Des lectures pour l’été : L’Homme pressé, de Paul Morand, par Antoine de Lacoste.
Boulevard Voltaire vous propose, cet été encore, des idées de lecture hors des sentiers battus, avec notre contributeur Antoine de Lacoste.
Pierre Nioxe est un homme pressé. Pathologiquement pressé. Il court dans la rue, dévale les escaliers, engloutit ses repas, avale ses rendez-vous. Son associé doit faire le plein de la voiture en marche et gémit : « Les secondes que tu gagnes, qu’en fais-tu ? » Des minutes, répond l’antiquaire, paradoxalement spécialisé dans les œuvres d’art très anciennes.
En survolant la Provence, il tombe amoureux d’une vieille propriété et l’achète dans la journée à un vieil aristocrate originaire des îles. Sa vie va en être bouleversée car elle le fait rencontrer le reste de la famille dont les jeunes filles sont aussi belles qu’indolentes.
Pierre, stupéfait, tombe amoureux d’Hedwige et doit se poser, mais juste le temps de lui faire la cour. La jeune fille est séduite et inquiète : « Cette invariable manie de varier, ce besoin de prendre non une vue des choses mais une même chose sous tous les aspects en sautillant d’un point cardinal à un autre, cette avidité de tout regarder et de ne rien contempler, de tout faire et de ne rien parfaire, de courir d’occasion en circonstance et de conjoncture en occurrence, tout cela était fatigant. »
Hedwige consent et l’homme pressé doit composer avec la beauté paresseuse. Très amoureux, il progresse et ne prend plus que cinquante mètres d’avance sur sa femme dans la rue. Mais la jeune épousée est enceinte et exige calme et repos. C’est trop pour Pierre à qui neuf mois semblent une éternité.
Ce petit roman qui semble un peu léger est un brillant exercice de style. Paul Morand excelle dans ce domaine où sa plume nerveuse fait merveille. Les phrases courent, comme Pierre Nioxe, et la rapidité du récit en rend la lecture très facile. Mais la leçon est plus profonde, et l’homme pressé est un peu l’homme moderne qui court vainement vers un but indéterminé.
Sans atteindre les sommets du Flagellant de Séville et loin de la tragédie du Parfaite de Saligny et du Bazar de la Charité, L’Homme pressé est un roman très réussi et un excellent divertissement.
L'homme pressé Poche – 17 octobre 1990 de Paul Morand