"L'Abomination"...
Article de Léon Daudet, paru dans L'Action française, le dimanche de Pâques 1918, deux jours après le bombardement allemand sur Paris, qui détruisit la toiture de l'église Saint-Gervais, pendant l'Office du Vendredi Saint (texte intégral) :
"Soixante-quinze morts - parmi lesquels un grand nombre de femmes et d'enfants - attestent aujourd'hui, devant le Créateur, la férocité sacrilège du peuple allemand.
Nul doute que les "gott-mit-uns" ne célèbrent cette date du Vendredi-Saint ainsi qu'une victoire de leur canon à longue portée.
Ce carnage est la digne illustration du télégramme de l'Empereur à Krupp. Quelque infâmie qu'accomplisse maintenant la race maudite, elle ne trouvera certainement pas mieux.
On sait l'artifice qu'emploient ces gens pour justifier le bombardement de Paris. Ils l'appellent : le camps retranché de Paris. C'est la même basse ruse qui fait enjoindre aux capitaines de gothas de viser principalement "les établissements industriels de la capitale", cela en pleine nuit et d'une hauteur de deux mille mètres !
La conscience civilisée, si toutefois elle ose prendre la parole, admettra difficilement que des femmes et des enfants en prières constituent un groupe combattant et qu'une église soit une forteresse.
Quant aux Germains, il faudrait les méconnaître, pour ne pas admettre qu'ils vont se féliciter de cette réussite comme d'une compensation efficace à l'échec actuel de leur ruée sur la Somme. Ils n'ont pas atteint leurs objectifs, mais ils ont transpercé à nouveau le coeur de Jésus-Christ, dans le moment même de son immolation. Cela aussi est un résultat militaire.
Patience ! On n'offense pas impunément le divin et l'humain à la fois : on ne mélange pas impunément, dans la coupe de pierre sacrée, le sang innocent de l'enfance au sang de l'Agneau; on ne soufflète pas à nouveau impunément la sainte Face par une hécatombe satanique.
La portée du canon monstre était si grande qu'il est allé frapper la prière, en redéchirant, du haut en bas, le voile du Temple.
Mai s'il reste en Allemagne un croyant qui ait gardé quelque chose d'humain, il frémira à l'idée du châtiment réservé tôt ou tard à un tel exploit : il regardera avec épouvante sa famille désignée à la Providence par des petites mains déchiquetées, il entendra venir, vers les abîmes des répercussions entre ciel et terre, les ondes formidables d'un châtiment prochain.
La colère de l'homme, quand elle est juste, est quelque chose. Mais la plainte de l'enfant martyr devant le Tribunal Souverain est, à mon avis, beaucoup plus terrible. Quiconque a tenu la main brûlante d'un tout petit, agonisant sur son lit d'hôpital par la nuit douloureuse, me comprendra. De cette extrême faiblesse qui va disparaître, il émane une pitié si forte qu'elle ébranle le courage le plus dur et fait éclater l'armure de l'âme.
Cette pitié-là est surnaturelle et celui qui la sent passer comprend qu'elle appartient au trésor des forces irrésistibles et invisibles.
Elle s'en va fauchant dans les ténèbres les plus puissants, les implacables et les orgueilleux. Elle leur rend carnage sur carnage et sur des plans fort imprévus. La lourdeur germanique ne saurait comprendre cela, qui est dans le frisson le plus humble comme dans la pensée la plus claire. Elle subira sans comprendre - voilà tout - la conséquence immanquable et imminente de ce qu'elle a déchaîné par ce dernier crime.
On n'ose toucher à certains deuils qui font chanceler la raison. Toutefois, aux malheureux parents qui pleurent aujourd'hui, jour de Pâques, devant la fragile dépouille de la chair de leur chair, un père peut assurer que les innocents ne seront pas morts en vain.
Autant et plus peut-être que nos héroïques soldats, par une voie détournée - si l'on peut dire que ce circuit mystique soit un détour - ces enfants, massacrés devant l'autel, vont contribuer à la délivrance de la Patrie et à la victoire, dans l'heure de la Résurrection.
Ils sont des combattants à leur façon, mais d'armes infiniment plus puissantes et plus sûres que n'en fabriqueront jamais les ateliers d'Essen (de la firme Krupp, ndlr).
Ils sollicitent, ils exigent, ils obtiennent la ruine de l'empire odieux, formé par le mal bestial et la haine, dont la défaite est indispensable à la libre respiration de l'univers."
* Rappel de notre avertissement du document précédent : ceux qui seraient surpris, voire choqués, par la dureté du ton - "férocité sacrilège du peuple allemand", "race maudite" - se reporteront aux trois documents ci-après, concernant - pour les deux premiers - le martyre de la cathédrale de Reims, et les propos qu'il a inspiré à Anatole France et à Ashmead Bartlett; le troisième étant l'opinion du sage et mesuré Jacques Bainville, sur les atrocités allemandes, en général, au cours de l'ensemble de la guerre...