Fidélités royalistes (I) : Lyonnaises...
"Lyon est une ville arrosée par trois fleuves : le Rhône, la Saône et le Beaujolais..." (Léon Daudet).
De "Vers le Roi", pages 83/84/85 :
"...Les journées ensoleillées, "royales", se présentent nombreuses à ma mémoire : voici la fête de la Saint-Philippe à Lyon, organisée jusqu'à la guerre, pour toute la région, par notre ami Me Flachaire de Roustan, ancien bâtonnier, honneur du barreau lyonnais.
Lyon passe à bon droit pour une ville brumeuse, mais cette brume, au printemps et en été, devient exactement une poudre d'or, où flambent, mêlées, la silhouette de Fourvières, les vitres étincelantes et sans persiennes des Brotteaux et de la Croix-Rousse.
Je lui trouve alors une beauté extraordinaire, dans sa robe grise et pourpre de méditation, où disparaissent et s'estompent ses possibilités révolutionnaires.
Elle a l'air d'attendre quelque évènement, à la fois mélancolique et providentiel, quelque miracle payé chèrement.
Le quartier de Vaise, où avait lieu le banquet, n'est pas spécialement agréable; c'est une banlieue pelée, comme toutes les banlieues.
Mais les coteaux de la Saône, les quais, le parc de la Tête d'Or, les larges avenues du centre, tout cela est incomparable et d'une rare poésie.
C'est une des villes de France où l'on mange le mieux, non seulement au cabaret et même au caboulot, mais chez les particuliers.
Je me souviens encore, après dix ans bientôt écoulés, d'un plat de morilles noires à la crème qui eût rendu fou de joie Brillat-Savarin ou Ali Bab, auteur de l'étourdissante Gastronomie Pratique; et aussi d'une sole aux petits champignons, commandée et recommandée par Pujo, rue Lanterne, qui n'a nulle part son équivalent.
On ne réfléchit pas assez à la fertilité d'imagination de la sole, qui sait toujours à quelle sauce se vouer. Elle est le Frégoli des entrées et des poissons.
Se perdre dans Lyon; marcher au hasard; monter ces escaliers vétustes, qui mènent à des placettes abandonnées; redescendre par une pente raide, entre des couvent aux sonneries d'argent; longer l'un ou l'autre fleuve, au soir tombant; comparer les reflets de la Saône à ceux du Rhône; entrer à Guignol pour y retrouver, sous les auspices de Gnafron et de Chignol, le plus fin théâtre classique; manger une bugne, boire un verre de Brindas; évoquer un peu du passé - pas trop, ça rendrait triste - de cette cité que hante l'histoire; écouter le frissonnement de la nuit , avant de rentrer se coucher, dans un hôtel généralement confortable; y rêver des musées de soieries, ou de la pathétique Chapelle des Missions, rue Sala, ou des poésies de Soulary et de Clair Tisseur; cela, je vous l'assure, vaut la peine du dérangement.
C'est à Lyon que Lemaître fit, oralement, sa première déclaration royaliste, à un dîner Place Bellecour. Grand enthousiasme, mais, en sortant, nous ne retrouvâmes plus, ni lui, ni moi, nos chapeaux, envoyés ensemble au vestiaire, puis égarés. Il fallut rentrer tête nue à l'hôtel sous les étoiles. Lemaître, d'habitude assez ronchonneur, avait pris la chose philosophiquement. Moi pas, car je tiens et même je m'attache - comme on dit dans le peuple - à "mes effets".
Mais, à peine arrivés dans nos chambres respectives, nous voyions arriver nos chapeaux, découverts sous une banquette, au moment de la fermeture. Joie, joie, pleurs de joie et de reconnaissance !..."