Contre Zola...
De Paris Vécu, 1ème Série, Rive droite, pages 215/216/217 :
"...Pour moi, la rue de Bruxelles est demeurée tout entière dans le petit hôtel de Zola, où il recevait gentiment ses amis. Il était gourmand, il zézayait et, d'un air fûté, disait de la bécasse flambée :
"La fair (la chair) est quelconque, mais la faufe (la sauce) est bonne."
Sa maison était décorée de blocs de pierre sans intérêt, rapportées d'Italie, et qui excitaient l'hilarité de Goncourt, de quelques belles toiles de Manet, Cézanne et autres, et de meubles riches, qu'il croyait anciens, mais que le même Goncourt affirmait rafistolés.
Son goût, sauf en peinture, était moyenâgeux et incompétent. Mon père disait : "Il aime les stalles et les cathèdres."
-"Hein, mon ami, hein ?... car Zola faisait volontiers répéter, étant distrait et occupé à tordre son pied mince dans ses bottines de chevreau.
-Je dis, Zola, que vous aimez les cathèdres et les stalles.
-V'aime aussi les vitraux, mon bon ami. Mais il est difficile d'en déniffer (pour dénicher) de véritables. En voici un.
C'était le temps où il écrivait un livre "fafte" (chaste), l'Oeuvre, bouquin où le bleu mystique a l'air obtenu par la distillation d'un engrais et où les "onges" - style Courbet - ont des ailes en veau froid.
Goncourt ajustait son lorgnon, riait dans sa moustache et se taisait. Zola, inquiet, tourmentant, de son agile petit doigt, son nez bifide, insistait : "Eh bien Goncourt ?..."
- Ca doit être fait pas loin d'ici" répondait cruellement l'auteur de Germinie Lacerteux...
Aux repas chez Zola, assistaient généralement Théodore Duret, amateur et critique assez grincheux, qui avait l'air conservé - avec deux profils collés et aucune face - dans un herbier et gardait généralement le silence, et le ménage Dumoulin. Ce dernier, graveur de talent, s'était donné, comme mission laïque, de visiter et réconforter les guillotinés.
-"...avant, bien entendu" disions-nous.
Dumoulin attristait toute la table par le récit de ses entretiens suprêmes, prononcé d'une voix basse et monotone.
Cela agaçait Zola, qui interrompait pour demander à Mme Zola : "Férie (chérie), as-tu goûté la gelée de canard ?"
Ce rite dînatoire se déroulait deux fois l'an, au printemps, avant Médan, à l'automne avancé, au retour de Médan (1).
C'est dans cette même maison que Zola trouva une mort affreuse, du fait d'une cheminée qui, mal ramonée, tirait mal. Du moins c'est l'explication qui fut donnée et qui parut alors vraisemblable.
Zola,, le dernier romantique (du romantisme de la déjection et de l'égout) avait de la force de travail, une certaine puissance imaginative, de l'élan. Il animait des êtres d'instinct, hommes et femmes, et, quelle que fût leur condition sociale, à quatre pattes.
Mais il était primaire, outrecuidant et sot, sous des dehors bonhommes.
Sauf cent pages de l'Assommoir, vingt de Germinal et cinquante de La Joie de vivre, son oeuvre énorme est un fatras, où circule une sentine morose. La "faufe" n'est pas bonne, ah fichtre non ! La Terre, La Débâcle sont de mornes dégoûtations.
Je suis même étonné, quand j'ouvre un de ses livres, de leur néant. Ce vide est plus saisissant que ses détritus humains, et autres. Comment a-t-on pu trouver là-dedans le commencement, l'ébauche, l'indication d'une oeuvre d'art ?
L'art comporte un choix. Zola n'a aucun choix. L'art comporte une sensibilité. Zola n'a qu'une sensualité grossière, qui cesse brusquement, à la même place où elle a commencé brusquement.
Chez lui, le style est remplacé par un ron-ron noir, par un piétinement dans la boue.
Aucun personnage n'est typifié autrement que par une tare, ou un tic, ou une phrase stéréotypée.
Les quatre derniers prétendus Evangiles : Rome, Paris, Lourdes, Fécondité sont d'un bêtise, d'une boursouflure et d'une indigence à pleurer..."
De "Au temps de Judas", page 59 :
"...Lisez, à la lumière de cette remarque, les meilleurs scatologicons de sa série : "L'Assommoir", "Germinal", "Nana", "La Terre". Regardez-le se vautrer dans le purin, en faire dégouliner sur sa page, mirer, comme des oeufs au marché, les termes vils et dégradants : "Ah ! je crois que j'en ai mis, cette fois !" s'écriait-il, en s'asseyant à table, chez les Charpentier, lors de la publication de "Nana", et il en reniflait d'allégresse. D'où le surnom de "Grand Fécal", que je lui appliquai et qui lui resta..."
(1) : Médan est une commune résidentielle des Yvelines, en bord de Seine. Émile Zola y acquit une maison, en 1878, qui devint le lieu de réunion des naturalistes : "les Soirées de Médan".