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Maîtres et témoins...(II) : Jacques Bainville.

L'hommage de Thierry Maulnier

L'hommage de Thierry Maulnier

(Le souvenir de Jacques Bainville, Plon, 1936 - Ce que nous devons à Bainville, par Thierry Maulnier, extrait).


.....On a fait grief à ce sceptique de croire trop à l'histoire. Mais l'idée même que Bainville se formait de l'histoire lui interdisait de chercher dans le passé la clé des problèmes présents. Seul le déterministe peut croire au retour éternel des situations et de leurs remèdes. L'histoire, telle que la concevait Bainville, était moins l'histoire des faits que l'histoire des hommes; elle accordait à l'impondérable et à l'imprévisible, à la liberté et aux hasards humains, trop de place pour se recommencer sans cesse. La philosophie historique de Bainville ne nous enseigne pas que nous sommes sans pouvoirs sur les faits et sur nous-mêmes, elle nous enseigne seulement qu'il y a, dans la destinée des peuples et dans celles des hommes, des instants de choix dont il faut profiter. Nos heures de liberté sont comptées. Lorsque l'une d'elles est passée, et que nous nous sommes trompés, il n'est plus en notre pouvoir d'échapper à la chaîne des conséquences qu'a determinées notre acte lui-même. Nous ne pouvons rien sur les forces invincibles qui déduisent les effets des causes. Mais nous pouvons agir sur les causes. Nous ne pouvons pas faire que de bons résultats naissent d'un mauvais régime. Mais nous pouvons construire un régime meilleur. Nulle part, il n'y a un appel plus pressant à al responsabilité humaine que dans ce déterminisme-là.

En réalité, Jacques Bainville n'était pas un sceptique, puisqu'il cherchait dans l'observation de la réalité le moyen d'y déterminer des constantes, -ce qui, dans toutes les sciences, s'appelle découvrir des lois. Il n'était pas davantage un déterministe, puisqu'il laissait à l'homme le pouvoir de choisir entre les causes du bien et les causes du mal, entre les causes de l'ordre et celles du désordre, entre ce qui enrichit et multiplie la vie et ce qui al conduit à dégénérer et à se flétrir. L'univers où il nous est donné d'agir n'est pas un univers docile. Nous devons compter avec ces résistances que sont la nature des choses et notre propre nature; l'une et l'autre susceptibles, sans doute, d'être par un patient effort lentement domptées, lentement améliorées, mais l'une et l'autre prêtes aussi à de formidables revanches, au premier relâchement de nos volontés. Jacques Bainville nous montre que nous vivons dans un monde que nous pouvons changer, mais que nous ne pouvons changer qu'à condition de le connaître, et que nulle méthode d'action, nulle politique n'est valable qu'à condition de se fonder en même temps sur ce qui dans le monde est invariable et sur ce qui est susceptible de changement. Agir, c'est se soumettre aux faits et pourtant ne pas s'y soumettre. Telles sont les vérités qui ont rayonné de toute l'oeuvre de Bainville, en un temps où, sous nos yeux, la politique française versait dans les excès contraires de l'opportunisme et de l'abstraction.....






Illustration : Thierry Maulnier, à gauche, en compagnie de Jacques Hébertot et André Malraux à l'occasion de l'adaptation de "La Condition Humaine" de Malraux, en pièce de théâtre par Thierry Maulnier, au Théâtre Hébertot en 1954.