Culture • Quand Alexandre Astruc dialoguait avec Pierre Builly pour Je Suis Français ...
Alexandre Astruc est mort le 19 mai dernier, il y a un mois ... En décembre 1981, il avait donné un long entretien au mensuel d'Action française Je Suis Français. Nous le reprenons aujourd'hui. Nous ne nous doutions pas, alors, qu'il était aussi proche de l'Action française, aussi lié aux milieux maurrassiens qu'on pourra - pour certains - le découvrir ici, dans ce dialogue avec Pierre Builly. Lafautearousseau
Je Suis Français : Alexandre Astruc, je ne vous connaissais, comme tout le monde, que pour être un cinéaste connu, un des Pères de la Nouvelle Vague, et puis, un jour, en lisant votre roman « Quand la chouette s’envole », je suis tombé sur une page qui m'a étonné, dans laquelle vous écriviez, en parlant de votre héros, « il n’avait jamais lu une ligne de Maurras mais, bizarrement, c'était toujours avec les maurrassiens qu’il s’entendait le mieux ». Ces lignes m'ont mis la puce à l’oreille : j'ai lu vos autres livres, j’y ai trouvé la même résonance, le même son, les mêmes tendances. Je ne sais si votre fascination - ou, peut-être, votre tendresse - pour Maurras est marquée d'une stricte orthodoxie mais, en tout cas, j’ai trouvé en vous lisant un personnage dont je ne savais pas qu'il était tel, mais qui était … intéressé ? amusé ? fasciné ? par la Monarchie.
Alexandre Astruc : Il s'est passé dans ma vie une chose extrêmement curieuse. J'ai été élevé dans un milieu de gauche : ma mère dirigeait un journal qui faisait partie des publications de Lucien Vogel, qui était le beau-père de Marie-Claude Vaillant-Couturier. Bizarrement, pendant l’occupation, je me suis mis à lire « Je suis partout » ; je n'adhérais évidemment pas aux idées de ce journal puisque je souhaitais ardemment la défaite de l’Allemagne. Un jour, en remontant la rue Soufflot, quelqu'un s'approche de moi et me dit : « Vous lisez Je Suis Partout ? ». Je lui réponds oui assez agressivement. Il me dit : « Nous sommes si peu ». Je lui indique qui il se trompe, que je ne suis pas un lecteur engagé. Je ne sais s'il m'a cru, mais cette petite aventure m'a marqué !
Qu'est-ce qui vous intéressait dans « Je Suis Partout » ? La qualité de ses rédacteurs, les idées qu'ils développaient ?
C'était d'abord la qualité littéraire - Brasillach. Rebatet - mais c'était aussi ... Comment dire ? La « forme » de gauche ne me séduit pas : je suis attiré vers la « forme » de droite. A la Libération, j’ai travaillé dans des journaux qui étaient — automatiquement — des journaux de gauche, comme « Combat ». On m'a envoyé couvrir le procès de Brasillach. J'ai été scandalisé, je l’ai dit et j’ai reçu une lettre d’Isorni qui m’a dit que Brasillach avait lu mon article dans sa cellule et qu'il me remerciait.
Aujourd'hui, quand je fais le point, je m'aperçois que les amis qui me restent sont tous des gens qui viennent du maurrassisme, comme Michel Déon. Jacques Laurent ou Roland Laudenbach, mon ami le plus cher.
En fait, mes réactions - que je ne peux justement pas dire ataviques — sont toujours des réactions classées à droite : j’ai réagi contre la perte de l’Indochine, contre la perte de l’Algérie ; je n'ai jamais été gaulliste. Actuellement, nous sommes dans un régime socialiste qui me fait peur. Vraiment, je réagis à droite.
Votre attitude est due au mélange d'un droitisme épidermique et d'amitiés maurrassiennes.
L'un et les autres sont évidemment liés. Mais je ne dois pas cacher qu'au cours de ma vie, j’ai eu, par moments, des attitudes d'extrême-gauche : lorsque Marcellin a interdit « La Cause du peuple », j'ai trouvé ça absurde et scandaleux. J’ai protesté dans la rue arec Sartre et je me suis fait arrêter — pour quelques heures.
Avez-vous « conceptualisé » - quel mot pédant – ces « pulsions » - quel mot idiot - ou êtes-vous resté au stade viscéral ? Comment pourrait-on définir en quelques mots votre attitude et votre pensée politique ?
Je pense que je suis un anarchiste de droite.
Comme beaucoup d’écrivains ou d'artistes que nous avons rencontrés !
Mais il faut que j'insiste sur le fait que, pour moi, la Révolution française n'est pas du tout positive.
Il y a plusieurs acceptions du terme « droite ». Pour reprendre les thèses de René Rémond, il y a la droite orléaniste — qu'on pourrait assimiler, aujourd'hui, au giscardisme - la droite bonapartiste — est-ce le chiraquisme ? — et la droite légitimiste — le royalisme.
J'hésite entre la droite légitimiste — dont je ne vois malheureusement pas comment elle pourrait accéder au pouvoir — et la droite orléaniste. J'ai soutenu Giscard et j’ai été atterré par son échec.
Avez-vous soutenu Giscard ou plutôt combattu Mitterrand ?
J'ai soutenu Giscard. Et j'ai été très choqué qu'une partie de la droite, dont mon ami Pierre Boutang, ait appelé à voter Mitterrand.
Autrement dit, non seulement Mitterrand vous apparaissait comme quelqu'un de très dangereux mais, de plus, vous aviez de la sympathie pour Giscard. L'homme Giscard ? Les idées défendues par Giscard ?
C’est difficile à démêler. J'ai une certaine sympathie pour l’homme, bien que je lui reproche beaucoup de choses, mais il y avait plus.
Nous vivons dans une République. Je ne pense pas que le retour à la Monarchie soit possible. Dans cette République, moi qui n'étais pas gaulliste, qui n'ai jamais été socialiste, ni communiste, j'ai rencontré dans le giscardisme quelque chose qui me convenait.
Plus que le chiraquisme ?
Chirac représente effectivement ce qu'on peut appeler la droite bonapartiste. Or je crois que le bonapartisme conduit automatiquement au fascisme, à la tyrannie. Tocqueville dit très bien cela. Je ne crois pas à l’égalité. Je crois à la liberté, qui était certainement plus protégée sous la Monarchie qu'elle ne l’est dans un régime issu du suffrage universel.
Changeons de sujet. Je voudrais vous poser une question plus directement en rapport avec votre notoriété : vous n’avez plus tourné de films de cinéma depuis 1968. Est-ce là une décision ou un état de fait ?
Ce n’est pas une décision. Faire un film est très difficile, vous savez ! J'ai eu la chance de faire un premier film, « Le Rideau Cramoisi » qui a eu un très grand succès de prestige. J'ai fait d'autres films qui ont eu un succès d'estime, mais dont aucun n'a réellement marché, et je me suis trouvé en face d'un vide : ayant du mal à faire un film, je me suis mis à écrire, chose à laquelle j'ai toujours pensé.
Votre premier roman est d'ailleurs antérieur à votre premier film.
Oui, mon premier livre date de 1945 et s'appelle « Les vacances ». Mais — nous quittons là complètement la politique — je me suis aperçu que j’étais trop jeune pour écrire, qu'il fallait que j'attende. Bernanos dit qu'on ne peut pas écrire avant 40 ans. Cet ainsi que pour moi c’est venu. J’ai commenté à rédiger « Ciel de cendres »...
Qui a obtenu le Prix Roger Nimier. Mais vous avez tout de même continué à tourner, sinon pour le cinéma, du moins pour la télévision. Avez-vous rencontré dans ce domaine plus de facilités matérielles ?
C'est un engrenage. J'avais envie de faire un « Louis XVI » — c'est certainement un penchant monarchiste — et j'ai proposé cette idée à Marcel Jullian, qui l’a acceptée. Puis, sur la lancée, j'ai fait plusieurs autres choses.
Votre désengagement du cinéma ne concerne-t-il que vous ? Quelles sont les possibilités de créations d'un cinéaste français par rapport aux multinationales du cinéma ?
Quand on voit le nombre de films de jeunes metteurs en scène qui sortent, on ne peut pas dire que le cinéma français soit étouffé par les multinationales.
Sans doute. Mais vous faisiez un cinéma particulièrement français. Le fait même d'avoir adapté « Le rideau cramoisi », puis « Une vie » ou « L'Education sentimentale », c'est-à-dire de vous être référé à Barbey d'Aurevilly à Maupassant ou à Flaubert, d'avoir choisi des œuvres imposantes de notre littérature me parait une réaction très particulière. D'autres auteurs vont aller choisir des thèmes très cosmopolites — le roman policier, par exemple - qui peuvent se tourner pratiquement partout. Puis, vous avez été un créateur d'école, avec la caméra-stylo. La Nouvelle Vague...
Il est certain que, lorsque j’ai décidé de faire du cinéma, automatiquement et tout naturellement, je me suis tourné vers la littérature française.
Par goût, mais aussi, sans doute, parce que vous étiez Français.
Oui, c'est vrai. A un moment, je me suis demandé si je n'allais pas essayer d'émigrer aux Etats-Unis. Je ne pense pas que ce soit pour moi possible. Je crois que je suis —bizarrement — trop français.
Vous avez tourné Louis XI pour la télévision. Si vous alliez voir un producteur de cinéma en lui proposant un tel sujet, il ne marcherait pas. Or, la télévision l'accepte. Le cinéma permet-il aujourd'hui à un créateur de faire une œuvre profondément enracinée ?
Désormais, il faut faire des films à bon marché et prendre des sujets « dans le vent ». Tout ça ne me dit rien.
Vous êtes plus ambitieux.
C'est vrai. Mais attention ! J'ai la plus grande admiration — et sur ce point je suis en désaccord avec la pensée de droite — pour l'Amérique et le cinéma américain.
Je ne vous cache pas que, dans nos colonnes, nous écrivons volontiers que si l’URSS est l’ennemi n°1, les Etats-Unis sont l'ennemi n°1 bis — on pourrait même intervertir cet ordre. Pour nous, le plus grand danger est la dépersonnalisation, l'homogénéisation du monde, le règne des Mc Donald's, du Coca-Cola et de la planche à roulettes.
C'est une discussion que j'ai déjà eue avec des royalistes. Pour moi, on ne peut mettre en balance le danger soviétique et le danger américain. Je crois que c'est absurde. Il y a d'un côté un danger réel, absolu, un danger de colonisation complète de notre territoire, un danger d’asservissement, et de l'autre côté, quelque chose qui se traduit dans des manières d'être sans doute agaçantes, mais finalement peu graves. J'irai plus loin : je trouve malhonnête de comparer les deux dangers.
Nous pensons que l’impérialisme culturel américain a une très lourde part de responsabilité. Il est évident que ce que nous reprochons aux Etats-Unis n'est pas d'être les Etats-Unis, bien au contraire ; ce n'est pas d'avoir inventé le western, d'avoir Faulkner, Steinbeck ou Hemingway, Dos Passas, Lovecraft ou Edgar Poe. Ce que nous reprochons, c'est le cosmopolitisme exporté — qu’ils le veuillent ou non — par les Américains. Car l'Amérique ne nous exporte pas Faulkner, mais la drogue, les sectes et la musique pop.
Je crois que c’est là un petit bout du problème. J'adore l'Amérique et les Américains. Vous ne me convaincrez pas !
Alors, abordons un autre thème. Dans vos livres, vous mettez dans la bouche d'Hector, un de vos héros favoris, ancien camelot du Roi, un peu cagoulard, giraudiste et antigaulliste, des paroles sur lesquelles je voudrais avoir votre sentiment : « les Allemands se trouveront muselés, mis en état de liberté surveillée, enserrés dans un réseau d'alliances et de traités militaires qui leur ôteront l'envie de recommencer de jouer les guignols. Enfin, il faut faire l'Europe ». C'est la conclusion d'Hector. Est-ce également la vôtre ?
Si vous me demandez quel est le plus grand danger que court l'Occident, je répondrai que c'est la réunification de l'Allemagne avec la bénédiction russe.
Nous sommes entièrement d'accord sur ce point-là !
La pensée d'Hector, qui est de réarmer l'Allemagne, s'inscrit dans cette obsession.
Vous parait-il absolument nécessaire que ! Allemagne devienne une alliée privilégiée, mais tellement enserrée dans des traités qu'elle ne puisse se réunifie