Feuilleton : Chateaubriand, "l'enchanteur" royaliste... (9)
Anne-Louis Girodet, Portrait de Chateaubriand,
Saint-Malo, musée d’Histoire de la Ville et du Pays Malouin.
(retrouvez l'intégralité des textes et documents de cette visite, sous sa forme de Feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)
Aujourd'hui : Quand Marie-Antoinette sourit à Chateaubriand...
(Illustration : le "Marie-Antoinette à la rose" de Madame Vigée-Lebrun)
Des Mémoires d'Outre-Tombe, La Pléiade, Tome I, page 167, (le Roi vient de renvoyer Necker...) :
"...Je menai mon Pindare à l'heure de la messe dans la galerie de Versailles. L'Oeil-de-boeuf était rayonnant : le renvoi de M. Necker avait exalté les esprits; on se croyait sûr de la victoire : peut-être Sanson et Simon, mêlés dans la foule, étaient spectateurs des joies de la famille royale.
La Reine passa avec ses deux enfants; leur chevelure blonde semblait attendre des couronnes : madame la duchesse d'Angoulême, âgée de onze ans, attirait les yeux par un orgueil virginal : belle de la noblesse du rang et de l'innocence de la jeune fille, elle semblait dire, comme la fleur d'oranger de Corneille, dans le Guirlande de Julie :
"J'ai la pompe de ma naissance."
Le petit dauphin marchait sous la protection de sa soeur, et M. du Touchet suivait son élève; il m'aperçut et me montra obligeamment à la Reine. Elle me fit, en me jetant un regard avec un sourire, ce salut gracieux qu'elle m'avait déjà fait le jour de ma présentation. Je n'oublierai jamais ce regard qui devait s'éteindre sitôt. Marie-Antoinette, en souriant, dessina si bien la forme de sa bouche, que le souvenir de ce sourire (chose effroyable !) me fit reconnaître la mâchoire de la fille des rois, quand on découvrit la tête de l'infortunée dans les exhumations de 1815...."
• En note, à la page 1143 du Tome I :
"M. de CH m'a raconté plus d'une fois, dit Marcellus, p. 38, et toujours en frémissant, cette effroyable reconnaissance; mais j'avais peine à croire à un tel prodige de conservation ou de mémoire. Un jour, en rappelant cet horrible et lugubre souvenir, il ajouta : "Je n'y pense point que je ne redise en moi-même les belles paroles de Burke : Jamais, sans doute, ne brilla sur ce globe, qu'elle semblait à peine toucher, une vision plus charmante".
CH y revient lorsqu'il parle des exhumations, et dans son Discours sur le deuil général du 21 janvier, prononcé à la Chambre des Pairs, le 9 janvier 1816 on retrouve la même émotion :
"On pouvait encore reconnaître (ô Providence !) les traits où respiraient avec la grâce d'une femme toute la majesté d'une reine !"
• Tome I (pages 905/906) des Mémoires d'Outre-Tombe (Pléiade) :
"...Le 18 janvier (ndlr : 1815) furent exhumées les restes de Marie-Antoinette et de Louis XVI. J'assistai à cette exhumation dans le cimetière où Fontaine et Percier ont élevé depuis, à la pieuse voix de madame la Dauphine, et à l'imitation d'une église sépulcrale de Rimini, le monument peut-être le plus remarquable de Paris. Ce cloître, formé d'un enchaînement de tombeaux, saisit l'imagination et la remplit de tristesse. Dans le Livre IV de ces Mémoires j'ai parlé des exhumations de 1815 : au milieu des ossements je reconnus la tête de la reine par le sourire que cette tête m'avait adressé à Versailles..."