Rien n'est simple : un jour, "ce fut Clémenceau"..
De "La Troisième République", Chapitre XII, L'épreuve de la guerre, pages 294/295/296 :
"....Seul pourtant, Clémenceau, dans son bouillonnement anarchique, avait assez de caractère pour animer ce qui défaillait, assez d'autorité pour afire rentrer la Chambre dans le devoir, assez de vigueur pour retendre l'arc. L'heure voulait quelqu'un d'immodéré et il l'était. Raymond Poincaré le comprit. Il fut assez généreux pour oublier les linjures qu'il avait reçues. Par la désignation de Clémenceau, le génie de la République montra qu'il veillait toujours. Sans doute, l'homme avait des défauts d'esprit qui le rendaient dangereux et l'expérience offrait des risques. Il n'en restait plus d'autre à tenter. Si elle n'était faite, le régime, donnant raison à Marcel Sembat , devait avouer son impuissance à soutenir la guerre et à sauver le pays.
Comme en 1871, lorsque Thiers avait paru, c'était encore à un vieillard qu'il remettait son sort et que les Français accordaient leur confiance, comme si le grand âge, le voisinage de la mort eussent offert les garanties de désintéressement et de dévouement au bien public qu'on ne trouvait pas ailleurs. Mais pour que Clémenceau fût appelé au pouvoir il fallait que la démoralisation n'eût pas atteint le dernier sommet de l'Etat et qu'à l'Elysée une flamme brulât encore. La présidence rendait là un service éminent qu'on n'eût peut-être pas attendu avec la même certitude d'un autre titulaire. Or Raymond Poincaré était président parce qu'à l'élection de 1913 il avait eu le bénéfice de l'oeuvre accomplie au gouvernement dont Clémenceau lui avait ouvert la porte après Agadir. L'un, alors, avait préféré Poincaré à Caillaux. C'est encore à Caillaux que l'autre préféra Clémenceau. Tout se ramenait toujours à des choses simples.
Simple aussi était la devise de Clémenceau et elle le portait d'un seul coup à une sorte de sublimité. En guise de programme, il se contenta, ou peu s'en falllait, de dire : "Je fais la guerre." Il la fit.
Si, dans l'année 1918, lorsque les Allemands lancèrent leurs dernières attaques, la discipline n'avait été rétablie, l'intrigue bannie et la trahison réprimée, la défaite et la débâcle seraient probablement survenues. Il fallut prendre, à ce moment-là, des résolutions qui exigeaient une énergie farouche et qui excluaient toute intrigue, toute vaine critique, toute défiance à l'arrière. Mais déjà Clémenceau avait effrayé et dispersé les éléments troubles et malfaisants en décidant des poursuites contre Joseph Caillaux et Jean-Louis Malvy, qui furent condamnés par la Haute-Cour à des peines plus morales qu'afflictives, le second, en particulier, pour avoir, comme ministre de l'Intérieur, trahi les devoirs de sa charge. C'était un souvenir très atténué, une forme presque symbolique de la Terreur. Le vieil admirateur de la Convention se retrouvait là chez Clémenceau qui avait retenu du Comité de Salut public qu'une ferme autorité et des mesures d'exception à l'intérieur étaient indispensables à la victoire..."