous vou­lons quant à nous une socié­té pro­té­gée (Safe Socie­ty). Pour lui, la démo­cra­tie ne peut être que libé­rale, pour nous elle peut être aus­si chré­tienne. Pour lui, la liber­té ne peut ser­vir que l’affirmation inpi­duelle, pour nous la liber­té peut aus­si consis­ter à suivre l’enseignement du Christ, elle peut aus­si être mise au ser­vice de la patrie et de la pro­tec­tion de notre famille. La base de la liber­té chré­tienne est la liber­té de déci­der. C’est ce qui est mis en dan­ger aujourd’hui.

    Etats-membres vivant du côté orien­tal de l’Union, nous savons très bien ce que signi­fie être libres. L’histoire des nations d’Europe cen­trale a été un com­bat inces­sant de la liber­té contre les grands empires, afin d’arracher jour après jour, face à eux, notre droit à déci­der de notre sort. Nous savons d’expérience que toute aspi­ra­tion impé­riale rend esclave. Nous sommes encore un cer­tain nombre, issus de la géné­ra­tion des com­bat­tants de la liber­té – les pays de l’ancien Bloc de l’Est de l’Estonie à la Slo­vé­nie, de Dresde à Sofia – qui avons encore une expé­rience per­son­nelle de ce que veut dire résis­ter à l’arbitraire, au fait du prince, et à sa ver­sion com­mu­niste. Inti­mi­da­tion, anni­hi­la­tion maté­rielle et morale, vexa­tions phy­siques et spi­ri­tuelles. Nous n’en vou­lons plus.

    Les diri­geants occi­den­taux, qui ont vécu toute leur vie à l’abri de la liber­té et de l’Etat de droit dont ils ont héri­té, devraient main­te­nant écou­ter ceux qui ont com­bat­tu pour la liber­té et qui sont à même, du fait de l’expérience de leur propre vie, de faire la dif­fé­rence entre l’Etat de droit (Rule of Law) et la volon­té d’un seul (Rule of Man). Ils doivent accep­ter que nous ne puis­sions pas sacri­fier au 21ème siècle la liber­té que nous nous sommes gagnée au 20ème.

    L’issue du com­bat pour ou contre le nou­vel empire bruxel­lois n’est pas encore tran­chée. Bruxelles semble tom­ber, mais une bonne par­tie des Etats-nations résiste encore. Si nous vou­lons conser­ver notre liber­té, l’Europe ne peut pas faire allé­geance au réseau Soros.

    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • Régis Debray, du romantisme de la révolution à la nostalgie de la nation, par Eugénie Bastié.

    Régis Debray. SERGE PICARD/Le Figaro Magazine

    L’écrivain et médiologue publie D’un siècle l’autre, une autobiographie intellectuelle qui rembobine son parcours, des geôles de Bolivie au jury Goncourt, en passant par la case Mitterrand. Rencontre avec un «anywhere» devenu «somewhere», sans jamais se renier.

    1.jpg« L’actualité, je m’en fous » ment-il, enfoncé dans un fauteuil club élimé, pantoufles aux pieds dans sa maison de campagne aux confins de l’Île-de-France. Au coin de la cheminée, Régis Debray feuillette un volume original, magnifiquement relié, de Psychologie de l’art, de Malraux. Dehors, pèse le ciel gris de l’automne, dans l’air flotte une odeur d’encens, sur son visage l’ombre d’une moustache rasée depuis longtemps. Il y a plus d’un point commun entre le romancier ministre de la Culture et l’intellectuel qui fut conseiller de Mitterrand: le goût de l’aventure, l’intérêt pour l’art comme médiation, la nostalgie de la transcendance, le tiers-mondisme, et le « gaullisme d’extrême gauche ». «Malraux et moi, on s’est manqué», soupire Debray.

    Il raconte cette rencontre ratée et bien d’autres, réussies, dans son nouveau livre, D’un siècle l’autre (Gallimard), sorte d’autobiographie intellectuelle où il rembobine son parcours, des bancs de Janson-de-Sailly, prestigieux lycée du 16e arrondissement, où étudia ce fils de bonne famille, au jury du Goncourt, où il siégea, de 2010 à 2015, en passant par la case prison en Bolivie, son bureau de conseiller à l’Élysée et ses travaux de médiologue. Il y raconte ses mentors, de Jacques Muglioni, un hussard noir de la République, à Althusser, le philosophe gardien de la doxa marxiste à l’École normale supérieure.

    « Ma génération a eu le privilège d’avoir vu mourir un monde et en naître un nouveau », écrit-il. Né en 1940, « l’année où Hitler visita la capitale un beau matin, salué par nos agents de police au garde-à-vous », Régis Debray, comme Chateaubriand, a vécu entre deux temps, mais s’il quitte avec regret le vieux rivage où il est né, il ne nage pas avec espérance vers la rive inconnue du nouveau monde. Boomer mélancolique ? Il est né trop tard pour être résistant, trop tôt pour jeter des cailloux aux CRS. Si la « pensée d’un homme est avant tout sa nostalgie » (Camus), la sienne ne porte pas sur le bon vieux temps du plein-emploi et des Trente Glorieuses, mais sur l’époque où « une thèse pouvait prendre dix ans de travail, une phrase, trois lignes, et une conférence, une heure et demie.»

    « D’un naturel confiné »

    Réac, Régis ? « Qui embrasse trop étroitement son temps n’en sortira pas vivant », écrit-il. N’aurait-il pas eu le parcours inverse de Victor Hugo, son maître ? Hugo eut une jeunesse romantique de droite, attaché au drapeau blanc de la monarchie pour finir sa vie en figure tutélaire de la IIIe République. Debray crut, à l’orée de sa vie, au romantisme de la révolution pour se convertir au gaullisme, à la nation, au goût de la terre et des morts. Ce ne fut pas l’exil de Guernesey, mais la prison en Bolivie, après le « chemin de Damas de l’engagement ». À 25 ans, alors que la jeunesse estudiantine mime la Révolution dans les rues de Paris, lui croupit dans une geôle bolivienne pour avoir participé à la guérilla aux côtés de Che Guevara. « Régis a risqué sa peau », relève son ami Jean-Pierre Chevènement, qui souligne le caractère déterminant de cette épreuve : « Il n’y a pas de destin pour qui le front n’a pas été nimbé du prestige des armes. Le bien-fondé du projet n’est pas l’essentiel mais la découverte de soi au fond d’un cachot, avec chaque matin un cliquetis qui pourrait bien être celui du peloton d’exécution.» Échapper à Mai 68 lui a évité bien des illusions, et des désillusions.

    Revenu en 1973 à Paris, il ralliera le candidat de l’union de la gauche François Mitterrand, heureux d’avoir pêché ce gros poisson marxiste, à tendance tiers-mondiste. L’ancien ministre Hubert Védrine, son ami de longue date, se souvient de leurs premiers pas communs à l’Élysée, où ils s’occupaient tous deux des relations internationales. Après un déjeuner, où ils avaient papoté avec Garcia Marquez, les jeunes gens s’étaient promenés dans le palais vide, à la recherche de bureaux. Debray est resté quatre ans auprès de Mitterrand. On lui doit notamment le lyrique discours de Mexico (1981), qui commence ainsi: « Aux fils de la révolution mexicaine, j’apporte le salut fraternel des fils de la révolution française ! » Le « seul discours que Mitterrand n’a pas retouché en quatorze ans », d’après Védrine.

    Debray, Chevènement, Védrine : ils forment un trio, celui d’une gauche gaullo-mitterandienne, qui n’a jamais cédé aux sirènes du gauchisme culturel, est restée intraitable sur la question de la laïcité et défend la souveraineté nationale. « Debray est aux antipodes d’une partie de la gauche qui a découvert son impuissance une fois au pouvoir et a évolué vers les questions sociétales. Régis n’est jamais tombé là-dedans », souligne Védrine. Une gauche d’avant l’écriture inclusive où l’on ne décrivait pas les succès d’une candidate à l’aune de sa couleur de peau. « En 1960, juger les individus d’après leur race, leur sexe et leur physique était le fait de l’extrême droite ; en 2020, c’est celui de l’extrême gauche », écrit-il, dans D’un siècle l’autre.

    Debray, c’est l’histoire d’un anywhere devenu somewhere, d’un là-bas devenu ici, avec tout de même une permanence, le souci d’être contre. S’il a changé, Debray ne s’est jamais renié. « Je n’ai pas trop à rougir quand je feuillette mes paperasses » : page 137 de son livre, il fait la liste de ses prédictions qui se sont réalisées. Entre autres : le retour en grâce de De Gaulle (À demain de Gaulle, 1989), de la frontière (Éloge des frontières, 2010) et du sacré (Jeunesse du sacré, 2012).

    « C’est dur d’avoir 20 ans en 2020», a dit le président de la République. «Et d’avoir 80 ans en 2020 ? », demande-t-on à Régis Debray alors que sa femme, Isabelle, nous fait des grands gestes pour nous alerter de la gaffe en cours. « J’ai 55 ans de ressenti », répond-il de sa voix chuintante et moqueuse, si caractéristique. « Nous sommes d’un naturel confiné, c’est pourquoi cette année n’a pas changé grand-chose à nos habitudes », dit-il. Le médiologue a une tablette, mais manie peu l’art du smartphone. Il se qualifie lui-même d’« illectronique ». «Pendant le premier confinement, Edgar Morin, qui, à 99 ans, est bien plus au fait que moi, m’a appris à me servir de Snapchat », confie-t-il, un brin ironique envers lui-même. « Facetime », corrige sa femme, avant qu’on ait eu le temps d’imaginer les deux vieux amis s’envoyer des selfies.

    Nous sommes quelques jours après la décapitation de Samuel Paty, professeur tué pour avoir enseigné la liberté d’expression en classe. « Profs, ne capitulons pas »: dans une célèbre tribune publiée après l’affaire du voile de Creil en 1989, Debray avait déjà inventé la formule « Munich de l’école républicaine », pour qualifier la démission de l’État face à l’entrisme islamiste. Il a également fait partie de la commission Stasi, chargée de la réflexion sur l’application du principe de laïcité. On lui doit notamment la distinction entre république et démocratie: « La démocratie, dirons-nous, c’est ce qui reste d’une république quand on éteint les Lumières ». On lui parle de l’ambiance du moment, du débat sur la laïcité à l’école. «C e que je pense du sujet ? Si notre civilisation doit se réclamer face au monde de la caricature, on est mal partis. Mais je ne peux pas vous dire ça comme ça. Je ne peux m’expliquer sur ce sujet qu’en 20 pages », balaye-t-il. L’écrivain, qui ne va jamais à la télévision, se dit paralysé, inhibé, intimidé par la puissance des réseaux sociaux, qui tronquent les propos et déclenchent une polémique sur la base d’une phrase isolée. « C’est un surmoi négatif qui oblige à être terne. Quand on a le goût de la bourrasque, c’est horrible de devoir passer entre les gouttes

    Alors Debray ne tweete pas, mais il écrit. Et les formules filent sous sa plume avec une facilité prodigieuse. « Il m’a appelé après le confinement, en me disant qu’il avait bien travaillé, ça m’a immédiatement fait tomber en dépression », raconte Alain Finkielkraut. « Il n’est pas tourmenté, il pense sur ses deux oreilles. Je l’envie pour sa prolixité », dit celui qui a toujours l’impression d’écrire son dernier livre. « Ne faites pas de moi un polygraphe », s’inquiète Régis Debray, qui a publié 60 essais et trois romans, dont un prix Femina (La neige brûle, 1977). Il tient à la dimension littéraire de son œuvre et ne voudrait pas qu’on le réduise à la catégorie aussi floue qu’étriquée d’« intellectuel ».

    Génie de la formule

    « Bien sûr que c’est d’abord un écrivain », dit de lui Bernard Pivot, qui l’a fait entrer au jury du Goncourt en 2010. Lui qui a refusé l’Académie française, charge à vie bien trop lourde, a accepté pendant quatre ans cette mission moins permanente mais plus chronophage. « Il fait partie des écrivains dont on reconnaît immédiatement le style, analyse l’ancien animateur d’« Apostrophes ». Un mélange de langage philosophique, une diversité extraordinaire de vocabulaire qu’il rompt avec des expressions populaires, des jeux de mots, comme “tout à l’ego”, l’un de ses préférés ».

    Son maître, l’écrivain Julien Gracq, lui reprochait son art trop consommé de la formule. Il est vrai qu’il a le génie si français de la maxime qu’il double d’une obsession pour le rythme ternaire (« thèse, antithèse et foutaise ») hérité de la matrice khâgneuse. Si sa famille intellectuelle s’enracine à gauche, sa généalogie littéraire puise à droite: pour le verbe, il descend des Hussards plus que de Sartre ou d’Aragon. « On écrit plus âpre, fouetté et charnu à droite qu’à gauche », reconnaît-il, définissant à demi-mot son propre style.

    Dans son salon rempli de livres (qu’il classe par thèmes), trône la sculpture de Jean-Louis Faure représentant Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir refusant de serrer la main à Arthur Koestler. Le couple avait repoussé le dissident soviétique par pur sectarisme stalinien. L’œuvre est intitulée : Bêtise de l’intelligence. Un travers que Debray ignore. « Je n’ai pas forcément les idées de mes amis, ni les amis de mes idées », aime-t-il à dire. Il peut dire du bien d’Éric Zemmour (« Qui dit des bêtises à la télé, mais est très intelligent ») et a voté Jean-Luc Mélenchon. Debray est un ton plutôt qu’un système. S’il a cru un jour à la politique, il se réfugie aujourd’hui dans les livres et dans le temps long de l’histoire, loin du bruit quotidien des polémiques et de la fureur du temps ininterrompu.

    « Régis a pris de l’altitude, constate Jean-Pierre Chevènement. Unir, transmettre, croire, l’élucidation de ces mystères l’occupent à plein temps. C’est la marque d’un esprit supérieur. » Il a gagné l’amplitude mentale de Victor Hugo, à qui il ressemble de plus en plus physiquement, et regarde avec une sorte d’animisme les fourmis et les nations se batailler sous le vent de l’histoire. Hubert Védrine se souvient d’une discussion il y a une quinzaine d’années, où l’écrivain lui disait : « Nous sommes comme dans l’an mil, des pères abbés se concentrant sur des enluminures dans un océan d’ignorance et de barbarie. De temps en temps, nous enfourchons un mulet pour nous rendre visite ». Il est heureux que le père Régis sorte de temps en temps de son cloître pour éclairer la nuit de notre temps. Alors, à demain, Debray ! 

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    D'un siècle l'autre

    Source : https://www.lefigaro.fr/vox/