ISRAËL - LIBAN : UNE TRÊVE INÉGALE, par Annie Laurent
Annie Laurent vient de me transmettre "LA PETITE FEUILLE VERTE N°103, MAI 2025", que je vous fais partager aussitôt...
François Davin, Blogmestre
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Manifestation du Hezbollah, à Beyrouth, Novembre 2023 Photo Creative Commons attribution
Dans la guerre de Gaza, déclenchée le 7 octobre 2023 par le mouvement palestinien sunnite Hamas, Israël s’est trouvé confronté à un second ennemi, le parti libanais chiite Hezbollah, engagé dès le début aux côtés du premier dans un « axe de la résistance ».
La précédente PFV (n° 102) ayant été consacrée aux diverses motivations et formes d’engagement israéliennes face au Hamas, nous abordons ici ses particularités dans l’affrontement avec le Hezbollah. Mais il convient d’abord de rappeler que la naissance de l’État hébreu, suivie de l’exode de réfugiés palestiniens vers le Liban (1948), est la cause première de la plupart des guerres qui se succèdent depuis lors au pays du Cèdre. Seule une entente entre les deux voisins permettra d’y mettre un terme.
VERS UN APAISEMENT
En s’engageant militairement contre la région septentrionale d’Israël (Haute-Galilée), dont il a contraint à l’exil environ 80 000 habitants, le Hezbollah a entraîné de graves dommages pour le Liban en raison des représailles, terrestres et aériennes, lancées par Tsahal (l’armée israélienne), non seulement contre les positions de la milice chiite, dont plusieurs de ses dirigeants (son chef charismatique Hassan Nasrallah a été assassiné à Beyrouth le 27 septembre 2024), mais aussi contre de nombreuses cibles civiles (villages, monuments historiques, lieux de culte, terres agricoles, etc.). Pendant treize mois, la contre-offensive israélienne, qui s’est étendue jusqu’à Beyrouth et d’autres régions éloignées de la frontière, a entraîné la mort de 3823 Libanais et l’exode de 900 000 résidents.
Destruction d’un quartier chiite du sud de Beyrouth par des bombardements israéliens en novembre 2024.
Photo Creative Commons Attribution.
Par l’ampleur de ces destructions, Israël visait « à se débarrasser du Hezbollah mais aussi à punir les Libanais du Sud qui lui ont permis d’opérer dans leurs villages », explique le spécialiste Nicholas Blanford en commentant cette « stratégie de la terre brûlée » (Le Monde, 28 novembre 2024).
Le 27 novembre 2024, un cessez-le-feu destiné à mettre fin à deux mois d’une guerre de forte intensité entre le Hezbollah et Israël a été annoncé par les États-Unis et la France qui ont parrainé sa négociation. Cet accord donnait soixante jours aux deux belligérants pour en réaliser les conditions : retrait des forces du parti chiite déployées au sud du fleuve Litani, situé à une trentaine de kilomètres au nord de la frontière ; évacuation des troupes israéliennes présentes dans le sud du Liban, suivi du déploiement progressif de l’armée libanaise appelée à collaborer avec la Force intérimaire des Nations-Unies au Liban (Finul).
La FINUL en patrouille au Liban-sud. Photo Creative Commons Attribution.
Créée par l’ONU en 1978 pour surveiller le retrait de Tsahal après sa première invasion du Liban (résolutions 425 et 426), cette force est composée de 10 000 soldats (les « Casques bleus ») provenant de 47 pays, dont la France. Mais jusqu’à présent, elle n’a pas réussi à imposer l’application des résolutions 1559 (2004), 1680 et 1701 (2006) dans leurs principales dispositions : retrait du Hezbollah de cette zone à partir de laquelle il avait déclenché des guerres contre Israël ; désarmement de tous les groupes armés sur l’ensemble du territoire libanais.
Le souvenir de ces échecs a suscité le doute dans la population israélienne quant à la pertinence du cessez-le-feu. Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, y a répondu en affirmant se réserver le droit, en vertu de cette trêve, de reprendre les combats si le Hezbollah (« Parti de Dieu ») ne respectait pas ses engagements.
Israël et le Liban ont approuvé la création d’un comité de surveillance franco-américain chargé de superviser la mise en œuvre de ces engagements. Présidé par les Etats-Unis et la France, ce comité comprend aussi le Liban, Israël et la Finul.
REPRISE DE LA GUERRE
« Censé s’achever le 27 janvier 2025, par un retrait total israélien du sud du Liban, il [le cessez-le-feu] reste suspendu au bon vouloir de l’État hébreu qui semble peu désireux de quitter totalement le pays et qui revendique, sans le dire, un droit d’intervention permanent au Liban contre tout risque de résurgence d’une menace du Hezbollah » (Christophe Ayad, Géopolitique du Hezbollah, PUF, 2025, p. 165).
Le 17 février 2025, Israël, qui n’avait pas respecté le terme fixé, annonçait le maintien « pour une durée indéfinie » de son occupation sur cinq sites stratégiques choisis pour leur élévation qui favorise « une vue large du territoire libanais » et leur situation face à de grandes localités du Nord israélien. Un porte-parole militaire israélien a justifié cette décision en ces termes : « Nous devons rester à ces endroits pour le moment afin de défendre les citoyens israéliens, de nous assurer que le processus est terminé et de le remettre aux forces armées libanaises » (L’Orient-Le Jour, 18 février 2025).
Le président de la République libanaise, Joseph Aoun, a réagi à cette décision : « L’ennemi israélien n’est pas digne de confiance et nous craignons que le retrait total ne soit pas réalisé demain. La réponse libanaise se fera par le biais d’une position nationale unifiée et inclusive. L’option de la guerre ne fonctionne pas et nous passerons par des moyens diplomatiques, car le Liban ne peut plus tolérer une nouvelle guerre » (Ibid.).
Entrée d’un tunnel servant de bunker au Hezbollah rempli d'armes et de lance-roquettes mis à jour par les forces israéliennes au sud du Liban. Photo Creative Commons Attribution.
Depuis lors, Israël multiplie les violations du cessez-le-feu au Liban, notamment dans la région méridionale où des attaques quasi-quotidiennes visent des villages au moment du retour de leurs habitants, après treize mois d’éloignement contraint. Ces frappes aériennes sont parfois accompagnées de l’envoi aux populations concernées de billets jaunes et blancs (couleurs du drapeau du « parti de Dieu ») portant des slogans qui les invitent à se méfier de toute promesse d’aide financière par le Hezbollah - « des mensonges et de la tromperie de la résistance » - coupable d’avoir détruit leurs maisons et déplacé leurs familles.
A Saïda, Tsahal a visé la résidence d’un Palestinien responsable du mouvement Hamas, Hassan Farhat, qui a été assassiné avec ses deux enfants.
La plaine de la Bekaa, à l’est, constitue une autre cible. L’intention de l’État hébreu est ici de « bombarder des routes de contrebande du Hezbollah le long de la frontière avec la Syrie » (L’Orient-Le Jour, 2 avril 2025).
Trois bombardements (28 février, 30 mars et 27 avril) ont aussi été dirigés contre la banlieue sud de Beyrouth, où, selon Tsahal, le Hezbollah dispose de stocks de missiles de précision. L’absence de riposte du « parti de Dieu » à ces attaques pourrait être justifiée par son souci de ne pas affaiblir son parrain iranien, engagé avec les États-Unis dans un dialogue sur le nucléaire. Le régime de Téhéran pousse d’ailleurs pour l’arrêt des combats au Liban et à Gaza.
Fin avril, les violations israéliennes dépassaient le nombre de 3 000, a indiqué le président Joseph Aoun. Il a également affirmé sa préférence pour la voie diplomatique afin de résoudre le problème avec Israël (L’Orient-Le Jour, 30 avril 2025).
Cependant, les contacts pris par les dirigeants libanais avec la France et les États-Unis, chargés de parrainer la trêve, pour qu’ils assument leurs responsabilités n’ont jusqu’à présent produit aucun résultat, ce qui a inspiré ce scepticisme au secrétaire général du Hezbollah, Naïm Kassem : « Les buts d’Israël sont clairs : il veut contrôler le Liban, y établir des colonies, rester dans le pays et l’affaiblir pour qu’il ne s’oppose plus à ses projets » (L’Orient-Le Jour, 28 avril 2025). Durant cette période, plusieurs attaques provenant du Liban ont été lancées contre le nord d’Israël mais le Hezbollah n’en a revendiqué qu’une seule, celle du 2 décembre 2024, tandis que deux autres, perpétrées le 16 avril, ont été attribuées au Hamas, qui dispose toujours de combattants au pays du Cèdre.
Un autre problème reste dépendant de l’instabilité dans le Sud, la Bekaa et la banlieue sud de Beyrouth : la reconstruction de ces régions ravagées par la guerre. Les autorités libanaises espèrent pour cela un accord avec le Fond Monétaire International (FMI). Mais celui-ci ne pourra être obtenu qu’une fois achevé le retrait des zones occupées et la fin des bombardements effectués par Tsahal.
Ruines du village libanais de Marviin à la frontière libano- israélienne, un avant-poste du Hezbollah, détruit par les forces israéliennes, en octobre 2024. Photo Creative Commons Attribution.
L’ARMÉE LIBANAISE ET LE HEZBOLLAH : RIVALITÉ OU COLLABORATION
L’accord du 27 novembre a confié à l’armée libanaise la mission d’investir la région méridionale située entre le fleuve Litani et la frontière israélienne (soit une trentaine de kms du nord au sud) pour y démanteler, en collaboration avec la Finul, l’infrastructure militaire du Hezbollah, opération consistant aussi à combler et sceller les nombreux tunnels creusés par ce dernier. Malgré les entraves au déploiement complet de l’armée, causées par les violations israéliennes, fin avril les 8 000 soldats libanais dépêchés sur place contrôlaient 90 % du secteur concerné.
Le général Rodolphe Haykal, commandant en chef de l’armée, a félicité la troupe pour « sa résistance qui est l’une des raisons les plus importantes de la survie du Liban, de l’unité des Libanais et de leur sécurité », ainsi que pour son « travail intensif pour étendre l’autorité de l’État » et « accompagner le retour des populations dans leurs villages » (L’Orient-Le Jour, 23 mai 2025).
Cette mission s’ajoute au maintien d’une présence militaire sur l’ensemble du territoire, à l’intérieur du pays et le long des autres frontières, tout ceci avec des moyens limités. À la mi-avril, l’émir de Qatar, qui recevait Joseph Aoun à Doha, lui a promis de soutenir son armée par un don de 60 millions de dollars et l’envoi de 162 véhicules militaires.
Israël continue d’occuper les cinq sites stratégiques du secteur concerné par la trêve et de justifier ses opérations anti-Hezbollah, y compris à Beyrouth, par le refus de ce dernier de renoncer à la totalité de l’arsenal dont il dispose dans tout le pays. En fait, le « Parti de Dieu » trouve dans l’occupation israélienne un argument pour écarter toute perspective de désarmement total comme l’exigeait la résolution 1701 de l’ONU (2006), qui visait toutes les milices alors en action, résolution à laquelle se réfère aussi le cessez-le-feu du 27 novembre.
Par cette attitude, les dirigeants du Hezbollah s’opposent au programme annoncé par Joseph Aoun, juste après son élection à la tête de l’État (9 janvier 2025), et soutenu par son Premier ministre Nawaf Salam, de réserver à l’armée le monopole de la protection de l’ensemble du territoire, ce qui reviendrait à retirer au « Parti de Dieu » le label de « résistance » qu’il s’est octroyé au prétexte de lutter contre les ingérences israéliennes au Liban (cf. PFV n° 101).
Depuis lors, tout en affirmant sa priorité pour la stabilisation de la zone comprise entre le Litani et la frontière israélienne, « car elle est vaste et nécessite des moyens essentiels, notamment en matière de génie militaire et de traitement des explosifs », le président Aoun persiste dans son programme de désarmement intégral du Hezbollah, qu’il présente comme « une décision irréversible », mais il entend mener ce chantier à son rythme, sans provoquer de confrontation avec le « Parti de Dieu ». Il a d’ailleurs informé les chefs de la milice chiite de sa volonté de privilégier le dialogue, ce que Naïm Kassem a refusé : « Nous ne permettrons à personne de désarmer le Hezbollah ou de désarmer la résistance, car le Hezbollah et la résistance sont un » (L’Orient-Le Jour, 24 avril 2025).
Cette position pourrait traduire une fuite en avant destinée à maintenir l’hégémonie politique du Hezbollah sur la communauté chiite au moment où celle-ci affronte un discrédit croissant qui se traduit par un malaise comme le souligne Mohamed Sifaoui, auteur d’un livre très documenté qui vient de paraître : « Il y a incontestablement une sorte de dépression collective qui s’est installée dans les rangs du mouvement » (Hezbollah. De Beyrouth à Paris, la milice prépare son retour, éd. du Rocher, 2025, p. 236).
Le général Joseph Aoun, Président de la République du Liban, a été élu le 9 janvier 2025, après un vide présidentiel de plus de deux ans. Cela a pu se faire en dehors de l’influence du régime syrien déchu et du Hezbollah, très affaibli, marquant une nouvelle page de la vie politique du Liban, fondé sur l’Etat de droit.
Photo Creative Commons Attribution.
La position de Kassem n’entraîne cependant pas l’unanimité dans les rangs du « Parti de Dieu ». Le président du Parlement, Nabih Berri, allié du Hezbollah, a affirmé qu’en l’état actuel, « les armes sont une carte de négociation » qui perdra sa raison d’être après le retrait israélien (L’Orient-Le Jour, 28 avril 2025). Il a été rejoint dans cette attitude conciliante par le chef du bloc parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad, qui a soutenu l’option du président Aoun comme il l’a confié au terme d’un entretien avec ce dernier auquel participaient d’autres députés de son parti. « L’espace d’entente avec le président est large et prometteur, et nous ne nous sentons contraints ni par le temps ni par les lieux ni par les méthodes tant que les choses avancent » (L’Orient-Le Jour, 26 mai 2025). Par ailleurs, certains cadres du « Parti de Dieu » n’excluent pas, dans l’avenir, l’intégration des combattants chiites dans l’armée libanaise.
En fait, tout laisse entrevoir que le Hezbollah n’entend pas limiter son action au domaine politique comme l’explique M. Sifaoui. « Le Hezbollah sans action militaire et sans terrorisme n’est plus le Hezbollah » (op. cit., p. 246) ; « Les dirigeants du mouvement, tout comme leur sponsor iranien, savent que, tant que le combat contre Israël continue, il assure la justification de l’existence de la milice. En somme, dans une situation de paix, le Hezbollah n’a plus aucune raison d’exister […]. La milice chiite est née en temps de guerre et elle ne saura survivre dans un autre contexte » (ibid., p. 256).
Les initiatives diplomatiques et politiques du gouvernement libanais aux niveaux arabe et international pour « mettre fin à l’agression israélienne », tout comme les prémices d’un dialogue entre Israël et le Liban apparues ces derniers mois, n’ont jusqu’à présent abouti à aucune solution.