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Pourquoi la gauche est-elle en si piteux état ?, par Jean-Michel Castaing.

La gauche meurt, mais ne se rend pas

Boris Vallaud, député PS à l'Assemblée Nationale, avril 2019 © WITT/SIPA Numéro de reportage : 00903160_000030

Bien que n’exerçant pas actuellement le pouvoir, la gauche française est en mauvais état. Le désir d’alternance ne joue pas en sa faveur. D’où vient le désamour dont elle est victime ? Quatre causes principales expliquent l’état comateux dans lequel elle végète : déni de la réalité, goût immodéré pour les minorités couplé à un aveuglement à leur sujet, incapacité de parler au peuple, enfin entre-soi arrogant et sectaire.

2.jpgDéni de la réalité

La gauche a un problème avec le réel. Elle n’arrive plus à le voir, et conséquemment à en parler. Elle devrait faire sien le mot d’ordre que donnait Charles Péguy à l’intellectuel : dire ce qu’il voit et voir ce qu’il voit. A quoi tient cette fâcherie avec la réalité ? En fait, la marche du monde a contredit depuis longtemps tous ses postulats : le religieux revient au galop, tous les pouvoirs socialistes ont échoué à résorber les inégalités. Les anciens colonisés qu’elle soutenait se révèlent être plus conservateurs et patriarcaux que les peuples qui les avaient dominés. Résultat : afin de persévérer dans son être, la gauche ne possède plus que la ressource de se réfugier dans la forteresse de théories délirantes et déconnectées de tout lien avec le monde extérieur.

À ce déni de réalité s’ajoute sa propension à ne pas vouloir regarder la menace islamiste en face. C’est cette démission devant le danger djihadiste que les Français ont le plus de mal à lui pardonner. Incapable d’aborder sereinement le thème de la sécurité, la gauche se condamne à se « corneriser », à vivre dans les marges.

Aveuglement au sujet des minorités

La gauche se plaint que les classes populaires et moyennes du peuple la délaissent. Mais n’est-ce pas plutôt elle qui a abandonné la majorité : ouvriers, employés de bureau, revenus moyens, France périphérique, et cela au profit des minorités ? La gauche a fait le choix des minorités sexuelles, ethniques, religieuses, en tirant un trait sur la classe ouvrière qui constituait sa base sociologique historique. Elle n’a pas compris que celle-ci n’était pas seulement un ventre à nourrir, mais qu’elle était constituée d’hommes et de femmes à respecter dans leurs croyances et leurs modes de vie. Pour avoir ignoré l’attente des classes populaires au sujet du respect de leur culture, la gauche s’est aliénée son électorat traditionnel qu’elle a accusé, de surcroît, de tous les maux dans le but de complaire à sa nouvelle clientèle : les minorités. Erreur fatale ! Surtout que les minorités dont elle a pris la défense ne partagent pas son progressisme sociétal, loin de là ! Les excès de ce dernier donnent au contraire des haut-le-cœur aux enfants de l’immigration – ce dont les médias se gardent bien de rendre compte. Si bien que la gauche est perdante sur les deux tableaux.

Jadis, la gauche était universaliste, parlait de justice pour tous. Maintenant, une partie  non négligeable de ses troupes parlent « race », « genre », « couleur de peau », « caractéristiques physiques » – catégories qui étaient jadis les marottes de l’extrême-droite, comme le note ironiquement Régis Debray. Dans ces conditions, qu’elle ne s’étonne pas que les gens raisonnables se détournent d’elle.

Incapacité de parler au peuple

Non seulement la gauche ne parle plus le langage du peuple, mais elle est devenue incapable d’entrer en empathie avec lui. Circonstance aggravante : ses leaders ne peuvent pas prononcer une phrase sans qu’un mépris inconscient des classes laborieuses ne transparaisse dans leurs propos. Ce mépris de classe est attesté par le mauvais accueil qui fut réservé à Bernard Tapie et Pierre Bérégovoy par les notables socialistes de la cour de Mitterrand. Ces deux hommes étaient d’extraction populaire trop prononcée pour les courtisans hyper-diplômés de l’ancien président socialiste.

D’ailleurs, la nuance péjorative avec laquelle les médiacrates prononcent aujourd’hui le mot « populiste » serait suffisante pour convaincre l’ancien « peuple de gauche » qu’il n’est plus le bienvenu chez les bobos urbains qui forment les gros bataillons de la gauche mondialiste et écolo-punitive.

Entre-soi bunkerisé

Enfin, les classes populaires ont fui la gauche parce qu’elles ne se sentaient plus à l’aise parmi une élite sectaire aux jugements péremptoires et définitifs, vivant en vase clos, hostile au débat tout en vantant l’ « ouverture » à longueur de journée. Un milieu qui prône le partage tout en se prémunissant contre les doléances populaires, un microcosme qui vante l’éco-responsabilité bienveillante et inclusive tout en faisant la sourde oreille aux difficultés que vivent les habitants des quartiers « difficiles » et communautarisés. Devant cette schizophrénie, ou cette hypocrisie, les petits revenus et les relégués sociaux sont allés chercher ailleurs les relais politiques susceptibles de porter leur voix sur la place publique.

Combien de temps durera ce désamour ? La gauche parviendra-t-elle à faire son aggiornamento ? À oser regarder la réalité en face ? Cette mauvaise foi, cet aveuglement, sont-ils une spécificité française ? « La gauche peut mourir » avait prédit Manuel Valls. Pour avoir osé lui dire ses quatre vérités en face, l’ancien premier ministre a été ostracisé par la gauche française. Comme un mauvais présage.

Heureusement, la gauche universaliste n’est pas encore morte – cette gauche qui n’a pas abandonné le terrain de la justice sociale et pour laquelle un Blanc est encore capable de parler pertinemment des problèmes rencontrés par une personne d’une couleur de peau différente de la sienne. En témoigne le dernier essai de Boris Vallaud, Un Esprit de résistance (Flammarion).

 

a intégré l'administration des Finances après des études universitaires et des études de théologie Il est l’auteur de « Pour sortir du nihilisme » (Salvator, 2012).
 

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