1915 : parution de "Histoire de deux peuples"
En pleine guerre donc, contre cette Allemagne qu'ont mise à la mode - contre la politique traditionnelle de la Royauté - les Encyclopédistes prussophiles, et qu'ont follement créé la Révolution, la République et l'Empire, s'entêtant - y compris le Second - dans sa "nuée" du "principe des nationalités"... jusqu'au douloureux réveil de Sedan.
S'il est évidemment totalement vain - et même absurde - de prétendre dire quel est, ou quels sont, les meilleurs ouvrages de Bainville, il n'en demeure pas moins tout à fait sûr qu'avec son "Histoire de France" et son "Napoléon" cette "Histoire de deux peuples" forme une trilogie qui, à elle seule, suffit à faire de Bainville l'un des plus grands historiens de tous les temps.
La première édition comprend six chapitres et deux Appendices.
En 1933 - on verra plus loin les deux photos qui y sont consacrées - Bainville reprendra tel quel son ouvrage, sans y changer un seul mot (sauf les six lignes du dernier paragraphe de l'Avant-propos; et sauf le titre du sixième chapitre, qui, de "Causes générales de la guerre de 1914" devient "La catastrophe"); et en ajoutant simplement un septième chapitre : "Le réveil de la Walkyrie".
Il donnera pour titre à cette "reprise" : "Histoire de deux peuples, continuée jusqu'à Hitler".
* Voici d'abord le sommaire du livre en 1915:
Chapitre I : La monarchie héréditaire des Capétiens et l'anarchie allemande
Chapitre II : Les traités de Westphalie : l'anarchie allemande organisée et la sécurité de la France garantie
Chapitre III : La France entre la Prusse et l'Autriche
Chapitre IV : La Révolution et l'Empire préparent l'unité allemande
Chapitre V : "La politique que le peuple élaborait depuis 1815" nous conduit à Sedan
Chapitre VI : Causes générales de la guerre de 1914
* Et en voici maintenant l'Avant-propos, lumineux comme toujours chez Bainville :
Avant-propos de l’auteur, avril 1915-1933
Ce livre est, en somme, une histoire à grands traits de notre pays.
Quand on étudie les rapports de la France avec le reste de l'Europe, on s'aperçoit que la plus grande tâche du peuple français lui a été imposée par le voisinage de la race germanique. Avec nos autres voisins, Anglais, Espagnols, Italiens, s'il y a eu des conflits, il y a eu aussi des trêves durables, de longues périodes d'accord, de sécurité et de confiance. La France est le plus sociable de tous les peuples. Il le faut bien pour qu'à certains moments nous ayons eu, et assez longtemps, l'Allemagne elle-même dans notre alliance et dans notre amitié. Il est vrai que c'était après l'avoir vaincue. Il est vrai que c'était après de longs efforts, de durs travaux qui nous avaient permis de lui retirer, avec la puissance politique, les moyens de nuire. Car le peuple allemand est le seul dont la France ait toujours dû s'occuper, le seul qu'elle ait toujours eu besoin de tenir sous sa surveillance.
Une idée domine ce livre. Nous pouvons même dire qu'elle nous a obsédé tandis que nous écrivions ces pages sous leur forme première.
Le sol de la France était occupé par l'ennemi qui se tenait, dans ses tranchées, à quatre-vingts kilomètres de la capitale. Lille, Mézières, Saint-Quentin, Laon, vingt autres de nos villes étaient aux mains des Allemands. Guillaume II célébrait son anniversaire dans une église de village français. Tous les jours, Reims ou Soissons étaient bombardées. Tous les jours un frère, un ami tombait. « Fallait-il que nous revissions cela », disaient les vieillards qui se souvenaient de 1870. Deux invasions en moins d'un demi-siècle ! Comment ? Pourquoi ? Etait-ce l'oeuvre du hasard ou bien une fatalité veut-elle que, tous les quarante-quatre ans, l'Allemagne se rue sur la France ?
Lorsqu'on se pose ces questions, la curiosité historique est éveillée. La réflexion l'est aussi...
En suivant la chaîne des temps, nous suivions la chaîne des responsabilités et des causes. Comme nous sommes liés les uns aux autres ! Comme il est vrai, selon le mot d'Auguste Comte, que les vivants sont gouvernés par les morts ! Tour à tour, les Français ont recueilli le fruit de la sagesse de leurs devanciers et souffert de leurs erreurs. Nous n'échappons pas à cette loi de dépendance. Comprenons du moins comment elle agit , c'est l'objet de cet ouvrage.
Nous n'avons pas voulu l'alourdir par des références et des renvois aux textes. Nous avons voulu qu'il pût se lire d'un seul trait, comme un commentaire de la grande guerre de 1914-1915. Nous croyons d'ailleurs n'avoir rien avancé qui ne soit acquis et reconnu pour vrai par l'école historique contemporaine.
J. B.
Avril 1915-avril 1933.