L'empire de Cluny...
Cluny I et Cluny II :
La première église, élevée à la fondation de l'abbaye, était très modeste.
Saint Maïeul, abbé de 948 à 994, fit élever une nouvelle église de grandes dimensions, Cluny II. Elle était probablement voûtée, avec un chevet très développé : un chœur flanqué de collatéraux et d'annexes de profondeur décroissante ; ce plan en échelon a été très vite imité de la Suisse à la Normandie (Romainmôtier, Chapaize, Bernay). Un narthex, sorte d'église antérieure, fut ajouté à l'ouest de la façade. Cette église persista jusqu'au XVIIe s.
Cluny III :
Quand elle fut devenue trop petite pour le nombre croissant de moines, saint Hugues, lui adjoignit, à partir de 1088, Cluny III, qui constitue le plus vaste édifice religieux de l'Occident médiéval. La construction dura jusque vers 1132, le pape Innocent II ayant célébré la dédicace solennelle le 25 octobre 1130.
Dédiée à saint Pierre et à saint Paul, l'église mesurait 171 mètres de long, narthex compris. La voute de la nef s'élevait à 30 mètres de haut. Le chevet à déambulatoire et à cinq chapelles rayonnantes était précédé de deux transepts flanqués de chapelles et séparés l'un de l'autre par un chœur. À l'ouest du grand transept, le plus occidental, s'allongeait la nef de onze travées à bas-côtés doubles. Toute l'église était voûtée.
Quatre clochers couronnaient les croisées des transepts et les deux bras du grand transept. Il en reste un, octogonal, celui de « l'Eau bénite », au-dessus du croisillon sud.
L'élévation intérieure était à trois étages : grandes arcades, arcatures aveugles ou faux-triforium et fenêtres hautes. L'arc brisé régnait dans les voûtes en berceau et aux grandes arcades. Le décor (peinture, sculpture, mobilier) était d'une grande richesse.
Les sculptures :
Il subsiste une partie du décor sculpté, pilastres cannelés et chapiteaux à feuilles d'acanthe du transept, fragments du portail ouest, qui avait un tympan orné du Christ en majesté entre les symboles des évangélistes, et surtout chapiteaux figurés des colonnes du rond-point de l'abside, qui représentent les tons de la musique, les fleuves et la flore du paradis terrestre, les saisons et les vertus cardinales. La date de ces chapiteaux, antérieure ou postérieure à la consécration de l'autel majeur par Urbain II, en 1095, fait l'objet de discussions.
Les peintures :
Les ateliers de peinture ne nous sont plus connus que par des descriptions du décor de l'abbatiale, par quelques manuscrits et par les peintures murales de Berzé-la-Ville, qui fut, à quelques kilomètres de Cluny, la demeure campagnarde de saint Hugues. La chapelle haute de Berzé-la-Ville conserve un chœur et une abside ornés de peintures sur fond bleu, qui révèlent d'une part, une connaissance certaine d'ateliers italo-byzantins et d'autre part, une parenté dans le dessin, au moins pour le Christ en majesté de l'abside, avec des tympans romans de Bourgogne, tel celui d'Autun. La date de ces peintures est discutée, parfois fixée vers 1100, parfois repoussée jusque vers 1150.
Le rayonnement artistique :
L'art de Cluny III rayonna à travers la Bourgogne romane, à Paray-le-Monial et à Autun notamment. Son rôle dans l'évolution de l'architecture et de la sculpture monumentale romane fut considérable, même si on refuse les datations les plus précoces. Son usage de l'arc brisé, du décor à l'antique (pilastres, acanthes), le verticalisme et l'ampleur de son architecture eurent des répercussions sur l'art gothique, tandis que son plan à double transept se perpétuait dans les cathédrales anglaises.
L'expansion clunisienne :
À la mort de saint Hugues (1109), l'ordre est à son apogée avec 1184 maisons, dont 883 en France, 99 en Allemagne et en Suisse, 54 en Lombardie, 31 en Espagne, 44 en Angleterre. La tendance est nettement centralisatrice. Toutefois, l'esprit d'autonomie, fondamental dans la règle de saint Benoît, ne saurait perdre ses droits. Aussi, à côté des « maisons dépendantes », dont le supérieur est nommé et contrôlé par l'abbé de Cluny, il y a place pour des maisons seulement « subordonnées », soit qu'il s'agisse d'abbayes anciennes ralliées à Cluny, soit des « cinq filles » principales de la maison mère : Souvigny, Sauxillanges, La Charité-sur-Loire, Saint-Martin-des-Champs (à Paris), et Lewes (Angleterre). En ce temps de féodalité, la dépendance est d'ailleurs moins institutionnelle que personnelle envers l'abbé de Cluny. Son rayonnement spirituel, plus encore que ses droits, assure son autorité.
Une longue survie :
L'évolution intellectuelle (essor de la scolastique) ou économique, non moins que les causes plus internes, enlève à Cluny dès le milieu du XIIe s. son rôle de premier plan. Malgré les sages dispositions de Pierre le Vénérable et les efforts des papes du XIIIe s. pour la réforme de l'ordre, il « s'efface » désormais, devant les Cisterciens d'abord, puis devant les jeunes ordres : ordres mendiants du XIIIe s., Jésuites au XVIe s., voire mauristes au XVIIe s.
Ni Louis de Lorraine (1612-1621), ni Richelieu (1635-1642), ni Mazarin (1654-1661) ne pourront changer cet état de choses, qu'une division dans les observances vient encore compliquer. L'ordre disparaîtra durant la tourmente révolutionnaire....