Front Populaire : Qu’avez-vous pensé de l’allocution d’Emmanuel Macron du 12 juillet ?
Jacques Sapir : Il y avait plusieurs éléments, imbriqués l’un dans l’autre, dans cette allocution. Bien entendu, ce que l’on a le plus retenu c’est le volet sanitaire. Effectivement, dans ce volet il y a eu l’annonce de l’obligation de vaccination pour les soignants, mais aussi le durcissement des conditions d’application du « pass sanitaire ». Cela équivalait à déclarer la vaccination quasi-obligatoire en France.
C’est évidemment un point important, alors que l’on voit bien que dans certaines régions de France, mais aussi à l’étranger, la pandémie repart du fait de l’émergence d’un « variant » qui est beaucoup plus contagieux que le précédent. Ainsi, dans les Pyrénées-Orientales, le taux d’incidence pour les 20-29 ans est passé de 16/100 000 pour la dernière semaine de juin à 185 pour la première semaine de juillet puis à 783 pour la deuxième semaine de juillet.
Sur Paris, on est passé de 51 à 138, puis à 212. On le voit, un mouvement assez général dont l’épicentre se situe chez les jeunes, 20-29 ans et 10-19 ans, mais qui menace de s’étendre aux groupes plus âgés. Le R0, qui indique le mouvement épidémique, et qui était passé sous 1 à la fin avril, et qui avait même atteint 0,66 fin juin, était remonté au-dessus de 1,2 avant l’allocution et devait atteindre au 18 juillet à 1,41 [1]. Il est clair que l’épidémie repart, et fortement.
Mais, il y avait aussi d’autres choses dans cette allocution. Il y avait une partie, courte, dédiée à la sécurité. Il y avait aussi une partie, nettement plus fournie, portant sur l’économie. Cette partie n’est pas moins importante. Elle contenait, d’une part, une défense du « quoi qu’il en coûte », qui avait été proclamé par Emmanuel Macron en mars 2020, avec implicitement ce message : nous avons fait mieux que les autres. Ensuite, on trouvait un retour aux fondamentaux du macronisme avec le retour des réformes, celle de l’assurance chômage et celle des retraites, même si elle était temporairement repoussée.
Et puis, nous avons eu droit, aussi, à un véritable couplet souverainiste, sur la nécessité de reconstruire la souveraineté économique de la France et sur la nécessité d’assurer sa ré-industrialisation. Le tout fait un curieux mélange. Alors, Il est clair que ce mélange doit beaucoup à la campagne électorale, qui a été lancée par cette allocution. Et ce mélange contribue à brouiller le message sanitaire. Emmanuel Macron n’a pas joué honnêtement sur ce coup là, au risque donc de provoquer des réactions négatives sur le volet sanitaire, un volet que l’on peut d’ailleurs approuver.
FP : Vous semblez être en accord avec les mesures sanitaires proposées par le président de la République. Comment peut-on prendre au sérieux quelqu’un d’aussi illégitime qui a tant louvoyé et menti ?
JS : Oui, c’est vrai, ce pouvoir a beaucoup menti. On se rappelle l’épisode des masques, dont on a commencé à nous dire qu’ils n’étaient pas nécessaires pour la population avant de les rendre obligatoires. On se rappelle aussi l’invitation à sortir le soir, proférée au début de mars 2020, une semaine avant que ne soit annoncé le confinement. On se rappelle encore les changements de position sur les frontières, d’abord présentées comme inutiles – rappelons nous l’inénarrable « les virus n’ont pas de passeport » avant que l’on ne décrète, mais bien trop tard et de manière peu convaincante, leur fermeture.
Tout comme on se souvient des palinodies sur la vaccination, sur les vaccinodromes, d’abord inutiles puis nécessaires, sur la vaccination devant se faire dans le même lieu pour les deux doses avant que l’on ne se rende compte qu’elle pouvait se faire partout. Et l’on ne parle même pas de la non-préparation du pays à une épidémie de cette ampleur, point sur lequel Macron n’est pas seul responsable ; Sarkozy puis Hollande ont démantelé les stocks stratégiques, en particulier les masques, et durablement affaibli l’hôpital public.
Il n’en reste pas moins que, dans ses trois premières années de mandat, Emmanuel Macron n’a rien fait, en dépit des avertissements de certains - dont Jérôme Salomon - pour corriger une trajectoire qui nous a conduit à la catastrophe. Alors, oui, ce gouvernement et ce Président ont menti, louvoyé, décrédibilisé la parole publique comme peu l’avaient fait avant eux, c’est une affaire entendue.
Est-ce autant une raison pour ne pas l’écouter quand il dit quelque chose de juste ? Une vieille anecdote que j’ai vécue lors d’un voyage en URSS en 1988 me revient à l’esprit. J’avais été affecté au laboratoire d’économie mathématique de Nikolaï Petrakov. Ce dernier se refusait de croire que, dans la France de l’époque, il puisse y avoir du chômage en me disant : « mais, vos propos sont les mêmes que ceux que tiennent les organes de presse de notre gouvernement. Comme ce dernier ne cesse de nous mentir, il ne peut en être ainsi… » [2]. Et pourtant, il en était bien ainsi…
C’est un réflexe très français que celui qui consiste à penser que tout ce qui peut provenir d’un pouvoir haïssable est nécessairement haïssable, qui consiste à penser que l’ennemi politique ne peut sur aucun point avoir raison. Pourtant, même si Adolph Hitler, et Emmanuel Macron n’est en rien comparable ni à Hitler ni à Mussolini, revenu des enfers, me disait par un beau jour de printemps que le soleil brille, serai-je obligé d’affirmer qu’il pleut à verse et que nous sommes au fin fond de l’hiver pour ne jamais lui donner raison ? Au delà, si un pouvoir haïssable vous dit de faire quelque chose pour votre bien, faut-il le refuser parce que ce pouvoir est, à juste raison, haïssable ? N’est-ce pas adopter l’attitude d’un petit enfant, avant ce que l’on nomme justement l’âge de raison, que d’agir de la sorte ?
De fait, peu me chaud de connaître les tréfonds ténébreux de la pensée du Président. Lénine, en 1914, disait aux ouvriers et paysans de Russie « prolétaire, la bourgeoisie te donne un fusil ? Prends le ! ». Aujourd’hui, paraphrasant Lénine, on pourrait dire « français, Macron te propose un vaccin ? Prends le ! ». Car la vaccination apparaît aujourd’hui comme la seule manière de retrouver une vie collective, y compris d’ailleurs des luttes collectives, dans le contexte d’une épidémie.
Alors, bien sur, il y a les mesures d’incitation forte, comme le passe sanitaire qui deviendra dans les semaines à venir obligatoire. Mais, face à une épidémie, nous savons bien que seule une vaccination généralisée peut tout à la fois protéger le plus de monde et réduire le plus possible la circulation du virus. Car, il n’est pas neutre que ce dernier circule avec 100 contaminations/jours, 1000, 10 000 voire 100 000. Naturellement, il eut été préférable que Macron agisse avec plus de clarté, et déclare que cette vaccination deviendrait obligatoire comme le sont déjà de nombreuses autres. Il eut été préférable qu’il dise que le pass sanitaire avait pour fonction de contraindre. Il eut été préférable qu’il n’en exempte pas la police, créant sur ce point un juste malaise. Mais quoi, attendiez vous du renard les mœurs du lion, comme l’avait dit Victor Hugo ?
On se doute bien que la santé des français n’était pas son seul objectif. On imagine qu’il pense à sa réélection et veut éviter un nouveau confinement qui, probablement, sonnerait le glas de ses ambitions. On devine qu’il pense à la Présidence tournante de l’Union européenne qu’il prendra, pour six mois, le 1erjanvier prochain. Si la France est toujours à la traine pour les vaccinations, dépassée qu’elle est aujourd’hui par l’Allemagne, la Belgique, l’Italie et l’Espagne, devancée par le Royaume-Uni fort de son Brexit, quelle honte pour lui dans les réunions européennes.
Oui, il y a plein de mauvaises raisons derrière les décisions d’Emmanuel Macron, plein de pensées obscures et de calculs politiciens. Mais ces décisions restent médicalement justes et socialement bonnes. Il faudrait être fou pour ne pas l’admettre.
FP : Existe-t-il des arguments imparables en faveur de la vaccination ?
JS : Les seuls arguments « imparables », en supposant que l’interlocuteur accepte de rester dans le cadre d’une logique rationnelle, consistent à dire les choses comme elles sont. Car, face à une personne ayant basculée dans l’irrationalité, il n’y a pas d’arguments susceptibles de convaincre. On est face à une personne qui vous expliquera que 2 + 2 = 5 et qu’il y a un complot international pour prétendre que 2 + 2 = 4.
Il faut tout d’abord faire un bilan de la situation. La Covid-19 n’est certes pas, et c’est heureux, la peste ou Ebola. Mais, avec 90 000 morts sur 12 mois (en France), elle a plus tué que la grippe, entre 6 et 30 fois plus. De plus, elle produit des séquelles graves sur les personnes jeunes, ce que l’on appelle la « covid-long », qui toucherait environ 100 000 autres personnes.
Les personnes qui cherchent à minimiser la létalité et la dangerosité de cette maladie sont des irresponsables. C’est une maladie très contagieuse, les chiffres de remontée des contaminations en France depuis début juillet en témoignent, et c’est ce qui explique que l’on parle d’épidémie et de pandémie. Le défi n’est donc pas seulement d’éviter de nouvelles victimes, une multiplication des séquelles invalidantes, mais de réduire aussi, autant qu’il est possible, la circulation du virus.
Quelles sont nos armes ? Les traitements en cours ne semblent pas efficaces. L’étude qui semblait montrer une certaine efficacité à l’Ivermectine a été retirée sur des soupçons de fraude [3]. On doit donc reconnaître qu’il n’existe pas d’alternatives aux vaccins (et non « le » vaccin comme le disent les antivax de tout poil).
Ces vaccins, qu’il s’agisse de BioNTech-Pfizer, de Moderna, d’AstraZeneca, de Jansen, de Sputnik-V ou de Sinovac ou Novavax, font appels à des techniques différentes, mais aussi à des processus industriels différents qui ne sont pas assimilables à un « Big Pharma » mythique [4] : Arn-messager (BioNTech-Pfizer, Moderna), adénovirus recombinant (vecteur viral) pour Astra Zeneca, Jansen et Sputnik-V (deux adénovirus pour ce dernier, lui conférant une efficacité proche des vaccins à Arn messager [5]), sous-unités protéique (Novavax), virus inactivé (Sinovac). Ils ont, cependant, des caractéristiques proches (sauf pour Sinovac qui semble moins efficace) :
- Une protection contre l’apparition de la maladie allant de 87% à 93% (2 doses) pour le variant britannique à 78-84% pour le variant indien. Cette protection cependant tombe fortement pour les personnes n’ayant reçu qu’une dose (46-60% pour le variant britannique, 32-38% pour le variant indien). Cela explique probablement les fortes contaminations de personnes vaccinées mais n’ayant reçu qu’une dose en Israël et au Royaume-Uni.
- Une protection contre les formes nécessitant une hospitalisation qui est bien meilleure, de 80% à 99% pour le variant britannique (2 doses) et de 91% à 98% pour le variant indien (2 doses). Les vaccins à Arn-messager et Sputnik-V, du fait de son utilisation de 2 adénovirus différents, obtiennent semble-t-il les meilleurs résultats, même si dans certains cas la réussite du vaccin Astra Zeneca, massivement utilisé en Grande-Bretagne s’en rapproche.
- Une faible fréquence des effets secondaires graves. Les effets signalés en France sont de l’ordre de 1028 pour un million. Les décès suspects, mais non nécessairement attribués à la vaccination, car sur un effectif se comptant en dizaines de millions il est évident que l’on aura de nombreux cas de coïncidences, sont estimés au niveau de l’UE à 75 pour un million. Dans le cas de la France, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament a comptabilisé 959 décès après plus de 53,4 millions d’injections, soit une fréquence de 18 pour un million. Ceci est à comparer avec le taux de décès pour cause de Covid qui est actuellement en France d’environ 1700 pour un million soit 68 fois plus important. Même pour les 20-29 ans, la fréquence des décès dus à la Covid-19 est supérieure.
- Pour ce qui concerne les vaccins à Arn messagers, rappelons que cette technique est connue depuis près de trente ans et expérimentée depuis près de vingt, testée depuis plus de douze (contre le virus de la fièvre Ebola en particulier). Les effets à long-terme des vaccins, que certains rapprochent des catastrophes induites par certains médicaments, comme le Mediator, ne sauraient être comparables. Il n’y a rien de commun entre deux injections, voire trois pour les plus fragiles, où l’ARN messager se détruit en quelques heures, et l’accumulation dans l’organisme de substances prises tous les jours sur une durée de plusieurs semaines.
On voit que seule une vaccination massive peut à la fois réduire très fortement les cas graves mais aussi limiter la circulation du virus, protégeant ainsi les personnes dont le système immunitaire est affaibli (que ce soit par l’âge ou par des traitements spécifiques) et réduisant le risque d’apparition de nouveaux variants potentiellement plus dangereux et plus contagieux que le variant anglais. La très forte contagiosité du variant indien rend probablement une immunité collective parfaite inatteignable. Mais, une forte réduction de la circulation du virus rendrait le risque subi par les personnes à système immunitaire faiblissant ou déprimé entièrement gérable et réduirait significativement le risque d’apparition de nouveaux variant.
FP : Peut-on être favorable à la vaccination et opposé au passe sanitaire ? Et comprenez-vous qu’on puisse voir dans l’extension du passe sanitaire une remise en cause de notre modèle de société ?
JS : En théorie, on peut entendre cet argument. Ceux qui disent que Macron et le gouvernement auraient dû rendre la vaccination obligatoire n’ont pas tort. Je le pense aussi. Mais, prétendre que le passe sanitaire constituerait un changement radical est faux.
Il existe déjà, outre les obligations vaccinales pour les enfants, des règles rendant un vaccin spécifique obligatoire pour certaines professions (à l’éducation nationale, dans le milieu hospitalier) ou pour se déplacer dans certaines régions (cas du vaccin contre la fièvre jaune). Le passe sanitaire n’est donc pas une innovation. Sous d’autres noms, c’était déjà une pratique existante en France depuis des décennies.
Constitue-t-il une forme de ségrégation ? On a entendu bien des choses grotesques sur ce point, allant de l’« apartheid » à une comparaison odieuse avec l’étoile jaune. Un noir pouvait-il éviter l’apartheid par sa décision ? Un juif pouvait-il éviter l’étoile jaune par sa décision ? Ce qui caractérise les ségrégations réelles c’est qu’elles s’appuient sur une caractéristique de la personne que cette personne ne peut changer. Le passe, quant à lui, vous donne le choix entre être vacciné ou faire un test PCR. De plus, pour l’instant, ce choix est totalement gratuit. On ne parle de dé-rembourser les tests PCR (et la
© Collection particulière
Photomontage d'Eugène Appert mettant en scène l'exécution des otages lors de la semaine sanglante de la Commune de Paris.
Après l’exécution de Mgr Darboy et de ses cinq compagnons, la Commune de Paris est emportée par sa folie meurtrière. Ce seront les tueries des 25 et 26 mai avenue d’Italie et rue Haxo, où meurent dans la confusion mais dignement seize autres prêtres et religieux, avec une quarantaine d’otages. (3/3)
Dans quelques jours, les troupes versaillaises auront repris Paris. Adolphe Thiers avait eu la possibilité de sauver l’archevêque de Paris et 74 autres otages avec lui en les échangeant contre Auguste Blanqui, mais s’en était bien gardé. Il fera donner à Mgr Darboy des obsèques nationales solennelles. Pour l’heure, l’annonce de l’assassinat de l’archevêque est pain bénit. Maintenant, les Communards n’ont plus de pitié à attendre ; ils sont tous voués à la mort, les vrais coupables comme les innocents, les idéalistes comme les assassins.
Les communards s’entretuent
Cette certitude exacerbe la colère des dirigeants extrémistes et celle d’une base militante peu nombreuse mais qui fait régner la terreur dans des quartiers entiers. En certains endroits, des fédérés qui, par humanité, refusent d’obéir à des ordres d’une cruauté insensée, sont abattus sur place par leurs camarades. C’est le cas de la Barrière d’Enfer où un officier communard, comprenant l’impossibilité pour les Filles de la Charité d’évacuer en moins d’une heure la pouponnière et l’orphelinat qu’elles dirigent là, qui accueillent nouveaux-nés et enfants infirmes, ne se résolvant pas à sacrifier les 700 petits de l’établissement, renonce à le faire sauter, et, du même coup, sape les défenses de ce faubourg, crime qui lui vaut d’être aussitôt fusillé pour haute trahison. Ce genre d’exemples, et ils se multiplient en cette semaine sanglante de la fin mai, donne à réfléchir et même ceux qui désapprouvent les violences de leurs camarades n’osent plus le dire… Ainsi s’expliqueront les tueries du 25 mai avenue d’Italie et du 27 rue Haxo.
Au cours du siège, l’école Saint-Albert-le-Grand d’Arcueil, tenue par des dominicains et des dominicaines, a servi d’ambulance. Elle l’est restée maintenant que Paris insurgé est sous le feu des troupes versaillaises qui bombardent la capitale et y font de nombreux blessés. On devrait savoir gré aux religieux de leur aide. Ce n’est pas le cas. Le quartier est sous la coupe d’un certain Serizier, membre fondateur de l’Internationale, anticlérical, et brute alcoolique que même ses adjoints craignent. Le bonhomme a mis le XIIIe arrondissement en coupe réglée. Il veut la peau des dominicains d’Arcueil et ne s’en cache pas, répétant à qui veut l’entendre : « Tous ces curés-là ne sont bons qu’à être brûlés ! »
Un subterfuge, de sinistre mémoire
Les accusations délirantes de la presse communarde concernant les prétendus « crimes » du clergé permettent à travers tout Paris perquisitions et visites domiciliaires dans les sanctuaires et les presbytères. À défaut de cadavres, dont les extrémistes ont compris qu’ils ne trouveraient pas trace, reste, et c’est bien plus sûr, l’accusation de trahison, et celle, récurrente car elle sert depuis la révolution de 1830, de l’existence de caches d’armes destinées aux ennemis du peuple dans les maisons religieuses. On dit aussi qu’il existerait des passages secrets et des souterrains qui, creusés sous la capitale, permettraient d’en sortir et communiquer avec les Versaillais. Pur délire mais il se trouve des gens pour y croire.
L’existence de tels passages justifie la fouille de Saint-Albert-d’Arcueil, l’établissement se trouvant relativement proche des lignes gouvernementales. Bien entendu, Serizier et ses sbires ne découvrent ni armes ni passages secrets mais, avec l’aide de quelques faux témoins, ils affirment que les dominicains font des signaux de fumée aux Versaillais depuis leur jardin. Il n’en faut pas davantage pour justifier l’incarcération de toutes les personnes présentes dans la maison. Le 19 mai, cinq religieuses, cinq femmes employées comme domestiques, l’enfant de l’une d’entre elles sont arrêtés et conduits à la Conciergerie. On emmène également 22 hommes adultes, religieux et laïcs, et neuf grands élèves, tous conduits à Bicêtre. Ils en sont extraits le 25 mai, alors que les dernières barricades du quartier menacent de tomber au pouvoir des gouvernementaux.
Après s’être largement signé, le religieux se retourne vers ses compagnons et leur dit en souriant : « Pour le Bon Dieu, mes amis ! »
Tandis qu’on les entraîne vers la place d’Italie, siège du pouvoir communard de l’arrondissement, en leur affirmant qu’ils vont être libérés, l’un des dominicains, le père Rousselin, saisi d’un mauvais pressentiment, réussit à se détacher du convoi de prisonniers, et, avec la complicité de commerçants et riverains qui lui donnent des vêtements pour cacher sa robe et un grand chapeau pour dissimuler son visage, se perd dans la foule. Les autres, confiants, sont arrivés place d’Italie. On les fait entrer dans la mairie. Dehors, des excités hurlent : « À mort les calotins ! » Un semblant de commission qui fait mine de siéger leur affirme qu’ils sont libres. Il convient seulement, par précaution, de les faire sortir un à un. Un subterfuge du même genre, de sinistre mémoire, a déjà servi, les 2 et 3 septembre 1792, lors des grands massacres des prisons parisiennes, à envoyer à la mort des gens qui, convaincus de ne rien risquer, ne se rebiffaient pas contre leur sort… C’est, en fait, à une réédition de ces événements que l’on assiste en cette fin mai à Paris.
Tirés comme des lapins
Poussé vers la sortie, le prieur, le père Raphaël Captier, en arrivant sur le seuil et voyant au dehors des hommes qui épaulent leurs fusils, comprend ce qui les attend. Après s’être largement signé, le religieux se retourne vers ses compagnons et leur dit en souriant : « Pour le Bon Dieu, mes amis ! » À peine est-il dehors qu’on lui tire dessus. Les pères Henri Cotrault, Pie-Marie Chatagnaret, Thomas Bourard et Constant Delhorme sont à leur tour précipités dans la rue et sont, selon les mots des témoins, « coursés et tirés comme des lapins ». Le personnel laïc de l’école connaît le même sort : Antoine Gauquelin, professeur de mathématiques, Hermand Voland, surveillant, Sébastien Dintroz, infirmier, Joseph Petit, qui, à 22 ans, sera le plus jeune des martyrs, économe-adjoint, les domestiques Aimé Gros, Joseph Cheminal, Antoine Marcé sont abattus les uns après les autres.
Dans quelques jours, le quartier libéré, les corps des religieux seront ramenés à Saint-Albert pour y être enterrés dans la chapelle. Le père Rousselin portera, quant à lui, la « flétrissure » de son évasion le restant de ses jours, objet des moqueries impitoyables des élèves, incapables d’admettre qu’il se soit soustrait au martyre… Pour sordide qu’elle soit, la fin des dominicains d’Arcueil et de leur personnel n’est rien en comparaison du calvaire qui attend d’autres otages détenus à La Roquette.
Un nom à se faire couper le cou
En milieu de journée, le 26 mai, ordre est donné aux gardiens de la prison de livrer aux fédérés qui se présentent aux guichets soixante prisonniers. Le directeur de La Roquette parlemente et parvient à ramener la liste fatale à cinquante noms. Dans le désordre du moment, nul ne comprend comment le choix s’opère, sinon peut-être en fonction de haines personnelles ou de partis pris. 39 otages sont des militaires, dix des ecclésiastiques. Il y a parmi ceux-là trois jésuites de la maison de la rue de Sèvres, les pères Anatole de Bengy, Jean Caubert et Pierre Olivaint. À l’instar des pères Clerc et Ducoudray, leurs confrères de Sainte-Geneviève, fusillés l’avant-veille avec Mgr Darboy, ils incarnent pour la gauche anticléricale et maçonnique un catholicisme de combat, contrerévolutionnaire, avec lequel il faut en finir une fois pour toutes. Lors de leur incarcération, on les a inscrits comme « serviteurs d’un nommé Dieu, en état de vagabondage », ce qui pourrait être une plaisanterie de mauvais goût si l’on n’avait ajouté ce chef d’accusation plus grave : « complices des Versaillais ». Le nom à particule du père de Bengy a excité l’ire des fédérés : « Ça, c’est un nom à se faire couper le cou ! » Le jésuite réplique : « On ne tue pas les gens pour leur nom… » En quoi il se trompe. Comme il décline son âge, 47 ans, un autre siffle : « Ben mon vieux, t’as bien assez vécu comme cela ! »
Pierre Olivaint ne porte pas un patronyme aristocratique mais il existe contre lui d’autres charges. Encore étudiant, il a été, au côté de Frédéric Ozanam, l’un des fondateurs de la Conférence Saint-Vincent-de-Paul et ce rôle d’évangélisateur des quartiers populaires fait enrager les « sans Dieu », tout comme ses succès de prédicateur, l’un des plus talentueux de la Compagnie de Jésus. Cela mérite la mort. Quant au père Caubert, être un fils de saint Ignace suffit à le condamner.
L’homme à abattre : le père Henri Planchat
Le père Henri Planchat, premier prêtre de la jeune congrégation des religieux de saint Vincent de Paul, lui aussi proche d’Ozanam, s’est, depuis son ordination, en 1850, voué à rechristianiser les milieux populaires, d’abord dans les faubourgs de Grenelle et Javel, puis au milieu des immigrés italiens, rappelant à temps et à contretemps à des gens qui, parfois ne le savent même pas, « qu’il existe un Dieu ». Démuni, tout donné à Dieu, il est devenu une figure populaire et aimée. On ne compte plus les conversions qu’il a obtenues, les couples illégitimes qu’il a mariés, les enfants et adultes qu’il a baptisés. Cet apostolat de « la canaille » a contrarié le clergé diocésain qui a multiplié les attaques venimeuses à son encontre, au point que son supérieur, Léon Le Prévost, a dû, un temps, l’éloigner de Paris afin de le soustraire aux calomnies. Nommé directeur d’un orphelinat à Arras, Henri Planchat a regagné la capitale pour prendre en main le patronage Sainte-Anne-de-Charonne, qui s’occupe des jeunes apprentis, dans un esprit proche des œuvres salésiennes de Jean Bosco à Turin. Toujours préoccupé par le sort des ouvriers transalpins, il a fondé une association qui deviendra la Mission italienne.
Planchat est un homme à abattre. On l’a déjà tenté pendant le siège de Paris, en cherchant à l’intimider pour l’amener à cesser son aide aux pauvres, aux malades, aux blessés.
Si son dévouement inépuisable le fait aimer, il lui vaut aussi la haine de ceux aux yeux desquels un vrai prêtre constitue le plus redoutable obstacle à la déchristianisation orchestrée des masses prolétaires. Planchat est un homme à abattre. On l’a déjà tenté pendant le siège de Paris, en cherchant à l’intimider pour l’amener à cesser son aide aux pauvres, aux malades, aux blessés. À la fin de leur entretien, l’officier chargé de l’effrayer est tombé à genoux et s’est confessé, puis il est revenu demander le mariage religieux… C’est bien la preuve que le personnage est dangereux ! Début avril 1871, son nom était en tête de liste pour les arrestations d’otages mais l’on n’a pas trouvé de volontaires pour se charger de la besogne. En désespoir de cause, la Commune a proposé cinq francs à un chômeur père de famille s’il arrêtait le cureton. Indigné, l’ouvrier a rétorqué : « Cinq francs pour arrêter l’homme qui, hier, alors qu’il ne me connaissait pas, est venu m’en donner vingt pour payer mon loyer ! Non, ce n’est pas mon affaire. »
Il refuse d’abandonner les pauvres
On ira chercher ailleurs des militants pour faire le travail. Prévenu de sa prochaine incarcération par des amis qu’il compte à la mairie, le père Planchat a refusé d’abandonner ses pauvres et ses gamins. Il a seulement éloigné son assistant, le jeune père de Broglie, parce qu’il porte, lui aussi, « un nom à se faire couper le cou ».
« Avez-vous rencontré dans Paris un petit prêtre à la soutane râpée, aux souliers troués, très pauvre parce qu’il donne tout ? Si vous l’avez rencontré, citoyen, c’est mon fils ! »
Le 6 avril, en dépit des protestations des femmes du quartier qui demandent la liberté de « celui qui nourrit leurs enfants », Henri Planchat est incarcéré à Mazas. Il possède des réseaux, agissants, qui vont se démener pour le faire libérer. En vain… Ni les démarches de sa mère, qui fait le tour des responsables communards, répétant : « Avez-vous rencontré dans Paris un petit prêtre à la soutane râpée, aux souliers troués, très pauvre parce qu’il donne tout ? Si vous l’avez rencontré, citoyen, c’est mon fils ! » Ni les pétitions, qui, pourtant, feront libérer quelques prêtres, ni les sollicitations d’un apprenti du patronage, le petit Hurbec, qui se prive pour chaque jour apporter à manger à son bienfaiteur, dédaigne les coups, menaces, insultes, rétorquant crânement qu’il est « normal qu’il nourrisse quelques jours l’homme qui le nourrit depuis des années », ne permettront l’élargissement de ce redoutable « ennemi de l’humanité »… Lors du transfert de Mazas à La Roquette, le père Planchat a eu la joie de se retrouver dans la même voiture que son ami de jeunesse, le père Olivaint. Les deux religieux se sont mutuellement confessés et exhortés à la mort.
Le courage du séminariste Paul Seigneret
En cellule à La Roquette, Henri Planchat s’est lié d’amitié avec le prisonnier de la cellule voisine, l’abbé Paul Seigneret, l’un des séminaristes de Saint-Sulpice. Âgé de 25 ans, né à Angers, le jeune homme a dû renoncer à la vie monastique et quitter Solesmes en raison d’ennuis de santé. Non sans difficultés, il est parvenu à entrer au séminaire Saint-Sulpice où il poursuit ses études depuis quatre ans. Il n’a pu regagner l’établissement à la rentrée, en raison du siège de Paris. Il s’est alors engagé comme ambulancier dans l’armée de la Loire. L’armistice, fin janvier 1871, la fin du siège ont laissé croire à une reprise de la vie normale. Paul et quelques dizaines de ses camarades, désireux de reprendre leurs études, ont regagné le séminaire. C’était quelques jours avant l’insurrection parisienne.
Ces lettres, destinées à s
Par Alexandre Devecchio
Après le Brexit, le penseur britannique, Philipp Blond, a accordé un long entretien à FigaroVox [1.07]. Selon le « Michéa anglo-saxon », cette victoire est l'expression du divorce entre les bobos et les classes populaires à l'Åuvre dans l'ensemble du monde occidental. Les lecteurs de Lafautearousseau rapprocheront cet entretien de celui donné précédemment au même Figarovox par le grand philosophe britannique Roger Scruton*. On y trouvera une analyse instructive des réalités politiques internes en Grande-Bretagne et des réflexions de fond sur le libéralisme, l'UE, le délitement des sociétés européennes qui, souvent, rejoignent les nôtres. LFAR
Encore méconnu en France, Phillip Blond est l'un des intellectuels britanniques contemporains les plus influents. Il a été conseiller de David Cameron en 2010, lors de sa première campagne législative victorieuse, avant de prendre ses distances avec l'ex-Premier ministre. Théoricien du Red Torysm ou « conservatisme pour les pauvres », il renvoie dos à dos libéralisme économique et culturel, et prône au contraire l'alliance du meilleur de la tradition de droite et de gauche. Bien qu'il se soit positionné en faveur du « Remain », il juge que la campagne pour le maintien dans l'UE, fondée uniquement sur l'intimidation, a été « désastreuse ». Selon lui, le vote en faveur du Brexit est l'expression logique d'une révolte des peuples à l'égard de la globalisation : « tous ceux qui culturellement comme financièrement se trouvent en phase avec le nouvel ordre du monde, sont désormais minoritaires dans la société. », explique-t-il.
Ãtes-vous surpris par la victoire du Brexit ? Que révèle-t-elle selon vous ?
Cette victoire n'a pour moi rien d'inattendu ; elle est le résultat de tendances de fond qui affectent différentes couches du peuple britannique. En leur permettant de se fédérer, le référendum a été pour ces groupes l'occasion d'un contrecoup décisif.
Je pense en effet que nous sommes en train de passer d'une société où les deux tiers de la population environ s'estimaient satisfaites de leur sort, à un monde dans lequel ceci n'est plus vrai que pour un tiers de la population.
Dit autrement, le vote en faveur du Brexit exprime le plus grand rejet de la mondialisation qu'ait connu dans les urnes le monde occidental. Les bénéficiaires de la mondialisation, tous ceux qui culturellement comme financièrement se trouvent en phase avec le nouvel ordre du monde, sont désormais minoritaires dans la société.
Cette révolte contre la mondialisation ne regroupe pas seulement les catégories sociales les plus défavorisées. On y distingue aussi une population plutôt aisée, composée pour l'essentiel de personnes âgées vivant en province et qui se sentent culturellement menacés par l'immigration. Cette même population a le sentiment que le système de valeurs qui a historiquement caractérisé l'Angleterre - sans doute l'un des plus influents et des précieux dans le monde - est aujourd'hui remis en cause par l'arrivée d'une population qui lui est indifférente voire dans certains cas, carrément hostile, et que la Grande-Bretagne a abdiqué sa souveraineté face à une puissance étrangère en adhérant à l'Union Européenne.
Dans toutes les enquêtes réalisées sur les déterminants en faveur du vote pour le « Leave », c'est toutefois l'immigration qui figure en tête des préoccupations. Qu'ils soient plutôt aisés ou qu'ils soient au contraire issus d'un milieu modeste, ces électeurs craignent l'islamisation progressive de la Grande-Bretagne par l'immigration. Comme cette opinion ne peut être exprimée publiquement, l'hostilité aux migrants a pris la forme d'une inquiétude plus globale. Pour les plus pauvres, l'impact de l'immigration était double, l'« ennemi » prenant tout à la fois la forme de l'islam mais aussi l'arrivée massive d'une population issue d'Europe de l'Est, plutôt qualifiée et dure à la tâche, qui constituait de de ce fait une menace pour leur emploi et leur accès au marché du travail. Si vous ajoutez à cela le fait que l'Union Européenne est identifiée avec la mondialisation, et donc avec l'insécurité économique et culturelle qui caractérise cette dernière, alors la victoire du Brexit n'est plus une surprise.
Ce que le camp du « Leave » a cherché à mettre en avant avec son slogan « reprendre le contrôle », c'est l'idée que la résistance à tous ces formes de déstabilisation devait avoir lieu à l'échelle de la nation, l'idée que la nation pouvait reprendre le contrôle face aux forces de l'entropie internationale et protéger ses citoyens de la tempête. A contrario, la campagne pour le maintien dans l'UE, conduite par des Blairistes ou des Conservateurs dont le manuel électoral ne connaissait qu'un seul registre - taper dur et taper très fort - , a été désastreuse. Soutenue de manière imprudente par le gouvernement, cette approche avait déjà failli lui coûter une défaite au référendum sur l'indépendance de l'Ecosse ; elle lui a fait perdre ensuite la mairie de Londres et maintenant le référendum sur l'UE. Le camp du « Remain » aurait au contraire dû choisir d'adopter une vision patriotique, expliquer que la Grande-Bretagne pouvait encore rester une puissance mondiale significative à travers l'UE, souligner que dans quelques années nous serions la première puissance en Europe. En choisissant une autre approche, ils ont eu la défaite qu'ils méritaient.
Le débat sur le référendum a semblé se limiter à un dialogue au sein de la droite britannique. Finalement, le vote de la population ouvrière en faveur du Brexit a été décisif. Comment l'expliquez-vous ?
Loin de se confiner aux seuls électeurs de droite, la victoire du Brexit s'explique au contraire par la mobilisation décisive d'une partie de l'électorat travailliste en faveur du Leave. Pour ces derniers aussi, l'UE s'identifiait avec la mondialisation et le néolibéralisme. L'attitude de Merkel envers la Grèce et l'austérité punitive imposée par l'Allemagne ont conduit une partie de la gauche britannique à voir dans la zone euro et plus généralement dans l'Union Européenne un projet antisocial. Cela, couplé avec la menace que faisait peser sur les salaires des travailleurs autochtones la constitution d'une armée de réserve de travailleurs immigrés à bas coûts, a contribué au rejet de l'UE par une partie de la gauche. Enfin, il ne faut pas oublier que la classe ouvrière britannique est fondamentalement patriotique ; le sentiment que l'UE dissout la grandeur du Royaume-Uni plutôt qu'elle ne la magnifie a donc conduit une grande partie des classes populaires à déserter le camp du Remain.
La tragédie du Brexit, toutefois, c'est que la plupart des dirigeants et promoteurs du camp du « Leave » sont des partisans extrêmes du libre-échange. Ces derniers haïssent une Europe qui s'identifie pour eux à la régulation et la social-démocratie et ils ont convaincu une partie de la gauche de voter la sortie du Royaume-Uni de l'UE. Nous faisons face à ce paradoxe : des classes populaires en quête de protection face à la mondialisation ont suivi des libertariens qui pensent que la Grande-Bretagne devrait abolir de manière unilatérale ses tarifs douaniers !
Pourquoi le labour de Jeremy Corbyn a-t-il été aussi timide. La gauche britannique est-elle, comme la gauche française, prise en étau ente bobos favorables au multiculturalisme et à l'ouverture des frontières et classes populaires en quête de protection ?
Si Corbyn a été si timide dans la campagne, c'est qu'il est en réalité un partisan du Brexit - je le soupçonne d'avoir choisi le bulletin en faveur du Leave dans le secret de l'isoloir. Il ne faut pas oublier que Corbyn vient de l'extrême-gauche du parti travailliste : au delà des raisons « de gauche » de choisir le Brexit, il a pu aussi être ému par le caractère non démocratique de l'UE. Démocratique, l'UE ne l'est pas en effet - mais pour lui cela s'explique seulement par le fait que les démocraties qui la composent ne souhaitent pas laisser place à l'émergence de partis politiques transnationaux en ajoutant un échelon politique supplémentaire au delà de l'Etat ou de la nation.
Ce divorce entre les bobos et les classes populaires se retrouve lui aussi en Grande-Bretagne - de fait, il est à l'Åuvre dans l'ensemble du monde occidental. La raison tient en grande partie aux séductions comme aux échecs du libéralisme. Pour les classes moyennes, le libéralisme a plusieurs attraits : économiquement, il leur permet (ou du moins il leur permettait) d'exploiter avantageusement leur position via l'école, les réseaux ou les possibilités de carrière dans l'entreprise ; socialement, il se traduit par une licence totale en matière de choix de vie ou de comportements. Pour les classes populaires au contraire, le libéralisme est un désastre économique et culturel : économique, parce qu'il détruit leur pouvoir de négociation collective et les expose à une concurrence interne sur le marché du travail : dans une telle situation, leurs salaires ne peuvent que baisser ; sociale, parce que le libéralisme a détruit toutes les formes d'allégeance et de stabilité familiale, en laissant pour seul héritage des foyers brisés et des pères absents. En somme, le libéralisme a détruit toute notion de solidarité et c'est cela qui a le plus certainement condamné les plus pauvres à leur sort.
En France le géographe Christophe Guilluy a développé le concept de « fractures françaises » et de « France périphérique ». Existe-t-il également des « Fracture britanniques » et une « Angleterre périphérique » ?
Cette idée d'une fracture géographique entre le centre et la périphérie dans les cultures modernes est très certainement vraie en France, mais aussi en Grande-Bretagne et dans d'autres pays. Est-elle pour autant nouvelle ? La plupart des fractures dont on nous parle aujourd'hui trouvent leur grille de lecture dans une analyse sociologique, ce que je considère pour ma part insatisfaisant intellectuellement.
Je crois que nous devrions nous poser des questions plus fondamentales, qui de mon point de vue seraient les suivantes : pourquoi nous séparons-nous, pourquoi cherchons-nous la solidarité seulement au sein de groupes composés de personnes qui nous sont proches ou qui nous ressemblent ? C'est parce que nous avons perdu nos universaux, nous avons oublié la leçon tant de Platon que d'Aristote pour lesquels il existe des universaux qui s'appliquent aux choses. Dans la mesure où nous avons laissé la croyance dans le monde objectif verser dans le pur subjectivisme, comment espérer un jour nous unir ? C'est pourquoi la véritable tâche politique est de retrouver ce qui nous relie, au delà de l'inepte discours contemporain sur les droits de l'homme. Le discours sur les droits est en effet toujours dérivé, il requiert un discours plus fondamental ; c'est pour cela que vous ne pouvez arbitrer entre des droits différents et pourquoi le droit ne peut vous dire ce qui est juste. Aussi, tant que nous n'aurons pas recouvert notre héritage - c'est à dire tant que nous ne serons pas revenus aux universaux - nous ne pourrons jamais aider personne, jamais réduire aucune division ni soigner aucun mal.
Que signifie la démission de Boris Johnson, qui était pourtant donné favori pour succéder à Cameron. Quelles sont les lignes de clivages au sein des conservateurs ?
La démission de Boris Johnson signifie un certain nombre de choses plutôt triviales - au premier rang desquelles une incapacité fondamentale à donner une quelconque consistance à ses slogans. Je le soupçonne par ailleurs d'avoir promis un certain nombre de choses contradictoires aux députés qui le soutenaient - en offrant notamment le même poste à plusieurs personnes. Enfin sa chronique dans le Telegraph montrait qu'il avait déjà pris la décision de revenir en arrière sur le Brexit et de rompre ses engagements auprès de ceux qui avaient voté « Leave ». C'est un homme qui n'inspire plus confiance, un opportuniste sans réelle conviction - il n'y a rien d'autre à lire dans sa démission.
Les clivages du parti conservateur s'expliquent quant à eux d'abord par l'histoire, même si de nouvelles divisions apparaissent aujourd'hui. Une minorité significative de député se revendique du Thatchérisme : ils croient au libre marché et sans doute à rien d'autre - tandis qu'une majorité des députés tient à ce que la droite défende la justice sociale ; tous toutefois pèchent sur les mesures à prendre.
Le défi le plus important qui attend aujourd'hui les conservateurs, c'est de répondre à ce besoin de justice sociale sans passer par le marché ni par l'Etat. Ils savent qu'ils doivent s'adresser à une population en déshérence - tous se revendiquent d'un conservatisme inclusif (« One nation conservatism ») - mais personne ne dispose dans ce domaine d'un programme politique crédible. Si le marché tel qu'il a fonctionné jusqu'à présent se montre incapable de répondre aux besoins des plus pauvres et bientôt de ceux de la classe moyenne, quelle sera demain la doctrine économique du Parti Conservateur ?
Cela traduit-il l'explosion du clivage droite/gauche des deux côté de La Manche ?
L'affrontement droite / gauche appartient au passé : si vous regardez les mouvements qui ont émergé récemment, leur discours emprunte des éléments issus des doctrines des deux côtés de l'échiquier politique. Prenez le Front National, par exemple : son programme nationaliste le porte évidemment à l'extrême-droite, mais ses propositions sur l'Etat-providence et les services publics semblent toutefois exhumées d'un discours socialiste des années 1970. Il en est de même en Angleterre avec UKIP, qui pourrait tout à fait devenir le parti de la classe ouvrière britannique et se substituer au parti Travailliste en offrant un mélange droite/gauche similaire.
Est-ce la victoire du « Conservatisme pour les pauvres » que vous avez théorisé ?
Dans un certain sens, c'est à une victoire « inversée » du Red Toryism à laquelle nous avons assisté. Ce que je cherchais à promouvoir en effet, c'était l'alliance du meilleur de la tradition de droite et de celle de la gauche dans un nouveau discours positif. Ce qui est à l'Åuvre ici, c'est la naissance d'un composé hybride d'une toute autre nature, au sein duquel ce serait au contraire les gènes récessifs des deux traditions qui se seraient associés dans leur mutation.
Là où je proposais par exemple un affranchissement économique massif des plus pauvres, au moyen d'une redistribution de l'accès à la propriété, les voilà qui mettent en avant la promotion de l'Etat providence, une politique qui a échoué de manière désastreuse par le passé. Que produit l'Etat providence en effet, sinon la perte de l'autonomie des individus et l'érosion de leur sens de la propriété, ainsi que la légitimation délétère d'une culture de l'assistance. De la droite, je garde l'idÃ
Le bombardement de la Serbie, décidé par les Américains en 1999 pour obliger ce pays à abandonner sa province du Kosovo, a donné lieu à une manipulation des faits d’une ampleur rare.
Les principaux médias occidentaux, au garde à vous comme il se doit, ont relayé en cœur cette fable selon laquelle la Serbie n’avait plus de légitimité à conserver le Kosovo dans ses frontières. En effet, au fil du temps, d’une immigration incontrôlée et d’une démographie plus dynamique, les immigrés albanophones et musulmans sont devenus majoritaires au détriment des Serbes.
Les Américains, docilement suivis par la France, lâAngleterre et lâAllemagne entre autres, ont alors décidé de transformer ce fait démographique en droit de sécession.
Lâhistoire du Kosovo se confond pourtant avec celle de la Serbie.
UN PAYS TÃT CHRISTIANISÃ
Comme presque partout ailleurs, les Balkans firent lâobjet de multiples invasions dans les premiers siècles de lâère chrétienne. Illyriens, Romains, Avars, Slaves se succédèrent. Puis, la grande lutte entre Byzantins et Bulgares à partir du IXe siècle domina toute la région.
Les chroniques byzantines mentionnent lâexistence des Serbes dès le VIIe siècle. Convertis au christianisme, grâce notamment à Saints Cyrille et Méthode, ils vécurent à lâombre de Constantinople qui les encouragea à peupler les Balkans après le départ des barbares Avars.
Le premier prince serbe de renom, Jovan Vladimir, fut assassiné par les Bulgares en 1016. Il est aujourdâhui révéré comme saint par lâEglise orthodoxe. Ses reliques font lâobjet de nombreux pèlerinages dans la cathédrale orthodoxe de Tirana et la croix quâil avait avec lui le jour de son assassinat est exposée une fois par an dans un village du Monténégro.
Lâaffaiblissement progressif de lâEmpire byzantin et le début de la conscience nationale serbe engendra de nombreuses tentatives de secouer le joug grec et de sâaffirmer comme une nation indépendante.
Stefan Nemanja fut le fondateur de la dynastie royale qui devait mener la Serbie à lâindépendance. Rome fut un soutien précieux et le pape Honorius III, en octroyant au fils de Stefan (qui sâappelait également Stefan) le titre de roi de Rascie, permit à la future Serbie de sâémanciper définitivement de Byzance. La Rascie englobait lâactuel Monténégro ainsi quâune partie de la Croatie et de lâHerzégovine.
UNE GLORIEUSE MONARCHIE
Plusieurs rois prénommés Stefan se succédèrent et agrandirent progressivement le royaume. Un tournant décisif se produisit en 1330 lorsque les Byzantins, alliés cette fois aux Bulgares, attaquèrent la Serbie qui sâétait mêlée de la succession dynastique à Constantinople. Les Serbes gagnèrent la bataille de Velbajdqui marqua le début de la domination serbe sur les Balkans.
Le règne de Stefan Douchan (1331-1355), qui se fit même couronner empereur, permit ensuite au royaume de conquérir lâAlbanie et la Macédoine ainsi que le nord de la Grèce actuelle.
Mais la faiblesse des souverains suivants entraîna lâaffaiblissement du nouvel empire qui se fissura, certains chefs locaux profitant de cette conjoncture pour sâen détacher.
Lâinvasion turque mit, hélas, tout le monde dâaccord. Elle se fit progressivement et fut particulièrement sanglante. Les Turcs remportèrent en 1371 la bataille de la Maritsa (en Grèce) qui leur permit de conquérir la Macédoine et la Bulgarie. LâEmpire serbe disparut alors définitivement. Puis un prince serbe, Lazar Hrebeljanovic, parvint à sâallier avec dâautres princes pour contrer lâimmense armée ottomane.
LUTTE CONTRE LE CROISSANT
Lâaffrontement décisif eut lieu en 1389. Ce fut la célèbre bataille de Kosovo Polje, le champ des merles. Lazar était parvenu à rallier des Hongrois, des Albanais, des Bosniaques, des Croates. Après des heures de batailles indécises, les Turcs lâemportèrent malgré la mort du sultan Mourad Ier, tué dans sa tente par un Serbe. Lazar et les princes serbes furent faits prisonniers et décapités sur le champ de bataille. Il nây eut alors plus dâaristocratie serbe.
Les Ottomans avaient cependant subi dâénormes pertes et ils durent attendre 1459 et la prise de Smederevo, au cÅur de la Serbie actuelle, pour assoir solidement leur pouvoir.
Cette occupation dura jusquâen 1804 et fut très dure. Les Turcs tentèrent constamment de convertir les Serbes à lâislam. Peu le firent, contrairement aux Albanais (après la mort du grand Skanderberg en 1468) et aux Bosniaques, et beaucoup émigrèrent en Autriche-Hongrie. Le Kosovo, foyer important de résistance aux Ottomans perdit ainsi une grande partie de sa population. Certains villages se convertirent à lâislam pour ne plus payer lâimpôt des chrétiens, le kharadj.
A partir de 1804, plusieurs révoltes serbes éclatèrent contre lâoccupant. Ce fut une longue guerre de libération sous la houlette des princes de la famille des Karageorges et des Obrénovic. De nombreux Serbes de Hongrie se joignirent à ce vaste mouvement dont Belgrade fut le foyer.
LIBÃRÃS DU JOUG OTTOMAN
Tandis que dâincessants combats se poursuivaient, églises et monastères furent reconstruits dans la ferveur. Finalement, en 1815, lâinsurrection menée par Milos Obrenovic aboutit à lâautonomie de la Serbie dont il fut élu Prince. Le grand reflux de lâEmpire ottoman se poursuivit tout au long du XIXe siècle et, comme une confirmation, le Congrès de Berlin accorda lâindépendance à la Serbie en 1878. Quatre ans plus tard, Milan Obremovic devint roi de Serbie sous le nom de Milan Ier de Serbie.
Mais le Kosovo resta encore sous domination turque. Il constituait en quelque sorte la frontière entre le sud de la nouvelle Serbie et le nord de lâEmpire ottoman. Câest alors que des milliers dâAlbanais, ne voulant pas vivre dans le nouveau royaume serbe, émigrèrent vers le Kosovo. Ce fut le début dâun processus fatal.
Après la première guerre mondiale, le Kosovo put retrouver ses origines serbes et intégrer le royaume des Serbes, Croates et Slovènes, nouvellement créé et regroupant la Serbie et les anciennes régions de lâEmpire austro-hongrois : Croatie, Slovénie, Bosnie-Herzégovine. Le Monténégro, plus au sud, fit également partie du regroupement.
Le roi serbe, Alexandre Ier transforma lâentité existante en Royaume de Yougoslavie en 1928. Lâinvasion allemande de 1941 mettra fin au royaume qui fut démantelé. Le Kosovo fut alors inclus dans lâAlbanie passée sous contrôle italien.
PASSÃ ENTRE TOUTES LES MAINS
La victoire du communiste Tito (Josip Broz de son vrai nom) contre les Allemands, lui permit de reconstituer une Yougoslavie récupérant tous les territoires de la monarchie, y compris le Kosovo qui bénéficia toutefois dâun statut dâautonomie. Tito le Croate, désireux dâaffaiblir les Serbes, détacha même par la suite le Kosovo de la Serbie. Le Kosovo devint ainsi une province à part entière.
La mort de Tito va modifier le sort du Kosovo. Son successeur, le Serbe Slobodan Milosevic supprima lâautonomie du Kosovo en 1989, ordonna la dissolution de son parlement et de son gouvernement et interdit la langue albanaise. Les Albanophones réagirent et proclamèrent lâindépendance du Kosovo dont le président quasi-clandestin fut Ibrahim Rugova.
Lâembrasement des Balkans et la pluralité de guerres quâil engendra nâempêcha pas la reconnaissance internationale de lâappartenance du Kosovo à la nouvelle République fédérale de Yougoslavie créée par Milosevic en 1992. En 1995, les accords de Dayton furent signés à Paris par les présidents serbe (Milosevic), croate (Franjo Tudman) et bosniaque (Aliza Izetbegovic). LâAméricain Richard Holbrooke parraina ce traité qui mettait fin à la guerre en Bosnie-Herzégovine. Bien que signés à Paris, ces accords sâappellent Dayton, nom de la base américaine où ils furent négociés entre les différentes parties.
La première partie du plan américain était ainsi accompli en démantelant la Yougoslavie par les indépendances successives de la Slovénie, de la Croatie, de la Bosnie-Herzégovine et de la Macédoine. La question du Kosovo ne fut pas abordée. Cela viendrait plus tard, tout comme lâindépendance du Monténégro en 2006.
Lâobjectif était clair : affaiblir la Serbie, trop proche de la Russie, et rapprocher les nouveaux pays de lâUnion européenne et de lâOTAN, les deux fonctionnant de pair comme chacun sait.
LE FAUX MASSACRE DE RACAK
La seconde partie du plan concerna cette fois le Kosovo.
LâArmée de libération du Kosovo, la sinistre UCK, entra en scène. Rejetant lâancien président clandestin Rugova, jugé trop modéré, elle lança lâinsurrection contre la Serbie. Attentats, assassinats de policiers et soldats serbes, combats sporadiques, tout y passa. Les armes et les financements ne manquèrent pas grâce aux services secrets occidentaux. Les exactions contre les civils serbes se multiplièrent. On peut lire à ce sujet lâexcellent livre du colonel Hogard, LâEurope est morte à Pristina.
Mais cette insurrection nâayant guère de chances de vaincre lâarmée serbe, les occidentaux décidèrent de passer à la vitesse supérieure. Ils organisèrent ce quâils savent très bien faire : un faux massacre.
Il eut lieu le 15 janvier 1999 à Racak. Une quarantaine de cadavres furent découverts dans ce village et aussitôt la presse occidentale dénonça un massacre de villageois commis par lâarmée serbe. Les Serbes protestèrent, affirmant quâil sâagissait de combattants de lâUCK tués au cours dâun affrontement contre lâarmée. A part quelques voix indépendantes, personne ne releva quâil nây avait ni femmes, ni enfants, ni vieillards parmi les victimes, mais seulement des hommes jeunes. En outre, les blessures constatées faisaient davantage penser à des combats quâà un massacre délibéré.
DÃSINFORMATION CONCERTÃE
Une équipe médicale de lâUnion européenne, dirigée par la Finlandaise Helena Ranta, se rendit sur place et confirma le massacre. Beaucoup plus tard, elle révèlera quâelle avait été soumise à de fortes pressions par les Américains, en particulier le diplomate William Walker : « Walker voulait que je déclare que les Serbes étaient derrière afin que la guerre puisse commencer » dira-t-elle en 2008 dans un livre finlandais qui lui était consacré. Trop tard.
Une grande opération de désinformation se déversa alors. Les journaux et la classe politique occidentale rivalisèrent dâimagination pour accabler les Serbes et faire passer les terroristes de lâUCK pour de valeureux libérateurs.
On parla de « génocide », de meurtres « de 100 000 à 500 000 personnes », de matches de football « avec des têtes coupées », de fÅtus arrachés puis grillés, dâincinération de cadavres dans des fourneaux « du genre de ceux utilisés à Auschwitz », rien nây manqua. La palme revint aux Allemands, révélant la préparation dâune vaste opération dâépuration ethnique appelée « Potkova », câest-à -dire « fer à cheval » en Serbe. Câest le ministre des Affaires étrangères allemand, le vert Joschka Fisher qui annonça gravement la nouvelle.
Tout était faux. Des enquêtes ultérieures le démontrèrent, comme celle de lâhebdomadaire allemand Der Spiegel (10 janvier 2000) ou celle du Wall Street Journal (31 décembre 1999). Certaines voix avaient dâailleurs alerté dès le début que fer à cheval ne se disait pas « Potkova » mais « Potkovica ». Le document était un faux grossier mais peu importe, il fallait mettre les Serbes à genoux.
Le Monde Diplomatique, dans son numéro dâavril 2019, a fait une excellente synthèse de cette affaire sous ce titre plaisant : « Le plus gros bobard de la fin du XXe siècle ».
LES BOMBES DU MENSONGE
Sans mandat de lâONU, lâOTAN déclencha alors une de ses nombreuses guerres illégales. Une armada aérienne procéda à des bombardements massifs sur la Serbie. Ils durèrent 78 jours et tuèrent des milliers de civils. Des pilotes français participèrent hélas à ces crimes.
Au bout de 78 jours, les Serbes demandèrent grâce. Une « autorité internationale civile » fut décidée par lâONU pour administrer le Kosovo désormais « libéré » de la Serbie. Lâopération américaine avait parfaitement réussi et Poutine nâétait pas encore au pouvoir en Russie, alors empêtrée dans les dernières années catastrophiques de Boris Eltsine.
Le très belliciste Bernard Kouchner fut nommé haut-représentant de lâONU. Cet adepte du « droit dâingérence humanitaire », notion floue qui peut tout justifier, exerça son mandat pendant dix-huit mois avec un rare sectarisme anti-serbe.
Câest alors que les rumeurs concernant des assassinats de prisonniers serbes suivis de trafics dâorganes organisés par lâUCK commencèrent à prendre corps. Interrogé par un journaliste serbe sur cette question, Kouchner éclata dâun rire mauvais, lâimage est encore visible sur internet.
Le Kosovo va vivre ainsi sous le contrôle de lâONU jusquâen 2007. Cette année-là , les extrémistes de lâUCK, partisans de lâindépendance, remportèrent les élections législatives. Le décès lâ
Il est souvent professé, qu’avant le XXe siècle, la France n’a fourni au monde que très peu de métaphysiciens à l’exception de Descartes et de Pascal. Bien qu’un peu grossière en ce qu’elle fait fi de l’humanisme français et des physiocrates, cette assertion conserve une part de vérité.
La penÂsée franÂçaise sâest indéÂniaÂbleÂment moins pasÂsionÂnée pour la métaÂphyÂsique que sa voiÂsine alleÂmande. En revanche, la théoÂrie poliÂtique a fait lâobjet dâune attenÂtion galÂliÂcane toute parÂtiÂcuÂlière quâon pense à La BoéÂtie, Bodin, RousÂseau, MonÂtesÂquieu ou encore TocÂqueÂville. Rien dâétonnant à ce quâà la suite de ces auteurs majeurs de la phiÂloÂsoÂphie poliÂtique, on trouve Pierre-Joseph ProuÂdhon, le père de lâanarchisme. Cette théoÂrie poliÂtique a irriÂgué le XIXe siècle autant dâun point de vue concepÂtuel que sur le plan de la praÂtique poliÂtique comme en témoignent les nomÂbreux cercles anarÂchistes ayant eu recours la vioÂlence directe. Elle est resÂtée vivace au siècle suiÂvant et contiÂnue dâinfluencer cerÂtains penÂseurs actuels comme David GraeÂber et cerÂtains groupes poliÂtiques antiÂfasÂcistes et alterÂmonÂdiaÂlistes. Il faut dâailleurs souÂliÂgner le retenÂtisÂseÂment occiÂdenÂtal et eurÂasiaÂtique quâa eu cette théoÂrie franÂçaise puisquâelle a donÂné naisÂsance à lâanarchisme russe, améÂriÂcain, itaÂlien et espaÂgnol. Câest dire la place quâoccupe ProuÂdhon dans lâhistoire des idées politiques.
Quelques éléÂments biographiques
Fils dâun tonÂneÂlier et dâune cuiÂsiÂnière, Pierre-Joseph ProuÂdhon naît en janÂvier 1809 à BesanÂçon au sein dâune famille modeste. BourÂsier, il obtient de nomÂbreux prix dâexcellence mais est contraint de quitÂter lâécole à dix-sept ans pour aider ses parents dans le besoin. Il devient alors ouvrier typoÂgraphe dans une impriÂmeÂrie qui finit par faire faillite. ChôÂmeur, il sera embauÂché quelques années plus tard par des amis, les frères GauÂthier, récents fonÂdaÂteurs dâune impriÂmeÂrie. Ces derÂniers le poussent à reprendre des études. Câest ainÂsi que ProuÂdhon, après avoir obteÂnu une bourse de lâAcadémie de BesanÂçon, se lance dans un mémoire intiÂtuÂlé Recherches sur les catéÂgoÂries gramÂmaÂtiÂcales pour lequel il reçoit une menÂtion honoÂrable. Il obtient son bac à vingt-neuf ans et se met à suivre des cours au ColÂlège de France et à lâécole des Arts et Métiers. LâAcadémie lui accorde une nouÂvelle bourse qui sera supÂpriÂmée en raiÂson de la poléÂmique conséÂcuÂtive à la paruÂtion de son ouvrage Quâest-ce que la proÂpriéÂté ? en 1841. Une nouÂvelle fois grâce aux frères GauÂthier, Pierre-Joseph ProuÂdhon devient le fonÂdé de pouÂvoir de leur sociéÂté de transport.
En 1847, le père de lâanarchisme fonde le jourÂnal Le repréÂsenÂtant du peuple et devient dépuÂté une année plus tard. Très viruÂlent dans ses articles envers NapoÂléon III, il finit même par être incarÂcéÂré penÂdant trois ans dans la priÂson de Sainte-PélaÂgie. ProÂfiÂtant des quelques heures de sorÂtie autoÂriÂsées par semaine, ProuÂdhon se marie et devient père de famille. Il résuÂmeÂra la praÂtique poliÂtique de la sorte : « Faire de la poliÂtique, câest laver ses mains dans la crotte ». Lâanarchiste franÂçais met un terme à la poliÂtique poliÂtiÂcienne pour se consaÂcrer uniÂqueÂment à la théoÂrie. De ces études sorÂtiÂront de nomÂbreux ouvrages qui marÂqueÂront les futures généÂraÂtions dâouvriers. Avant sa mort à Paris en 1865, il tenÂteÂra sans sucÂcès dâinfluencer la PreÂmière InterÂnaÂtioÂnale contre Marx. Connu pour son ton pamÂphléÂtaire à lâégard des capiÂtaÂlistes, des poliÂtiques, des chréÂtiens, des femmes, des juifs et des afriÂcains, Pierre-Joseph ProuÂdhon aura été au cours de sa vie relaÂtiÂveÂment isoÂlé en raiÂson de son côté franc-tireur. Même au sein de sa loge maçonÂnique, il garÂdeÂra ses disÂtances malÂgré une adhéÂsion totale à la métaÂphyÂsique du Grand ArchiÂtecte. ContraiÂreÂment à de nomÂbreux anarÂchistes, ProuÂdhon nâétait pas athée.
La théoÂrie de la proÂpriéÂté de Proudhon
« La proÂpriéÂté, câest le vol. » Il nâest pas rare dâentendre cette phrase débiÂtée avec la fierÂté quelque peu feinte dâavoir résuÂmé et comÂpris la docÂtrine prouÂdhoÂnienne alors quâen généÂral le contre-sens est de mise. Cet aphoÂrisme, un peu cariÂcaÂtuÂral, fait vite oublier les nuances de ProuÂdhon au sujet de la proÂpriéÂté. En effet, il condamne dans la proÂpriéÂté ce que le capiÂtaÂliste vole au proÂléÂtaire mais ne rejette pas le prinÂcipe même de proÂpriéÂté puisquâil fait lâéloge de la proÂpriéÂté colÂlecÂtive à traÂvers des coopéÂraÂtives et des assoÂciaÂtions ouvrières.
Pierre-Joseph ProuÂdhon pose même une quesÂtion émiÂnemÂment intéÂresÂsante dans sous ouvrage traiÂtant de la quesÂtion Quâest-ce que la proÂpriéÂté ? [1] paru en 1840. Loin de toute attiÂtude posiÂtiÂviste, il se demande quel est le fonÂdeÂment du droit de proÂpriéÂté. Le théoÂriÂcien anarÂchiste rejette un peu vite le droit natuÂrel comme assise de la proÂpriéÂté au motif quâil nâexiste pas dans la nature et chez les peuÂplades priÂmiÂtives [2]. Le traÂvail comme fonÂdeÂment de la proÂpriéÂté ne trouve pas non plus grâce à ses yeux car le traÂvail ne perÂmet pas nécesÂsaiÂreÂment la proÂpriéÂté mais uniÂqueÂment dâacquérir ses fruits. La contreÂparÂtie du traÂvail constiÂtue le salaire indiÂviÂduel sans que la force colÂlecÂtive généÂrée par lâaddition des traÂvailleurs ne soit jamais rémuÂnéÂrée. Or, câest bien cette force mulÂtiÂpliée qui perÂmet dâachever lâÅuvre comÂmanÂdée par le capiÂtaÂliste. Pour résuÂmer, la force colÂlecÂtive est supéÂrieure à la somme des forces indiÂviÂduelles et pourÂtant elle nâest pas rémunérée.
Lâinégalité des capaÂciÂtés perÂmet de satisÂfaire les besoins difÂféÂrents de la sociéÂté. Il nâest donc pas juste dâoctroyer plus à ceux qui ont le plus de préÂdisÂpoÂsiÂtions généÂtiques car ces derÂnières émanent de la sociéÂté à laquelle ils sont donc redeÂvables. Lâhomme en tant quâanimal social a besoin des autres pour vivre. Cette interÂdéÂpenÂdance jusÂtiÂfie lâégalité matéÂrielle des hommes entre eux de sorte quâil nâexiste aucune raiÂson que le bourÂgeois sâenrichisse sur le dos de la masse. Le salaire sufÂfit seuleÂment à faire vivre le salaÂrié mais on oublie vite quâil enriÂchit le capiÂtaÂliste qui ne le rétriÂbue pas en tant que parÂtiÂciÂpant au traÂvail collectif.
Pierre-Joseph ProuÂdhon rejette donc la proÂpriéÂté indiÂviÂduelle pour lui préÂféÂrer la posÂsesÂsion pour tout le monde. Lâobjet de la posÂsesÂsion peut bien entenÂdu évoÂluer à la hausse ou à la baisse en foncÂtion de la démoÂgraÂphie. Le droit dâoccupation ne peut donc être que temÂpoÂraire. Mais contraiÂreÂment à Marx [3], lâanarchiste franÂçais ne plaide pas pour lâabolition de toute proÂpriéÂté puisquâil proÂmeut lâidée dâorganisations colÂlecÂtives dâessence mutualiste.
La docÂtrine poliÂtique de ProuÂdhon : le fédéralisme
ProuÂdhon a consoÂliÂdé défiÂniÂtiÂveÂment sa docÂtrine poliÂtique dans son livre Du prinÂcipe fédéÂraÂtif et de la nécesÂsiÂté de reconsÂtiÂtuer le parÂti de la révoÂluÂtion [4] paru en 1863. Il part du posÂtuÂlat que deux éléÂments sont nécesÂsaires à une orgaÂniÂsaÂtion poliÂtique : lâautorité qui est dâessence natuÂrelle et la liberÂté qui est une proÂducÂtion de lâesprit nécesÂsaiÂreÂment supéÂrieure à ladite autoÂriÂté. ParÂmi les régimes dâautorité, il disÂtingue ceux où lâautorité est exerÂcée par un seul sur tous (monarÂchie, tyranÂnie) et ceux où lâautorité est exerÂcée par tous sur tous (comÂmuÂnisme). Les régimes de liberÂté se réparÂtissent ausÂsi selon un duaÂlisme : soit le gouÂverÂneÂment de tous est le fait de chaÂcun (démoÂcraÂtie), soit le gouÂverÂneÂment de chaÂcun est le fait de chaÂcun (anarÂchie). Aucun de ces sysÂtèmes ne trouve grâce aux yeux de Pierre-Joseph ProuÂdhon. Câest pourÂquoi, il serait plus judiÂcieux de le nomÂmer le fédéÂraÂliste pluÂtôt que lâanarchiste car il nâa jamais énonÂcé que lâordre social résulte des échanges entre indiÂviÂdus. Mais le terme anarÂchie a fini par recouÂvrir plus de situaÂtions que la défiÂniÂtion émaÂnant de son étymologie.
Au sujet de la démoÂcraÂtie qui prend de lâimportance à son époque, ProuÂdhon reprend lâargument arisÂtoÂtéÂliÂcien selon lequel la démoÂcraÂtie est souÂvent capÂtée par une minoÂriÂté ce qui lâa fait basÂcuÂler dans lâoligarchie. Ce proÂpos ne semble pas sâêtre démenÂti avec lâexpérience poliÂtique du XXe siècle et le début du suiÂvant. à proÂpos de la monarÂchie, il regrette quâelle finisse touÂjours en tyranÂnie ou en absoÂluÂtisme à mesure quâelle sâétend. Cette consiÂdéÂraÂtion nâest malÂheuÂreuÂseÂment pas démonÂtrée par lâauteur. Pour lui, la monarÂchie a fini par sâadapter au régime démoÂcraÂtique à cause du déveÂlopÂpeÂment de lâéconomie poliÂtique. En effet, la démoÂcraÂtie semble plus comÂpaÂtible avec le capiÂtaÂlisme car lâindividu proÂduit mieux sâil est libre et sâil se consacre excluÂsiÂveÂment à son actiÂviÂté. ProuÂdhon résume le dilemme de la sorte :
« Presque touÂjours les formes du gouÂverÂneÂment libre ont été traiÂtées dâaristocratie par les masses, qui lui ont préÂféÂré lâabsolutisme monarÂchique. De là , lâespèce de cercle vicieux dans lequel tournent et tourÂneÂront longÂtemps encore les hommes de proÂgrès. NatuÂrelÂleÂment, câest en vue de lâamélioration du sort des masses que les répuÂbliÂcains réclament des liberÂtés et des garanÂties ; câest donc sur le peuple quâils doivent cherÂcher à sâappuyer. Or, câest touÂjours le peuple qui, par méfiance ou indifÂféÂrence des formes démoÂcraÂtiques, fait obsÂtacle à la liberÂté [â¦] Que la démoÂcraÂtie mulÂtiÂplie tant quâelle vouÂdra, avec les foncÂtionÂnaires, les garanÂties légales et les moyens de contrôle, quâelle entoure ses agents de forÂmaÂliÂtés, appelle sans cesse les citoyens à lâélection, à la disÂcusÂsion, au vote : bon gré mal gré ses foncÂtionÂnaires sont des hommes dâautorité, le mot est reçu ; et si parÂmi ce perÂsonÂnel de foncÂtionÂnaires publics il sâen trouve un ou quelques-uns charÂgés de la direcÂtion généÂrale des affaires, ce chef, indiÂviÂduel ou colÂlecÂtif, du gouÂverÂneÂment, est ce que RousÂseau a lui-même appeÂlé prince ; pour un rien ce sera un roi. On peut faire des obserÂvaÂtions anaÂlogues sur le comÂmuÂnisme et sur lâanarchie. Il nây eut jamais dâexemple dâune comÂmuÂnauÂté parÂfaite et il est peu proÂbable, quelque haut degré de civiÂliÂsaÂtion, de moraÂliÂté et de sagesse quâatteigne le genre humain, que tout vesÂtige de gouÂverÂneÂment et dâautorité y disÂpaÂraisse. Mais, tanÂdis que la comÂmuÂnauÂté reste le rêve de la pluÂpart des sociaÂlistes, lâanarchie est lâidéal de lâécole écoÂnoÂmique, qui tend hauÂteÂment à supÂpriÂmer tout étaÂblisÂseÂment gouÂverÂneÂmenÂtal et à constiÂtuer la sociéÂté sur les seules bases de la proÂpriéÂté et du traÂvail libre. » [5]
Pour le théoÂriÂcien besanÂçonÂnais, câest la lutte des classes qui déterÂmine le régime poliÂtique. Lâalliance de telle classe avec une autre va donc défiÂnir la teneur du régime poliÂtique. AinÂsi la bourÂgeoiÂsie a réusÂsi faire adveÂnir en régime monarÂchique ses idées libéÂrales tout en garÂdant la cenÂtraÂliÂsaÂtion admiÂnisÂtraÂtive perÂmetÂtant le contrôle des masses et en insÂtiÂtuant un sufÂfrage cenÂsiÂtaire pour sâen préÂserÂver. Cette anaÂlyse est dâune brûÂlante actuaÂliÂté au vu des nomÂbreux proÂpos mépriÂsants des élites poliÂtiÂco-médiaÂtiques au sujet du peuple [6]. En défiÂniÂtive, ProuÂdhon nâest pas tendre avec la démocratie :
« TouÂjours le draÂpeau de la liberÂté a serÂvi à abriÂter le desÂpoÂtisme ; touÂjours les classes priÂviÂléÂgiées se sont entouÂrées, dans lâintérêt même de leurs priÂviÂlèges, dâinstitutions libéÂrales et égaÂliÂtaires ; touÂjours les parÂtis ont menÂti à leur proÂgramme, et touÂjours lâindifférence sucÂcéÂdant à la foi, la corÂrupÂtion à lâesprit civique, les Ãtats ont péri par le déveÂlopÂpeÂment des notions sur lesÂquelles ils sâétaient fonÂdés [â¦] Ne vous fiez pas à la parole de ces agiÂtaÂteurs qui crient, LiberÂté, ÃgaÂliÂté, NatioÂnaÂliÂté : ils ne savent rien ; ce sont des morts qui ont la préÂtenÂtion de resÂsusÂciÂter des morts. Le public un insÂtant les écoute, comme il fait les boufÂfons et les charÂlaÂtans ; puis il passe, la raiÂson vide et la conscience désoÂlée. » [7]
Mais que proÂpose-t-il après avoir conspué tous les régimes poliÂtiques exisÂtants ? Le théoÂriÂcien besanÂçonÂnais proÂpose la voie du fédéÂraÂlisme. Dans un esprit très contracÂtuaÂliste et très juriÂdique, le citoyen est inviÂté à adhéÂrer à la fédéÂraÂtion puisquâil a autant à lui donÂner quâà receÂvoir de sa part. Cette adhéÂsion est à difÂféÂrenÂcier du contrat social de RousÂseau qui préÂsupÂpose un état de nature idéal et antéÂrieur à la sociéÂté. à mesure que les comÂmuÂnauÂtés humaines se déveÂloppent, les indiÂviÂdus ne peuvent plus vivre en tant quâindividus purs et innoÂcents sépaÂrés les uns des autres ; ils doivent donc par un contrat social absÂtrait, câest-à -dire via une adhéÂsion absÂtraite, voire inconsÂciente, se regrouÂper pour faire sociéÂté. Il nâexiste rien de tout cela chez lâanarchiste franÂçais peu susÂpect dâamour envers les théoÂries idéalistes.
Pour lui, « Ce qui fait lâessence et le caracÂtère du contrat fédéÂraÂtif, et sur quoi jâappelle lâattention du lecÂteur, câest que dans ce sysÂtème les contracÂtants, chefs de famille, comÂmunes, canÂtons, proÂvinces ou Ãtats, non-seuleÂment sâobligent synalÂlagÂmaÂtiÂqueÂment et comÂmuÂtaÂtiÂveÂment les uns envers les autres, ils se réservent indiÂviÂduelÂleÂment, en forÂmant le pacte, plus de droits, de liberÂté, dâautorité, de proÂpriéÂté, quâils nâen abanÂdonnent [8]. » Cette approche quaÂsi civiÂliste [9] de la fédÃ