Meilleure baguette de Paris : l’histoire était-elle trop belle ?, par Gabrielle Cluzel.
C’était une belle histoire » : c’est ainsi que, de façon assez juste, Le Parisien résume l’affaire du lauréat de la meilleure baguette de Paris 2021. Un script parfait pour téléfilm sur France 2, un « ancien sans-papiers [qui livrerait] désormais sa baguette à l’Élysée » : « Makram Akrout, boulanger d’origine tunisienne, [est] l’heureux lauréat 2021 du prix de la meilleure baguette de Paris. Un beau parcours pour cet homme arrivé en France à 23 ans, qui [avait été] depuis naturalisé ».
Bien sûr, ce n’est pas la première fois qu’un boulanger issu de l’immigration remporte le prix de la meilleure baguette, ce pain popularisé par Napoléon parce qu’il en trouvait la forme oblongue plus transportable pour ses soldats, cet emblème franchouillard, stéréotype de l’identité français (avec le béret) s’il en est.
En 13 ans, pas moins de 6 Tunisiens ont été primés (Anis Bouabsa, Ridha Khader, Sami Bouattour, Mahmoud M’seddi, Taieb Sahal et, à présent, Makram Akrout). Quant au Sénégalais Djibril Bodian, il a remporté deux fois le trophée (2010 et 2015).
Ridha Khadher a même fait de sa « success story » un livre : La Baguette de la République (Fauves Éditions) : il y raconte comment, pendant un an, il a livré chaque jour à l’Élysée une quinzaine de baguettes « tradition » et même accompagné François Hollande, flanqué de plusieurs ministres, en déplacement en Tunisie.
Des esprits chagrins, sur les réseaux sociaux, s’étonnent d’ailleurs de ce chiffre un peu trop élevé pour être une coïncidence. Discrimination positive ? Les épreuves font en tout cas mention d’une dégustation « à l’aveugle », et le fait est, comme le rapporte un article du Monde de 2012 intitulé « Au bon pain de Tataouine », que « les Maghrébins, en particulier d’origine tunisienne, investissent en rangs serrés dans ce commerce ». Il n’est pas rare, désormais, en région parisienne, que la baguette voisine avec des galettes de semoule et des pâtisseries orientales, non loin des croissants viennois. Chacun y verra l’allégorie qu’il voudra.
Cette fois, la mariée était peut-être trop trop belle. Un journaliste de Causeur a trouvé, relayées en arabe sur le compte Facebook (aujourd’hui fermé) du lauréat, des publications haineuses contre la France et aux relents islamistes : « La France encourage et propage la décadence dans nos pays pour protéger ses intérêts colonialistes et nous pousse à nous éloigner de la religion et des valeurs islamiques. » Ou encore : « Nous avons pleuré pour Charlie Hebdo et pour Notre-Dame mais du côté de la France, ils ne pleurent pas, ces chiens, lorsqu’on se moque du maître de la création, Allah. »
L’intéressé conteste les captures d’écran, a parlé d’abord d’un piratage, menace de porter plainte… mais a annulé sa présence à la remise des prix par Anne Hidalgo, ce 2 octobre. L’affaire, évidemment, embarrasse les élus, en particulier le maire du XIIe arrondissement – celui dudit boulanger – dont l’envolée lyrique d’il y a quelques jours tombe un peu à plat : « C’est une belle histoire gorgée d’espoir pour celles et ceux qui arrivent en France, pour ces personnes qui ont de l’or dans les doigts, un savoir-faire valorisé, une histoire qui fait modèle (sic), qui doit nous interroger sur l’accueil et que nous devons chouchouter. »
Anne Hidalgo, après avoir hésité, a décidé ne pas bouder la cérémonie de remise des prix, « mais l’hôtel de ville a tout de même saisi le préfet pour savoir si les faits étaient avérés ou non » (Le Parisien)… preuve, en creux, qu’aucune vérification n’a été faite en amont.
Makram Akrout deviendra-t-il LE boulanger attitré de l’Élysée pendant un an ? La question reste posée. Et, avec elle, celle de la légèreté d’un jury et d’une mairie trop pressés de célébrer la diversité heureuse pour prendre l’élémentaire précaution, comme il était d’usage pour les rosières, de vérifier la moralité des impétrants. Au risque de donner en exemple un islamiste et de lui offrir accessoirement un accès privilégié à l’Élysée.