UA-147560259-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Maîtres et témoins (III) : Léon Daudet

Mercredi 1er juillet 1942, 17h28...

Mercredi 1er juillet 1942, 17h28...

Maurras tutoie Daudet pour la première fois...

En juillet 1942, lorsque Daudet mourut, dans le cimetière de Saint Rémy de Provence, Maurras, "fit à son ami, à son frère, des adieux pathétiques, le tutoyant pour la première fois…" (Henri Massis). Quel déchirement ce dût être pour lui de voir partir un ami à la fois si proche et si différent !
Cela peu de temps après avoir perdu Jacques Bainville, au moment de la défaite et de l’occupation d’une France qu’ils avaient si passionnément aimée, et pour laquelle, avant cette guerre comme avant la précédente, ils avaient donné ensemble les avertissements nécessaires contre l’Allemagne.

De "L'Action française racontée par elle-même", d'Albert Marty (pages 387/388) :

"...Charles Maurras, le 3 juillet 1942, annonça la tragique nouvelle aux lecteurs de l'Action française :
"Chers amis de toutes nos villes et de tous nos pays qui me demandiez, à chaque passage, "Et Daudet ?" ou sous la forme familière la plus répandue : "Et Léon ?" ne croyez pas que j'aie jamais pu altérer la vérité quand je vous répondais par des mots de sécurité ou d'espérance, je n'en aurais point trouvé d'autres, il m'était impossible de mettre en doute cette magnifique architecture de chair et d'âme, ce monument de force et de vie...
Nous avions tous assisté d'ailleurs à de telles phases d'abattement et de renaissance qu'il ne nous semblait pas que notre foi pût mentir : "Il reviendra. Il revivra. Avec la belle saison ! La Provence !"
Pour cette fois, la mère Provence nous aura trompés.
Le 27 mai dernier, à Saint-Rémy-de-Provence, j'ai - poursuivait Maurras - embrassé notre ami pour la dernière fois. Un petit accident qui avait paru grave et que l'on avait conjuré le retenait au lit, mais il ne lui manquait que le mouvement : la lucidité était parfaite, l'intelligence cristalline, la mémoire intacte, le jeu de l'imagination enthousiaste et moqueuse brillait toujours au fond des yeux, mais, il est bien vrai, quelque chose qu'on avait entrevu déjà s'était accentué : ce sourire léger, d'une extrême finesse, où se peignait, à bien parler, la résignation et le détachement.
Si les pauvres humains continuaient à le toucher, ce sourire semblait le transfigurer dans un ordre nouveau qui, n'étant plus du monde, planait sur les choses mortelles; le soir venu, j'en rapportai à Lyon une obscure inquiétude dont je ne pouvais me défaire... Eh ! quoi ! vraiment ? Non, non, l'idée affreuse ne pouvait pas se former, ou elle était chassée avec révolte et horreur.
Nous y voilà pourtant - gémissait Maurras - Elle est là. La haute chanson de ce grand rire est éteinte. Cette joie de vivre et d'agir ! Cette puissance de l'image et de la pensée, analytique dans les accumulations du savoir, synthétique par la poésie du génie ! Cette générosité, ce don total de soi à la grande cause, cette intrépidité et cette vaillance de l'âme, de la parole écrite et dite, de l'action physique osée, portée, propagée en tout et partout.
Pour dire adieu à tout ce que nous perdons, quelle douleur doit surmonter une affection comme la nôtre, vieille de près de quarante ans !...
...Quel deuil - s'exclamait Charles Maurras - Et quelle atroce tentation pour le désespoir !
Ce grand Français sera donc couché dans la tombe avant que notre France en soit tout à fait ressortie.
Et son action aura cessé avant d'avoir complètement abouti à la restauration de l'ordre national et royal, tel que l'a toujours conçue, désirée, voulue, préparée ce royaliste passionnément dévoué à ses princes et qui n'avait jamais songé qu'à eux en les servant.
Il est vrai que les actes de Léon Daudet lui survivent avec leurs conséquences. Ses actes et ses livres. Ses grands livres, qui ajoutaient à l'oeuvre du politique celle de l'intellectuel, du critique, du moraliste, et qui visaient plus haut qu'un changement de régime : le relèvement des moeurs, et la réforme des idées..."