"La Commune", une vaste machination "voulue" ?...
De "Paris vécu", Première série, rive droite :
1. Page 205/206 :
"...Il y a un surnaturel dans Paris et, j'ajouterai, un diabolique. Les évènements de la Commune, dans leur perversité farouche, l'attestent.
La rue du Chevalier de la Barre - cette dénomination municipale et anticléricale est bien comique - anciennement rue des Rosiers, en est la preuve.
C'est là qu'ont été fusillés par une multitude en délire, mais certainement guidée, comme celle des massacres de septembre, les généraux Lecomte et Clément Thomas.
Ces militaires étaient inconnus la veille. Ce meurtre ne correspondait à rien, si ce n'est comme les incendies de mai 71, à creuser un fossé de sang et à rendre inévitable une répression sans merci.
Pour moi, tout cela pue la police. La Commune était bourrée d'indicateurs, au premier rang desquels Raoul Rigaud et, à la fin, les assassins du lieutenant de Sigoyer, sauveur du Louvre, au prix de sa vie..."
2. Pages 45/46/47 :
"...La rue de la Roquette vient se jeter dans cet océan de tombes et d'histoire qu'est le Père-Lachaise, comme un fleuve se jette dans la mer.
Voici la houle des siècles, l'embrun des larmes, la marée des générations.
La Commune de Paris (1871) a marqué de sa forte empreinte, comme de cris figés, le silence métaphysique et théologique de ce lieu, où conversent, au printemps, l'arbre et l'oiseau avec les ossements.
Le mur des Fédérés, c'est du Tourneur et du Skakespeare. La "Tragédie de l'Athée", la "Tragédie du Vengeur", s'y fondent dans Hamlet.
L'erreur des hommes, la pitié, la colère, ces trois sorcières ont ici leurs chaudrons, leurs larves, leurs imprécations.
On voit encore les balles dans le mur où sont accrochées des couronnes fanées. Nous avons rencontré là souvent des jeunes fauves à casquettes, hommes et femmes, tendus par une haine concentrée de la société, qui leur durcissait le regard, mâchant le pain amer de la révolte et du souvenir.
Mais que faire en un pareil lieu, si l'on n'y prie pas ? C'est le vide.
Alphonse Daudet a raconté comme il sait le faire les batailles de la semaine de mai qui jetaient, au Père-Lachaise, des cadavres chauds sur les cadavres froids des ensevelis.
Parmi les chefs de ce mouvement cauchemar, et qui semble issu d'un "Capricio" de Goya, il y avait des policiers comme Raoul Rigault, des illuminés patriotes comme Rossel, des héros dévoyés comme le père Delécluze, des braves gens influençables comme Jourde, des exacerbés de l'esprit de justice comme Pascal Grousset, des convaincus concentrés comme Féré, des méchants sadiques comme Vallès, des déments comme Gill, des alcooliques, des idéologues, des loups enragés, des hyènes et des chacals.
Parmi les femmes, rééditions des tricoteuses, il y avait une soeur de charité en carmagnole, Louise Michel, des filles en furie, des absinthées, des folles criminelles, des "Juliette" du ruisseau entraînées par des "Roméo" en casquette, toute la lie érotique de Paris.
Ces journées, bien contées par Vuillaume, témoin direct, assez bien contées par Descaves, témoin indirect, déformées par Maxime du Camp, qui vont du 18 mars au 28 mai 1871, sont une étrange et convulsive réduction des horreurs de la Révolution française.
Il y eut là des re-Marat, des re-Robespierre, des re-Terwagne de Méricourt, des re-Fouché, des re-Barrère, des re-Danton, des re-Fabre d'Eglantine, des re-Père Duchêne.
Les massacres de septembre ont leur réplique dans le massacre des Otages. Foulon et Bertier sont remassacrés dans les uniformes de Lecomte et de Clément Thomas.
C'est à croire qu'une onde de terreur, chargée d'atrocités, de malaise et de rage, est revenue, après une gravitation de soixante-dix-huit ans, s'abattre sur Paris et ses habitants, réincarnant ses girations sanglantes et ses figures épileptiques après trois générations.
Ni 1830, ni 1848 n'avaient eu ce caractère de reviviscence barbare..."