Elu Député de Paris
(Continuation et fin du document précédent)
Voici les premières et les dernières lignes de "Député de Paris", 1919/1924, Bernard Grasset, 1933, dans lesquelles Léon Daudet explique bien cette "grande illusion", et que ce qu'il convient de faire c'est, non pas de croire aux bonnes élections, mais d'oeuvrer ouvertement "à la subversion du régime"...
1. Premières lignes du premier chapitre : "Prise de contact; composition de la Chambre du 16 novembre" (pages 9, 10, 11) :
"Le 16 novembre 1919 j'ai été élu, au scrutin de liste, député du troisième secteur de Paris (rive gauche et XVIème arrondissement).
Entendons-nous bien, député ROYALISTE et au cri de "Vive le Roi !".
Ce fut, chez les républicains, une stupeur générale. On n'imaginait pas qu'un tel évènement fût possible.
Le pauvre cardinal Amette, respectueux serviteur des décisions de Clemenceau, alors Président du Conseil et de son entourage, avait recommandé à ses ouailles de voter "sagement", c'est-à-dire pour la liste Millerand, dite d'union nationale, mais d'où les royalistes, ces pestiférés, étaient exclus.
Fidèle interprète des désirs gouvernementaux, le cher Alfred Capus, alors directeur d'un Figaro encore influent, nous avait laissé tomber, mes amis et moi, dans un entrefilet assez perfide qui lui valut, de ma femme, cette remarque sévère : "Capus, je vous croyais un ami, vous n'êtes qu'un convive". Comme bien d'autres, Capus, causeur incomparable, dramaturge amusant, écrivain délicat, était fourvoyé dans la politique; et sa collaboration directoriale au Figaro, non encore saboté par le falot parfumeur François Coty, s'en ressentit.
Mon élection, après une campagne électorale des plus vives, fut saluée par les cris de fureur de la presse de gauche, notamment de "L'Oeuvre" de Gaston Téry, ancien normalien, tombé dans la crotte, aujourd'hui crevé, lequel ne me pardonnait pas d'avoir dénoncé ses louches allures du temps de guerre.
A entendre ces aimables garçons, je ne pourrais siéger au Parlement, où mes collègues me couperaient la parole et me rendraient la vie impossible.
Or, non seulement je siégeai sans discontinuer, au Palais-Bourbon, pendant quatre ans et demi, mais encore je dis à la tribune, et de ma place, exactement tout ce que je voulais dire, sans me laisser arrêter par aucune autre considération que l'intérêt primordial de la Patrie.
En outre, j'appris à connaître, incomplètement encore, mais de près, ces larves parlementaires que sont un Millerand un Poincaré, un Barthou, qu'était un Briand; ces êtres éloquents et gentils, mais inconsistants, dénués de caractère à un point inimaginable, que sont un Tardieu, un Boncour, un Herriot; l'impossibilité où se trouvèrent et se trouvent les quelques hommes de valeur entre 600, un Mandel, un Léon Bérard, un André Lefèvre, un Maginot, un Marin, un de Seynes, un Provost de Launay, un Magne, de frayer un chemin à des lois utiles concernant la Défense Nationale, le Budget etc...
Je pus constater le néant inouï de la Constitution, dénommée "La femme sans tête" si bien décrite par Charles Benoist, aujourd'hui royaliste, et des prétendus travaux parlementaires. Je me rendis compte que deux principes commandent aux assemblées démocratiques : l'ignorance et la peur.
Or cette Chambre dite "bleu horizon" et qui, par nombre de ses membres sortait de la fournaise de quatre années d'une guerre atroce, était bien disposée, pleine de bonne volonté; les députés des provinces recouvrées lui apportaient un élément d'enthousiasme, qui eût pu donner des fruits admirables.
La plupart de mes collègues, sur tous les bancs, étaient d'honnêtes gens, assez bêtes mais bons. Qu'en conclure, sinon que le régime républicain lui-même, dans sa formule et dans les faits, est incompatible avec la prospérité, la conservation, le salut de la France.
A l'heure où j'écris, tout homme de bonne foi doit conclure à l'antinomie fondamentale de la Patrie et de la démocratie.
Cavour a dit, dans une formule fameuse, qu'il préférait une Chambre à une antichambre. Il signifiait par là son mépris des courtisans, chambellans et autres parasites de la monarchie.
Or l'antichambre, si insupportable qu'on la suppose, n'a pas empêché Sully, Richelieu, Mazarin, Colbert, Louvois, Talleyrand, Villèle et Cie. Elle leur a mis des bâtons dans les roues. En fin de compte, elle dû leur céder. Au lieu que la Chambre ne peut supporter aucune supériorité au Gouvernement, ne peut tolérer aucune continuité dans les déterminations graves, portant, au dedans comme au dehors, sur quarante, cinquante, soixante ans.
A peine est-on entré dans ce club, matériellement amusant et bien tenu, qu'est le Palais-Bourbon, que l'on s'en rend compte..."
2. Dans le même ouvrage (pages 226 à 234, c'est-à-dire les neuf dernières) Léon Daudet explique les raisons de l'échec de la Chambre "bleu horizon", et termine ces neuf pages - et son livre - sur ce propos désabusé :
"...A l'heure où j'écris (février 1933) le peuple français environné d'inimitiés, trompé, ruiné, écrabouillé par le fisc, et qui voit revenir la guerre, à la suite de l'évacuation criminelle de Mayence, tourne vers la Chambre des Députés des regards de haine.
Elle est pour lui la nouvelle Bastille, l'antre d'où souffle le malheur, et le signe de sa servitude à six cents farceurs, menteurs, truffeurs et pillards.
C'est bien ainsi que je voyais, en le quittant pour n'y pas revenir, ce baroque dépotoir de lâchetés, d'incapacité et d'idées fausses, où j'avais usé, en vain, quatre ans et demi de mon existence.
Mon échec du 11 mai 1924 fut ainsi, pour moi, une délivrance."
3. Dans "Paris vécu", Première série, Rive droite, page 121, Daudet fustige ceux "qui croient en l'amélioration électorale de la peste républicaine".
4. Enfin, dans "Vers le Roi" (page 46), racontant les débuts du quotidien L'Action française, il le présente comme "Etant réellement d'opposition, c'est-à-dire prêchant ouvertement la subversion du régime..."