L'amitié pour Marcel Proust (I)...
De Paris vécu, 1ère série, Rive droite, pages 183/184 :
"...Deux établissements jalonnent la rue Royale, qui est ample, et, par un beau soleil, réjouissante à l'oeil : le restaurant Weber, le restaurant Maxim's, fondé par le regretté Cornuchet...
...Weber était d'une autre allure. Entre 1889 et 1904, ce café-restaurant agréable, aéré en été, bien chauffé en hiver, réunissait, chaque soir, de 10 heures à minuit et au-delà, une foule d'écrivains de journalistes, d'artistes...
...Sur le coup de minuit, un jeune monsieur au regard de faon, emmitouflé dans un énorme paletot, entrait fièrement - été comme hiver - et demandait un raisin, ou deux poires, ou deux pommes.
C'était Marcel Proust, qui n'avait encore publié qu'un livre de critiques sur Ruskin et de merveilleux pastiches de Balzac, de Stendhal et autres, parus au Figaro.
J'ai toujours chéri Marcel, qui, par ailleurs, était très lié avec mon frère Lucien.
Il venait s'asseoir à notre table et commençait à grapiller son raisin ou peler sa poire, en faisant des compliments à tout le monde : "Monsieur, oh monsieur, comme j'ai aimé votre dernier livre !... Avez-vous terminé cette belle pièce, dites, monsieur ?... Pardonnez-moi, madame, quelle est, au jour, la couleur de cet adorable manteau ?..."
De Paris vécu, 1ère série, Rive droite, page 134 :
"... C'est vers la même époque (1896, ndlr) que je passai une dizaine de jours à Fontainebleau, à l'Hôtel de France et d'Angleterre, merveilleuse création de la famille Dumaine, en compagnie de Marcel Proust.
Par le clair de lune, bien emmitouflés, nous faisions tous deux de longues promenades en forêt, où Marcel me confiait ses projets littéraires, que la réalisation dépassa.
C'était un écorché vif, ce cher Marcel, mais qui faisait déjà, avec ses écorchures, une tapisserie au point, d'un éclat et d'une nouveauté admirable..."
(Illustration : Jacques-Emile Blanche (1861-1942), Portrait de Marcel Proust, Musée d'Orsay)