Feuilleton : "Qui n 'a pas lutté n'a pas vécu"... : Léon Daudet ! (234)
(retrouvez l'intégralité des textes et documents de ce sujet, sous sa forme de Feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)
Aujourd'hui : Léon Daudet vu par : Thierry Maulnier...
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ndlr : ce sujet a été réalisé à partir d'extraits tirés des dix livres de souvenirs suivants de Léon Daudet : Paris vécu (rive droite), Paris vécu (rive gauche), Député de Paris, Fantômes et vivants, Devant la douleur, Au temps de Judas, l'Entre-deux guerres, Salons et Journaux, La pluie de sang, Vers le Roi...
Sur cette photo, prise au théâtre, Thierry Maulnier est à gauche, parlant avec André Malraux, à droite...
De "L'Action française racontée par elle-même" d'Albert Marty, pages 389/390/391 :
"..."L'Action française" du 9 juillet 1942 contenait ce témoignage de Thierry Maulnier :
"Il parlait comme on voudrait écrire, avec des illuminations saisissantes sur les hommes et les choses, des formules si fortes et si soudaines qu'on pouvait les dire inspirées.
Il écrivait comme il parlait, avec l'abondance de la conversation, mais aussi la rapidité, les digressions, les reprises, la vivacité familière, une sorte de négligence seigneuriale.
Par hasard, je l'entendis un jour échanger quelques mots avec quelque personnage dont je ne sais plus le nom, et qui appartenait sans doute à l'espèce bien pensante. Il s'agissait du député communiste Vaillant-Couturier, dont Léon Daudet venait d'apprendre la mort :
"C'était un charmant garçon", déclara-t-il; mais...mais, bredouilla l'autre, surpris et quelque peu effrayé d'entendre parler ainsi d'un dangereux adversaire. "Oui, je sais, interrompit Léon, ave cette autorité naturelle que l'on n'oubliera jamais, il vous aurait fait pendre, cher ami,. Et moi aussi, d'ailleurs. Mais, quelle importance ?"
Ce n'était pas là seulement la liberté d'esprit de Léon Daudet, sa générosité devant l'adversaire, sa joyeuse insolence et sa vigueur dans la formule. C'était là son style. C'est là le style...
...Léon Daudet n'a pas seulement pratiqué tour à tour le roman, la critique, l'essai philosophique, la polémique politique, écrit toute la série des ouvrages qui font de lui le plus extraordinaire des mémorialistes de notre époque. Cet homme, pour qui écrire n'était pas seulement un métier, n'était même pas vraiment un métier, mais en même temps, par une contradiction paradoxale dont son équilibre superbe s'accommodait comme de beaucoup d'autres contradictions, un engagement total des forces torrentielles de sa nature, et le plus amusant des jeux; il n'y avait pour ainsi dire pas de domaine étranger ou interdit : les figures de ses contemporains les plus vils et de la plus grande médiocrité et aussi les plus grandes et les plus pures de l'histoire, l'oeuvre naissante des écrivains nouveaux et celle de Shakespeare ou de Goethe, la poésie anglaise, la philosophie allemande et la littérature provençale, les anciens et les modernes, la peinture et la musique, Rembrandt et Picasso, Descartes et Proust, l'art et la vie, les formes et les couleurs sensuelles du monde et les vérités les plus hautaines, les joies les plus raffinées d'une civilisation exquise et les énigmes de la mort, le mysticisme et la science, la médecine et la table, tout lui était objet non seulement d'attention et d'étude, mais d'investigation rigoureusement personnelle et de découverte..."
Thierry Maulnier expliquait l'universalité d'un esprit comme celui de Léon Daudet par les affinités qui l'unissaient à toute la variété d'êtres vivants et de choses qui composent la création. L'imagination de Léon Daudet avait le surprenant pouvoir d'aller jusqu'au coeur des choses vivantes et de le recréer pour le lecteur, dans leur signification la plus secrète.
Son oeuvre restera.
"Le "Voyage de Shakespeare", les "Souvenirs", dans leur ensemble, 'Paris vécu", "Le courrier des Pays-Bas", et, au-delà de ces maîtres-livres, les milliers d'éclairs et de feu qui brillent dans une oeuvre immense et incroyablement diverse, assurent à Léon Daudet, dans l'histoire de nos lettres une place qu'on ne mesure sans doute pas encore.
Un des grands esprits de notre temps disparaît, et le crépuscule qui paraît grandir autour des choses de la pensée, dans une Europe livrée à de mortels délires, se fait un peu plus sombre."